LA FEMME ET LE PANTIN réalisé par Julien Duvivier, disponible en combo DVD/Blu-ray le 16 juin 2021 chez Pathé.
Acteurs : Brigitte Bardot, Antonio Vilar, Lila Kedrova, Daniel Ivernel, Darío Moreno, Michel Roux, Jacques Mauclair, Jess Hahn…
Scénario : Julien Duvivier, Marcel Achard, Albert Valentin & Jean Aurenche, d’après le roman de Pierre Louÿs
Photographie : Roger Hubert
Musique : Jean Wiener & José Rocca
Durée : 1h42
Année de sortie : 1959
LE FILM
Eva est la fille de Stanislas Marchand, naguère célèbre écrivain germanophile, collabo français réfugié en Espagne. Lors de la traditionnelle feria de Séville où elle danse le fandango, la demoiselle est remarquée par Matteo Diaz, un riche et fier marchand de taureaux auquel aucune femme ne résiste. Le don Juan fait des avances à Eva qui, fine mouche, le repousse. Titillé dans son amour propre, il va tout mettre en oeuvre pour conquérir le coeur de la Belle.
En 1956, déboule sur les écrans du monde entier Et Dieu… créa la femme. Le phénomène Brigitte Bardot, BB, est né. La comédienne a alors 22 ans et déjà le monde à ses pieds. Elle enchaîne immédiatement avec Une parisienne de Michel Boisrond (3,5 millions d’entrées), Les Bijoutiers du clair de lune (2,1 millions d’entrées), et surtout En cas de malheur (3,1 millions d’entrées), sous la direction de Claude Autant-Lara,dans lequel elle donne la réplique à Jean Gabin. En 1959, Julien Duvivier (1896-1967) a plus de soixante ans, mais demeure l’un des metteurs en scène français dont chaque film est un succès, voire un triomphe au box-office. Bien installé à nouveau au sein du cinéma hexagonal depuis son retour d’Hollywood, surtout grâce au raz-de-marée du Petit Monde de Don Camillo (près de treize millions de tickets vendus rien qu’en France), le cinéaste aura enchaîné pas loin de dix longs-métrages durant les années 1950, dont La Fête à Henriette (1952), Le Retour de Don Camillo (1953), Voici le temps des assassins (1956), L’Homme à l’imperméable (1957) et Pot-Bouille (1957). Si le film est un temps envisagé par Luis Buñuel, qui souhaitait tourner le film avec Mylène Demongeot et Vittorio De Sica, La Femme et le Pantin sera finalement confié à Julien Duvivier, qui accepte non sans réticences, de « diriger » Brigitte Bardot, qu’il ne souhaitait pas plus faire tourner que Luis Buñuel. La productrice Christine Gouze-Rénal, déjà à l’oeuvre sur La Mariée est trop belle de Pierre Gaspard-Huit, film sorti 2 jours avant Et Dieu…créa la femme, souhaite profiter de la popularité de BB et monte ce projet de toutes pièces. Une nouvelle adaptation du roman La Femme et le Pantin de Pierre Louÿs lui apparaît comme étant le véhicule parfait pour la star. Julien Duvivier passera le reste de sa carrière à dire à quel point il détestait La Femme et le Pantin, qu’il considérait comme étant « totalement idiot et manqué ». Pourtant, s’il semble effectivement plus intéressé dans le film par les personnages satellites qui viennent tourner autour de l’astre Bardot, le réalisateur n’en signe pas moins un film plastiquement irréprochable, dans lequel il démontre une fois de plus sa virtuosité technique, surtout qu’il expérimentait ici la couleur pour la première fois de son étonnante, foisonnante et éclectique carrière. Trente ans après la superbe version de Jacques de Baroncelli avec Conchita Montenegro, quinze ans après celle de Joseph von Sternberg avec Marlene Dietrich, le livre de Pierre Louÿs inspire à nouveau le monde du cinéma. Si cette mouture n’est sans doute pas la plus passionnante et la plus inoubliable, elle n’en reste pas moins intéressante sur le plan stylistique et la prestation de Brigitte Bardot n’est pas aussi déshonorante que la critique de l’époque et d’aujourd’hui ne le laissaient supposer.
Eva Marchand vit à Séville avec son père, un écrivain autrefois célèbre, et sa mère, une ancienne danseuse aigrie par la misère. Eva, comme toutes les filles d’Espagne, a appris à danser. Très douée, elle pense même en faire bientôt son métier et traite à la légère son fiancé, un brave conducteur de bus. Un jour, lors de la traditionnelle féria de Séville, elle est remarquée par un riche marchand et éleveur de taureaux, don Matteo Diaz, très amoureux de sa femme Maria Teresa qui, malheureusement, est infirme. Le bel hidalgo fait des avances à Eva qui, fine mouche, résiste. Habitué à triompher sans peine, le séducteur est titillé dans son amour-propre et se prend au jeu…
Non, Brigitte Bardot n’est pas mauvaise dans La Femme et le Pantin. Certes, son jeu est parfois limite et l’actrice se contente de minauder, mais elle le fait bien et surtout pas plus que dans certains films plus renommés. BB c’est avant tout une présence et de ce point de vue, l’écran s’enflamme dès sa première apparition, quand Eva déambule dans les rues de Séville, alors que tous les habitants et passants se retournent sur son passage. Ce que l’on pourrait reprocher à cette version de La Femme et le Pantin, c’est son absence d’érotisme et de sensualité. Brigitte Bardot transpire le sexe, immédiatement, sans retenue, par sa façon de se tenir, de se vêtir, de regarder son interlocuteur, d’être. Pas étonnant que le séducteur Matteo Diaz tombe instantanément sous le charme de cette jeune française, mais comme n’importe qui. Ce n’est donc pas cette relation qui intéresse Julien Duvivier, mais les seconds voire les troisièmes rôles qui gravitent autour. C’est le cas de l’épouse du riche et fier Matteo Diaz, l’altière Maria-Teresa, infirme de son état, qui comprend que son bel époux trouve ailleurs les plaisirs qu’elle ne peut lui donner. L’épouse accepte avec tristesse et résignation cette situation, et sait qu’elle ne peut rivaliser avec cette petite sauvageonne. Il y a Sidney (Jess Hann), l’ami de Diaz, ainsi que le père d’Eva, Stanislas Marchand (Jacques Mauclair), écrivain exilé pour raisons politiques, mais qui semble cacher un lourd secret. Eva est liée à Albert, formidablement interprété par le jeune Michel Roux, ami d’enfance de la belle, dont il est épris depuis le plus jeune âge. Lui aussi le fils d’un réfugié politique, il se décide à lui déclarer sa flamme au moment où Eva semble lui échapper pour de bon. Enfin, Julien Duvivier accorde une petite importance au personnage d’Arbadajian, directeur du bouge dans lequel se produit la provocante Eva, incarné par le truculent Dario Moreno, dont la gouaille contraste violemment avec le tristounet Don Matteo Diaz, auquel le comédien portugais Antonio Vilar (Le Désir et l’Amour d’Henri Decoin) prête ses traits d’aristocrate raffiné. De tous les protagonistes, ce dernier est sans nul doute le moins intéressant et le désir qu’il ressent violemment pour Eva ne peut rivaliser avec la puissance de celui qui étranglait Raymond Destac dans la version de Jacques de Baroncelli. De même, la séquence où Matteo constate qu’Eva, dans une pièce spécialement aménagée, danse nue devant des “connaisseurs”, n’a pas du tout le même impact, tant érotique qu’émotionnel.
Ce qui interpelle donc dans La Femme et le Pantin de 1959, c’est le travail sur la couleur de Julien Duvivier, ainsi que sur la composition du cadre. L’une des séquences finales, quand fou de jalousie, Matteo gifle la jeune femme au cours d’un spectacle, et se collette avec le public, avant d’être emmené au poste de police, est magistrale. La caméra se met à tanguer comme sur le point d’un navire, reflétant ainsi le trouble de Matteo, son vertige, sa perte de repères et la folie qui s’empare de lui. Julien Duvivier est solidement épaulé par le trio Jean Aurenche, Albert Valentin et Marcel Achard à l’adaptation du livre de Pierre Louÿs et aux dialogues, ainsi que par le chef opérateur Roger Hubert, grand collaborateur d’Abel Gance (Napoléon, La Fin du Monde, J’accuse) et de Marcel Carné (Jenny, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis). Tous ces talents réunis donnent naissance à un film sans doute plus intrigant sur la forme que sur le fond, mais qui ne démérite pas sur le plan divertissant, car on ne s’y ennuie pas une seule seconde. Le public répondra présent, puisque près de 2,5 millions de français se réuniront dans les salles pour aller voir le dernier « Bardot ».
LE COMBO BLU-RAY + DVD
La Femme et le Pantin de Julien Duvivier intègre la prestigieuse collection Pathé restaurations, en même temps que le film du même nom réalisé par Jacques de Baroncelli. L’objet prend ainsi la forme d’un Digipack à deux volets superbement illustré, glissé dans un fourreau cartonné, suprêmement élégant. Le menu principal est animé et musical.
Pathé a confié la présentation et l’analyse de La Femme et le Pantin version 1959, à Philippe Roger (maître de conférences en études cinématographiques) et Charles Ficat (écrivain et éditeur chez Bartillat). 46 minutes en tout point passionnantes et à chacun sa spécialité on pourrait dire. En effet, si le premier analyse surtout la forme du film de Julien Duvivier, ce qui est indéniablement le plus intéressant dans cette version de La Femme et le Pantin, le second se penche sur la vie et l’oeuvre de Pierre Louÿs, dont le livre était adapté ici au cinéma pour la cinquième fois. Philippe Roger se penche sur ce « cinéaste majeur dans l’histoire du cinéma français, auquel on ne pense pas forcément tout de suite » qu’était Julien Duvivier. La carrière muette (« remarquable ») du réalisateur, la place de La Femme et le Pantin dans sa filmographie (« un film très mineur, que détestait Julien Duvivier lui-même, mais que l’on peut défendre quand même »), la genèse du projet, le désistement de Luis Buñuel (qui ne voulait pas tourner avec BB), les véritables intentions du réalisateur (« qui ne croyait pas au couple principal, mais qui s’intéressait aux personnages qui les entouraient et qui ont été complètement inventés pour ce film »), les grandes différences avec la transposition de 1929, l’utilisation de la couleur (l’importance du rouge et du jaune) et du cadre (la verticalité), les références à Pépé le Moko et bien d’autres éléments sont abordés au cours de ce module indispensable.
En plus de la bande-annonce d’époque restaurée, l’éditeur joint un extrait des Actualités Pathé (32 secondes), qui dévoile quelques images de tournage de La Femme et le Pantin, où Marcel Achard fêtait ici son 100è dialogue pour le cinéma.
L’Image et le son
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette édition HD ressuscite le superbe DyaliScope et Eastmancolor de La Femme et le Pantin, qui bénéficie d’une restauration en 4K réalisée non pas à partir du négatif image original (incomplet et qui plus est dans un état jugé trop dégradé), mais via un interpositif de première génération, par L’Image Retrouvée. Si la source originale a donc été écartée, ce Blu-ray ne déçoit pas pour autant et profite de l’apport de la Haute-Définition. D’emblée, le générique d’ouverture illumine les rétines. Les teintes chaudes et saturées, rouges, vertes, bleues, jaunes explosent à l’écran comme un feu d’artifice. Le codec AVC stabilise l’image à la perfection, le grain original est respecté sans utilisation outrancière de réducteur de bruit (il est même clairement appuyé par moments, ce qui trahit ici l’absence du négatif original), la profondeur de champ est évidente et le cadre large est réhabilité et n’est pas avare en détails. La propreté est impressionnante tout du long, le piqué est joliment acéré, la copie demeure flatteuse et stable, la luminosité des séquences en extérieur est superbe. Une totale redécouverte.
La musique de Jean Wiener et José Rocca donne le la. La bande-son a été restaurée de fond en comble, et le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 mono s’en donne à coeur joie. Les dialogues n’ont jamais été aussi intelligibles et les effets annexes jouissent d’un coffre inédit. Aucun souffle constaté. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants, ainsi qu’une piste Audiovision.
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