BETTY réalisé par Claude Chabrol, disponible en DVD et Blu-ray le 22 septembre 2021 chez Carlotta Films.
Acteurs : Marie Trintignant, Stéphane Audran, Jean-François Garreaud, Yves Lambrecht, Christiane Minazzoli, Pierre Vernier, Nathalie Kousnetzoff, Pierre Martot…
Scénario : Claude Chabrol, d’après le roman de Georges Simenon
Photographie : Bernard Zitzermann
Musique : Matthieu Chabrol
Durée : 1h44
Année de sortie : 1992
LE FILM
Déjà très imbibée, Betty se retrouve dans un bar appelé « Le Trou ». Là, elle est prise sous la protection d’une habituée, Laure, elle aussi alcoolique. Ses discussions avec Laure l’amènent à replonger dans son passé. Comment a-t-elle pu se laisser chasser par son mari et sa famille, si respectables, et leur abandonner ses enfants ? Et maintenant, comment remonter la pente, comment sortir du « trou » ?
Rétrospectivement, Betty est le 45e long-métrage de Claude Chabrol, sa deuxième adaptation d’un roman de Georges Simenon et sa seconde collaboration avec Marie Trintignant. Le film se place entre Madame Bovary (1991) – auquel le film est étrangement lié dans sa thématique – et le documentaire L’Oeil de Vichy (1993). Et c’est aussi l’un des sommets de la carrière prolifique du cinéaste, qui offre ici à sa comédienne, l’un de ses plus grands rôles. Magnétique, quasiment de tous les plans, dans chaque scène, elle électrise, vampirise l’écran du début à la fin, accroche le spectateur dès sa première apparition, qui littéralement hypnotisé par son regard noyé d’alcool, sa voix éraillée par les litres de liquide brun qu’elle ingurgite sans reprendre son souffle, si ce n’est pour prendre une taffe d’une cigarette toujours allumée sur le coin d’une table ou à même le comptoir. Betty est une femme qui a un passé, un avenir on ne sait pas encore et même le présent est incertain tant celui ne se résume qu’à la multiplication des verres de whisky qu’elle s’enfile les uns à la suite des autres. Quand soudain, elle fait la rencontre inattendue d’une femme qui lui renvoie son propre reflet, mais avec quelques années de plus. Ce sera un évènement catalyseur dans la vie de Betty, qui va faire un point sur son existence, en se débarrassant déjà d’un passé encore vivace, qui l’englue dans la bibine qu’on imagine frelatée et qui parvient à peine à l’anesthésier comme elle le souhaiterait. Forcément, on pense à la fin tragique de Marie Trintignant devant Betty, réalisé onze ans avant sa disparition certes, mais où l’on ne peut s’empêcher d’être encore plus bouleversé devant la magistrale prestation de cette actrice singulière, qui n’avait qu’à apparaître à l’écran pour nous bousculer. Difficile de ne pas s’apitoyer sur le sort de Betty, même si l’on découvre petit à petit comment elle en est arrivée là et qu’elle n’est pas innocente dans l’événement qui a précipité son « exil », le rejet de sa famille. Betty est assurément l’un des chefs d’oeuvre de Claude Chabrol, qui s’empare à bras le corps et avec virtuosité du livre de Georges Simenon pour prolonger sa propre réflexion sur ses thèmes de prédilection.
Betty (Marie Trintignant), une femme à la dérive, échoue un soir dans un petit restaurant de Versailles fréquenté par une clientèle de noctambules égarés. Là, elle fait la connaissance de Laure (Stéphane Audran), bourgeoise quinquagénaire, qui prise de sympathie pour la jeune fille ravagée par l’alcool, l’emmène à son hôtel et lui loue la chambre voisine de la sienne. Dès lors, nous assistons à l’étrange relation qui s’instaure entre ces deux femmes. Betty nous livre progressivement son histoire par une série de flash-back. Son rôle d’épouse soumise et dévouée au sein d’un clan familial, ses nombreuses infidélités, son alcoolisme, ses enfants. Betty tente de se relever de sa déchéance avec l’aide de Laure, aussi « compatissante et paumée que perverse », mais la rédemption de l’une provoquera la chute de l’autre.
« Betty est un personnage intéressant car l’humain et l’animal se battent en elle. Et c’est l’animal qui gagne. Elle a besoin d’un homme. Sur terre, pour gagner, il faut rejoindre la meute dominante. La sexualité est un des grands mystères de l’existence… Si elle compte pour vous, il vaut mieux le savoir pour ne pas se mettre dans des situations désespérées. […] Betty est une femme très forte. Il lui suffit d’avoir la tête hors de l’eau, de cesser de se laisser porter pour qu’on voie quelle force est en elle. » – Claude Chabrol
Récompensée pour ce film par le Prix de la meilleure actrice au Festival de Taormine, Marie Trintignant est cette jeune femme hagarde et perdue entre Paris et Versailles, qui finit par se poser dans un rade symboliquement baptisé Le Trou, refuge des marginaux issus de toutes classes, où l’alcool coule à flots. Claude Chabrol filme son décor comme un purgatoire qui prendrait déjà l’allure d’un pandémonium. Deux âmes damnées vont entrer en contact, Betty et Laure, deux femmes qui représentent comme qui dirait les deux faces d’une même pièce. Tout en buvant beaucoup, énormément, elles vont se confier l’une à l’autre. Betty a été mariée, a trompé son mari, a été chassée de sa belle-famille. Mais à qui la faute ? Se sentant de plus en plus malade, Betty se rappelle le début de la soirée où son mari et la famille de son mari l’ont jugée, l’ont bannie. Elle n’avait pourtant pas voulu se marier. Elle savait qu’elle avait toujours tout gâché, qu’elle buvait trop, qu’elle avait pris des amants…Laure, qui la soigne, lui propose de rester aussi longtemps qu’elle le souhaite dans l’hôtel où elle habite et trouve elle aussi dans l’alcool un compagnon fidèle. Par l’entremise de Georges Simenon, dix ans après Les Fantômes du chapelier, Claude Chabrol dresse le portrait d’une bourgeoise déchue qui noie son mal être dans les breuvages ambrés. Si l’on pense généralement aux personnages incarnés par Isabelle Huppert chez le cinéaste, Betty est l’un des plus puissants et tragiques de son œuvre.
C’est l’histoire d’un ennui, d’un mal-être existentiel, d’une rébellion, mais aussi du retour du bâton, d’une descente aux enfers. Betty est cette femme qui a osé mettre une bourgeoisie odieuse, fade et privilégiée face à elle-même, où elle étouffait et ne pouvait s’épanouir, à l’instar de ces poissons emprisonnés dans l’aquarium du Trou, qui n’ont rien d’autre à faire qu’attendre la mort. Claude Chabrol livre une fable sombre et suffocante, impression renforcée par la superbe photographie de Bernard Zitzermann (Un homme amoureux, Le Faucon, Viens chez moi, j’habite chez une copine), qui reprend des couleurs, comme le visage de Betty, à mesure que celle-ci se rend compte qu’un avenir possible s’offre à elle. Le spectateur suit le personnage principal dans ses souvenirs, revenant parfois en arrière, l’intrigue étant montrée et remontrée sous des angles ou points de vue différents, procédé qui démontre que Betty n’est sans doute pas entièrement la victime que l’on pensait au premier abord. Des défauts que Claude Chabrol n’élude pas et dévoile, montrant ainsi Betty utiliser ses charmes pour pouvoir être prise en flagrant délit d’adultère. Betty – tout comme Laure, merveilleusement incarnée par Stéphane Audran, dans son dernier film avec Chacha – est une femme complexe, éminemment troublante, repoussante quand elle se biture, attirante et même excitant quand elle vous regarde droit dans les yeux, prête à vous prendre dans ses filets.
Immense réussite, Betty fait incontestablement partie du haut du panier (de crabes) dans la filmographie de Claude Chabrol, qui s’installe définitivement dans votre mémoire après la projection, au point qu’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’est devenue Betty après le générique et même en entendant la chanson Je voulais te dire que je t’attends de Michel Jonasa. La marque des personnages qui vous touchent au plus profond de votre être.
LE BLU-RAY
Carlotta Films revient à Claude Chabrol, quelques mois après les sorties en HD de La Fleur du mal, Merci pour le chocolat, Rien ne va plus, La Cérémonie et L’Enfer. Trois nouveaux titres viennent compléter cette collection au mois de septembre, Une affaire de femmes (1988), Madame Bovary (1991) et Betty (1992). Ce dernier fait son retour dans les bacs, en DVD et en Blu-ray. L’édition HD est présentée sous la forme d’un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui liseré bleu. Le visuel centré sur le visage de Marie Trintignant, avec celui de Stéphane Audran à l’arrière-plan, est superbe. Le menu principal est fixe et musical.
Carlotta Films reprend les suppléments disponibles sur l’ancienne édition MK2 sortie en 2002, avec tout d’abord la présentation du film par Joël Magny (3’). L’historien du cinéma et critique (Les Cahiers du Cinéma), disparu en 2017, avait signé un ouvrage, sobrement intitulé Claude Chabrol, paru en 1987 aux éditions des Cahiers du Cinéma. Sur un montage d’images de Betty et des photogrammes tirés du film, il revenait ici sur la genèse du 45e long-métrage de Claude Chabrol, sur l’adaptation du roman de Georges Simenon, sur les thèmes qui y sont abordés (« au fond de l’individu le plus monstrueux se cache un être humain »), sur les personnages et sur le casting.
Nous trouvons ensuite trois séquences tirées du film, commentées par Claude Chabrol lui-même, à savoir l’arrivée de Betty au Trou (5’), l’histoire de Betty (17’) et le Scandale chez les Etamble (9’). On aperçoit brièvement le réalisateur derrière son micro, puis on l’écoute avec attention, surtout quand il revient sur les partis-pris (le cadre 1.66, auquel il tenait beaucoup, car ce format rendait selon-lui une « image plus poétique et gracieuse ») et ses intentions installés dès la première scène du film. Claude Chabrol analyse son montage, le choix des quelques inserts réalisés pour exposer son décor et refléter la psyché de son personnage principal, puis le symbole de l’aquarium, sans oublier l’univers, l’écriture, le rythme et la construction des écrits de Georges Simenon.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Betty apparaît en Blu-ray, dans un master entièrement restauré 4K, restituant à la photo de Bernard Zitzermann ses magnifiques partis-pris. Avec sa texture argentique palpable, organique, cette copie frappe d’emblée les spectateurs, qui plongent dans l’univers sombre et feutré du personnage principal. La gestion des contrastes est impressionnante, les détails toujours appréciables, l’ensemble stable, les couleurs profitent de cette promotion HD, notamment les teintes bleues, la propreté est irréprochable. L’écrin idéal pour (re)découvrir Betty.
La piste DTS-HD Master Audio 1.0 s’en tire très bien avec une délivrance solide des dialogues, heureusement d’ailleurs, car Betty est un film assez bavard et il aurait été dommage de se retrouver face à des répliques peu intelligibles. Carlotta Films fournit également une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / Betty, réalisé par Claude Chabrol »