Test Blu-ray / Guillaume Tell, réalisé par Michel Dickoff & Karl Hartl

GUILLAUME TELL (Wilhelm Tell) réalisé par Michel Dickoff & Karl Hartl, disponible le 23 avril 2019 en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre chez Artus Films

Acteurs : Robert Freitag, Alfred Schlageter, Heinz Woester, Hannes Schmidhauser, Leopold Biberti, Maria Becker, Georges Weiss, Zarli Carigiet, Birke Bruck…

Scénario : Max Frisch, Michel Dickoff, Karl Hartl, Luise Kaelin, Friedrich Schiller, Hannes Schmidhauser

Photographie : Hans Schneeberger

Musique : Hans Haug

Durée : 1h36

Année de sortie : 1961

LE FILM

À la fin du XIIIème siècle, le bailli Gessler, aux ordres des Habsbourg et du Saint Empire Romain Germanique, impose sa tyrannie aux habitants des cantons de Schwyz et Uri. Les paysans doivent payer de plus en plus d’impôts et subir les humiliations des gardes. Guillaume Tell va prendre la tête de la révolte et libérer le peuple du joug des oppresseurs.

Une superproduction suisse ça existe ? Bah oui ! Au-delà des Alpes, la légende de Guillaume Tell se perpétue à travers les arts depuis la fin du Moyen Age. La littérature, la peinture, l’opéra (Rossini), le théâtre puis le cinéma (Georges Méliès s’en était déjà inspiré en 1898) se sont emparés du célèbre arbalétrier, souvent relégué au second plan comme un ersatz de Robin des Bois auquel on ne peut évidemment s’empêcher de penser, aussi bien dans sa représentation que dans la mission qu’il s’est donnée. Guillaume Tell aka Wilhelm Tell en allemand, est considéré comme le film le plus fidèle à l’histoire du héros des mythes fondateurs de la Suisse, même si son authenticité demeure controversée. N’attendez évidemment pas une reconstitution historique, mais une fort sympathique illustration du folklore qui a nourri cette icône devenue mondialement célèbre.

Deux réalisateurs sont à la tête de Guillaume Tell, Michel Dickoff et Karl Hartl. S’il s’agit pour le premier de sa quasi-unique incursion dans le monde du cinéma, le second aura oeuvré en tant que metteur en scène et scénariste sur une trentaine de longs métrages, dont les plus célèbres restent probablement On a arrêté Sherlock Holmes en 1937 et un biopic sur Mozart, où Oskar Werner interprétait le compositeur en 1955. Sur Guillaume Tell, il est surtout crédité en tant que superviseur, même s’il est évident qu’il a également mis la main à la pâte pour toutes les séquences qui nécessitaient des effets visuels directs, comme sur les scènes de tempête. Tourné dans de splendides paysages naturels, Guillaume Tell est un film à mi-chemin entre la naïveté à la Sissi et l’aventure en collant des films de cape et d’épée qui fleurissaient en Europe, avec une petite touche paillarde puisque les hommes y ripaillent autant qu’ils se gaussent.

Les deux cinéastes exposent d’emblée les lieux de l’action et chaque plan s’apparente à des cartes postales avec un ciel bleu azur, des étendues d’herbe à perte de vue, des montages au sommet enneigé, des cours d’eau luminescente. Nous noterons également le soin apporté aux costumes, même s’ils paraissent évidemment trop propres et brillants, tout comme les cheveux des comédiens qui semblent avoir été passés à la brillantine avant chaque prise. Il n’empêche que ce Guillaume Tell n’a rien perdu de son souffle et reste un divertissement bien mené. Certaines séquences étonnent par leur violence, toutes proportions gardées puisque les actes n’apparaissent pas à l’écran, mais suffisamment suggérées pour qu’elles fassent leur effet comme la tentative de viol en début de film, le meurtre à la hache et plus tard le vieil homme qui se fait passer les yeux au fer rouge.

Finalement, le personnage de Guillaume Tell, interprété ici par un certain Robert Freitag, vu dans La Grande évasion de John Sturges, n’apparaît pas tant que ça sur près d’1h40, d’ailleurs il faut attendre près de 25 minutes pour qu’il fasse sa première apparition à l’écran. Certes, les passages obligés sont présents, dont celui de la pomme posée sur la tête du fils du héros alors condamné à tirer un carreau d’arbalète dans le fruit sous peine d’être tué avec sa progéniture, mais les deux cinéastes ont surtout voulu broder autour, en mettant en relief le soulèvement du peuple et sa cause. Les archétypes sont présents avec la femme attendant son mari au chalet avec ses deux enfants, et surtout le suintant ennemi prêt à tout pour étendre son pouvoir au détriment de la liberté et du bien-être des habitants.

On suit donc volontiers les aventures de ce Guillaume Tell, héros légendaire qui s’en va défendre le peuple de l’oppression des Habsbourg, et contribuer à la naissance de la Confédération Helvétique avec le pacte du Grütli.

LE BLU-RAY

Artus Films a mis les petits plats dans les grands pour Guillaume Tell, film alors complètement oublié ! Autant dire que le pari est osé de proposer l’oeuvre de Michel Dickoff et Karl Hartl dans une édition Mediabook, qui se compose du Blu-ray et du DVD, ainsi que d’un livre de 80 pages (Guillaume Tell, de l’Histoire à la légende) rédigé par David L’Epée. Vous y trouverez de fabuleux visuels, photos et affiches, mais aussi et surtout un retour exhaustif sur le contexte historique de la légende de Guillaume Tell, un entretien avec Félicien Monnier (juriste et capitaine de l’armée suisse), et tout un tas de sous-parties très détaillées sur la Suisse primitive des Waldstätten, les Habsbourg et leurs baillis, le pacte de 1291, mais aussi Guillaume Tell dans la littérature et au cinéma. Un supplément de choix et érudit. Le menu principal des disques est fixe et musical.

En ce qui concerne les bonus vidéo, nous trouvons un montage constitué d’images de tournage. Si elle ne dépasse pas les 90 secondes, il s’agit d’un petit trésor puisqu’on y voit comment l’équipe s’y prenait pour créer les scènes de tempête !

L’éditeur joint également un diaporama, ainsi que les bandes-annonces anglaise et allemande.

L’Image et le son

Le catalogue d’Artus Films s’enrichit ainsi avec cette édition de Guillaume Tell, présentée sous le blason « Histoire & légendes d’Europe » et qui se revêt d’un très beau master HD restauré. La photo et les partis pris esthétiques originaux sont superbement conservés, les contrastes certes un peu légers, mais les couleurs pastelles sont resplendissantes et lumineuses (explosions des teintes bleues, rouges et vertes), avec un générique qui affiche d’emblée une stabilité bienvenue. La définition ne déçoit jamais (à part un ou deux plans et des décrochages sur les fondus enchaînés), les poussières n’ont pas survécu au lifting numérique, les scènes sombres et nocturnes (aux noirs un peu bleutés) sont logées à la même enseigne que les séquences diurnes, la profondeur de champ est appréciable, le grain cinéma est conservé, et le piqué demeure vraiment agréable. Notons que les credits sont en français et que les sous-titres ne sont pas imposés.

L’éditeur nous propose ici seulement les versions suisse-allemande et française. Les mixages s’avèrent propres, dynamiques, et restituent solidement les voix, fluides, sans souffle. Le confort acoustique est largement assuré dans les deux cas avec d’impressionnantes envolées musicales sur la piste originale, qui comprend tout de même de sensibles craquements, mais rien de bien méchant. Si les effets semblent parfois artificiels, la piste suisse-allemande est plus riche que la version française, plus pincée. Un petit salut amical à Patrick Lang, qui s’est occupé ici de la traduction allemande !

Crédits images : © Artus Films / ESC Distribution / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Carmen Jones, réalisé par Otto Preminger

CARMEN JONES réalisé par Otto Preminger disponible en édition DVD et Blu-ray le 19 mars 2019 chez ESC Editions/Movinside

Acteurs : Dorothy Dandridge, Harry Belafonte, Olga James, Pearl Bailey, Joe Adams, Nick Stewart, Brock Peters, Roy Glenn…

Scénario : Harry Kleiner d’après le roman de Prosper Mérimée et l’opéra de Georges Bizet

Photographie : Sam Leavitt

Musique : Georges Bizet

Durée : 1h45

Date de sortie initiale : 1954

LE FILM

Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le Sud des Etats-Unis, au milieu d’un camp militaire, la jolie Carmen Jones aux mœurs légères fait tourner les têtes des soldats, provoquant des rivalités jalouses. Joe se laisse séduire, abandonne sa gentille fiancée pour la sulfureuse Carmen et devient déserteur. Il est mis en prison mais Carmen accepte d’attendre sa sortie pour qu’ils continuent de filer leur parfait amour…

Débarqué à Hollywood en 1935 grâce au président de la 20th Century Fox Joseph Schenck qui cherchait alors de nouveaux talents en Europe, le cinéaste autrichien Otto Ludwig Preminger (1905-1986) en est déjà à son sixième film américain quand il réalise Laura en 1945. Cette adaptation au cinéma du roman policier éponyme de Vera Caspary demeure une référence du film noir et psychologique. Après moult rebondissements durant la longue phase de production – de violents conflits avec le producteur Darryl F. Zanuck – qui a vu défiler de nombreux réalisateurs tels que John Brahm, Lewis Milestone, Rouben Mamoulian (remplacé après que les rushes aient été jugées catastrophiques par Zanuck), les rênes de Laura reviennent dans les mains d’Otto Preminger. Pour la première fois de sa carrière hollywoodienne, le metteur en scène impose enfin ses idées, reprend le tournage à zéro et met les plans tournés par Rouben Mamoulian au pilon. Le reste appartient à la légende. Otto Preminger enchaîne alors les projets, tournant parfois deux films par an. Suivront Scandale à la cour, La Dame au manteau d’hermine, L’Éventail de Lady Windermere, Mark Dixon, détective, Un si doux visage, La Lune était bleue et Rivière sans retour avec Robert Mitchum et Marilyn Monroe. Un palmarès exceptionnel. En 1954, le cinéaste décide de transposer à l’écran la comédie musicale Carmen Jones d’Oscar Hammerstein (La Mélodie du bonheur), immense succès de Broadway en 1943, qui reprend notamment l’opéra Carmen de Georges Bizet, lui-même inspiré par la nouvelle éponyme de Prosper Mérimée. Carmen Jones, immense réussite du genre, déplace l’intrigue originale dans un contexte afro-américain. Par ailleurs, ce drame musical est aussi et surtout l’un des rares films de l’âge d’or d’Hollywood à n’être composé que de comédiens noirs, d’autant plus produit par un grand studio. Pour les très nombreux aficionados, il s’agit également du premier générique conçu par l’immense Saul Bass. Carmen Jones est depuis passé à la postérité, au même titre que l’adaptation de Francesco Rosi, qui inscrira l’opéra de Bizet dans un réalisme andalou en 1984.

Jacksonville durant la Seconde Guerre mondiale. Cindy Lou vient rendre visite à son fiancé Joe, caporal affecté à la base militaire de Jacksonville. Au réfectoire, la volcanique Carmen Jones, employée au pliage des parachutes dans une usine d’armement, provoque Joe, puis se bat avec une autre ouvrière. Joe est alors chargé de conduire Carmen Jones à la prison située loin de la base. Elle le séduit en route mais la jeep s’embourbe et le couple fait halte au village natal de Carmen…

Carmen Jones, c’est avant tout Dorothy Dandridge (1922-1965) qui embrase l’écran. Actrice et chanteuse américaine, elle demeure la première comédienne afro-américaine à s’être imposée à Hollywood. Depuis le début des années 1940, elle multiplie ses apparitions au cinéma. Vue entre autres dans Crépuscule de Henry Hathaway, elle donne la réplique à Harry Belafonte dans Bright Road de Gerald Mayer. Fort de ce succès et de l’osmose entre les deux partenaires, Otto Preminger décide de les réunir dans Carmen Jones. Grâce à ce film, à son incroyable et éblouissante prestation, Dorothy Dandrige devient une véritable star et obtient une nomination aux Oscars en 1955, même si, comme son partenaire, elle est entièrement doublée dans la partie chantée du film par la cantatrice Marilyn Horne. Malheureusement, sa carrière restera marquée par de multiples problèmes personnels et professionnels. Elle meurt à l’âge de 42 ans seulement.

Produit par Darryl F. Zanuck et la Fox, après le désistement des Artistes Associés, Carmen Jones, adaptation unique de l’opéra-comique en quatre actes de Bizet, sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, est symbolique de la rigueur du metteur en scène Otto Preminger, qui pour l’occasion adopte le format Cinémascope pour la seconde fois de sa carrière après Rivière sans retour et use d’un technicolor flamboyant. Le scénario d’Harry Kleiner, auteur du futur Bullitt, convoque l’âme et l’esprit du matériel de base, tout en s’inscrivant dans son époque, celle de l’Amérique de la Ségrégation. Si le film est un immense succès à sa sortie, il sera interdit en France jusqu’au début des années 1980 en raison d’un procès intenté (et remporté) par les héritiers des deux librettistes, qui accusaient la production d’avoir détourné l’oeuvre originale.

Carmen Jones est une œuvre provocante et très sexuelle, chose alors impensable en raison du tristement célèbre Code Hays, et animé par une énergie aussi rageuse que contagieuse encore aujourd’hui. Un chef d’oeuvre récompensé par le Léopard d’or au Festival de Locarno et l’Ours de bronze au Festival de Berlin.

LE BLU-RAY

La collection Hollywood Legends Premium s’agrandit chez ESC Editions / Movinside avec cette sortie tant attendue de Carmen Jones en Haute-Définition ! Le disque repose dans un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné du plus bel effet. Le menu principal est animé et musical.

Carmen Jones, est présenté par Antoine Sire (26’). L’auteur de Hollywood, la cité des femmes (éditions Institut Lumière / Acte Sud) propose une analyse brillante et éclairée du film d’Otto Preminger. Le fond et la forme sont croisés sur un rythme soutenu, le casting est passé au peigne fin. La carrière du cinéaste est également abordée et Carmen Jones située dans sa filmographie. Fourmillant d’informations et d’anecdotes de production, Antoine Sire part un peu dans tous les sens, mais on ne pourra pas lui reprocher la passion contagieuse avec laquelle il évoque ce chef d’oeuvre. Cet entretien s’avère riche, spontané et passionnant.

L’Image et le son

Film rare, Carmen Jones faisait partie des titres les plus attendus en Haute Définition et tous les espoirs sont comblés. Avec ce nouveau master HD, cette édition en Blu-ray du film d’Otto Preminger est un véritable feu d’artifice pour les yeux, surtout avec ce cadre incroyable 2,55/1, même si la jaquette indique 2,35/1. Ce qui frappe d’emblée, c’est la richesse de la colorimétrie, ses teintes chatoyantes, la densité des contrastes et des noirs, le maintien affermi des gammes chromatiques, la luminosité, le relief et la profondeur de champ. Les détails abondent, même si parfois adoucis voire flous en raisons du format CinémaScope (l’entrée de Lou au moment du match de boxe) , mais le piqué est étonnant. Ce transfert immaculé porté par une épatante compression AVC et le lifting numérique a encore fait des miracles (aucune poussière n’a survécu) tout en respectant les partis pris esthétiques d’origine et la photo suprêmement élégante du chef opérateur Sam Leavitt (La Chaîne, Le Kimono pourpre).

Deux mixages anglais au choix, LPCM 2.0 ou Dolby Digital 5.1. Quitte à choisir, sélectionnez la première option, plus homogène et détaillée, mais aussi fort convaincante sur les parties chantées. L’alternative DD 5.1 est beaucoup plus anecdotique, surtout sans HD, d’autant plus qu’elle n’évite pas certaines saturations. Certes, la spatialisation est convaincante et permet de jouer avec son installation acoustique, mais le mixage Stéréo est amplement suffisant. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © 20th Century Fox / ESC Editions / ESC Distribution / Movinside / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Une hache pour la lune de miel, réalisé par Mario Bava

UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL (Il Rosso segno della follia) réalisé par Mario Bava disponible en édition DVD+Blu-ray+Livret le 9 avril 2019 chez ESC Editions

Acteurs : Stephen Forsyth, Dagman Lassander, Laura Betti, Femi Benussi, Jesús Puente, Luciano Pigozzi, Antonia Mas, Gérard Tichy, Verónica Llimerá…

Scénario : Santiago Moncada, Mario Musy, Mario Bava

Photographie : Mario Bava

Musique : Sante Maria Romitelli

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 1968

LE FILM

En reprenant une maison de couture au bord de la faillite laissée par sa mère, John Harrington est à nouveau hanté par son pire cauchemar. Suite à un traumatisme lié à son enfance dont il n’a plus du tout le souvenir, il est désormais incapable de contrôler les pulsions qui le poussent à vouloir tuer des jeunes femmes vêtues de robes de mariée…

Une femme ne devrait vivre que jusqu’à sa nuit de noces…

Une hache pour la lune de mielIl Rosso segno della follia, également connu sous le titre français opportuniste et ridicule de La Baie sanglante 2 (alors que le premier sera tourné après) ou bien encore Meurtres à la hache pour son exploitation en VHS dans les années 1980, n’est pas l’oeuvre la plus célèbre ou la plus représentative du cinéma de Mario Bava. Pourtant, ce film apparaît comme un condensé de ses précédents longs métrages, tout en annonçant ceux qui suivront, puisqu’il est question ici de meurtres, de psychologie dérangée et de traumatisme. Le cinéaste s’auto-cite en diffusant un extrait de son segment des Trois visages de la peur, mais on pense également à Six femmes pour l’assassin pour le milieu que Mario Bava dépeint (celui de la couture), tout en s’inspirant du cinéma d’Alfred Hitchcock avec évidemment Psychose en ligne de mire. Le spectre de Norman Bates est bel et bien présent dans Une hache pour la lune de miel. Le maestro adopte le point de vue de son personnage principal, ce qui place le spectateur en tant que premier témoin de ses agissements. Véritable tour de force, Il Rosso segno della follia déroule son récit à travers les yeux du meurtrier, tout en plongeant l’audience dans une psyché perturbée où les repères se brouillent et s’effondrent jusqu’à l’implosion.

« Mon nom est John, j’ai 35 ans… Je suis paranoïaque. Non, en fait je suis complètement fou. J’ai tué 5 belles jeunes femmes, dont 3 sont enterrées dans la serre, et personne ne me suspecte d’être un dangereux meurtrier. Cela m’amuse… », annonce nonchalamment le jeune, beau et riche John Harrington. Ce dernier est le directeur d’une maison de couture spécialisée dans les robes de mariée. Schizophrène, hanté par le spectre de sa mère castratrice morte de sa nuit de noces, et ses pulsions meurtrières le poussent à tuer les jeunes mariées avec un hachoir. Marié à une femme qu’il exècre, Mildred (Laura Betti, qui reviendra dans La Baie sanglante), il tombe amoureux d’un nouveau mannequin, Helen, fraîchement arrivé dans son entreprise matrimoniale. Alors qu’il continue à assassiner, la police se rapproche doucement de lui.

A la fin des années 1960, Mario Bava est comme qui dirait à un tournant de sa carrière. Agé de 54 ans au moment où le producteur espagnol Manuel Caño lui propose le scénario de Une hache pour la lune de miel, le réalisateur qui sort alors du coûteux Danger : Diabolik ! souhaite retrouver un film au budget modeste et certains de ses thèmes de prédilection. Cependant, le film déjoue les attentes dans le sens où le sang et autres effets gore sont ici absents. Une hache pour la lune de miel privilégie l’angoisse et la violence, la plupart du temps hors-champ. Quand le personnage use de son hachoir, nul plan sur la lame pénétrant la chair, où de membres sectionnés. Mario Bava laisse l’imagination du spectateur faire son travail et le résultat est aussi efficace.

Une hache pour la lune de miel est une autopsie des pulsions qui poussent un homme bien sous tous rapports à commettre les actes les plus abominables. On pense alors au célèbre Patrick Bateman inventé par Bret Easton Ellis, personnage principal et le narrateur du roman American Psycho. A ce titre, l’acteur Stephen Forsyth, dont c’est ici la dernière apparition au cinéma avant de se consacrer à la musique, est un choix idéal. Son visage figé qui renvoie aux mannequins de plastique qui environnent John Harrington dans son antre secrète, dissimule en réalité un être complètement fou et instable.

Tourné entre Barcelone, Paris et Rome, Il Rosso segno della follia agit comme une ronde étourdissante qui fait perdre pied et qui donne le vertige. Mario Bava, également directeur de la, photographie, joue également sur les distorsions de l’image – entre anamorphoses et zooms – et les sons – excellente bande originale de Sante Maria Romitelli – qui s’imbriquent. Le cinéaste démontre qu’il pouvait donc créer l’effroi et l’épouvante (avec un humour noir à froid) sans avoir recours à l’hémoglobine, uniquement par le biais de sa mise en scène, toujours stylisée, en tout point saisissante.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray d’Une hache pour la lune de miel, disponible chez ESC Editions, a été réalisé à partir d’un check disc. Le menu principal est animé et musical. Le film de Mario Bava avait disposé d’une édition en DVD (aujourd’hui épuisée) chez One Plus One en 2002. Edition collector limitée à 2 500 exemplaires. Nous trouvons également un livret de 16 pages écrit par Marc Toullec.

Sur Homepopcorn.fr, nous sommes fans de monsieur Jean-François Rauger. C’est avec un immense plaisir que nous le retrouvons ici pour une présentation d’Une hache pour la lune de miel (25’). Le directeur de la programmation à la Cinémathèque Française replace le film qui nous intéresse dans la carrière de Mario Bava. Puis, Jean-François Rauger aborde tous les aspects de cette production méconnue du maître italien, en parlant du scénario, du casting, des influences, des thèmes du film, des motifs récurrents, des partis pris et des intentions du réalisateur. Une analyse complète et pertinente.

Du coup, l’intervention de Jean-Pierre Bouyxou apparaît bien redondante, même si très sympathique (8’). Le journaliste cinéma, critique et réalisateur français encense plutôt la splendeur visuelle d’Une hache pour la lune de miel et aborde les aspects formels de ce « film singulier, anti-gore et tout en retenue ».

L’Image et le son

La première et la dernière bobine sont les plus abîmées de ce nouveau master HD. Les points, griffures, poussières, fils en bord de cadre et tâches diverses sont légion et parsèment l’écran. Heureusement, cela s’apaise durant la quasi-intégralité du long métrage, même si certaines scories demeurent. Les couleurs – si importantes chez Mario Bava – retrouvent une certaine fraîcheur, tout comme les contrastes, étonnamment denses à plusieurs reprises. Le piqué est agréable, le relief des matières est palpable et les décors baroques ne manquent pas de détails, y compris sur les séquences sombres. La texture argentique est idéalement préservée et surtout excellemment gérée.

Trois mixages au choix ! Optez pour la version anglaise, langue officielle du tournage (même si tout a été repris en post-synchronisation), dont le confort acoustique est le plus équilibré du lot, en dépit d’un léger chuintement et de craquements parasites. La piste française est la plus faible avec des dialogues lointains, tandis que la version italienne paraît artificielle avec son rendu trop élevé des dialogues.

Crédits images : © ESC Editions / ESC Distribution / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Crime à distance, réalisé par Ken Hughes

CRIME À DISTANCE (The Internecine Project) réalisé par Ken Hughes, disponible en DVD et Blu-ray le 19 mars 2019 chez Movinside / ESC Editions

Acteurs : James Coburn, Lee Grant, Harry Andrews, Ian Hendry, Michael Jayston, Christiane Krüger, Keenan Wynn, Terence Alexander…

Scénario : Barry Levinson, Jonathan Lynn d’après le roman Internecine de Mort W. Elkind

Photographie : Geoffrey Unsworth

Musique : Roy Budd

Durée : 1h29

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Appelé à de hautes responsabilités à la Maison Blanche, l’ancien espion Robert Elliot n’entend pas quitter Londres sans avoir fait le ménage derrière lui. Son objectif : éliminer les quatre membres du réseau d’informateurs qui en savent long sur son encombrant passé et ses méthodes. Pour ça, quoi de mieux que de monter un plan machiavélique pour les pousser à s’entretuer en quelques heures.

Pour les cinéphiles, Ken Hughes (1922-2001) est le réalisateur du classique Chitty Chitty Bang Bang (1968), d’après le roman de Ian Fleming, co-écrit par l’immense Roald Dahl et le scénariste Richard Maibaum (auteur des James Bond du premier opus jusqu’à Permis de tuer), mais également produit par Albert R. Broccoli, le « père » des aventures de l’agent 007 à l’écran. Un an auparavant, Ken Hughes avait pourtant accepté de participer à la mise en scène houleuse de Casino Royale, à la suite de Val Guest, John Huston, Joseph McGrath et Robert Parrish. Un James Bond hors-série, indépendant, volontairement comique où l’on pouvait croiser aussi bien Woody Allen que Jean-Paul Belmondo, David Niven et Peter Sellers. S’il n’a jamais véritablement brillé au cinéma et que son nom reste encore aujourd’hui méconnu, Ken Hughes faisait partie de ces artisans solides très prisés par les studios. Crime à distance (The Internecine Project), également connu sous les titres plus explicites Le Manipulateur et La Main du pouvoir, est un film étrange, froid, pas aussi glacial qu’une adaptation de John le Carré, mais qui n’en demeure pas moins étonnant dans le portrait dressé de son personnage principal, ici campé par le grand James Coburn.

Ce dernier interprète un ancien agent secret, qui tient à asseoir son autorité dans le monde de la finance américaine. Mais quatre personnes sont témoins de ses activités douteuses. Il décide alors de toutes les supprimer en élaborant un plan démoniaque. Le scénario de Crime à distance est co-écrit par Barry Levinson (rien à voir avec le réalisateur de Rain Man et de Good Morning, Vietnam), également producteur, et Jonathan Lynn (réalisateur de l’adaptation Cluedo, Monsieur le député avec Eddie Murphy et Mon voisin le tueur avec Bruce Willis et Matthew Perry), d’après le roman de Mort W. Elkind. De par son atmosphère trouble et pesante, The Internecine Project rappelle parfois M15 demande protectionThe Deadly Affair (1966) réalisé par Sidney Lumet, qui annonçait la mutation du genre espionnage au cinéma. Ici, le film se double également d’une métaphore sur le travail de scénariste, puisque le protagoniste imagine une réaction en chaîne faite de meurtres et de manipulations, comme un scénario prêt à être mis en scène. Confortablement installé derrière un bureau, Robert Elliot, un verre ou un cigare à la main, se contente de souligner chacune des étapes de son stratagème criminel, heure par heure, attendant chaque coup de fil (le nombre de sonneries indique au personnage l’avancée des meurtres commis par ses « pantins ») en espérant évidemment que rien ne vienne contrecarrer ses plans. Cynique et impassible, minéral, James Coburn est à l’aise dans ce rôle peu aimable.

Sur un rythme languissant, Ken Hughes démontre son potentiel derrière la caméra, mais il peut également compter sur deux atouts de taille. L’immense chef opérateur Geoffrey Unwsorth (1914-1978) signe la magnétique photographie. Sa griffe inimitable qui aura transcendé des œuvres telles que 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, Cabaret de Bob Fosse, Zardoz de John Boorman et Superman de Richard Donner est un régal de chaque instant. Ses partis pris luminescents mettent en relief la beauté des ténèbres dans une ville de Londres sombre. A la musique, Roy Budd, compositeur du Soldat bleu de Ralph Nelson et de La Loi du milieu (Get Carter) de Mike Hodges participe également au côté inquiétant distillé au compte-gouttes, tandis que l’étau se resserre autour des futures victimes.

Il ne faut pas s’attendre à un film d’action, mais plutôt à une approche psychologique, mathématique pourrait-on dire, du meurtre, que le montage de John Shirley (Vivre et laisser mourir, L’Homme au pistolet d’or) instaure comme les faces d’un Rubik’s Cube où chacune dépend de l’autre. C’est là la belle réussite de cet étrange et hybride Crime à distance, qui flatte à la fois les spectateurs avides d’histoire d’espionnage et ceux plus intéressés par le cheminement mental des personnages.

LE BLU-RAY

ESC Editions/Distribution redonne vie à Movinside, qui pour l’occasion ressuscite ce film méconnu de Ken Hughes. Crime à distance est enfin disponible en DVD et Blu-ray. Ce dernier est contenu dans un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un sur-étui cartonné. Le visuel est très élégant. Menu principal animé et musical.

Pour nous présenter Crime à distance, ESC a misé sur Frédéric Albert Lévy, auteur de Bond, l’espion qu’on aimait (Broché). Durant 25 minutes souvent pertinentes, l’invité de l’éditeur analyse le fond du film qui nous intéresse, en le replaçant dans son contexte politique, économique et social. Le casting est également passé au peigne fin, tout comme l’équipe technique et la carrière du réalisateur John Hughes. Dans son excellente analyse, Frédéric Albert Lévy évoque également la sortie du film, ses différents titres français, et indique que Crime à distance reste un « parfait échantillon du cinéma anglais du début des années 1970 ». Attention, quelques spoilers, dont le dénouement, sont présents.

L’Image et le son

Un Blu-ray (au format 1080p) convaincant, sans se forcer. Le format original est respecté. Il en est de même pour le grain original, bien que très appuyé, surtout durant le premier quart d’heure. Si cela s’arrange quelque peu par la suite, la définition est ensuite aléatoire, la gestion des contrastes est honnête, les couleurs retrouvent un peu de fraîcheur. Quelques points et poussières sont encore présents, visibles notamment sur les nombreuses scènes en intérieur.

Les mixages anglais et français LPCM 2.0 distillent parfaitement la musique de Roy Budd. Néanmoins, la piste française se focalise sans doute trop sur le report des voix, parfois au détriment des ambiances annexes. La piste originale est très propre, sans souffle, dynamique et suffisamment riche pour instaurer un très bon confort acoustique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © ESC Editions / ESC Distribution / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Les Affameurs, réalisé par Anthony Mann

LES AFFAMEURS (Bend of the River) réalisé par Anthony Mann, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre le 19 mars 2019 chez Rimini Editions

Acteurs : James Stewart, Arthur Kennedy, Julie Adams, Rock Hudson, Lori Nelson, Jay C. Flippen, Chubby Johnson, Stepin Fetchit, Harry Morgan, Howard Petrie…

Scénario : Borden Chase d’après le roman Bend of the Snake de Bill Gulick

Photographie : Irving Glassberg

Musique : Hans J. Salter

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1952

LE FILM

Deux hommes au passé trouble, Glyn McLyntock et son ami Emerson Cole, escortent la longue marche d’un convoi de pionniers. Arrivés à Portland, les fermiers achètent des vivres et du bétail que Hendricks, un négociant de la ville, promet d’envoyer avant l’automne. Les mois passent et la livraison se fait attendre. McLyntock alors retourne à Portland avec Baile, le chef du convoi. Ils découvrent une ville en proie à la fièvre de l’or. Hendricks, qui prospère en spéculant sur ce qu’il vend aux prospecteurs, refuse de livrer la marchandise. Cole et McLyntock s’en emparent de force. Mais les vivres suscitent la convoitise de tous…

Les AffameursBend of the River (1952) est le second des cinq westerns qu’Anthony Mann tourna avec James Stewart après Winchester 73Winchester ’73 (1950) et avant L’Appât – The Naked Spur (1953), Je suis un aventurierThe Far Country (1954) et L’Homme de la plaineThe Man from Laramie (1955). Entre deux westerns, les deux fidèles collaborateurs auront même le temps d’emballer en 1953 un film d’aventure, Le Port des passionsThunder Bay et un biopic sur le musicien Glenn Miller intitulé Romance inachevéeThe Glenn Miller Story. Sans oublier le drame de guerre Strategic Air Command. C’est donc une affaire qui roule entre le réalisateur et le comédien. Les Affameurs, western très librement adapté du roman de Bill Gulick (paru en 1950 et dont les droits avaient été achetés par James Stewart lui-même) par Borden Chase (scénariste de La Rivière rouge d’Howard Hawks et plus tard de Vera Cruz de Robert Aldrich), demeure une des références du genre.

D’origine autrichienne et allemande, de son vrai nom Emil Anton Bundsmann, Anthony Mann (1906-1967) est l’un des plus grands réalisateurs américains de l’histoire du cinéma, spécialisé notamment dans le western, à l’instar de ses confrères Howard Hawks, Henry Hathaway et John Ford. Ancien comédien, régisseur de théâtre, il fonde une troupe de théâtre dans les années 1930 où officie également un certain James Stewart. Il commence dans le cinéma en supervisant les essais des acteurs et actrices pour le compte de la Selznick International Pictures. Puis, c’est aux côtés de Preston Sturges qu’il fait ses premiers pas en tant qu’assistant à la Paramount, avant de passer lui-même derrière la caméra en 1942 avec Dr. Broadway. Il se fait la main sur quelques séries B, en passant d’un genre à l’autre. Mais c’est en 1950 qu’il connaît son premier grand succès avec La Porte du diable.

Anthony Mann, parvient à mettre en scène un film progressiste en jouant avec la censure, même si l’industrie hollywoodienne est alors menacée par la fameuse chasse aux sorcières. Oeuvre engagée, le metteur en scène y prend ouvertement la défense des indiens. Sans cesse oublié et évincé au profit de La Flèche brisée, film également pro-indien de Delmer Daves, La Porte du diable demeure un chef d’oeuvre du genre, noir (certains cadrages sont dignes d’un thriller), âpre, pessimiste sur la condition humaine, magnifiquement réalisé et photographié. Il entame son association avec James Stewart, alors que le western est un genre en complète mutation.

Dans Les Affameurs, point de « sensationnalisme » ni véritablement d’action, à part dans la toute dernière partie à travers un affrontement où cela canarde beaucoup dans des paysages entre neige et nature boisée, souvent noyés dans la poussière. Les Affameursest avant tout un drame humaniste porté par des acteurs exceptionnels qui campent des personnages complexes et très attachants, comme souvent chez Anthony Mann en quête de rachat et de reconnaissance d’eux-mêmes.

James Stewart est Glyn McLyntock. Cet homme mène un convoi de pionniers en 1846 dans les montagnes de l’Oregon pour y coloniser les territoires vierges, cultiver des terres et bâtir une ville. Alors qu’il part en éclaireur, McLyntock tombe sur une scène de pendaison et sauve Emerson Cole (troublant Arthur Kennedy) accusé du vol d’un cheval. Cole reconnaît rapidement que McLyntock est l’un des plus célèbres pillards de la frontière du Missouri. C’est à l’occasion d’une attaque d’indiens que McLyntock se révèle d’un sang-froid et d’une adresse aussi inouïe que suspecte. Au cours de l’attaque, Laura Baile (ravissante Julie Adams, L’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold), la fille de Jeremy Baile (Jay C. Flippen et sa tronche légendaire), le responsable du convoi, est blessée. Cole et McLyntock conviennent d’escorter la caravane ensemble jusqu’à Portland. Ils se lient d’amitié mais avec une prudente et étrange retenue. Arrivés à Portland, Jeremy Baile et les colons affrètent un bateau à vapeur. Ils achètent de la nourriture qui doit leur être livrée pour le début septembre, avant les neiges, auprès du négociant local Hendricks. La fille de Baile est soignée par le capitaine du bateau à vapeur et restera pour sa convalescence à Portland. Cole reste également à Portland. Une fois arrivés dans la vallée, les colons développent leur ville. Mais mi-octobre, alors que les premières neiges sont sur le point de tomber, la nourriture achetée pour 5 000 dollars à Hendricks n’est toujours pas livrée. McLyntock et Baile retournent à Portland. Ils trouvent la ville transformée par la ruée vers l’or. Les biens alimentaires ont été frappés par l’inflation. Avec l’aide du capitaine Mello, McLyntock et Baile chargent le bateau à vapeur des biens que les colons avaient achetés au négociant. McLyntock va trouver Hendricks, devenu cupide, qui ne veut pas livrer les provisions dues. Grâce à l’intervention de Cole et de son protégé Trey Wilson (Rock Hudson, 27 ans, dans l’une de ses premières apparitions au cinéma), McLyntock échappe aux hommes de main d’Hendrick. Hendricks part à la poursuite de McLyntock afin de récupérer les biens.

On le voit bien à ce résumé, Les Affameurs est une suite ininterrompue de rebondissements et de retournements de situation. Sur un rythme endiablé, Anthony Mann parvient à capter et surtout à maintenir l’attention du début à la fin, durant 90 minutes où il expose le cadre et les personnages, sans jamais tomber dans les stéréotypes habituels, tout en faisant confiance à l’intelligence du spectateur pour reconstituer le passé du personnage principal auquel on s’attache immédiatement. D’ailleurs, comme dans bon nombre de films d’Anthony Mann, les protagonistes ne sont jamais irréprochables, ni tout à fait des ordures. La balance entre le bien et le mal est autant fragile que constante, à l’instar des deux personnages campés par James Stewart et Arthur Kennedy, qui apparaissent souvent comme le côté pile et face d’une même pièce. Les deux acteurs sont souvent filmés dos à dos, comme si l’un était le double de l’autre. Certains y verront même une fascination ou même un rapport quasi-amoureux dans leur façon de se regarder et de se toucher. Il faudra attendre le troisième acte, pour que l’un se décide à déséquilibrer définitivement la balance, pour les opposer une fois pour toutes.

Avec une science du cadre et une violence contenue qui finit inévitablement par exploser, Anthony Mann est alors en pleine possession de ses moyens et signe un film anthologique dans lequel James Stewart bouffe l’écran et – cavalier émérite – s’investit dans les scènes d’action pour lesquelles il réalise lui-même la plupart des cascades. Le comédien impressionne dans la peau de ce personnage ambigu, apparemment simple convoyeur, qui manie pourtant le pistolet avec dextérité et qui fait mouche à tous les coups. Qui est cet homme ? Pourquoi risque-t-il sa vie pour ces pionniers malgré les menaces qui pèsent sur eux? Anthony Mann entretient le mystère autour de ce Glyn McLyntock dont on ne sait rien ou pas grand-chose et les révélations se font au compte-gouttes.

Oeuvre majeure, Les Affameurs subjugue par son sens inouï du cadre, la beauté des décors naturels de l’Oregon, la mise en scène sans cesse inspirée, tout comme la photo signée par l’immense chef opérateur Irving Glassberg, grand collaborateur de George Sherman. Par ailleurs, Anthony Mann signe ici son premier film en Technicolor.

LE BLU-RAY

Attention, Rimini Editions frappe fort une fois de plus ! Trois mois après sa fabuleuse sortie consacrée aux Vikings de Richard Fleischer, c’est au tour des Affameurs de se voir bichonner par l’éditeur. Le chef d’oeuvre d’Anthony Mann, sorti il y a quinze ans dans une édition DVD obsolète chez Universal Pictures France, réapparaît ici sous la forme d’un magnifique coffret-Digibook composé du DVD, du Blu-ray et du fac-similé du numéro de L’Avant-Scène Cinéma (février 2019) entièrement consacré au film Les Affameurs ! 98 pages qui font évidemment office de supplément à part entière et dont nous vous reparlons plus bas. Un objet très convoité par les passionnés de western et de cinéma en général. N’attendez pas ! Le menu principal est animé et musical.

En ce qui concerne les suppléments vidéo, nous trouvons tout d’abord une conversation (41’) entre les critiques de cinéma Mathieu Macheret (Le Monde) et Bernard Benoliel (directeur de l’action culturelle et éducative à la Cinémathèque française). Si le premier est un maintenant un habitué chez Rimini (y compris chez ESC Editions) et prouve une fois de plus qu’il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il a devant lui un confrère pour lui renvoyer la balle, le second s’en tire excellemment et apporte dans un premier temps moult informations sur Anthony Mann, son parcours, ses débuts au cinéma, ses collaborations avec James Stewart. Puis, les deux critiques échangent sur le film qui nous intéresse en croisant intelligemment le fond et la forme, avec une passion contagieuse. Cette analyse pointue, mais très accessible, replace ainsi Les Affameurs dans la filmographie d’Anthony Mann, mais aussi dans l’ensemble des cinq associations avec le comédien principal. Le casting, les thèmes principaux, le travail sur le cadre, l’importance de la nature, l’influence de John Ford et bien d’autres éléments sont donc abordés au cours de cette présentation évidemment indispensable.

Dirigez-vous immédiatement au supplément suivant. Véritable trésor d’archives, voici une interview audio (vostf) de James Stewart réalisée en 1973 par Joan Bakewell au National Film Theatre (1h14). Dans une salle qu’on imagine bondée et croulant sous les applaudissements, le comédien brasse une grande partie de son immense carrière et répond aux questions de la grande journaliste britannique. A l’heure où son dernier film sorti sur les écrans était Le Rendez-vous des dupes (Fools’ Parade) d’Andrew V. McLaglen, et que ses apparitions au cinéma allaient devenir très rares (il allait tourner encore six longs métrages), James Stewart revient avec un humour dévastateur sur ses collaborations avec Frank Capra (la façon dont le cinéaste lui a vendu La Vie est belle vaut le détour), Alfred Hitchcock (le tournage de La Corde), John Ford, sans oublier bien sûr Anthony Mann. Le mythique acteur s’exprime aussi sur son père, sur ses débuts au théâtre et à Hollywood, sur la représentation de la violence au cinéma et sur son évolution. Si l’écoute se fait sur un montage en boucle de photos tirées des Affameurs, on se délecte de chaque souvenir et de l’esprit vif de la légende hollywoodienne.

Après ces bonus, il est temps désormais de dévorer le numéro de L’Avant-scène Cinéma consacré aux Affameurs. Richement et magnifiquement illustrée, cette revue mensuelle comprend plusieurs dossiers excellemment écrits par Jean-Philippe Guérand, Jean Ollé-Laprune, Pierre-Simon Gutman, Gérard Camy, Jean-Claude Missiaen, mais aussi une revue de presse, des dessins, de la filmographie d’Anthony Mann, de la fiche artistique des Affameurs. Last but nos least, près de 45 pages sont consacrées à la rédaction du découpage plan par plan du film, relevé et traduit par René Marx, avec également les dialogues français et anglais.

L’Image et le son

Le cadre 1.33 (16/9) est évidemment respecté et demeure le point fort de cette édition HD. Sinon le master est assez propre, en dépit de quelques poussières et points encore notables (la restauration a visiblement quelques années) et certains contrastes manquent de densité. La gestion du grain est aléatoire avec des séquences plus ou moins marquées selon la luminosité. Même chose pour les scènes sombres avec des noirs pas aussi concis que nous pouvions l’espérer, tout comme le piqué peu aiguisé. Des effets de pompage sont également constatés (surtout sur les plans sombres) et la colorimétrie s’avère parfois terne, pour ne pas dire fanée avec un stock-shot émoussé. La copie est cependant très stable, certains détails ressortent comme le décor artificiel de nuit avec ses toiles peintes et les textures des costumes. Notons également que les comédiens et certains accessoires semblent parfois entourés par un halo vert caractéristique d’un tournage en Technicolor trichrome. Pas le plus beau master HD proposé par Rimini, mais ce Blu-ray au format 1080p a au moins le mérite d’exister !

Que votre choix se porte sur la version originale (avec sous-titres français non imposés) ou la version française (qui change les noms des personnages…), la restauration est satisfaisante. Aucun souffle constaté sur les deux pistes, l’écoute est frontale et riche, dynamique et vive. Les effets annexes sont plus conséquents sur la version originale que sur la piste française, moins précise, plus axée sur les voix, mais le confort acoustique est assuré sur les deux options.

Crédits images : © Universal Pictures / Rimini Editions / ESC Distribution / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Demain est un autre jour, réalisé par Douglas Sirk

DEMAIN EST UN AUTRE JOUR (There’s Always Tomorrow) réalisé par Douglas Sirk, disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD le 26 mars 2019 chez Elephant Films

Acteurs : Barbara Stanwyck, Fred MacMurray, Joan Bennett, William Reynolds, Pat Crowley, Gigi Perreau, Jane Darwell, Race Gentry…

Scénario : Bernard C. Schoenfeld d’après le roman « There’s Always Tomorrow » d’Ursula Parrott

Photographie : Russell Metty

Musique : Heinz Roemheld, Herman Stein

Durée : 1h24

Date de sortie initiale : 1955

LE FILM

Clifford Groves, fabricant de jouets prospère, a une existence un peu morne, coincé entre son travail et une vie de famille insatisfaisante. De plus en plus seul et délaissé par sa femme Marion, il retrouve par hasard Norma Veil une ancienne collaboratrice pour laquelle il a toujours eu une attirance.

Demain est un autre jour There’s Always Tomorrow, remake d’un film de 1934 d’Edward Sloman, vient trois ans après All I desire. Le film réunit Barbara Stanwyck et Fred MacMurray, scellant leurs retrouvailles quasiment dix années après le chef d’oeuvre de Billy Wilder, Assurance sur la mortDouble Indemnity. Douglas Sirk dans sa période la plus faste de sa carrière, traite une fois de plus de la cellule familiale dans l’Amérique des années 50 avec ce qu’elle comporte d’égoïsme et de castration, les enfants décidant du bonheur de leurs parents comme dans Tout ce que le ciel permet.

Clifford Groves est un prospère fabricant de jouets, à San Francisco. Il mène une vie trop bien réglée, comme un robot, entre son travail, son épouse, Marion, et leurs trois enfants. Marion est si accaparée par ses enfants qu’elle refuse la surprise imaginée par Cliff pour son anniversaire : une soirée en tête-à-tête, restaurant et cabaret. Cliff, déçu, reste seul chez lui quand on sonne à la porte : apparaît la collaboratrice de ses débuts, Norma Vail, maintenant à la tête d’une maison de couture à New-York, venue pour quelques jours en Californie. C’est avec elle qu’il passera la soirée. Elle l’interroge sur sa vie, sa famille, son travail, évoque des souvenirs communs. Encore une fois Marion annule un projet commun de week-end au soleil, dans le désert. La cadette a une entorse. Mais elle supplie son mari d’aller s’y détendre et s’y reposer. Arrivé à l’hôtel, Cliff tombe sur Norma, élégante, vive, enjouée : elle l’entraîne dans une balade à cheval, à la piscine, sur la piste de danse. Mais le fils aîné de Cliff arrive par surprise, en compagnie de sa fiancée et de deux amis. Il surprend Norma et Cliff, est persuadé d’un adultère et rentre furieux à San Francisco.

Depuis All I desire, le cinéaste Douglas Sirk a pris son envol et aura enchaîné les longs métrages à raison de deux films par an. Entre le western Taza, fils de Cochise, le péplum Le Signe du païen et le film d’aventure Capitaine mystère, c’est surtout dans le genre mélodramatique que le metteur en scène se sera le mieux exprimé sur les Etats-Unis. Demain est un autre jour suit donc de près Le Secret magnifique et Tout ce que le ciel permet, deux coups de maître réalisés après le coup d’essai prometteur All I desire. A cette occasion, Douglas Sirk collabore à nouveau avec Barbara Stanwyck. La comédienne, qui a fait ses débuts sur le grand écran dans les années 1920, entame alors la dernière partie de sa carrière au cinéma. Elle y est une fois de plus sensationnelle et magnétique. Elle retrouve ici son partenaire Fred MacMurray, probablement l’un des acteurs les plus sous-estimés de l’âge d’or d’Hollywood. La complicité et l’osmose entre les deux comédiens est réelle et bouleversante.

De son côté, Douglas Sirk imprègne son film d’une ironie acerbe, ne serait-ce qu’avec le titre et dès son ouverture « Once upon a time » qui renvoie au conte de fées. Si Demain est un autre jour est assurément l’une des œuvres les plus déchirantes du réalisateur, sa vivisection de la famille américaine est aussi rare qu’acérée. De par sa sensibilité européenne, Douglas Sirk s’affranchit du cahier des charges habituelles du cinéma en égratignant le vernis avec lequel ses confrères peignaient le mode de vie américain. Là où la plupart des autres cinéastes se contentaient d’illustrer la place occupée par chacun des membres d’une bonne famille américaine, Douglas Sirk prend le parti d’en montrer les conséquences, l’enlisement, l’ennui.

Dans Demain est un autre jour, Cliff ressent sa vie familiale comme une prison, sa femme comme un puits de routine et d’incompréhension, ses enfants comme des tyrans égoïstes. Cliff tombe amoureux de Norma, qui l’aime depuis toujours, mais ses deux enfants l’espionnent et se rendent à l’hôtel où Norma séjourne pour lui dire leurs soupçons, leur mépris et leur indignation. Norma écoute, comprend leur désarroi mais leur reproche violemment leur indifférence et leur ingratitude vis-à-vis de leur père. Le final est à ce titre cinglant puisque la « bonne morale » est sauve et la cellule familiale n’éclatera pas. La merveilleuse photographie de Russell Metty n’a de cesse de jouer avec les ombres (et celle de la pluie), qui grignotent progressivement l’espoir et l’idylle entre les deux personnages principaux, coupables de s’aimer.

D’une suprême élégance, Demain est un autre jour, qui a entre autres grandement inspiré Carol de Todd Haynes, foudroie encore aujourd’hui le coeur des spectateurs contemporains.

LE BLU-RAY

Demain est un autre jour est édité en combo par Elephant Films. Le Blu-ray et le DVD du film reposent dans un boîtier plastique. Le visuel de la jaquette (réversible avec affiche originale) est très élégant, tout comme le menu principal, fixe et musical. Ce titre rejoint la collection Douglas Sirk disponible chez Elephant, qui possède désormais treize films du maître du mélodrame hollywoodien dans son catalogue. Un livret collector rédigé par Louis Skorecki est également inclus.

En plus d’un lot de bandes-annonces, d’une galerie de photos et des credits du disque, nous trouvons une minuscule présentation de Demain est un autre jour par Jean-Pierre Dionnet (4’ seulement). Producteur, scénariste, journaliste, éditeur de bande dessinée et animateur de télévision, notre interlocuteur, habituellement plus inspiré quand il parle de l’un de ses cinéastes favoris, replace timidement ce long métrage dans la filmographie du réalisateur. Il en vient ensuite aux thèmes abordés dans Demain est un autre jour. Le casting est évidemment évoqué, ainsi qu’aux bijoux créés par Joan Joseff, preuve que Dionnet ne sait pas vraiment combler son intervention, par ailleurs bien trop entrecoupée par de longs extraits du film.

Nous le disions précédemment, Douglas Sirk est un des réalisateurs fétiches de Jean-Pierre Dionnet. Ce dernier lui consacre un petit module de 9 minutes, dans lequel il parcourt rapidement les grandes phases de sa carrière, ses thèmes récurrents, ses comédiens fétiches, les drames qui ont marqué sa vie, son regain de popularité dans les années 1970 grâce à la critique française et quelques réalisateurs (Fassbinder, Almodóvar) alors que le cinéaste, devenu aveugle, était à la retraite en Allemagne.

L’Image et le son

Contrairement à All I desire, Demain est un autre jour a été tourné en 1.85. La profondeur de champ est éloquente, les partis pris du directeur de la photographie Russell Metty sont respectés, comme ces clairs-obscurs qui reflètent l’état d’esprit des personnages tel Clifford qui rentre chez lui. Dès le générique, la luminosité du master (même si visiblement ancien) restauré flatte les rétines, tout comme la propreté de la copie. Le master est sans doute plus grumeleux que celui d’All I desire, tout comme le rendu des visages ici plus vaporeux et les détails manquent parfois à l’appel, mais ce Blu-ray reste de haute qualité.

Il ne faut pas s’attendre à quelques miracles par rapport à l’ancienne édition DVD Carlotta sortie il y a plus de dix ans. Le confort acoustique est moyen avec un rendu parfois feutré des dialogues et un petit souffle chronique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Universal Pictures / Elephant Films / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / All I desire, réalisé par Douglas Sirk

ALL I DESIRE réalisé par Douglas Sirk, disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD le 26 mars 2019 chez Elephant Films

Acteurs : Barbara Stanwyck, Richard Carlson, Lyle Bettger, Marcia Henderson, Lori Nelson, Maureen O’Sullivan, Richard Long, Billy Gray…

Scénario : James Gunn, Robert Blees, Gina Kaus d’après le roman de Carol Ryrie Brink

Photographie : Carl E. Guthrie

Musique : Henry Mancini, Herman Stein

Durée : 1h19

Date de sortie initiale : 1953

LE FILM

Naomi Murdoch, actrice dont la carrière n’a pas été parsemé de nombreux succès, revient après dix ans d’absence dans sa petite ville pour y voir sa fille dans une représentation théâtrale de l’école. La jeune fille, qui ignore tout des multiples échecs de sa mère, voudrait lui ressembler. À son arrivée, Naomi constate que rien n’a changé. Bientôt, toute la ville parle de son retour…

S’il marque les débuts de Douglas Sirk dans le genre mélodramatique, All I desire ne possède pas encore la flamme qui animera les films suivants du cinéaste. La famille américaine est au centre du sujet, les relations humaines sont disséquées au scalpel et l’ensemble repose sur un casting haut de gamme où domine la superbe et flamboyante Barbara Stanwyck que Douglas Sirk retrouvera trois ans plus tard pour Demain est un autre jour. All I desire est un très beau film, qui n’évite pas certaines grosses ficelles, mais qui impose le réalisateur parmi les meilleurs auteurs du genre.

Naomi Murdoch est une femme déchue et une actrice ratée. Elle n’a pas hésité à quitter son mari, Henry, et ses trois enfants, Joyce, Lily et Ted ainsi que son amant, Dutch, pour une illusoire carrière dramatique. Elle a ainsi défrayé la chronique de la petite ville provinciale de Riversdale. Mais dans les coulisses sordides d’un obscur cabaret de Chicago elle reçoit une lettre de sa fille cadette, Lily. Lena, la fidèle servante, a toujours donné à Naomi des nouvelles des siens et lui a fait parvenir cette missive. Lily croit – comme tout le monde – que sa mère est une actrice célèbre et la prie d’assister à sa remise de diplôme et surtout à la pièce de théâtre dont elle joue le rôle principal. Lily part pour Riversdale, avec des robes et des parures éblouissantes, elle compte n’y passer qu’une soirée. Son mari (qui occupe le poste un peu terne de proviseur du collège), Joyce, son aînée, Ted, son jeune fils restent froids et distants. Mais Lily déborde d’admiration et de tendresse pour sa mère qui, le temps de la soirée, fascine toute l’assistance.

All I desire est un film de transition dans l’œuvre hollywoodienne de Douglas Sirk. Réalisé juste après les comédies populaires qui ont fait de lui un réalisateur sur qui les studios pouvaient compter (No Room for the Groom avec Tony Curtis et Piper Laurie), le cinéaste allemand souhaite se tourner vers de nouveaux horizons et aborder un nouveau genre. A l’instar de Qui donc a vu ma belle ?, Douglas Sirk aborde la vie d’une famille provinciale dont la mère a abandonné le foyer afin de se consacrer à sa carrière d’actrice. Après des années de déconvenues, elle décide de revenir vers ceux qu’elle a délaissés. Cette fois, la comédie laisse place au mélodrame. All I desire est un beau film, certes loin d’être aussi transcendant que ceux qui suivront, mais qui pose tous les jalons repris puis aiguisés ultérieurement dans Tout ce que le ciel permet et Mirage dans la vie, comme le rêve, les désillusions et le rapport ville et province dans les Etats-Unis des années 50, une critique de la classe moyenne américaine, thème fondateur de l’œuvre entière de Douglas Sirk et qui fera de lui le maître du mélodrame.

Barbara Stanwyck y est poignante et admirablement épaulée par Richard Carlson, même si la star hollywoodienne domine largement la distribution, sans avoir de véritable contrepoids. On excusera quelques effets trop accentués comme tout ce qui concerne le second rôle caricatural de Dutch incarné par Lyle Bettger, ou bien encore cette facilité à opposer grande ville/province de façon quelque peu schématique avec l’utilisation d’effets trop appuyés. En adaptant le roman Stopover de Carol Ryrie Brink, Douglas Sirk trouve ici les thématiques qu’il n’aura de cesse de développer, et s’entoure de très solides techniciens dont le directeur de la photographie Carl E. Guthrie (The Jazz Singer de Michael Curtiz) et le compositeur Henry Mancini, qui avait déjà collaboré avec le cinéaste sur le formidable Qui donc a vu ma belle ? (1952) et qui signera également la partition de La Ronde de l’aube (1958) et celle de l’extraordinaire Mirage de la vie (1959). Juste après All I desire, Douglas Sirk enchaîne avec un western, Taza, fils de Cochise avant de réaliser l’un de ses plus beaux films, Le Secret Magnifique.

LE BLU-RAY

All I Desire est édité en combo par Elephant Films. Le Blu-ray et le DVD du film reposent dans un boîtier plastique. Le visuel de la jaquette (réversible avec affiche originale) est très élégant, tout comme le menu principal, fixe et musical. Ce titre rejoint la collection Douglas Sirk disponible chez Elephant, qui possède désormais treize films du maître du mélodrame hollywoodien dans son catalogue. Un livret collector rédigé par Louis Skorecki est également inclus.

En plus d’un lot de bandes-annonces, d’une galerie de photos et des credits du disque, nous trouvons une minuscule présentation de All I desire par Jean-Pierre Dionnet (6’). Producteur, scénariste, journaliste, éditeur de bande dessinée et animateur de télévision, notre interlocuteur, habituellement plus inspiré quand il parle de l’un de ses cinéastes favoris, replace timidement ce long métrage dans la filmographie du réalisateur. Il en vient ensuite aux thèmes abordés dans All I desire, en croisant le fond avec la forme en indiquant que ce film annonce les mélodrames qui seront ensuite réalisés par Douglas Sirk. Le casting est évidemment évoqué, tout comme les collaborateurs du cinéaste. Dommage que cette introduction, déjà courte, soit entrecoupée par de longs extraits du film.

Nous le disions précédemment, Douglas Sirk est un des réalisateurs fétiches de Jean-Pierre Dionnet. Ce dernier lui consacre un petit module de 9 minutes, dans lequel il parcourt rapidement les grandes phases de sa carrière, ses thèmes récurrents, ses comédiens fétiches, les drames qui ont marqué sa vie, son regain de popularité dans les années 1970 grâce à la critique française et quelques réalisateurs (Fassbinder, Almodóvar) alors que le cinéaste, devenu aveugle, était à la retraite en Allemagne.

L’Image et le son

Chapeau à Elephant Films de proposer les films de Douglas Sirk en HD en 2019 ! All I desire, pour la première fois en Blu-ray dans le monde, est proposé dans son format plein cadre 1.33. respecté, dans un nouveau master restauré Haute Définition. La clarté est de mise, les contrastes sont admirables et mettent en valeur le N&B éclairé par Carl E. Guthrie, même si la photo de ce dernier se révèle moins exceptionnelle que celle du fidèle collaborateur de Douglas Sirk, Russell Metty. L’image est très propre, la texture argentique équilibrée. Enfin, les scènes sombres s’en tirent excellemment avec des clairs-obscurs tranchés et des détails ciselés.

Bien qu’accompagnée d’un souffle distinct, jamais l’écoute du film n’est véritablement perturbée et aucun craquement n’est à déplorer. Les splendides envolées de la musique signée Henry Mancini exploitent à leur maximum le potentiel du mixage mono, limpide et exsudant la voix rauque de Barbara Stanwyck avec clarté. Les dialogues mis à part, les effets divers et variés sont abondants. Les sous-titres français ne sont pas verrouillés.


Crédits images : © Universal Pictures / Elephant Films / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / La Revanche des mortes-vivantes, réalisé par Pierre B. Reinhard

LA REVANCHE DES MORTES-VIVANTES réalisé par Pierre B. Reinhard, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Le Chat qui fume

Acteurs : Cornélia Wilms, Kathryn Charly, Anthea Wyler, Véronik Catanzaro, Sylvie Novak, Laurence Mercier, Patrick Guillemin, Georges Lucas, Michel Tugot-Doris…

Scénario : Jean-Claude Roy

Photographie : Henry Frogers

Musique : Christopher Ried

Durée : 1h22

Année de sortie : 1987

LE FILM

Sur une route de campagne, en France, un motard suit un camion-citerne transportant du lait et profite de l’arrêt du véhicule pour introduire un produit toxique dans la cuve. Plus tard, dans un village avoisinant, une future mariée s’effondre après avoir bu un verre de lait. Une mort violente que suivent de près celles de deux autres jeunes femmes dans un bar. Point commun reliant les victimes : toutes trois travaillaient dans une usine d’engrais agricoles. Tandis que les soupçons se portent vers son directeur, les trois victimes sortent de leur tombe à la nuit tombée !

« Alors mon beau chimiste ? Qu’est-ce que tu dirais d’une petite expérience ? On pourrait essayer des trucs plus physiques ? »

« Hein ? Qu’est-ce que tu veux ? »

« Ce n’est pas très poli Christian ! N’oublie pas que je suis sa secrétaire ! Et que toi tu n’es rien ! Sinon l’amant de sa femme ! »

« Continue ! Parle plus fort ! Tout le monde entendra ! C’est ce que tu veux ? »

« Je ne veux plaire qu’à toi Casanova ! »

« Elle est folle ! Qu’est-ce que tu fous à moitié à poil ? Y’a beaucoup de gens qui t’ont vu faire prendre l’air à tes nibards ? Ou on t’a embauché pour faire des heures sup’ chez Playtex !? »

Voilà un petit extrait des dialogues épicés de La Revanche des mortes-vivantes réalisé par Pierre B. Reinhard, crédité ici sous le pseudonyme de Peter B. Harsone. Spécialisé dans le porno (également sous le nom de Mike Strong), on lui doit quelques œuvres aux titres romantiques du genre Pénétrations multiples, Le nain assoiffé de perversité, James Bande contre O.S.Sex 69, Outrages transsexuels des petites filles violées et sodomisées ou bien encore Petits Trous déchirés, salopes par-derrière, Pierre B. Reinhard propose un divertissement gratiné entre film d’épouvante et érotisme soft, le tout souligné par des répliques qui semblent tout droit tirées d’un gros boulard des années 1970. Cette récréation éminemment sympathique, très drôle, foncièrement absurde n’en demeure pas moins animée par une véritable envie de cinéma, de faire plaisir aux spectateurs, alors peu dupes quant à la qualité relative du produit qu’on lui propose. La Revanche des mortes-vivantes joue avec les codes du film de zombies, passés à la sauce franchouillarde où le réalisateur ne peut s’empêcher de rajouter quelques boobs et pubis qui se confondent avec les motifs fleuris du papier peint et les partis pris quelque peu douteux de la photographie. En résulte un film fourre-tout, très drôle, gentiment gore (la fausse couche avec bébé apparent fait son effet) et au final nawak, le tout martelé par une bande originale très soignée signée Christopher Reid.

Un conducteur de camion-citerne contenant du lait prend en stop Sonia, une jeune fille peu farouche. Il s’arrête avec elle dans un moulin abandonné et un complice de cette dernière (qui en fait est une prostituée en mission) en profite pour verser dans la citerne un produit toxique. Très vite, trois jeunes femmes qui ont consommé ce lait contaminé meurent instantanément. On apprend que cette manœuvre est orchestrée par Brigitte, la secrétaire d’Alphan, le patron de l’usine de lait O.K.F., afin de le faire chanter. De mèche avec une autre prostituée, elle filme les ébats d’Alphan préalablement drogué. Parallèlement, Alphan confie l’évacuation de ses déchets toxiques à Nimier, un aventurier sans scrupules. Celui-ci déverse le produit dans le cimetière local, le liquide se répand dans le sol et atteint les tombes des trois jeunes victimes qui se transforment en mortes-vivantes. Celles-ci vont s’efforcer d’éliminer les uns après les autres tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à leur mort.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le scénariste et producteur Jean-Claude Roy, lui-même metteur en scène de films érotiques et pornographiques (La grande enfilade, À pleine bouche, Couple cherche esclave sexuel) se fait plaisir en imaginant les meurtres qui ponctuent cette Revanche des mortes-vivantes. Une femme est énucléée, une autre transpercée par une lame enfoncée dans le vagin, un homme est émasculé avec les dents, un autre est noyé dans sa piscine. Futur réalisateur du mythique Diable rose avec Roger Carel, Pierre Doris et surtout Brigitte Lahaie, Pierre B. Reinhard emballe son film avec les moyens mis à sa disposition (les autocollants sont mal ajustés sur les portières, les noms inscrits sur les tombes sont de travers, le générique contient quelques fautes d’orthographe comme « dialouges » et « concetpion musicale »), dans quelques coins paumés de la Sarthe (à La Ferté Bernard plus exactement), la machine à brouillard turbinant à fond pour instaurer quelques ambiances à la nuit tombée. Les acteurs, tous très mauvais (un certain Georges Lucas est crédité au générique dans le rôle du gardien du cimetière), récitent leurs dialogues (en post-synchronisation souvent décalée avec le mouvement des lèvres des comédiens) sans y croire une seconde et pour la plus grande satisfaction des spectateurs avides de série Z.

Car bien sûr, La Revanche des mortes-vivantes ne cherche pas à se donner des airs de film plus ambitieux, même si le carton final ne peut s’empêcher de citer Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot, quant au rebondissement final à ne pas dévoiler. Toutefois, le film n’est pas dénué de qualités, comme notamment les maquillages réalisés par un débutant du nom de Benoît Lestang (1964-2008), qui allait devenir l’un des plus grands spécialistes français en la matière en contribuant à des œuvres aussi variées que La Cité des enfants perdus, Martyrs, en passant par Le Pacte des loups et Arsène Lupin. Une chose est sûre, c’est qu’aujourd’hui La Revanche des mortes-vivantes conserve un charme rétro évident, que le film est devenu culte auprès de nombreux spectateurs et que son capital sympathie est total.

LE BLU-RAY

La Revanche des mortes-vivantes proposé en Haute-Définition ! EN BLU-RAY !!! Vous vous rendez compte ? A cette occasion, Le Chat qui fume a déroulé le tapis-rouge au film de Pierre B. Reinhard avec un superbe Digipack 3 volets, le tout glissé dans un étui cartonné liseré rouge. Cette édition comprend le DVD, le Blu-ray, ainsi que le CD de la bande originale de Christopher Reid (42’), éditée par Omega Productions Records. Egalement glissé dans le Digipack, nous trouvons un encart de deux pages écrit par Christophe Lemaire. Edition limitée à 1000 exemplaires.

On commence cette interactivité avec une interview de Pierre B. Reinhard (26’). Le réalisateur de La Revanche des mortes-vivantes revient sur ses études aux Beaux-Arts, puis sur ses débuts au cinéma comme stagiaire auprès de cinéastes tels que René Clair et Henri Verneuil. C’est alors qu’il souhaite apprendre le montage et qu’il rencontre Léon Kikoïne, qui lui présente à son tour son fils Gérard, qui allait lui apprendre les ficelles du métier sur des films pornographiques. Pierre B. Reinhard évoque également sa rencontre avec Claude Mulot, ses premières mises en scène et explique qu’il n’a jamais été friand des films d’horreur. Il revient sur les conditions de tournage du film qui nous intéresse (-18 degrés dans un patelin de la Sarthe), sur les effets spéciaux réalisés par Benoît Lestang, sur la sortie de La Revanche des mortes-vivantes, sur la fin alternative et la transformation des circuits de distribution à la fin des années 1980.

Dans un document d’archives datant de 2005, le scénariste et producteur Jean-Claude Roy et le responsable des effets spéciaux Benoît Lestang partagent leurs souvenirs et anecdotes sur La Revanche des mortes-vivantes (16’30), tout en se remémorant leur rencontre par l’intermédiaire de Jean Rollin. Visiblement très complices, les deux hommes, aujourd’hui décédés, s’attardent sur le casting des comédiennes, la censure, le succès du film avec 50.000 entrées à Paris, 200.000 entrées sur 20 copies distribuées sur toute la France.

Nous retrouvons Benoît Lestang dans un entretien réalisé en 2008 à l’occasion de la sortie dans les bacs du DVD de Martyrs de Pascal Laugier (15’). Recevant deux journalistes dans son atelier, le magicien des effets spéciaux présente quelques-unes de ses réalisations et parle de son travail, de ses débuts, de sa rencontre avec Jean Rollin. Véritable artisan et passionné par son métier, Benoît Lestang évoque également The Thing de John Carpenter, sa visite de l’atelier de Rick Baker à Los Angeles, les effets de Men In Black et clôt cette interview en parlant du rouleau compresseur des images numériques. Il précise avoir été estomaqué par le rendu du personnage de Davy Jones, interprété par Bill Nighy dans Pirates des Caraïbes : Le Secret du coffre maudit. Un très beau document.

Il est encore question de Benoît Lestang à travers une rencontre très émouvante et pudique de Christophe Lemaire (33’). Ce dernier dresse un formidable portrait de celui avec lequel il a visiblement fait les 400 coups. « J’ai été le premier à le connaître dans le métier et le dernier à le voir » dit-il en se rappelant leur rencontre au début des années 1980 dans le quartier des Gobelins à Paris. Les anecdotes personnelles et très touchantes s’enchaînent. Christophe Lemaire parle des rencontres déterminantes de Benoît Lestang (Jean Rollin notamment), bourreau de travail qui travaillait sept jours sur sept dans la cave étriquée de ses parents. De sa proximité avec Mylène Farmer (il avait créé la célèbre poupée du clip de Sans contrefaçon) à l’aboutissement de sa carrière sur Martyrs de Pascal Laugier, en passant par son souhait de devenir réalisateur, jusqu’à son suicide, Christophe Lemaire rend un formidable hommage à son ami.

Dernier segment disponible, nous trouvons une petite séquence bêtisier durant laquelle Jean-Claude Roy et Benoît Lestang présentent (ou tentent de présenter plutôt) La Revanche des mortes-vivantes pour sa diffusion sur Ciné FX (2005-4’).

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Hormis quelques pompages (on parle ici d’image hein petits coquins), de légers fourmillements et une perte de détails sur les scènes sombres, ce master HD de La Revanche des mortes-vivantes tient ses promesses. Les partis pris sont respectés, à savoir les couleurs fanées et grisâtres, quelques plans luminescents, une texture argentique souvent grumeleuse, tout en profitant réellement d’une élévation en Haute-Définition. La propreté n’est jamais prise en défaut, les noirs sont denses, même le réalisateur n’aurait jamais pu penser un jour voir son film aussi net et aussi beau ! C’est kitsch, ça se voit et pourtant cela ravit les yeux. Allez comprendre…

Film français peut-être, mais il semble que les dialogues aient été repris en post-synchronisation dans leur quasi-globalité. Il n’est donc pas rare que le volume change au cours d’un échange entre les voix enregistrées sur le plateau et les répliques reprises dans un second temps. Mention spéciale à la nullité des acteurs encore une fois, avec une nette préférence pour le scientifique et pour le saboteur qui ne peut s’empêcher de s’exprimer en jouant avec les mains. Les voix sont souvent étouffées. L’éditeur joint également les sous-titres anglais, ainsi qu’une piste sonore dans la langue de Shakespeare. N’hésitez pas à visionner quelques scènes (ou tout le film soyons fous) dans cette langue pour comparer les intonations avec celles de la version française.

Crédits images : © OB FILMS / Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Amour et mort dans le jardin des Dieux, réalisé par Sauro Scavolini

AMOUR ET MORT DANS LE JARDIN DES DIEUX (Amore e morte nel giardino degli dei) réalisé par Sauro Scavolini, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Le Chat qui fume

Acteurs : Erika Blanc, Peter Lee Lawrence, Ezio Marano, Rosario Borelli, Orchidea de Santis, Franz von Treuberg, Vittorio Duse, Bruno Boschetti, Carla Mancini…

Scénario : Sauro Scavolini, Anna Maria Gelli

Photographie : Romano Scavolini

Musique : Giancarlo Chiaramello

Durée : 1h29

Année de sortie : 1972

LE FILM

Se rendant dans la petite ville de Spoleto, près de Pérouse, pour des travaux d’études, un ornithologue allemand s’installe dans une propriété isolée au milieu d’un parc immense, abandonnée par les derniers occupants depuis plusieurs années. Au cours d’une de ses promenades, il découvre des bandes magnétiques dissimulées derrière des buissons et entreprend de les écouter. Il entre ainsi dans l’intimité d’Azzurra, jeune femme perturbée à la sexualité déviante, qui se confie à son psychiatre. Le scientifique ignore que la découverte de ces bandes le met en danger de mort.

Quel beau titre ! Amour et mort dans le jardin des DieuxAmore et morte nel giardino degli dei (1972) est à ce jour le premier des deux longs métrages réalisés par le metteur en scène Sauro Scavolini pour le cinéma avec Un foro nel parabrezza (1985) avec Vittorio Mezzogiorno et Mimsy Farmer. Plus connu pour son travail de scénariste – ou de dialoguiste sur La Femme infidèle de Claude Chabrol – sur des films aux titres explicites Je vais, je tire et je reviens, Creuse ta tombe Garringo, Sabata revient, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé et le formidable Le cynique, l’infâme, le violent d’Umberto Lenzi, Sauro Scavolini s’incruste dans le cinéma d’exploitation au début des années 1970, mais privilégie la psychologie aux meurtres du giallo. Amour et mort dans le jardin des Dieux est une très belle surprise, qui n’a de cesse de déjouer les attentes du spectateur à travers une recherche fouillée des personnages, et ce du début à la fin.

Un ornithologue allemand âgé, Martin, s’installe dans une villa isolée située à l’intérieur d’un grand parc afin de mener à bien ses études sur différents oiseaux. Lors d’une promenade nocturne, il découvre par hasard des bandes magnétiques chiffonnées. Intrigué par sa découverte, il se met en tête de les nettoyer puis à les écouter grâce à son magnétophone. Il y découvre différentes séances de psychanalyse de l’ancienne propriétaire de la demeure, Azzura. En les rembobinant pour les écouter, malgré lui, le vieil homme assiste à un drame conjugal raconté par la défunte qui s’est conclu par son meurtre. Abandonnés depuis leur tendre enfance, depuis la mort de leur père en Afrique et l’absence de leur mère, Manfredi et sa sœur Azzura sont inséparables. Il s’est même tissé entre eux un lien presque incestueux où l’amour et la haine se mêlent. Mais leur proximité est perturbée lorsque Azzura épouse un célèbre pianiste, Timothy. Son frère ne supporte pas leur séparation et tente de l’oublier avec une autre femme, Viola.

Né en 1934, Sauro Scavolini, fait ses études – comme beaucoup de ses futurs confrères – au Centro sperimentale du cinematografia à Rome. Durant sa carrière, il s’associera avec le réalisateur Sergio Martino et le scénariste Ernesto Gastaldi, avec une prédilection pour le western et le thriller, sur près d’une quinzaine de films pour le cinéma et la télévision. Amour et mort dans le jardin des Dieux est son premier essai derrière la caméra et le moins que l’on puisse dire c’est que Sauro Scavolini s’en sort très bien. D’ailleurs, c’est une histoire de famille. Sauro occupe le poste de metteur en scène et de scénariste, tandis que son frère Romano est crédité en tant que directeur de la photographie et produit également le film aux côtés d’Armando Bertuccioli (La Soeur d’Ursula d’Enzo Milioni). Alors non, Amore e morte nel giardino degli dei n’est pas un giallo, mais s’inspire plutôt de Blow Upde Michelangelo Antonioni. Le réalisateur installe ses personnages troubles, avec une perversité croissante qui contraste avec la sérénité inspirée par un décor verdoyant, apaisant et luxuriant. Une fois le décor dressé, Sauro Scavolini peut lâcher ses protagonistes, dont les superbes Erika Blanc et Orchidea de Santis, qui se perdent dans une confusion des sentiments, souvent contre-nature, qui conduisent au point de non-retour dans une explosion de violence et de sang.

Les retournements de situation se tiennent sur un rythme lent mais maîtrisé, la musique de Giancarlo Chiaramello est très belle, tout comme la lumineuse photographie de Romano Scavolini. Si le cinéma d’exploitation transalpin aura accueilli moult cinéastes qui voulaient essayer d’avoir leur part du gâteau, Sauro Scavolini s’en tire haut la main et mérite une place de choix avec son Amour et mort dans le jardin des Dieux.

LE BLU-RAY

Troisième titre de la salve du Chat qui fume éditée au mois de mars 2019, Amour et mort dans le jardin des Dieux apparaît au cinéphile déviant sous la forme d’un Digipack 3 volets avec étui cartonné liseré jaune. Un objet constitué du DVD et du Blu-ray, limité à 1000 exemplaires. Le menu principal est animé et musical.

En guise de suppléments, Le Chat qui fume nous propose deux entretiens. Le premier est une rencontre avec la comédienne Erika Blanc (20’). L’actrice de Moi, Emmanuelle, Ni Sabata, ni Trinità, moi c’est Sartana, Django arrive, préparez vos cercueils et de plus d’une centaine de titres du même acabit, revient (en français) sur la production et le tournage d’Amour et mort dans le jardin des Dieux. Erika Blanc évoque également ses études en France, ses débuts au cinéma, la direction d’acteurs de Sauro Scavolini, sa grande amitié avec son partenaire Peter Lee Lawrence. Puis, la comédienne dit être très heureuse que ces films « rejetés par l’intelligentsia et la critique italienne » soient enfin redécouverts et surtout adorés par de jeunes spectateurs, avant d’adresser un message à ses fans français.

Autre interview sur cette galette, celle d’Orchidea de Santis (27’). L’actrice du Décameron interdit partage à son tour moult anecdotes sur les conditions de tournage du film qui nous intéresse. A l’instar d’Erika Blanc, la comédienne se souvient de ses débuts au cinéma, avant d’en venir plus précisément sur le travail des frères Scavolini, les lieux de tournage et ne tarit pas d’éloges sur le producteur Armando Bertuccioli (« un homme vraiment extraordinaire »). Orchidea de Santis défend son personnage dans Amour et mort dans le jardin des Dieux, parle de ses partenaires, de son rapport à la nudité à l’écran et avoue avoir apprécié la scène d’amour avec son partenaire Peter Lee Lawrence, elle qui avait pour habitude de se retrouver à l’écran « avec des mecs laids comme des poux ».

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Sublime ! Quelle beauté ! Les couleurs sont éclatantes dès le premier plan avec des teintes vertes et des rouges très riches et bigarrées. Le piqué est acéré comme la lame d’un scalpel, les gros plans étonnants de précision, les détails foisonnent du début à la fin et la propreté de la copie est irréprochable. Qu’ajouter de plus ?

Seule la version originale est disponible. Les dialogues sont parfois quelque peu étouffés et un léger souffle se fait entendre. C’est néanmoins nickel et certaines scènes sont même étonnamment vives. Les sous-titres français ne sont pas verrouillés.

Crédits images : © REWIND FILMS / Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Le Cirque de la peur, réalisé par John Llewellyn Moxey

LE CIRQUE DE LA PEUR (Circus of fear – Psycho-Circus) réalisé par John Llewellyn Moxey, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Le Chat qui fume

Acteurs :  Christopher Lee, Leo Genn, Anthony Newlands, Heinz Drache, Eddi Arent, Klaus Kinski, Margaret Lee, Suzy Kendall, Cecil Parker, Victor Maddern…

Scénario : Harry Alan Towers, d’après le roman The Three Just Man, d’Edgar Wallace

Photographie : Ernest Steward

Musique : Johnny Douglas

Durée : 1h31

Année de sortie : 1966

LE FILM

Un fourgon blindé transportant des sacs remplis de billets de banque est braqué par un gang près du Tower Bridge. Le butin est ensuite dissimulé dans le Cirque Barberini par l’un des membres. Coïncidence ? Le cirque est bientôt la proie d’étranges meurtres au couteau visant son personnel. Un inspecteur de police chevronné mène alors l’enquête, laquelle s’annonce difficile, tant les suspects au sein de la troupe sont nombreux.

Belle démonstration que ce Cirque de la peurCircus of Fear (ou bien encore Psycho-Circus aux Etats-Unis, sorti dans une version tronquée et en N&B), réalisé par John Llewellyn Moxey en 1965 et sorti sur les écrans en 1966. Habitué des séries télévisées et téléfilms britanniques, le réalisateur emballe ce petit film qui oscille entre le film de casse et le cinéma d’horreur, le tout prenant la forme d’un whodunit à la Cluedo, dont la particularité est de voir son récit se dérouler sous le chapiteau d’un cirque. Interprété entre autres par Christopher Lee et Klaus Kinski, Le Cirque de la peur fait partie de ces longs métrages qui prennent aujourd’hui l’allure d’un épisode de série vintage dont le charme perdure grâce à sa mise en scène rigoureuse, la tenue de ses comédiens, son suspense maintenu du début à la fin, son rythme maîtrisé et son sens du divertissement.

À Londres, un dimanche matin, sur le Tower Bridge, une bande de malfaiteurs dévalisent une camionnette transportant d’importantes sommes d’argent. Après avoir bloqué le convoi avec leur voiture et braquer les convoyeurs, dont l’un est tué par son collègue complice des voleurs, se sont enfuis sur la Tamise à bord d’un canot à moteur. L’un d’entre eux, Mason, est chargé par leur commanditaire de lui ramener sa part du butin. Alors que ses acolytes sont arrêtés par la police, Mason se rend à son lieu de rendez-vous, un cirque à l’apparence abandonné, avec son chef mais il est aussitôt tué par un adroit lancer de couteaux et l’argent est aussitôt volé. La piste des billets dérobés, tous marqués, permet à l’inspecteur Elliott, chargé de l’enquête, de remonter jusqu’au campement d’hiver du cirque Barberini où des artistes ont dépensé de l’argent du casse. Afin d’y passer inaperçu , il se fait passer pour un photographe, désireux de faire un reportage sur la troupe. De Monsieur Loyal au lanceur de couteau, en passant par le trapéziste et le dompteur de fauves, tous semblent avoir quelque chose à cacher…

A la base du Cirque de la peur, il y a un roman du prolifique Edgar Wallace, écrivain et journaliste britannique, resté célèbre pour avoir participé à la création de King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack en 1933. Spécialiste du roman policier, du thriller anglais, d’aventures et de poursuite, toujours mâtiné d’enquête et de déduction, il signera 170 ouvrages en moins de trente ans, du début du XXe siècle, jusqu’à sa mort en 1932 à l’âge de 56 ans. A l’instar de ses meilleurs ouvrages, Le Cirque de la peur est mené tambour battant avec une succession quasi-ininterrompue d’actions et de revirements, jusqu’au final inattendu. L’auteur de la série des Quatre Justiciers, de Mr. J. G. Reeder, de l’Inspecteur Elk, de Sanders et bien d’autres, intéressera très vite le cinéma puisque les adaptations de ses nouvelles, romans et pièces de théâtre remontent déjà aux années 1920. C’est aussi et surtout en Angleterre et en Allemagne que ses écrits seront transposés en masse. Le Cirque de la peur, transposition de la nouvelle The Three Just Man, apparaît deux ans après la série The Edgar Wallace Mystery Theatre, 22 épisodes réalisés entre 1960 et 1964, dont six avaient déjà été réalisés par John Llewellyn Moxey.

Ce dernier s’empare du scénario écrit par Harry Alan Towers (également producteur) et signe un film policier très soigné, aux personnages troubles, énigmatiques et marquants, où les crimes à l’arme blanche et l’humour so british se confrontent pour notre plus grand plaisir durant 1h30. Certes Christopher Lee et Klaus Kinski apparaissent au générique, mais surtout comme seconds rôles (surtout le deuxième), et c’est surtout le comédien Leo Genn (Quo Vadis, Moby Dick, Le Jour le plus long, Le Venin de la peur) qui se distingue surtout dans ce film choral, dans le rôle de l’inspecteur Elliott. Autour de lui, tels des électrons qui s’agitent et périclitent, s’affolent tout un tas de protagonistes, dont le curieux Gregor (Christopher Lee donc), dont le visage demeure dissimulé sous une cagoule les trois quarts du film. Cela n’empêche pas l’immense acteur de s’imposer avec sa voix inimitable et son regard perçant. On appelle ça le charisme. N’oublions pas également le charme des deux actrices Suzy Kendall (L’Oiseau au plumage de cristal) et Margaret Lee (Les Insatisfaites poupées du docteur Hitchcock), mises en valeur par la belle photographie d’Ernest Steward (Les 13 fiancées de Fu Manchu).

John Llewellyn Moxey est un solide technicien – la séquence d’ouverture du casse sur le véritable Tower Bridge est d’ailleurs un brillant échantillon de son savoir-faire – qui sera repéré par l’industrie américaine et qui passera le reste de sa carrière à travailler sur de multiples séries de renoms comme Hawaï, police d’état, Mission impossible, Mannix, Magnum et Arabesque. Le Cirque de la peur est l’une de ses rares incursions au cinéma et mérite largement d’être découvert.

LE BLU-RAY

Le Cirque de la peur fait son apparition en combo Blu-ray/DVD chez Le Chat qui fume. Les deux disques reposent tranquillement dans un Digipack 3 volets avec étui cartonné du plus bel effet et au magnifique visuel coloré. Superbe objet. Le menu principal est animé et musical. Edition limitée à 1000 exemplaires. Nous trouvons également un petit encart de quatre pages signé Christophe Lemaire, qui signe une déclaration d’amour pour Christopher Lee.

Outre un lot de bandes-annonces, nous trouvons sur cette édition une présentation du Cirque de la peur par Eric Peretti (19’). Le programmateur au Lausanne Underground Film et Music Festival, ainsi qu’aux Hallucinations collectives de Lyon retrace avec une passion toujours contagieuse les origines du Cirque de la peur avec moult anecdotes de production et de tournage, un tableau dressé du casting, les portraits du producteur Harry Alan Towers et du réalisateur John Llewellyn Moxey, sans oublier une grande partie consacrée à l’écrivain Edgar Wallace. On apprend notamment qu’il existe une version allemande du film, en N&B, amputée de quelques séquences et comprenant un happy-end, qui a quand même été interdite aux moins de 18 ans à sa sortie.

L’Image et le son

Que voilà un beau master ! Rien à signaler sur la propreté et la stabilité de la copie, c’est impeccable, immaculé même. Point de scories, de points noirs ou autres griffures constatés, le master est irréprochable avec des couleurs éclatantes dans les coulisses du cirque, volontairement plus terne avec un ciel grisâtre dans la première partie londonienne. Le piqué est surprenant, vif, tandis que la patine argentique flatte constamment les rétines. Mention spéciale aux gros plans, notamment la tronche de Klaus Kinski, riche en détails avec également un teint naturel des visages. Le film utilise quelques stock-shots sur les numéros de cirque et la définition est forcément plus chancelante avec un grain plus appuyé et des teintes plus fanées. Mais cela ne dure que quelques secondes. Le film est proposé dans sa version intégrale.

La belle partition à la trompette de Johnny Douglas s’accompagne de sensibles saturations. Les dialogues sont en revanche solides et dynamiques, aucun souffle ne vient parasiter l’écoute. Signalons quelques légers « couinements » à la 55e minute. L’ensemble est très clair et les sous-titres français non imposés. Seule la version originale est disponible.

Crédits images : © Liliom Audiovisuel / Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr