JULIE (EN 12 CHAPITRES) (Verdens verste menneske) réalisé par Joachim Trier, disponible en DVD et Blu-ray le 15 mars 2022 chez Memento Films.
Acteurs : Anders Danielsen Lie, Renate Reinsve, Maria Grazia Di Meo, Mia McGovern Zaini, Herbert Nordrum, Hans Olav Brenner, Helene Bjørneby, Sofia Schandy Bloch, Savannah Marie Schei…
Scénario : Joachim Trier & Eskil Vogt
Photographie : Kasper Tuxen
Musique : Ola Fløttum
Durée : 2h08
Date de sortie initiale : 2021
LE FILM
Oslo, de nos jours. Julie est une jeune femme pleine de ressource, mais à 30 ans, elle cherche encore sa voie. Bien qu’heureuse avec Aksel, un dessinateur à succès, aimant et protecteur, elle refuse l’enfant qu’il désire. Quand Julie le quitte pour Eivind, elle espère, une fois de plus, commencer une nouvelle vie.
Si son premier long-métrage Nouvelle donne – Reprise date de 2006, le réalisateur Joachim Trier (né en 1974) se fait remarquer par la critique et le public dès son second film, Oslo, 31 août – Oslo, 31. august, qui sort cinq ans plus tard. Inspiré du roman Le Feu Follet, écrit par Pierre Drieu La Rochelle en 1931, qui avait déjà connu une adaptation en 1963 par Louis Malle (avec Maurice Ronet), Oslo, 31 août est une oeuvre aérienne qui s’intéressait entre autres (mais pas seulement) à la réinsertion des anciens drogués. Sujet de société tabou et d’actualité (les trafics illicites se multipliaient alors en Norvège), Oslo, 31 août était un film documenté, d’une extrême sensibilité, illuminé par l’intense interprétation d’Anders Danielsen Lie, que Trier avait déjà dirigé Nouvelle donne. Depuis, le metteur en scène a très largement confirmé son talent, avec Back Home (2015), porté par un casting international (Isabelle Huppert, Jesse Eisenberg, Gabriel Byrne, Amy Ryan, David Strathairn), ainsi que Thelma (2017), qui racontait l’histoire d’une jeune étudiante norvégienne issue d’une famille très religieuse, qui s’installait à Oslo pour ses études, où elle tombait amoureuse d’une de ses camarades et découvrait qu’elle possèdait des pouvoirs surnaturels. Il faudra ajouter à ces réussites, Julie (en 12 chapitres) – Verdens verste menneske, coécrit avec le fidèle Eskil Vogt, dont le titre original signifie « le pire être humain au monde ». Ce cinquième opus de Joachim Trier a été vendu comme une comédie romantique, je rajouterai tout de même comédie-dramatique romantique, étant donné que le dernier acte du film nous emmène vers une sous-intrigue insoupçonnée qui détonne avec ce qui a précédé. Mais Julie (en 12 chapitres), à ne pas confondre avec le merveilleux Julie en juillet –Im Juli. (2000) de Fatih Akin, c’est avant tout la découverte d’une magnifique comédienne, dont on tombe pour ainsi dire instantanément amoureux, Renate Reinsve, qui apparaissait au générique d’Oslo, 31 août dix ans auparavant, dans la scène de la piscine, où elle faisait d’ailleurs ses premiers pas devant la caméra. Elle accède désormais au haut de l’affiche et s’est vue décerner le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2021 pour sa prestation pour cette chronique irrésistible, qui nous ravit le coeur et nous émeut aux larmes.
Julie, bientôt 30 ans, n’arrive pas à se fixer dans la vie. Alors qu’elle pense avoir trouvé une certaine stabilité auprès d’Aksel, 45 ans, auteur à succès, elle rencontre le jeune et séduisant Eivind.
Le film, la vie – professionnelle et surtout sentimentale – de Julie donc, nous sera présenté en douze chapitres, agrémentés d’un prologue et d’un épilogue. Julie, élève brillante, est étudiante en médecine à Oslo. Après avoir eu une révélation, elle décide de poursuivre sa carrière en psychologie. Encore indécise, après avoir parcouru son album de photos sur son téléphone, elle procède à un revirement total et décide finalement de devenir photographe. Alors qu’elle sort avec son premier petit ami, elle rencontre Aksel Willman, de quinze ans son aîné, un auteur de BD anticonformiste reconnu par le public. Malgré leur différence d’âge, ils commencent une relation qui paraît sérieuse. Aksel et Julie passent un week-end en famille chez les parents d’Aksel. Celui-ci, qui explique avoir passé l’âge de la jeunesse, à 44 ans, propose à Julie de fonder une famille. Mais elle lui répond ne pas être prête et ne sait pas quand elle le sera. Elle lui avoue ne pas avoir l’instinct maternel, raison pour laquelle elle n’a pas su jouer avec les enfants de la famille. Plus tard, alors qu’elle rentre chez elle après une séance de dédicaces d’Aksel pour la sortie de sa nouvelle BD, Julie entre à l’improviste dans une fête. Là, elle aborde Eivind, un serveur de bar. Bien qu’ils soient tous deux en couple, ils passent la nuit ensemble à parler, à s’observer et à se raconter des petits secrets sexuels. À l’heure de se quitter, ravis de cette rencontre et malgré l’intimité qu’ils viennent de partager, ils estiment ne pas avoir fait preuve d’infidélité envers leurs conjoints respectifs. Peut-être inspirée par cette expérience, Julie décide d’écrire un article de blog sur ses préférences en matière de sexe oral. Aksel, impressionné par la qualité de l’article, encourage Julie à le publier en ligne. La jeune femme fête ses 30 ans avec Aksel au domicile de sa mère divorcée et avec sa grand-mère. Le père de Julie ne se présente pas, affirmant avoir des problèmes de dos. Quelques jours après, Julie et Aksel rendent visite à son père, qui s’est remarié avec une femme qui a une fille adolescente. Julie lui demande s’il a lu son blog, mais il prétend qu’il n’a pas pu ouvrir le lien, laissant penser à Aksel qu’il l’évite intentionnellement. Sur le chemin du retour, Aksel explique à Julie qu’elle doit fonder sa propre famille. Alors qu’elle se trouve dans la librairie où elle travaille, Julie rencontre Eivind et sa femme Sunniva ; ils discutent pendant que Sunniva attend dehors. Julie, désabusée, décide de sortir avec Eivind et tombe amoureuse de lui. Lorsqu’elle rentre chez elle le lendemain matin, elle rompt avec Aksel, mais ils font l’amour une dernière fois avant qu’elle ne quitte son appartement, bien qu’elle laisse entendre qu’ils pourraient se remettre ensemble à un moment donné.
Julie (en 12 chapitres) est un hymne aux indécis, à celles et ceux qui n’ont pas de plan préétabli pour leur existence, ainsi qu’aux individus qui ne parviennent pas à trouver le bon partenaire au bon moment, alors que l’horloge biologique tourne ou tout simplement que le temps passe inexorablement. Comme dans ses films précédents, Joachim Trier observe ses personnages avec l’oeil d’un entomologiste, se permettant quelques apartés poétiques et fantastiques, à l’instar de cette scène extraordinaire où Julie arrête le temps, court le sourire aux lèvres (le visuel de l’affiche est d’ailleurs tiré de ce moment) dans les rues d’un quartier d’Oslo alors que les passants et les voitures sont immobilisés, pour aller rejoindre Eivind. Malgré son caractère plus léger (en apparence), Julie (en 12 chapitres) s’intègre logiquement dans les thématiques récurrentes de son auteur. Si Anders Danielsen Lie, acteur fétiche de Joachim Trier est cette fois encore de la partie et s’avère une fois de plus magistral, Renate Reinsve, de chaque scène, de tous les plans, porte le film sur ses somptueuses épaules.
La caméra la suit au plus près dans ses déplacements, nous fait ressentir ses moments de solitude (quand elle quitte la réception donnée), un personnage à la fois très fort et complètement vulnérable, confronté à des interrogations existentielles, qui erre dans les rues d’Oslo (véritable personnage à part entière). Ces journées vécues dans la vie de Julie nous donnent le sourire, nous donnent le tournis, nous enivrent, nous font battre le coeur, avant de nous emporter dans un typhon d’émotions dans la dernière partie où toutes ces affections se confrontent, se percutent et s’imbriquent, avant d’exploser dans quelques torrents de larmes. Pourtant, Julie (en douze chapitres) n’est pas un film pathos, larmoyant, c’est juste qu’en partageant deux heures avec son héroïne, Joachim Trier nous l’a fait tellement aimer qu’on ne peut s’empêcher de partager ses joies et donc ses peines (car tout n’est pas rose dans cette histoire, loin de là), dans un sentiment d’universalité. En usant d’une forme parfois proche du documentaire où se démarque l’usage de la caméra portée, Joachim Trier livre une oeuvre moderne, mélancolique, furieusement séduisante, élégante et majuscule sur l’éternelle seconde chance (voire troisième, quatrième…), la confusion et la complexité de l’être (les regrets sont inévitables et pèseront forcément toujours), le choix, le doute.
Sensoriel et organique, d’une beauté plastique confondante, Julie (en 12 chapitres), une odyssée, un récit d’émancipation en perpétuelle recomposition, s’imprime dans les mémoires dès le générique de fin.
LE BLU-RAY
Joachim Trier avait déjà été bichonné par Memento Films, qui avait édité Oslo,31 août en 2012 et Back Home en 2016. Julie (en 12 chapitres) arrive donc en DVD et Blu-ray. L’édition HD se présente sous la forme d’un Slim Digipack sobre et efficace, arborant le visuel de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est fixe et musical.
Memento Films joint à cette édition une interview de Joachim Trier et de Renate Reinsve, enregistré à l’occasion de la présentation de Julie (en 12 chapitres) au Festival du Cinéma Américain de Deauville en septembre 2021 (9’). Le réalisateur et sa comédienne tout juste auréolée du Prix d’interprétation au Festival de Cannes (où elle venait juste d’attraper la COVID) reviennent sur les thèmes du film, la psychologie du personnage principal, la représentation de la ville d’Oslo dans Julie (en 12 chapitres) et son évolution par apport aux opus précédents du cinéaste.
L’Image et le son
L’apport de la HD demeure essentiellement flagrant sur les séquences diurnes avec une clarté relevée et un relief évident. Comme lors de sa diffusion dans les salles, un grain cinéma intermittent demeure palpable, les arrière-fonds manquent sensiblement de consistance, mais les contrastes sont plutôt affirmés, et les scènes sombres sont très douces. La compression AVC est solide et permet à ce master HD de briller, tandis que le piqué étonne souvent par sa précision. Un bien bel objet.
Une version française DTS-HD Master Audio 5.1 est disponible et se révèle égale à la piste originale en terme d’ardeur et d’exploitation des enceintes latérales. Les ambiances naturelles, la balance frontale et la restitution des dialogues sont aussi équilibrées, vives et dynamiques, que ça soit dans la langue de Molière ou dans celle d’Ibsen. Malgré tout, la piste norvégienne apparaît beaucoup plus harmonieuse et en adéquation avec l’atmosphère du film. Les dialogues ne manquent pas de mordant et la spatialisation est éloquente, voir le trip sous champignons.