CHEERFUL WIND (Feng er ti ta cai – 風兒踢踏踩) réalisé par Hou Hsiao-hsien, disponible en DVD et Blu-ray le 25 août 2021 chez Carlotta Films.
Acteurs : Feng Fei Fei, Kenny Bee, Anthony Chan, Ying Shih, Chou Wan-Sheng, Ling Wu, Chen Yin-Hao, Chuang Hui-Fen…
Scénario : Yao Chiung & Hou Hsiao-Hsien
Photographie : Chen Kun-Hou
Musique : Lin Tsan-Ching
Durée : 1h32
Date de sortie initiale : 1981
LE FILM
Hsing-hui travaille comme assistante photographe sur le tournage d’une publicité. Elle fait la rencontre de Chin-tai, un aveugle dont elle tombe amoureuse alors qu’elle vient d’entamer une liaison avec le directeur de l’agence qui l’emploie. Lorsque ce dernier propose à Hsing-hui de l’accompagner avec lui en Europe, la jeune femme doit alors choisir entre l’amour et son rêve le plus cher…
Bien avant Les Fleurs de Shanghai (1998), Millenium Mambo (2001), Café Lumière (2003), Three Times (2005), Le Voyage du ballon rouge (2007) et The Assassin (2015), le réalisateur et chef de file du cinéma d’auteur taïwanais Hou Hsiao-hsien (né en 1947) ou HHH pour les intimes cinéphiles, faisait ses premières armes au cinéma en 1980 avec Cute Girl, dans lequel une jeune fille issue d’une famille riche, amoureuse d’un jeune homme de condition modeste, était forcée de se marier avec le fils d’un industriel. L’année suivante, le cinéaste retrouve les trois interprètes – et par ailleurs artistes de pop-variété – de son film précédent, Feng Fei Fei, Kenny Bee et Anthony Chan, pour une nouvelle comédie-romantico-sentimentale intitulée Cheerful Wind, son second long-métrage. Alors bien sûr, les passionnés du cinéma asiatique essaieront de chercher ce qui fera de Hou Hsiao-hsien l’un des metteurs en scène et auteur chinois les plus importants, mais force est de constater que rien ou très peu d’éléments pourront rapprocher Cheerful Wind des Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986), quatre œuvres autobiographiques qui viendront après L’Herbe verte de chez nous (1983), dernier volet de la « trilogie romantique ». Toutefois, ce film de jeunesse, même si HHH avait près de 35 ans, demeure léger comme une bulle de savon, un divertissement drôle, sympathique et on ne peut plus attachant, qui ressemble pour ainsi dire à un manhua live (autrement dit une BD chinoise), très élégant, marqué par la fraîcheur, l’alchimie et la spontanéité de ses comédiens.
Au cours d’un tournage dans les Iles Pescadores avec son petit ami Luo Chie-wen, la photographe de publicité Hsiao Hsing-hui remarque Ku Chin-tai, un jeune homme aveugle qui ne cesse de les fixer. Un jour à Taipei, elle retrouve par hasard ce jeune homme. Ils se lient d’amitié. Si Hsing-hui n’a jamais accepté de se marier avec Chie-wen, elle ne lui a néanmoins pas refusé. A l’occasion d’une nouvelle rencontre en province avec Chin-tai, leur relation devient plus profonde. Mais elle doit partir en voyage avec Chie-wen…
Il serait dommage de passer à côté de ce petit film mignon et chaleureux qu’est Cheerful Wind ou Vent folâtre, triangle amoureux innocent, mais avec quelques sensibles touches irrévérencieuses. En effet, le réalisateur, également scénariste avec la prolifique et légendaire écrivaine Yao Chiung, se focalise sur une jeune femme prise entre deux hommes, mais qui souhaite conserver une certaine liberté, celle d’aimer et surtout de choisir celui avec lequel elle pourrait faire sa vie, ou tout du moins une partie. Feng Fei-fei (disparue en 2012 à l’âge de 58 ans des suites d’un cancer du poumon) crève l’écran une fois de plus dans Cheerful Wind. Chanteuse reconnue et immensément populaire qui aura sorti plus de 80 ans albums durant sa longue et prolifique carrière, campe ici une photographe irrésistible, dynamique et douce, mais aussi et surtout animée d’un fort caractère. Pas étonnant que deux hommes tombent amoureux d’elle, Chin-tai d’un côté (Kenny Bee, aussi chanteur et membre du groupe The Wynners) et Chie-wen de l’autre (Anthony Chan, lui aussi batteur chez The Wynners). Mais qui des deux obtiendra les faveurs de Hsing-hui ? Peut-être aucun…et s’il s’agissait des deux ?
Hou Hsiao-hsien a beau avoir quelque peu renié son deuxième long-métrage, il n’en reste pas moins que Cheerful Wind reste une petite récréation amusante, naïve mais pas trop, dans laquelle on se sent bien. Le cinéaste compose de très beaux plans, notamment durant la première partie, dans cette petite station balnéaire où le vent violent souffle sur les passants, où les enfants s’amusent entre eux et à jouer la comédie au cours du tournage d’une publicité pour une marque de lessive. Dans ce premier acte, comme un peu plus tard dans le film quand on suit le quotidien d’une école de campagne ou lorsque l’héroïne lit Les Frères Karamazov à une assemblée de non-voyants, il se dégage comme un parfum documentaire, le réalisateur observant ses protagonistes, longuement, usant aussi très largement du zoom pour indiquer aux spectateurs où leur intérêt doit se porter dans un plan large. L’émotion provient du soin apporté aux petites habitudes des personnages, à ce qui fait leurs vies respectives, mais aussi à leurs expressions, leurs doutes et remises en question, qui ne sont pas explicites, mais suggérées le temps d’un gros plan.
Le temps suspendu et donc le plan-séquence est déjà à l’oeuvre dans Cheerful Wind, sans aucun doute mineur dans la filmographie du maître, mais aussi tellement prometteur, humaniste et empathique.
LE BLU-RAY
Entre Carlotta Films et Hou Hsiao-hsien c’est une véritable histoire d’amour. En effet, après Les Fleurs de Shanghai, Poussières dans le vent, Taipei Story, Un temps pour vivre, un temps pour mourir et d’autres œuvres de jeunesse du réalisateur, Cheerful Wind s’ajoute ainsi au catalogue de l’éditeur. Joli visuel, par ailleurs repris pour le menu principal fixe et musical.
Journaliste, critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po, Jean-Michel Frodon présente Cheerful Wind (13’), le second long-métrage de Hou Hsiao-hsien, l’un de ses films tournés bien avant sa reconnaissance. « Ce n’est pas un grand film, mais il n’en est pas moins dépourvu d’intérêts, comme le réalisateur a bien voulu le faire entendre » déclare l’invité de Carlotta Films, qui indique bien évidemment que Cheerful Wind restera mineur dans la filmographie du cinéaste, mais qu’il contient des signes avant-coureurs quant à la suite de sa carrière. « Hou Hsiao-hsien est déjà quelqu’un en marche » dit Jean-Michel Frodon, qui trouve que « cette bluette sentimentale est très agréable à regarder, amusante et sensible ». Il évoque également le casting, les motifs qui deviendront récurrents dans l’oeuvre du metteur en scène (la campagne, les enfants, l’importance de la lumière naturelle), les conditions de tournage, les rapports avec ses comédiens (avec lesquels il n’était pas tendre) et la façon avec laquelle Hou Hsiao-hsien parvient à trouver une certaine liberté dans un cadre pourtant restreint, diverses transgressions par rapport aux règles sociales et morales en vigueur à Taïwan. Au final, Jean-Michel Frodon résume parfaitement Cheerful Wind, « un film qui n’est certainement pas à surévaluer, mais qui procure un plaisir simple de spectateur et qu’il serait dommage de bouder, d’autant plus qu’il contient des indices et des éléments en gestation ».
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce 2018 et sur un comparatif avant/après la restauration de certaines scènes du film.
L’Image et le son
Aïe aïe aïe…Si l’éditeur présente la récente restauration 2K confiée au Taïwan Film Institute en 2018 par le ministère de la culture, réalisée à partir du négatif 35mm original, le résultat est plus que mitigé et ce en raison de la disparition complète (ou presque) du grain argentique. Si un panneau en introduction indique que les clignotements et des variations chromatiques étaient présents et ont donc été corrigés, ce master HD paraît artificiel du début à la fin, donnant aux comédiens un teint blafard ou cireux, selon les scènes. Une image sans aucune aspérité après un « dégrainage » massif et abusif qui a retiré toute la texture de la pellicule et donc une grande partie de son âme au film, tout en dénaturant la photographie du chef opérateur Chen Kun-Hou (Cute Girl, Les Garçons de Fengkuei) et en occasionnant quelques plans flous qui ne semblent pas d’origine, ainsi que des contrastes aléatoires. La dernière bobine est la plus altérée du lot. N’oublions pas ces étranges halos rosés qui reviennent fréquemment, notamment de façon intermittente sur les visages et aux quatre coins des décors. D’accord, la copie est propre, immaculée même, mais rien n’y fait, ce Blu-ray est probablement l’un des gros ratés de la rentrée et donne constamment l’impression que Cheerful Wind a été tourné en DV !
La version originale DTS-HD Master Audio 1.0 (aux sous-titres français non imposés) est dans l’ensemble limpide. Hormis de sensibles saturations et des dialogues, vraisemblablement repris en postsynchronisation, au volume étrangement plus élevé, le confort acoustique est honorable.