DANIEL réalisé par Sidney Lumet, disponible en combo Blu-ray + DVD le 14 octobre 2023 chez Spectrum Films.
Acteurs : Timothy Hutton, Mandy Patinkin, Lindsay Crouse, Edward Asner, Ellen Barkin, Julie Bovasso, Tovah Feldshuh, Amanda Plummer…
Scénario : E.L. Doctorow, d’après son roman Le Livre de Daniel (« The Book of Daniel »)
Photographie : Andrzej Bartkowiak
Musique : Bob James
Durée : 2h05
Date de sortie initiale : 1983
LE FILM
Au milieu des années 50, Rochelle et Paul, communistes américains, ont été accusés d’espionnage au profit de l’URSS. Quinze ans plus tard, leur fille Susan devient militante politique. Son frère Daniel cherche à oublier. Mais, suite à un événement tragique, il doit se replonger dans l’histoire familiale…
À plusieurs reprises dans son ouvrage démentiel intitulé Making Movies, Sidney Lumet (1924-2011) indique que son film préféré parmi ceux qu’il a fait demeure Daniel, sorti sur les écrans en 1983. Manque de chance pour celles et ceux qui voulaient découvrir le 31è long-métrage en question, Daniel est resté très rare, pour ne pas dire quasi-invisible pendant près de quarante ans. Il aura donc fallu attendre 2023 pour que l’auteur de ces mots, dont l’admiration n’a d’égale que la passion qu’il éprouve pour le cinéma de Sidney Lumet, puisse découvrir ce trésor caché. Effectivement, Daniel est un chef d’oeuvre incontestable, un de plus à afficher au palmarès de l’auteur de Douze hommes en colère, L’Homme à la peau de serpent, Point limite, La Colline des hommes perdus, The Offence, Serpico, Un après-midi de chien…c’est bon ou il vous en faut plus ? Les années 1980, souvent considérées (à tort) comme étant moins prestigieuses que la précédente décennie pour le réalisateur, s’ouvre sur une comédie-romantique élégante, Just Tell Me What You Want, avec Ali MacGraw, sans doute l’un de ses films les plus méconnus. Sidney Lumet enchaîne alors trois films, qui sortiront entre août 1981 et décembre 1982, Le Prince de New York – Prince of the City, monument de sa filmographie, l’imparable Piège mortel – Deathtrap, avec Christopher Reeve et Michael Caine, puis Le Verdict – The Verdict, qui sera son plus grand succès commercial. N’étant pas du genre à se reposer sur les lauriers, Sidney Lumet parvient enfin à produire un film qu’il tentait de mettre en route depuis plus de dix ans, Daniel, adapté du livre d’E. L. Doctorow, qui avait déjà vu deux de ses romans être adaptés au cinéma, Frontière en flammes – Welcome to Hard Times de Burt Kennedy, avec Henry Fonda, et surtout Ragtime de Miloš Forman, avec James Cagney, Mary Steenburgen et Elizabeth McGovern. Le cinéaste et l’écrivain s’associent à Burtt Harris, qui produira Sidney Lumet durant dix ans, puis avec Paramount pour mettre Daniel en chantier. Drame dont la structure rappelle parfois celle du Parrain II en croisant le passé et le présent, en suivant deux générations, Daniel est à la fois un portrait intime, l’histoire d’une époque, un plaidoyer contre la peine de mort, une fresque familiale condensée en 120 minutes. Un cadeau pour les grands amoureux du septième art.
1950. En pleine guerre froide, les Américains Rochelle et Paul Isaacson sont accusés d’espionnage pour le compte de l’Union soviétique. Le couple est alors condamné à la peine de mort. Rochelle et Paul sont condamnés et exécutés trois ans plus tard à la chaise électrique (« le plus humain des moyens de mise à mort »), laissant leurs deux enfants, Susan et Daniel, orphelins. À la fin des années 1960, Susan est désormais devenue une militante très engagée, qui se lance — parfois un peu à l’aveugle — dans toutes les causes imaginables. Daniel mène quant à lui une vie bien plus rangée et traditionnelle. Marié, il est père d’un petit garçon. S’il a tout fait pour ne plus penser au sort réservé à ses parents, Susan n’a rien oublié et mène une vie remplie de contestation envers un pays qui selon elle écrase les citoyens les plus fragiles. Sa sœur étant hospitalisée après avoir tenté de se suicider, Daniel va finalement se pencher sur son passé et chercher à comprendre ses origines.
« Manifester et se faire arrêter, ce n’est pas faire de grandes choses ».
Si le livre original d’E.L. Doctorow s’inspirait de l’histoire vraie d’Ethel et Julius Rosenberg, couple de new-yorkais communistes accusés d’êtres des espions soviétiques et exécutés par les États-Unis en 1953, Sidney Lumet s’écarte rapidement de ce fait divers pour consacrer son récit aux enfants du couple rebaptisé Isaacson, afin de voir ce que les actions de leurs géniteurs ont eu comme répercussions dans leur existence. Un thème qui parcourra d’autres films de Sidney Lumet comme le génial À la recherche de Garbo – Garbo Talks (1984), l’exceptionnel À bout de course – Running on Empty (1988), que l’on peut qualifier d’oeuvre miroir à Daniel, et Family Business (1989), qui croisait cette fois trois générations représentées par Sean Connery, Dustin Hoffman et Matthew Broderick. Sur un scénario brillant signé Doctorow lui-même, Daniel permet à Sidney Lumet d’analyser le processus psychologique d’un jeune homme luttant contre l’injustice et la machine judiciaire qui lui ont volé ses parents. Avec sa virtuosité légendaire, un montage d’une affolante précision, soutenu par une photographie magnifique d’Andrzej Bartkowiak (Le Pic de Dante, La Mutante, Jumeaux), sans oublier une direction d’acteurs toujours aussi exemplaire, obtenue entre autres grâce à de multiples répétitions réalisées avec les comédiens (par ailleurs héritées de son expérience à la télévision, où il a fait ses armes pour des programmes en direct), Sidney Lumet signe l’un de ses opus les plus personnels et riches.
« Et si elle n’était pas malade, mais seulement inconsolable ? ».
En constituant un casting de têtes moins célèbres (pour ne pas dire prestigieuses) par rapport à ses films des années 1960-70, le cinéaste privilégie ainsi l’identification et donc l’implication émotionnelle des spectateurs, même si le personnage de Daniel, merveilleusement interprété par Timothy Hutton, qui sortait de Taps de Harold Becker (et qui retrouvera Sidney Lumet en 1990 pour Contre-enquête – Q & A), est dans un premier temps peu attachant, cynique et même vulgaire avec sa sœur et son épouse (Ellen Barkin à ses débuts). Mais le metteur en scène fait confiance à son audience, qui saura être patiente pour reconstituer le puzzle du trauma ayant touché Daniel et Susan (incroyable Amanda Plummer), pour comprendre pourquoi ceux-ci sont devenus ainsi à l’aube de la vingtaine.
Alors, victimes ou coupables ? Les parents de Daniel étaient avant tout idéalistes et surtout militants. Ce fils tant aimé peut-il donc accepter, pardonner, pour pouvoir enfin avancer et tracer sa propre route avec ce poids en bandoulière ? Si les réponses ne viendront probablement jamais, au moins Daniel aura-t-il tenté de les trouver.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Dieu que nous l’avons attendu celui-là ! En effet, Daniel de Sidney Lumet était on ne peut plus recherché par les cinéphiles, surtout que le réalisateur n’avait de cesse de déclarer qu’il s’agissait sans doute de son film préféré. Il aura donc fallu patienter jusqu’à 2023 pour que Daniel surgisse dans les bacs français, en Combo Blu-ray + DVD, chez Spectrum Films. Les deux disques, sérigraphiés différemment, reposent dans un boîtier classique transparent, glissé dans un fourreau cartonné. La jaquette est ornée d’un nouveau et élégant visuel créé pour cette sortie. Le menu principal est animé et musical.
Qui dit Sidney Lumet, dit Jean-Baptiste Thoret ! Il aurait été curieux de ne pas retrouver le critique et historien du cinéma dans les suppléments, étant l’un des grands spécialistes du réalisateur dans nos contrées. Durant vingt minutes, l’invité de Spectrum Films replace Daniel dans l’immense et éclectique carrière de Sidney Lumet, son 31è long-métrage, déclarant que « Daniel est une anomalie dans le paysage cinématographique de 1983 ». Dans un second temps, Jean-Baptiste Thoret croise à la fois le fond et la forme (un montage probablement hérité de celui du Parrain II) de Daniel, parle du roman d’E.L. Doctorow et précisant que le livre et donc le film s’éloignent de l’histoire des époux Rosenberg, le récit se focalisant sur les effets générés par l’action des parents sur leurs enfants, rejoignant ainsi un autre opus que signera Sidney Lumet en 1988, À bout de course. L’évolution du cinéma du metteur en scène entre les années 1970 et 1980, l’échec public du film, l’importance de la judéité dans l’oeuvre de Sidney Lumet sont aussi les points longuement et richement analysés par Thoret. Ce supplément est le seul disponible sur le DVD et sur le Blu-ray. Les bonus suivants se trouvent uniquement sur l’édition HD.
On démarre par un document présenté dans un montage brut de 14 minutes, une interview de Sidney Lumet et Timothy Hutton, réalisée par la journaliste Bobbie Wygant à l’occasion de la sortie de Daniel dans les salles américaines. Le réalisateur s’exprime sur le fait que son film ne délivre aucun message sur les Rosenberg et ne reprend aucun fait sur cette histoire, en dehors du point de départ. Il précise aussi que Daniel est un projet qu’il a pu (ou dû) mûrir pendant douze ans, ne trouvant pas de studio lui permettant de mettre ce film en route. De son côté, Timothy Hutton, 23 ans et déjà lauréat de l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour son rôle dans Des gens comme les autres – Ordinary People de Robert Redford, confesse qu’il a dû faire des pieds et des mains pour obtenir le rôle principal qui lui tenait particulièrement à coeur. Une belle et évidente complicité entre les deux hommes.
Nous allons ensuite à la rencontre d’Antonin Moreau et Étienne Cadoret, co-animateurs du Cinéma est mort, émission diffusée sur Canal B. Un excellent moment à passer en compagnie de ces deux grands passionnés, qui dissèquent en long, en large (et même en travers) Daniel de Sidney Lumet (35’). Si certains arguments font forcément écho avec ceux de Jean-Baptiste Thoret, dans la première partie de cette intervention notamment, les deux intervenants trouvent ensuite plusieurs angles et se démarquent de leur illustre prédécesseur, pour analyser Daniel, notamment par le prisme du positionnement politique du cinéaste et de la représentation de l’extrême-gauche au cinéma. L’adaptation du livre d’E.L. Doctorow, la collaboration de l’écrivain avec Sidney Lumet, les thèmes du film, l’évolution du personnage principal au fil du récit, les similitudes avec À bout de course et d’autres sujets sont également abordés dans ce bonus.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Un master HD qui présente une propreté irréprochable. Les partis pris rappellent un peu ceux de Contre-enquête et Le Prince de New York et pour cause, la magnifique photographie du film est signée par le même chef opérateur, Andrzej Bartkowiak. Les gammes ambrées et sépias du passé représentent le passé de la famille Isaacson, tandis que les scènes se déroulant au présent apparaissent froides et bleutées. Ces volontés artistiques et partis pris esthétiques s’imbriqueront au cours d’une séquence centrale, celle de la visite en prison, où les teintes retrouvent un aspect chromatique naturaliste. Les gros plans sont bien restitués et très bien détaillés, les noirs sont concis, la texture argentique a été heureusement préservée et s’avère bien équilibrée. Les contrastes sont fermes, le piqué est plaisant.
Le mixage anglais Master Audio 1.0 Surround distille parfaitement la musique du film. La piste manque peut-être un brin de dynamisme mais se révèle nettement suffisante. Le niveau des dialogues est peut-être aléatoire, certains échanges sont un peu pincés.