Test Blu-ray / Frances, réalisé par Graeme Clifford

FRANCES réalisé par Graeme Clifford, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 28 avril 2021 chez Studiocanal.

Acteurs : Jessica Lange, Sam Shepard, Kim Stanley, Bart Burns, Christopher Pennock, James Karen, Gerald S. O’Loughlin, Sarah Cunningham…

Scénario : Eric Bergren, Christopher De Vore & Nicholas Kazan

Photographie : László Kovács

Musique : John Barry

Durée : 2h20

Date de sortie initiale : 1982

LE FILM

À 16 ans, lycéenne à Seattle, elle remportait tous les prix ; à 23 ans, étoile montante et troublante de la scène et de l’écran, on l’admirait pour sa beauté et son talent. A 27 ans, un enchaînement d’événements insignifiants entraîne son arrestation et son internement d’office définitif dans un établissement psychiatrique.

Moins connu des cinéphiles en tant que réalisateur que pour son rôle de monteur de Ne vous retournez pas Don’t look now, de Nicolas Roeg, Graeme Clifford fait le choix du biopic pour évoquer une partie de la vie de Frances Farmer (1913-1970), actrice hollywoodienne devenue icône rebelle des années 30.Si le film plonge dans l’environnement intime de la jeune femme, aussi bien son histoire familiale qu’affective, il s’agit d’emblée de montrer son approche érudite et anticonformiste, puisque dès ses seize ans, Frances Farmer, alors élève de la West Seattle High School, fait scandale dans l’Amérique catholique de 1931 via un essai/sermon, intitulé « God dies » dans lequel la lycéenne se réclame de Nietzsche et nie l’existence de dieu.

Un coup d’éclat controversé qui lui vaut de gagner le premier prix du concours d’écriture créative, tout en étant catalogué comme la blasphématrice de Seattle. Contre l’avis de son entourage, elle découvre bientôt le théâtre russe, ce qui lui vaudra d’être qualifiée de communiste par les services de surveillance. Elle entre au théâtre dramatique de Washington et désire devenir actrice, voyageant d’abord à New York puis à Los Angeles, des planches aux studios, de Broadway à Hollywood.

Elle passe un contrat de sept films avec la Paramount, qui la considère déjà comme la future Greta Garbo, à condition bien entendu qu’elle se plie au fonctionnement de la machine hollywoodienne : rôles imposés, relations amoureuses prohibées, changement de nom conseillé. Mais son goût pour l’opposition et la provocation – dépourvu néanmoins de militantisme politique – s’affine. Elle refuse tout, se marginalise et retourne sur les planches de Broadway.

Ce n’est que le début d’une longue descente aux enfers où les libertés de la jeune femme seront broyées par Hollywood, le grand tyran de l’histoire, le premier. Celui qui brise les élans affranchis sitôt qu’on n’entre pas dans les cases qu’il alloue. C’est le cas de Frances, qui se voit retirer son rôle dans « Golden boy » – celui de sa vie, dit-elle – dans la pièce de Clifford Odets, pour motif économique. Elle perd du même coup son amant et l’appartement que les studios lui réservaient.

Hollywood est capable de tout par orgueil, même de lui envoyer des journalistes masqués, à sa solde, pour lui faire cracher des déclarations que la presse ira relayer sans vergogne. Elle sombre dans l’alcool, retourne à Hollywood par obligation – et tourne dans des films sans intérêt – est arrêtée pour violences sur les forces de l’ordre, puis sur une maquilleuse puis sur sa propre mère. Son destin tragique trouvera son aboutissement dans les hôpitaux psychiatriques, abrutie par les électrochocs puis la lobotomie trans-orbitaire. 

Et la famille de Frances aura eu son rôle à jouer dans cette chute, surtout sa mère, qui aura tutoyé brièvement ce rêve, en vivant ce conte de fées par procuration, elle qui voulait devenir star de cinéma. C’est elle la première qui se résigna à penser que sa Frances était folle. C’est elle qui la recueillit lors de ses nombreux démêlés, tenta de lui faire retrouver le doit chemin, avant de réaliser que sa fille ne fera jamais aucun compromis et de la faire interner pour cinq ans.

Le film est très beau, visuellement, le travail de son chef opérateur Laszlo Kovacs s’avère dans la lignée de ses plus belles réussites : Easy rider, Five easy pieces ou Paper moon. Et si la mise en scène de Graeme Clifford n’a rien d’exceptionnelle, elle trouve précisément sa réussite dans cet académisme. Celui d’un biopic, confortable mais efficace, méticuleux et souverain, dévolue à son personnage et à l’actrice qui l’incarne.

D’une part en calant sa construction, son découpage sur la personnalité de son héroïne : Si le film s’ouvre à Seattle et y reviendra puis fait escales, avec elle, entre les planches de New York & les studios de Los Angeles, le montage s’élance, bifurque, coupe, n’hésite pas à jouer de l’ellipse en permanence. Il fait corps avec elle.

D’autre part pour Jessica Lange, magistrale, habitée. Elle qui avait été révélée quelques années plus tôt dans le remake de King Kong, signé John Guillermin, trouve ici le rôle de sa vie. Qui ne le fut pas, là aussi un peu à l’image du personnage qu’elle campe : Le film de Graeme Clifford est quasi oublié, tout juste exhumé pour l’occasion. Toujours est-il qu’elle aurait largement mérité un Oscar.

C’est un beau film sur l’envers du décor hollywoodien. Non pas sur une star déchue ou vieillissante, comme il est coutume d’en voir, comme dans Sunset boulevard, de Billy Wilder ou Qu’est-il arrivé à Baby Jane, de Robert Aldrich pour ne citer que ces deux-là, mais sur une actrice électron libre, qui sera restée fidèle à elle-même, ses principes, ses libertés, jusqu’à ce qu’on les lui retire de force.

Il faut toutefois noter que si le film ambitionne dans un carton introductif un peu racoleur de raconter « Le récit véridique de la vie de Frances Farmer » rien ne permet de confirmer que la jeune femme fut lobotomisée. Il semble que Clifford ait moins raconté cette vie qu’adapter la biographie qu’en avait tiré William Arnold, qui déjà, fictionnalisait la partie lobotomie de son existence. Ça n’enlève en rien l’intensité émotionnelle procurée par ces dix superbes dernières minutes : sa présence fantôme dans un show télévisé suivi de ses retrouvailles tout aussi fantômes avec Harry York (campé par Sam Shepard) qui sera resté son (unique et) magnifique ange-gardien, tout au long de sa destinée atypique et tragique.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Frances est le 34e titre à intégrer la collection Make My Day ! de Jean-Baptiste Thoret, initiée en septembre 2018 avec Max mon amour de Nagisa Ôshima. Depuis, nous n’avons eu de cesse de vous parler des opus qui sont venus s’y greffer. Le film de Graeme Clifford est disponible ici dans un combo Blu-ray/DVD, disposés dans un Digipack, glissé dans un fourreau cartonné. Le menu principal est sobre, très légèrement animé et muet.

L’historien du cinéma et critique présente tout naturellement le film qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (9’). Comme il en a l’habitude, Jean-Baptiste Thoret (cigarette électronique à la main) replace de manière passionnante Frances dans son contexte, dans la filmographie de Graeme Clifford (monteur d’Images de Robert Altman, de Ne vous retournez pas et de L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg), ainsi que dans celle de Jessica Lange, et évoque surtout « le rôle plus beau et le plus habité de la comédienne », ainsi que la figure de Frances Farmer récupérée dans la Pop Culture. Le critique aborde aussi la véritable Frances Farmer, sa vie, sa carrière, son destin, puisqu’il s’agit ici d’un biopic, qui traite du sujet de « la machine hollywoodienne qui va broyer une actrice éprise de liberté, car elle ne se pliait pas aux règles ». Jean-Baptiste Thoret ajoute « Il s’agit d’un biopic classique, qui semble de temps en temps ne pas savoir où il va, qui veut embrasser trop de choses, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse, car ce sentiment reflète les états d’âme du personnage principal ».

Cette introduction est ensuite largement relayée par Mathieu Larnaudie, écrivain qui a consacré son livre Notre désir est sans remède à Frances Farmer. Durant près d’une heure, l’invité de Jean-Baptiste Thoret et de Studiocanal évoque la genèse de son ouvrage (Actes Sud, 2015), comment la vie de la comédienne broyée par le système reflète l’évolution politique des Etats-Unis et condense toutes les questions qu’il se posait sur la face cachée de Hollywood. Mathieu Larnaudie parle également de « l’itinéraire d’une actrice qui, après un début de carrière prometteur, se trouve, parce qu’intransigeante, parce qu’indocile, mise au ban de la société hollywoodienne d’abord, puis de la société tout court – internée pendant près de dix ans dans les conditions sordides et violentes qui étaient celles de la psychiatrie américaine des années 1940 ». L’écrivain indique que son livre avait été pensé « comme une méditation sur l’image et le pouvoir iconique ». Il pointe aussi les libertés prises par les scénaristes et donc le film (inspiré par le roman biographique Shadowland de William Arnold), notamment en ce qui concerne l’internement psychiatrique de Frances Farmer et du traitement médical que l’actrice s’est vu infliger.

L’Image et le son

L’élévation HD (1080p) magnifie les très beaux partis pris esthétiques de la photographie signée László Kovács (Cinq pièces faciles de Bob Rafelson, SOS Fantômes Ghostbusters d’Ivan Reitman). Le piqué dépend des volontés artistiques originales et s’avère plus incisif sur toutes les séquences tournées en extérieur. La copie est très propre, la restauration est superbe, aucune poussière n’est à signaler, les contrastes sont concis, les noirs souvent denses, les couleurs relevées. La gestion du grain est équilibrée mais tend à être plus appuyé sur les scènes sombres et nocturnes. Mais le codec AVC consolide l’ensemble, les arrière-plans sont stables, la profondeur de champ est indéniable. Un très beau Blu-ray.

Les versions originale et française bénéficient d’un mixage DTS-HD Master Audio 2.0. Pour la première option acoustique, l’espace phonique se révèle probant et dynamique, le confort est indéniable, et les dialogues sont clairs, nets, précis. De son côté, la version française apparaît plus feutrée avec des voix moins percutantes. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare (largement conseillée) ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre.

Crédits images : © Studiocanal / Critique du film : Grégory Lescard / Partie technique, interactivité et Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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