J’AI ÉPOUSÉ UNE OMBRE réalisé par Robin Davis, disponible en Blu-ray le 1er février 2022 chez Studiocanal.
Acteurs : Nathalie Baye, Francis Huster, Richard Bohringer, Madeleine Robinson, Guy Tréjan, Victoria Abril, Véronique Genest, Maurice Jacquemont…
Scénario : Patrick Laurent & Robin Davis, d’après le roman de William Irish
Photographie : Bernard Zitzermann
Musique : Philippe Sarde
Durée : 1h49
Date de sortie initiale : 1983
LE FILM
Hélène, enceinte de huit mois, est abandonnée par son compagnon, Frank, dans une ville industrielle du Nord. Seule, à la dérive, elle prend le premier train en direction du sud. Dans le wagon-restaurant, elle fait la connaissance de Patricia, enceinte comme elle, et de son mari, fils aîné d’un riche viticulteur du Bordelais. Le train déraille. Le couple ne survit pas à l’accident, et un enchaînement de circonstances conduit Hélène à être prise pour Patricia. La jeune femme, qui a accouché d’un garçon, se retrouve ainsi dans le superbe domaine des Meyrand. Sa «belle-mère», Lena, qui se sait atteinte d’une grave maladie, apprécie la compagnie de celle qu’elle tient pour Patricia, et de son enfant. Le fils cadet de la famille, Pierre, ne tarde pas à s’éprendre d’elle…
Depuis sa participation remarquée à La Nuit américaine de François Truffaut en 1973, Nathalie Baye multiplie les apparitions au cinéma, chez Maurice Pialat (La Gueule ouverte), Claude Pinoteau (La Gifle), Claude Sautet (Mado), Marco Ferreri (La Dernière femme) et Alain Cavalier (Le Plein de super). Tout en continuant sa collaboration avec François Truffaut (L’Homme qui aimait les femmes, La Chambre verte), la comédienne tient désormais le haut de l’affiche au début des années 1980 chez Jean-Luc Godard (Sauve qui peut (la vie), qui lui vaut le César de la meilleure actrice dans un second rôle), Bertrand Tavernier (Une semaine de vacances), Claude Goretta (La Provinciale), Jean-Louis Comolli (L’Ombre rouge) et Pierre Granier-Deferre (Une étrange affaire, son deuxième César pour un second rôle). Elle va alors enchaîner les succès critiques et populaires, puisque vont se succéder Le Retour de Martin Guerre (1,3 million d’entrées), La Balance de Bob Swaim (4,2 millions d’entrées et le César de la meilleure actrice pour couronner le tout), Rive droite, rive gauche de Philippe Labro (1,6 millions d’entrées) et J’ai épousé une ombre de Robin Davis (2,5 millions d’entrées). Ce dernier est une adaptation du livre de William Irish (1903-1968), I Married a Dead Man, publié en 1948, qui avait déjà fait l’objet de deux transpositions au cinéma. La première date de 1950, Chaînes du destin – No Man of Her Own, réalisé par Mitchell Leisen, avec Barbara Stanwyck dans le rôle principal. Quant à l’autre, c’est Bollywood qui s’en est emparé en 1970, pour un film intitulé Kati Patangun. Pour J’ai épousé une ombre, Robin Davis et son coscénariste Patrick Laurent (La Guerre des polices, Légitime violence) s’emparent du roman original, le transposent évidemment en France et livrent au final un drame psychologique sous tension constante, assurément l’un des meilleurs films du réalisateur, dans lequel la beauté et le talent de Nathalie Baye font merveille.
Alors qu’elle est enceinte de huit mois, Hélène est abandonnée par son ami Frank, dans une petite ville minière de l’Est. Elle part vers le Sud et, dans le train, rencontre un jeune couple, Bertrand et Patricia Meyrand. Ces derniers vont du côté de Bordeaux, rejoindre les parents de Bertrand, qui possèdent une grande propriété viticole. Hélène et Patricia ont à peine le temps de faire connaissance, car une catastrophe se produit : le train déraille, et lorsque Hélène reprend conscience, c’est à l’hôpital. Elle a accouché d’un garçon, et tout le monde la prend pour Patricia Meyrand. Cette dernière, qui était également enceinte, a été tuée sur le coup avec son mari. M. Meyrand vient voir celle qu’il croit être sa belle-fille, en compagnie de son fils cadet, Pierre. Et malgré tous les efforts d’Hélène pour rétablir sa véritable identité, elle ne peut se soustraire à son nouveau destin : rejoindre la propriété des Meyrand. Léna Meyrand – la mère de Bertrand et de Pierre – compte sur sa » belle-fille » et son petit-fils pour retrouver goût à la vie après la disparition de Bertrand. Dès lors, Hélène joue définitivement le rôle de Patricia, se laisse adopter par cette famille où elle trouve beaucoup d’affection, et va même tomber amoureuse de Pierre, provoquant ainsi la jalousie de Fifo, une jeune Espagnole qui travaille dans l’entreprise viticole des Meyrand. Mais c’était compter sans le retour inopiné de Frank, le mari d’Hélène. Frank va en effet menacer celle-ci et les Meyrand d’un chantage pour leur soutirer en fait quelques millions de francs.
Ancien assistant de Georges Lautner sur La Grande Sauterelle, Fleur d’oseille, Le Pacha, La route de Salina, Il était une fois un flic, Quelques messieurs trop tranquilles, La Valise et Les Seins de glace, mais aussi de Claude Faraldo sur les étonnants Bof… Anatomie d’un livreur et Themroc, Robin Davis (né en 1943) possède un C.V. bien rempli et ses diverses expériences ont su lui forger un solide bagage technique. En 1975, il signe son premier long-métrage en tant que scénariste et metteur en scène, Ce cher Victor, avec Bernard Blier et Jacques Dufilho. Le succès n’est pas au rendez-vous, mais arrivera dès son second film, La Guerre des polices (1979), pour lequel Claude Brasseur obtient le César du meilleur acteur. Un engouement qui sera confirmé trois ans plus tard avec Le Choc, qui réunit Alain Delon et Catherine Deneuve. Bien que non crédité, Robin Davis donnera également un gros coup de main à Alain Delon pour Le Battant. La même année que ce dernier, le réalisateur connaîtra le plus grand succès de sa carrière, J’ai épousé une ombre.
Si le rythme est un peu lent, on ne s’ennuie pas une seconde et l’on reste surtout subjugué par l’aura magnétique de Nathalie Baye, que la caméra ne quitte jamais durant 1h50. Femme mal aimée, Hélène verra son destin basculer le jour où elle sort indemne d’une catastrophe ferroviaire, suite à quoi, sous une autre identité (malgré-elle), elle sera pour ainsi dire adoptée par une famille frappée par le deuil. La comédienne est splendide dans ce rôle complexe, partagée entre son désir de dire la vérité à ceux qui l’ont recueillie, au risque de les perdre et de se retrouver à nouveau seule, et celui de profiter enfin d’une chaleur humaine qui lui a toujours manqué. Nathalie Baye est merveilleusement entourée, même par Francis Huster (si si), qui la même année se donnait corps et âme dans Le Faucon de Paul Boujenah, impeccable ici dans le rôle de l’insondable Pierre Meyrand, qui va s’éprendre de celle qui se présente comme étant la veuve de feu son frère. Outre la présence forcément très inquiétante et violente de l’immense Richard Bohringer, l’excellent Guy Tréjan, la jeune et déjà caliente Victoria Abril (la même année que La Lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix), sans oublier la grande Madeleine Robinson, impériale dans le rôle de la matriarche Léna Meyrand, complètent ce casting exceptionnel.
J’ai épousé une ombre lorgne bien sûr vers le thriller mystérieux anglo-saxon, mais demeure avant tout le portrait d’une femme perdue, obligée de mentir et d’usurper l’identité d’une autre, pour pouvoir enfin s’intégrer et tisser des liens. Le film de Robin Davis a franchement de la gueule, avec une superbe photographie de Bernard Zitzermann (À nous deux de Claude Lelouch, La Banquière de Francis Girod, Viens chez moi, j’habite chez une copine de Patrice Leconte, Betty de Claude Chabrol) qui capture les magnifiques vignes du domaine viticole château Pontet-Canet, au milieu desquelles se déroule l’histoire, tandis que la composition du maestro Philippe Sarde, apporte comme d’habitude un lyrisme à la mise en scène très inspirée de Robin Davis. Quarante ans après sa sortie, J’ai épousé une ombre reste une valeur sûre du cinéma hexagonal et offre indéniablement à Nathalie Baye l’un de ses plus grands rôles.
LE BLU-RAY
Après deux sorties en DVD chez Studiocanal, la première en 2001 dans la collection Série Noire, la seconde reprenant les mêmes suppléments dans une édition « Standard » de 2013, désormais uniquement disponibles en occasion, J’ai épousé une ombre revient chez l’éditeur, pour la première fois en Haute-Définition. Le visuel de la jaquette s’inspire de l’affiche originale du film. Le menu principal est fixe et muet.
Pour ce Blu-ray, l’éditeur n’a pas repris les anciens bonus, à savoir l’interview de Nathalie Baye, le commentaire audio de Robin Davis, la présentation du film par Patrick Raynal, directeur de la collection « Série noire » chez Gallimard, le teaser, la bande-annonce, les filmographies et la galerie de photos…rien de tout ceci ici. En revanche, Studiocanal ne vient pas les mains vides pour autant. Dominique Maillet est allé à la rencontre de Robin Davis, à l’occasion de la sortie en Blu-ray de J’ai épousé une ombre et Hors-la-loi (que nous chroniquerons très prochainement), afin qu’il partage ses souvenirs liés à ses deux longs-métrages. Durant un peu plus de cinquante minutes, le réalisateur aborde la genèse de J’ai épousé une ombre, suite à la découverte du livre de William Irish chez Georges Lautner, qu’il décide presque immédiatement d’adapter au cinéma. L’obtention des droits (grâce à Alain Sarde), la longue écriture du scénario (qui aura nécessité un an), les partis-pris ou comment transposer un roman bien américain dans un contexte purement français (« William Irish est l’écrivain de l’indicible, dans ses livres on ne sait jamais ce qui se passe réellement ») qui plus est jugé inadaptable, le casting (Robin David n’envisageait pas du tout Nathalie Baye, imaginant une actrice plus jeune, avant qu’Alain Sarde organise une rencontre), les conditions de tournage, les partis-pris, la musique de Philippe Sarde, la première apparition des Gipsy Kings (qui interprètent Djobi, Djoba dans J’ai épousé une ombre), sont autant d’éléments racontés de façon passionnante par le cinéaste. Les anecdotes se multiplient, à l’instar des visites récurrentes de Johnny Hallyday, venant voir sa douce Nathalie, le seul à se rendre compte (dixit Robin Davis) des références à À l’est d’Éden d’Elia Kazan, pour tout ce qui concerne le personnage incarné par Madeleine Robinson.
L’Image et le son
Nous avons devant les yeux une superbe version restaurée de J’ai épousé une ombre. L’image est souvent resplendissante, fidèle aux partis pris esthétiques originaux. Bernard Zitzermann capte les variations de la lumière du soleil dans les vignes, ainsi que le relief des paysages. Les contrastes ne manquent pas de concision, surtout sur les scènes sombres où les noirs impressionnent. Le léger grain est flatteur, la colorimétrie est douce, la clarté toujours appréciable. La propreté est également indéniable, tout comme la stabilité, et les détails sont éloquents aux quatre coins du cadre. Blu-ray au format 1080p.
Ce mixage DTS-HD Master Audio 2.0 instaure un confort acoustique suffisant, avec une solide restitution des dialogues. Ce mixage fait aussi la part belle à la sublime composition de Philippe Sarde, avec une ardeur jamais démentie. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.