LE PRIX DU SUCCÈS réalisépar Teddy Lussi-Modeste,disponible en DVD chez Ad Vitam le 9 janvier 2018
Avec : Tahar Rahim, Roschdy Zem, Maïwenn, Grégoire Colin, Sultan, Ali Marhyar…
Scénario : Teddy Lussi-Modeste, Rebecca Zlotowski
Photographie : Julien Poupard
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 2017
LE FILM
Brahim est un humoriste en pleine ascension. Sa réussite, il la doit à lui-même et à l’amour qu’il porte à Linda. Bon fils, il soutient les siens depuis toujours. Mais pour durer, Brahim doit sacrifier son grand frère, manager incontrôlable. Si l’échec peut coûter cher, Brahim va payer un tribut encore plus lourd au succès.
Issu de la communauté des Gens du Voyage, Teddy Lussi-Modeste, né en 1978, intègre la FEMIS et se fait déjà remarquer en 2004 avec son court-métrage Embrasser les tigres. Avec son premier long-métrage Jimmy Rivière (2011), coécrit avec la réalisatrice de Belle épine Rebecca Zlotowski, Teddy Lussi-Modeste filme à nouveau sa communauté et s’interroge sur la question de l’appartenance au groupe et la manière dont on peut s’en affranchir. Après ce vrai coup de maître, on attendait des nouvelles du réalisateur. Ce dernier revient en très grande forme avec Le Prix du succès, également coécrit avec Rebecca Zlotowski. Avec honnêteté, sincérité et réalisme, tout en empruntant parfois la voie du romanesque, Teddy Lussi-Modeste démontre avec son nouveau film qu’il est devenu un cinéaste important et passionnant.
Le Prix du succès s’inspire du propre vécu de son auteur et plus particulièrement de ses proches et amis qui croyaient que le réalisateur allait devenir riche en intégrant le monde du cinéma. Teddy Lussi-Modeste se focalise ici sur un jeune artiste de stand-up, Brahim, interprété par Tahar Rahim, qui fête ses dix ans de succès sur scène et qui souhaite évoluer dans son métier. Seulement voilà, Brahim travaille également avec son frère aîné Mourad, génialement incarné par Roschdy Zem, son manager, qui lui sert également de chauffeur et de garde du corps. Homme sanguin, impulsif, Mourad ne se rend pas compte qu’il étouffe Brahim jusqu’à ce que ce dernier, amoureux de Linda (Maïwenn), désire s’émanciper, prendre un agent (Grégoire Colin) et voler de ses propres ailes. Mourad prend alors la mouche et entre dans une spirale de violence, tandis que Brahim, vit de plus en plus mal la situation en voyant son équilibre familial s’écrouler.
De l’aveu même de Teddy Lussi-Modeste, Le Prix du succès aurait pu tout aussi bien se dérouler dans le domaine du sport ou du cinéma. Le stand-up n’est donc pas le sujet du film. Ce qui intéresse avant tout le cinéaste, c’est observer comment la cellule familiale, ici maghrébine, peut éclater en raison de la réussite professionnelle et la notoriété d’un de ses membres et comment ce succès peut engendrer jalousies et convoitises. Ici, Mourad est réellement convaincu d’avoir contribué au succès et à l’aisance financière de son frère et attend donc quelque chose en retour, comme s’il avait une dette envers lui. Alors quand il apprend que Brahim a de nouveaux projets, mais qu’il n’en fait pas partie, Mourad voit rouge et essaye même de retourner leur famille contre lui ou de s’en prendre violemment à la compagne de son frère.
Un sujet fort et original que Teddy Lussi-Modeste prend à bras le corps et met en scène avec efficacité et parfois même une tension digne d’un véritable thriller, surtout dans son dernier acte qui fait souvent mal à l’estomac. A ce titre, Roschdy Zem, remarquable, compose le plus beau personnage du film, capable d’un amour incommensurable pour son frère, mais aussi d’une violence sèche et brutale, aussi bien physique que verbale, envers lui. A l’heure où les nominations aux César ne sont pas encore tombées pour la cérémonie qui se tiendra début mars 2018, espérons que l’académie saura reconnaître le talent et la réussite du second long métrage de Teddy Lussi-Modeste, ainsi que l’excellence de ses interprètes !
LE DVD
Le DVD du Prix du succès, disponible chez Ad Vitam, est logé dans un boîtier classique de couleur blanche. Le menu principal est élégant, animé et musical.
La section des bonus propose tout d’abord une interview du réalisateur Teddy Lussi-Modeste (9’). Ce dernier aborde la genèse du Prix du succès, inspiré par quelques situations qu’il a lui-même connues, l’écriture du scénario avec Rebecca Zlotowski, ainsi que les thèmes abordés. Il insiste également sur le fait que le stand-up n’est pas ici le sujet principal du film, mais sert plutôt de « décor » comme aurait pu l’être également le théâtre ou le sport. Néanmoins, cela n’a pas empêché le cinéaste de faire quelques recherches sur ces performances, en s’inspirant de la vie de Jamel Debouzze. Teddy Lussi-Modeste se souvient également de sa rencontre avec les comédiens.
On retrouve d’ailleurs Tahar Rahim et Roshdy Zem dans un entretien court, mais souvent passionnant (8’). Les deux acteurs, visiblement complices, parlent de la notoriété et de ses travers, sur ce que la célébrité implique et ce qu’elle provoque chez certaines personnes. Tahar Rahim s’exprime également sur sa préparation pour les scènes de stand-up.
L’interactivité se clôt sur deux scènes coupées (4’30) et la bande-annonce.
L’Image et le son
Pas d’édition HD pour Le Prix du succès. Néanmoins, le film de Teddy Lussi-Modeste bénéficie d’un beau traitement de faveur en DVD. Les contrastes sont à l’avenant, la luminosité des scènes diurnes est éclatante, le piqué acéré y compris en intérieur, les noirs sont denses. Evidemment, la propreté est de mise, les détails foisonnent aux quatre coins du cadre, et hormis quelques saccades notables sur divers mouvements de caméra, la colorimétrie demeure agréablement naturelle, précise et classe.
L’éditeur joint une piste Dolby Digital 5.1 qui instaure une spatialisation musicale indéniable. Les ambiances naturelles et les effets annexes sont plutôt rares et la scène acoustique reste essentiellement frontale. De ce point de vue il n’y a rien à redire, les enceintes avant assurent tout du long, les dialogues étant quant à eux exsudés avec force par la centrale. La Stéréo n’a souvent rien à envier à la DD 5.1. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également de la partie, ainsi qu’une piste Audiodescription.
3615 CODE PÈRE NOËL réalisépar René Manzor,disponible en combo Blu-ray+DVD chez Le Chat qui fume le 12 décembre 2017
Avec : Brigitte Fossey, Louis Ducreux, Patrick Floersheim, Alain Musy-Lalanne, François-Eric Gendron, Stéphane Legros, Franck Capillery, Nicole Raucher, Gédéon, Mousse…
Scénario : René Manzor
Photographie : Michel Gaffier
Musique : Jean-Félix Lalanne
Durée : 1h30
Date de sortie initiale : 1990
LE FILM
Il a 9 ans. Il s’appelle Thomas. Il croit au Père Noël. Il a 2 passions : l’informatique et les super-héros. Le 24 décembre, caché sous la table de la salle à manger, Thomas attend l’arrivée du Père Noël, bien décidé à le capturer. Mais, ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il est sur le point de vivre la nuit la plus terrifiante de toute sa vie. Un duel sans merci va l’opposer à un psychopathe.
C’est un film qui revient de loin. Pourtant, ceux qui ont eu la chance de découvrir 3615 Code Père Noël, en ouverture du Festival international du Film Fantastique d’Avoriaz le 13 janvier 1990, durant sa courte exploitation au cinéma ou lors d’une diffusion sur Canal+, ne l’ont jamais oublié. Et pour cause, puisque le second long métrage de René Manzor (né en 1959) est un chef d’oeuvre, une immense référence du cinéma de genre français qui n’a pourtant connu aucun succès dans les salles et longtemps resté incompris. Virtuose, captivant, 3615 Code Père Noël est un véritable conte qui invite le spectateur à entrer dans un univers foisonnant, immédiatement attachant, chaleureux, qui vire ensuite au survival et à l’épouvante, avec une maîtrise exceptionnelle.
Thomas, 9 ans, vit avec sa mère, patronne d’un grand magasin de la capitale et son grand-père, vieil homme quasi-aveugle et atteint de diabète, dans le château familial situé en région parisienne. Ce qu’il préfère faire pour passer ses journées ? Se déguiser comme Arnold Schwarzenegger dans Commando (ou Sylvester Stallone dans Rambo, choisissez) et jouer à la guerre, en poursuivant son chien dans les couloirs de l’immense bâtisse, tout en utilisant des passages-secrets et trappes dissimulées. Il aime aussi les gadgets électroniques, se débrouille comme un as en informatique et sait se servir du Minitel. Le soir du réveillon, un homme solitaire travaille comme père Noël pour le magasin de la mère de Thomas. Suite à une altercation avec une petite fille, il se fait renvoyer et souhaite alors se venger. Il se cache dans une fourgonnette chargée de cadeaux destinés au fils de son ex-patronne. De son côté, bien décidé à prouver à son meilleur ami que le Père Noël existe, Thomas prépare des caméras de surveillance et attend patiemment l’arrivée de la houppelande rouge, devant la cheminée. A minuit pile, Thomas se retrouve nez à nez avec un psychopathe à la barbe blanche. Le duel peut alors commencer.
Révélé par Le Passage avec Alain Delon, deux millions d’entrées en France à sa sortie en décembre 1986, René Manzor signe un véritable coup de maître après son premier coup d’essai déjà très impressionnant. 3615 Code Père Noël n’est pas un film fantastique, mais joue avec les codes du genre pour plonger l’audience dans un univers sombre et même parfois gothique, dont les partis pris – photo de Michel Gaffier – convoquent les films de la Hammer, mais fait aujourd’hui curieusement écho à Edward aux mains d’argent de Tim Burton qui n’était pas encore sorti et d’ailleurs même pas encore tourné. C’est dire l’immense réussite de ce deuxième film !
Adieu au monde de l’enfance, récit initiatique, drame sur le dysfonctionnement familial, thriller d’aventure et psychologique, 3615 Code Père Noël est un film riche, composé de diverses strates qui pourraient s’opposer et former un gloubi-boulga sans consistance, mais c’était sans compter sur l’immense talent de René Manzor, qui fait fi d’un budget limité et entièrement produit par son frère Francis Lalanne, grâce aux recettes du Passage où il officiait en tant que coproducteur avec Alain Delon. Bourré d’imagination, le cinéaste déploie toute sa maestria visuelle au service d’un scénario original. Chaque plan contient une idée (minimum) de mise en scène, chaque plan est étudié (à l’avance avec un storyboard), chaque plan en met plein les yeux.
Si le film est évidemment représentatif de son époque avec la coupe mulet du jeune héros, son clip vidéo intégral de la chanson Merry Christmas de Bonnie Tyler intégré à la narration, son esthétique eighties avec ses ambiances monochromes et voilées, sans oublier ses cadres obliques, 3615 Code Père Noël échappe pourtant aux moqueries qui accompagnent souvent ces réminiscences. D’une part parce que René Manzor croit à son histoire et qu’il la raconte divinement bien. D’autre part, il peut également compter sur l’investissement de ses comédiens, en particulier sur l’interprétation incroyable de son propre fils, Alain Musy (de son vrai nom Alain Lalanne), qui interprétait le fils d’Alain Delon dans Le Passage. Aussi à l’aise dans les scènes intimistes, quand il donne la réplique à la sublime Brigitte Fossey ou au touchant Louis Ducreux, que dans les scènes très physiques de la seconde partie où il n’est vraiment pas ménagé, Alain Musy, incroyable de charisme, foudroie le spectateur, lequel s’attache immédiatement à ce petit garçon sans père, seul, qui parvient à « s’évader » grâce à son immense imagination d’enfant, par ailleurs surdoué.
Quant au fameux Père Noël en question, il est incarné par l’immense Patrick Floersheim, acteur polymorphe vu dans French Connection 2 de John Frankenheimer, Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, Frantic de Roman Polanski, mais plus connu pour avoir prêté sa sublime voix à Michael Douglas, Jeff Bridges, Ed Harris, Robin Williams, Christopher Walken, Willem Dafoe, Dennis Hopper. Un monstre du doublage, un très grand comédien. Il est parfait dans ce rôle ambigu, sorte de grand enfant resté bloqué au temps de l’innocence, gamin dans un corps d’adulte qui souhaite avant tout s’amuser. Tour à tour effrayant, sympathique et même drôle avec un humour noir contagieux, ce Père Noël atypique devient un ogre une fois minuit passé. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, ce sont tous les pièges astucieux tendus par Thomas, qui redouble d’inventivité pour contrer son adversaire, quitte à utiliser le feu. Non seulement Thomas doit penser à se protéger lui-même, mais il doit également s’occuper de son grand-père, qui au départ prend cela pour un nouveau délire de son petit-fils. Il va alors très vite déchanter.
René Manzor filme les moindres recoins de son incroyable décor et ses personnages lâchés dans un vrai labyrinthe comme des souris poursuivis par un chat sauvage. Un face à face également soutenu par la partition très inspirée du troisième frère Lalanne, Jean-Félix, composante essentielle de la narration. Difficile de ne pas penser à Maman, j’ai raté l’avion – Home Alone de Chris Columbus, sorti sur les écrans in 1990. Il est évident que John Hughes, alors scénariste, a su puiser de nombreux éléments dans le film de René Manzor, tant quelques rebondissements et la débrouillardise de son jeune héros rappellent 3615 Code Père Noël. Les années et le travail de l’éditeur indépendant Le Chat qui fume permettent enfin de réhabiliter ce désormais grand classique, un film culte et audacieux, un bijou poétique, un chef d’oeuvre méconnu et sous-estimé du cinéma français.
LE BLU-RAY
Mais où s’arrêtera-t-il ? Ou plutôt non, prions pour qu’il ne s’arrête jamais ! Le Chat qui fume a encore frappé en proposant sa plus grande, sa plus dingue, sa plus complète édition à ce jour ! Anciennement disponible en VHS et LaserDisc, mais inédit en DVD, 3615 Code Père Noël est ENFIN là, dans les bacs (mais pas à litière), dans nos mains, dans un magnifique combo Blu-ray/Double DVD ! Immense travail éditorial. Les disques – un Blu-ray, deux DVDs – reposent dans un Digipack à trois volets avec au recto un visuel tiré de la séquence de la confrontation dans le garage, et au verso un portrait de Patrick Floersheim en Père Noël vénère. Une fois replié, ce Digipack est glissé dans un surétui cartonné liseré orange, reprenant le visuel mythique de l’affiche originale. Les menus principaux sont animés, bruités et musicaux. Attention, édition tirée à 2000 exemplaires ! Alors, si ce n’est pas déjà fait, précipitez-vous dessus !
La hotte du Père-Noël est pleine à craquer ! 4H30 de suppléments les enfants ! Il y en aura pour tout le monde ! Et chose incroyable, aucun bonus redondant à signaler, tous se complètent et se prolongent parfaitement.
On commence les festivités par un commentaire audio de René Manzor. Calmement, posément, le réalisateur aborde les conditions de production de 3615 Code Père Noël, en indiquant que certains éléments sont abordés ou plus approfondis dans son interview disponible également dans les bonus. Du coup, c’est comme si nous visionnions le film en compagnie de son auteur, qui revient sur chaque séquence, sur tous les aspects du tournage, sur les partis pris et son travail avec les comédiens. René Manzor rend un bel hommage à Patrick Floersheim, décédé en 2016, à qui le Blu-ray est dédié, comme un carton l’indique en avant-programme. Véritable production familiale avec un père derrière la caméra, son fils devant, l’un de ses frères à la production et l’autre à la musique, 3615 Code Père Noël est disséqué pour le grand plaisir de ses fans.
Vous pensiez que René Manzor vous avait tout dit sur son deuxième long métrage ? Erreur ! N’hésitez surtout pas à sélectionner son interview (1h29 !) qui donne de très nombreuses informations sur la genèse de 3615 Code Père Noël, sa rencontre avec Patrick Floersheim, sur les lieux de tournage (trois mois dans d’anciens hangars frigorifiques devenus les studios d’Arpajon, situés le long d’une voie de chemins de fer), le casting, le travail avec son fils Alain, les conditions des prises de vues, les effets visuels (maquettes, matte painting), la sortie du film, les ressemblances « troublantes » avec Home Alone – Maman, j’ai raté l’avion, les décors, ses influences (Marcel Carné, Jean Delannoy, Steven Spielberg, Brian De Palma), les héros des années 80, la musique de Jean-Félix Lalanne, la chanson de Bonnie Tyler, l’investissement personnel de Francis Lalanne en tant qu’unique producteur, ses intentions et les thèmes abordés. Le cinéaste aborde également le cinéma de genre en France, alors inexistant au début des années 90, le succès du Passage qui paradoxalement l’a empêché de tourner et conduit à monter des bandes-annonces pendant trois ans pour pouvoir gagner sa vie. Cette immanquable interview, blindée d’anecdotes de tournage et liée à la production, est illustrée par des extraits du making of d’époque, disponible un peu plus loin dans les suppléments.
Et le petit Alain Musy, de son vrai nom Alain Lalanne ? Qu’est-il donc devenu ? L’éditeur est allé à la rencontre du petit garçon qui a marqué tant de spectateurs dans Le Passage (1986) et 3615 Code Père Noël. Né en 1978, Alain Musy est devenu producteur dans le domaine des effets spéciaux à Hollywood. Il a notamment collaboré à des superproductions de renom comme Avatar, The Dark Knight, Gravity, Edge of Tomorrow, San Andreas et Le Revenant. Dans son entretien (41’), Alain Musy évoque ses débuts devant la caméra de son père dans Le Passage, puis deux ans plus tard (le film a été tourné en 1988) dans 3615 Code Père Noël. Les « Je me souviens » et « J’ai souvenir » s’enchaînent avec émotion, humilité et un naturel très attachants. Alain Musy revient sur cette expérience qui était « juste un jeu que je faisais avec ma famille », sur la genèse de 3615 Code Père Noël, donne son point de vue sur les thèmes du film, ses partenaires à l’écran et même sur sa coupe de cheveux ! Il clôt cette interview en se souvenant de la sortie de 3615 Code Père Noël, de son prix d’interprétation au Festival de Rome, que lui avait remis Christopher Lee, qu’il avait recroisé quelques années plus tard, lui rappelant cet événement et l’invitation à dîner du comédien qui s’ensuivit.
Passons à un module qui croise les interventions d’Alain Schlockoff, rédacteur-en-chef de l’Ecran Fantastique et de Jérôme Pham Van Bouvier, podcasteur (PODSAC) (19’). Si le premier ne peut s’empêcher de tomber dans ses travers habituels (« C’est moi qui », « Moi je… ») sur un rythme très lent, le second s’avère beaucoup plus pertinent et dynamique, tandis que sa passion et son admiration pour le travail de René Manzor se révèlent extrêmement contagieuses. Les propos des deux intervenants se complètent et donnent de nombreuses indications sur le cinéma de genre en France dans les années 1980-90, sur l’énorme contribution de René Manzor au genre fantastique hexagonal. Le fond et la forme de 3615 Code Père Noël sont également analysés, tout comme la mauvaise distribution du film à sa sortie, ce qui agace particulièrement Jérôme Pham Van Bouvier (« On est toujours à côté de la plaque ! ») qui n’hésite pas à balancer certains critiques français qui ont pour habitude de dénigrer le cinéma de genre. Merci Jérôme !
Nous trouvons ensuite le making of d’époque (9’), constitué d’images du plateau, du tournage et d’interviews d’Alain Musy, de Patrick Floersheim, du chef décorateur Eric Moulard, du producteur Francis Lalanne et du réalisateur René Manzor. C’est ici l’occasion d’avoir un réel aperçu des conditions de tournage, de la concentration et de l’étonnante maturité d’Alain Musy qui s’exprime sur son personnage (« il aime trop la guerre… »), tandis que René Manzor s’exprime sur sa façon de collaborer avec son fils. Chose amusante, la version de la chanson Merry Christmas diffusée sur le plateau au moment des prises de vue, est celle chantée par Francis Lalanne lui-même, imitant la voix de Bonnie Tyler !
Les amateurs de cinéma d’animation auront plaisir à trouver le court-métrage Synapses, réalisé en 1981 par René Manzor (5’). Grand prix du festival d’Hyères, Synapses est un petit film étonnant, dans lequel un clochard, qui s’est immiscé dans une pellicule de cinéma, s’assoit sur une chaise électrique, « filmée » par René Manzor qui apparaît brièvement face à sa création, et tente de construire un mur en plein désert.
On enchaîne rapidement sur le clip vidéo Merry Christmas de Bonnie Tyler réalisé par René Manzor (3’), un comparatif film/storyboard (7’), les bandes-annonces française, italienne et anglaise , ainsi que le teaser.
L’interactivité se clôt sur un module explicatif sur la réalisation du teaser (3’), ainsi qu’une large galerie de photos de tournage (18’), les deux suppléments étant commentés par le cinéaste lui-même.
L’Image et le son
Le Chat qui fume se devait d’offrir un Blu-ray soigné pour la sortie dans les bacs de ce film tant attendu et quasiment inédit depuis 30 ans. Et le résultat est exceptionnel. L’éditeur prend soin du film de René Manzor et livre un sublime master HD au format 1080p. Respectueuse des volontés artistiques originales concoctées par Michel Gaffier, la copie de 3615 Code Père Noël affiche une propreté ahurissante, restaurée 2K à partir du négatif original. Le film tire constamment et agréablement partie de la Haute-Définition (une vraie cure de jouvence) avec des teintes froides, glacées, une palette chromatique spécifique qui contraste avec la première partie plus chaleureuse, aux ambiances diffuses et ouatées, le tout soutenu par un encodage de haute volée. Le piqué est souvent tranchant, les arrière-plans sont détaillés, le relief plaisant, les noirs denses et les détails foisonnants. Cette édition Blu-ray offre à 3615 Code Père Noël la grande sortie dont il avait été injustement privé en 1990. Tout finit par arriver.
Point de remixage superflu à l’horizon, l’unique piste française DTS-HD Master Audio 2.0 – également restaurée – instaure un très large confort acoustique. La musique de Jean-Félix Lalanne, à redécouvrir absolument, bénéficie d’une large ouverture des canaux, les effets annexes sont riches et le report des voix très dynamique.Les sous-titres anglais sont également disponibles.
HANGOVER SQUARE réalisépar John Brahm,disponible en DVD et Blu-ray chez Rimini Editions le 3 janvier 2018
Acteurs : Laird Cregar, Linda Darnell, George Sanders, Glenn Langan, Faye Marlowe, Alan Napier…
Scénario : Barré Lyndon d’après le roman Hangover Square de Patrick Hamilton
Photographie : Joseph LaShelle
Musique : Bernard Herrmann
Durée : 1h17
Date de sortie initiale : 1945
LE FILM
Le cinéaste allemand John Brahm (1893-1982) fuit l’Allemagne à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. Il arrive à Hollywood et signe son premier long métrage Le Lys brisé en 1936, sous le nom d’Hans Brahm. Eclectique, John Brahm passe facilement du drame à la comédie, d’une Prison centrale à un Pensionnat de jeunes filles, quand la consécration arrive avec son thriller Laissez-nous vivre (1939) avec Henry Fonda et Maureen O’Sullivan. En 1942, The Undying Monster est un tournant dans sa carrière. Pour le compte de la Fox, John Brahm suit le genre fantastique initié par les studios Universal, à travers une histoire de loup-garou mise en scène avec une esthétique expressionniste saluée de la part de la critique. Le cinéaste récidive dans le genre épouvante avec Jack l’Eventreur – The Lodger en version originale, troisième adaptation du roman de Marie Belloc Lowndes. Un an après, John Brahm, les comédiens Laird Cregar et George Sanders se retrouvent pour Hangover Square, le plus beau, le plus grand film du cinéaste.
Londres, 1899. George Bone, pianiste et compositeur classique renommé, est surmené par son travail d’écriture d’un concerto pour piano. Le compositeur est victime de fréquentes crises de pertes de mémoire qui sont provoquées à chaque fois qu’il entend des sons discordants. Pourtant un brave homme dans la vie, il se transforme en un meurtrier sadique lors de ses crises dont il ne garde aucun souvenir. Pourtant, Bone s’interroge quand il retrouve une dague ensanglantée dans sa poche et qu’il lit dans un journal le meurtre sauvage d’un antiquaire. Troublé, et sur les conseils de son ami mécène Sir Henry Chapman et de sa fille Barbara, il se rend chez un spécialiste, le Dr Allan Middleton (Georges Sanders, la classe). Ce dernier le rassure et lui conseille de réduire son travail et de se détendre. Lors d’une soirée dans un pub, il va rencontrer une chanteuse de cabaret, Netta, dont il tombe amoureux. Se rendant compte de ses qualités de compositeur, Netta va profiter de la naïveté de Bone pour l’utiliser. Elle le détourne de son travail pour qu’il lui compose des chansons, lui emprunte de l’argent et profite de ses connaissances pour l’aider dans sa carrière de chanteuse. Plus tard, Bone apprend le futur mariage de Netta avec Eddie Carstairs, un producteur de théâtre. La folie s’empare de lui.
Hangover Square reprend et transcende tout ce qui faisait déjà la très grande réussite de Jack l’Eventreur. Comme pour ce dernier film, John Brahm met en scène un scénario de Barré Lyndon (Crépuscule de Henry Hathaway), et adapte très librement le roman de Patrick Hamilton (La Corde, Hantise). Hangover Square est le dernier film du comédien Laird Cregar (Le Cygne noir de Henry King, Le ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch), qui venait de triompher dans le précédent film de John Brahm. Décédé à l’âge prématuré de 31 ans des suites de complications post-opératoires (il avait entamé un régime draconien), Laird Cregar s’impose sans difficulté – surtout quand il est filmé en contre-plongée – avec son mètre 91, même si sa silhouette avait déjà beaucoup diminué. Mais c’est surtout son immense sensibilité qui transparaît à l’écran et qui contraste avec ses crises de folie quand son personnage se retrouve en transe après avoir entendu quelques sons stridents.
De par ses partis pris gothiques et même parfois expressionnistes concoctés par le directeur de la photographie Joseph LaShelle, Hangover Square fait penser à une relecture de Docteur Jekyll et M. Hyde. On s’attache très vite à George Bone, compositeur solitaire qui vit par et pour la musique, aimé par une jeune femme qui l’inspire, mais qui se trouve également hypnotisé par une artiste de bastringue sensuelle, ambitieuse et au charme vénéneux, Netta, incarnée par la vamp Linda Darnell (Le Signe de Zorro, L’Aveu, Chaînes conjugales). Moulée dans ses costumes, Netta inspire la tentation et signera la perte de George.
Drame psychologique et film noir à la frontière du fantastique, Hangover Square joue avec les genres pour mieux déstabiliser les spectateurs. Son héros tragique, colosse aux pieds d’argile, victime d’un dédoublement de la personnalité qu’il ne peut contrôler et qui ne se souvient de rien en reprenant conscience, devient pour ainsi dire un Fantôme de l’Opéra, qui préférera terminer son concerto, l’oeuvre de toute une vie – composé par l’immense Bernard Herrmann (Concerto Macabre for piano and orchestra) pour l’une de ses premières partitions réalisées pour le cinéma – en étant caressé puis finalement emporté par les flammes. Un dernier acte virtuose qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock (1934) avec ses actions simultanées se déroulant durant le concert.
Merveilleusement interprété, réalisé et photographié, Hangover Square, film-miroir à Jack l’Eventreur du même cinéaste, est un chef d’oeuvre absolu de romantisme noir. L’année suivante, John Brahm réitèrera le même exploit pour la troisième fois consécutive avec Le Médaillon – The Locket, porté par l’immense Robert Mitchum.
LE BLU-RAY
Le Blu-ray de Hangover Square, disponible chez Rimini Editions, repose dans boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui liseré bleu. Le visuel de la jaquette est très beau, élégant et attractif. Le menu principal est animé et musical. L’éditeur joint également un livret de 32 pages rédigé par Marc Toullec, ancien rédacteur en chef de Mad Movies, intitulé John Brahm, l’illustre inconnu d’Hollywood.
En ce qui concerne les bonus, l’éditeur est allé à la rencontre de la journaliste cinéma Guillemette Odicino (17’30). Nous ne nous étendrons pas sur cette présentation sans intérêt ni argument, qui se contente de réciter les fiches Wikipédia du réalisateur John Brahm et des comédiens. Plus chroniqueuse people que journaliste, elle a en effet l’habitude de s’attarder plus sur les abdos d’un comédien que sur sa performance, Guillemette Odicino évoque ce drame gothique comme si elle parlait de l’épisode final des Teletubbies. Passez votre chemin et sélectionnez immédiatement le supplément suivant.
L’entretien autour de la musique de Bernard Herrmann (27’30) en compagnie du musicien et compositeur (Les Liens du sang de Jacques Maillot) Stephan Oliva, est indispensable pour tous les amoureux de la musique de cinéma. Assis devant son piano, l’improvisateur et musicien de jazz présente les étapes de la carrière de Bernard Hermann (1911-1975), l’évolution de son style, son travail pour la couleur ou le N&B et son influence majeure dans le monde du cinéma, en jouant quelques-uns de ses plus grands thèmes composés pour Laura, Citizen Kane, L’Aventure de mme Muir, Psychose, Sueurs froides, Hangover Square, Les Nerfs à vif, Taxi Driver, Obsession. Absolument passionnant et un délice pour les oreilles.
On termine par une rencontre avec l’incontournable François Guérif (14’). Le critique de cinéma, éditeur et directeur de la collection Rivages/Noir se penche bien évidemment sur la vie et l’oeuvre de Patrick Hamilton, dont le roman Hangover Square a été très librement transposé au cinéma par John Brahm sur un scénario de Barré Lyndon. François Guérif confronte le film avec le livre original, en précisant que le roman était à la base inadaptable, puisqu’il ne fait que raconter des beuveries du personnage principal, d’où le titre de l’ouvrage.
L’Image et le son
La copie HD proposée est très impressionnante. La restauration effectuée est absolument sidérante de beauté et aucune scorie n’a survécu au lifting numérique. Les noirs sont denses, les blancs éclatants, la gestion des contrastes magnifique et le piqué affiche une précision hallucinante. Le codec AVC consolide l’ensemble avec brio, les fondus enchaînés sont fluides et n’occasionnent aucun décrochage et un léger grain demeure flatteur, sans lissage excessif. Il y a certes peu de séquences tournées en extérieur, mais toutes les scènes arborent un relief et une restitution des matière fort étonnants. Un master 4K éblouissant, stable, proposé au format 1.37, qui restitue les partis pris du chef opérateur Joseph LaShelle (La Garçonnière, Laura).
L’unique version anglaise est proposée en DTS-HD Master Audio Mono. L’écoute demeure appréciable en version originale (avec ou sans sous-titres français), avec une bonne délivrance de la musique de Bernard Herrmann, des effets annexes et des voix très fluides et aérées, sans aucun souffle. Si elle manque parfois de coffre, l’acoustique demeure suffisante.
IT COMES AT NIGHT réalisépar Trey Edward Shults,disponible en DVD et Blu-ray chez TF1 Studios le 7 novembre 2017
Acteurs : Joel Edgerton, Christopher Abbott, Carmen Ejogo, Riley Keough, Kelvin Harrison Jr., Griffin Robert Faulkner, David Pendleton…
Scénario : Trey Edward Shults
Photographie : Drew Daniels
Musique : Brian McOmber
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 2017
LE FILM
Alors que le monde est en proie à une menace terrifiante, un homme vit reclus dans sa propriété totalement isolée avec sa femme et son fils. Quand une famille aux abois cherche refuge dans sa propre maison, le fragile équilibre qu’il a mis en place est soudain bouleversé.
Etrange film que cet It Comes at Night, deuxième long métrage du jeune réalisateur, scénariste et producteur américain Trey Edward Shults, né en 1988, remarqué en 2016 avec Trisha, Prix de la critique à Deauville en 2015. Ayant fait ses classes auprès d’un certain Terrence Malick sur le tournage de The Tree of Life en tant qu’assistant cameraman, il s’inspire pour son second film de la mort de son père, qui l’a profondément affecté. It Comes at Night est né de ces questions sur la fin de vie, sur ses propres peurs, sur la transmission. Moins un film d’horreur qu’un drame intimiste et thriller psychologique, It Comes at Night déstabilise souvent et ne manque pas d’attraits, même si tout est loin d’être parfait.
Toujours affublé d’un masque à gaz, Paul vit reclus et isolé, avec femme et enfant, dans une maison en bois au milieu de la forêt. Il se voit dans l’obligation d’accueillir une famille chez lui, alors qu’un virus semble avoir mis à mal la civilisation telle qu’on la connaît. Il essaie d’instaurer certaines règles : il faut toujours sortir à deux, passer par la même porte et ne surtout pas s’aventurer dans le bois. Mais ces beaux principes sont mis à mal quand d’étranges événements se produisent.
« Lorsque tombe la nuit » comme nos amis québécois ont intitulé le film, ne révolutionne pas le genre. Voilà ça c’est dit. Il n’en a pas la prétention d’ailleurs. Mais son approche de la peur, celle liée à ses cauchemars, à l’inconnu, au noir et à ce qu’il renferme interpelle bel et bien. Si le rythme est souvent très (trop) lent, Trey Edward Shults a incontestablement le sens du cadre et de la grammaire cinématographique. Sur un postulat simple et bénéficiant d’un budget minuscule de 2,5 millions de dollars, le metteur en scène parvient à tirer profit de son décor limité, une cahute plantée au milieu de nulle part, de son intrigue serrée sur une demi-douzaine de personnages réunis dans la même habitation. Il peut également compter sur de très bons comédiens parmi lesquels se démarquent l’australien Joel Edgerton (Midnight Special, Bright), dont la présence inquiétante et ambigüe met souvent mal à l’aise, ainsi que Riley Keough (Mad Max: Fury Road, Logan Lucky), petite-fille d’Elvis Presley, qui commence à faire sa place à Hollywood.
Trey Edward Shults sait filmer et rendre menaçant une simple forêt en jouant sur les effets suggérés. La menace, puisque menace il y a, vient de l’extérieur et profite souvent de la nuit pour s’engouffrer dans le refuge de la famille principale. Aucun effet gratuit ni tape à l’oeil, la peur et l’angoisse des personnages sont contagieuses, surtout lorsque le réalisateur adopte le point de vue de l’adolescent de la famille, en prise avec ses visions d’horreur et ses premiers émois qu’il est obligé de réfréner. La « routine » de la famille de Paul est ainsi troublée par l’intervention d’un autre couple et de leur enfant. Comment réapprendre à faire confiance quand on a appris à se méfier de tout et de tout le monde ? Où s’arrête l’humanité et où commence l’animalité ? Les sens s’aiguisent dans cet espace fermé, les sentiments contradictoires se déploient et se confrontent, l’instinct de survie prime sur le reste, quitte à réaliser de mauvais choix que l’on pourra sans doute regretter après.
Avec sa photo ténébreuse signée Drew Daniels, ses changements de formats qui soulignent la détresse anxiogène des personnages, sa sécheresse qui rappelle parfois The Witch de Robert Eggers, par ailleurs produit par le même studio A24, It Comes at Night est un film post-apocalyptique maîtrisé, ambitieux, qui peut laisser froid et de marbre certains spectateurs, mais qui n’en demeure pas moins intéressant, au point qu’il n’a de cesse de mûrir encore bien après, et qui révèle surtout un jeune auteur prometteur.
LE DVD
Le DVD d’It Comes at Night, disponible chez TF1 Studio, repose dans un boîtier classique transparent. Changement de visuel par rapport à l’affiche originale, pour la sortie du film dans les bacs. Le menu principal est animé et musical.
Cette édition comprend un seul supplément, un making of de 28 minutes. Sans surprise, ce documentaire se compose d’interviews du réalisateur et des comédiens, ainsi que d’images de tournage. Trey Edward Shults intervient sur la genèse de son second long métrage, ses intentions et partis pris (le cadre, le son, le montage), tandis que les acteurs abordent les thèmes du film. Attention tout de même aux nombreux spoilers. Notons que le metteur en scène indique avoir enregistré un commentaire audio, non disponible sur le DVD français.
L’Image et le son
Pour la photo léchée de son film, Trey Edward Shults a demandé à son chef opérateur Drew Daniels de jouer avec les formats et les ambiances très sombres. Tourné en numérique avec la caméra numérique Arri Alexa XT, prenant comme partis-pris de restreindre le champ visuel, en usant des bords noirs comme dans une toile du Caravage dans les séquences de nuit, le directeur de la photographie plonge ainsi les personnages dans une pénombre froide et angoissante, en passant du format 2.35 au 2.55, jusqu’au format 3.00. Si nous devons vous donner un conseil, c’est de visionner It Comes at Night dans une pièce sans aucune luminosité, afin de mieux plonger dans l’ambiance. Le DVD édité par TF1 Studio restitue habilement la profondeur des contrastes, même si le résultat est forcément moins probant qu’en HD. Par ailleurs, certaines séquences apparaissent plus poreuses et l’on perd parfois en détails. Malgré ces menus défauts, le piqué reste ferme, les fourmillements limités. Ce master SD s’en tire avec les honneurs et contentera ceux qui ne seraient pas passés à la Haute Définition.
Les versions anglaise et française disposent d’un mixage Dolby Digital 5.1 et Stéréo. La spatialisation satisfait amplement et fait sursauter aux moments opportuns grâce à ses effets latéraux et frontaux particulièrement fins. Le caisson de basses participe à cette immersion, les dialogues sont exsudés avec force sur la centrale et les ambiances naturelles et dérangeantes ne manquent pas. La piste anglaise s’en tire le mieux du point de vue richesse acoustique et ardeur, surtout du point de vue musical. Les versions Stéréo sont évidemment moins enveloppantes, mais de fort bonne facture. L’éditeur joint également une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres français, destinés au public sourd et malentendant.
LE CORBEAU réalisépar Henri-Georges Clouzot,disponible Blu-ray le 17 octobre 2017 chez Studiocanal
Acteurs : Pierre Fresnay, Pierre Larquey, Micheline Francey, Ginette Leclerc, Noël Roquevert, Héléna Manson…
Scénario : Henri-Georges Clouzot, Louis Chavance
Photographie : Nicolas Hayer
Musique : Tony Aubin
Durée : 1h31
Date de sortie initiale : 1943
LE FILM
Médecin d’un petit village du cœur de la France , le docteur Rémy Germain est la victime d’un corbeau, qui l’accuse d’adultère et de pratique illégale de l’avortement. Rapidement, les lettres infamantes se multiplient et personne dans le village n’est épargné par les ragots qui engendreront alors cabales, drames et règlements de comptes. Seul contre tous, le docteur Germain va mener son enquête et découvrir, en même temps que le coupable, les bassesses et la mesquinerie dont peuvent être capables ses concitoyens.
« Vous êtes formidable, vous croyez que les gens sont tout bon ou tout mauvais, vous croyez que le bien c’est la lumière et que l’ombre c’est le mal. Mais où est l’ombre ? Où est la lumière ? Où est la frontière du mal ? Savez-vous si vous êtes du bon ou du mauvais côté ? »
Henri-Georges Clouzot rencontre le succès dès son premier long métrage, L’Assassin habite au 21, d’après le roman de Stanislas-André Steeman. Il enchaîne directement avec Le Corbeau, sur un scénario de Louis Chavance, d’après un fait divers authentique qui s’est déroulé à Tulle de 1917 à 1922, période durant laquelle 110 lettres anonymes avaient été envoyées à l’ensemble de la population. Tourné pour la société de production Continental-Films, active durant l’Occupation, et financée par des capitaux allemands, créée en 1940 par Joseph Goebbels dans un but de propagande et cependant dirigée par le francophile Alfred Greven qui tiendra peu compte des ordres politiques reçus de Berlin, Le Corbeau s’accompagne d’un parfum sulfureux et demeure la plus grande radiographie de la société française de l’époque.
Les notables de Saint-Robin, petite ville de province, commencent à recevoir des lettres anonymes signées « Le Corbeau », dont le contenu est calomnieux. Ces calomnies se portent régulièrement sur le docteur Rémi Germain, ainsi que sur d’autres personnes de la ville. Les choses se gâtent lorsque l’un des patients du docteur Germain se suicide, une lettre lui ayant révélé qu’il ne survivrait pas à sa maladie. Le docteur Germain enquête pour découvrir l’identité du mystérieux « Corbeau ». Tour à tour, plusieurs personnes sont soupçonnées et les lettres infamantes se multiplient.
Comme ce sera le cas dans l’ensemble de ses films, Henri-Georges Clouzot n’épargne personne dans Le Corbeau, et surtout pas les bourgeois. Ici, tout le village est touché. En 1943 (l’Occupation n’est pas mentionnée et d’ailleurs rien n’indique la date à laquelle se déroule le récit), il en faut peu pour que le fragile équilibre se délite. La suspicion règne et l’on passe facilement de victime à coupable suite aux commérages qui prolifèrent.
Le Corbeau rend compte de l’atmosphère irrespirable où tout le monde en venait à s’espionner, se craindre, au rythme des courriers qui se multiplient comme un virus contagieux qui se répand d’une maison à l’autre. Clouzot s’amuse avec un humour noir à regarder ses concitoyens avec l’oeil d’un entomologiste. Plongez des êtres humains dans une situation inexpliquée avec quelques informations diffamatoires, secouez un peu le tout, laissez agir puis analysez le précipité qui en découle. L’hystérie collective n’est pas loin. Ne reste plus qu’à Clouzot qu’à brosser le portrait de personnages, tout autant d’électrons qui s’agitent autour du noyau central interprété par l’immense Pierre Fresnay, tous remarquablement incarnés par une ribambelle de comédiens épatants tels Ginette Leclerc et son regard langoureux, Pierre Larquey, Micheline Francey, Noël Roquevert, Jeanne Fusier-Gir, qui pour la plupart reviendront d’un film à l’autre de Clouzot.
Résolument sombre et violent (même une petite fille tente de se suicider), Le Corbeau est le premier vrai tour de force d’Henri-Georges Clouzot, qui peint un portrait corrosif de la France, l’acide sulfurique remplaçant alors la gouache. À cela s’ajoute une photo très contrastée de Nicolas Hayer, Clouzot ayant été très souvent inspiré par l’expressionnisme allemand. Si le film est un triomphe à sa sortie, Henri-Georges Clouzot connaît la période la plus troublée de sa vie. A la Libération, le film est perçu par la résistance et par la presse communiste de l’époque comme antifrançais, comme si les patriotes pouvaient s’adonner à la délation, ce qui est inconcevable enfin ! Du pain béni pour les détracteurs de Clouzot qui n’hésitaient pas à déclarer que le réalisateur servait ainsi la propagande nazie. Accusé de dénigrer le peuple français, le cinéaste est littéralement banni à vie du métier de metteur en scène en France et le film est interdit. Ces deux interdictions seront heureusement levées dès 1947, après que Clouzot ait été soutenu par quelques grands noms du cinéma (Jacques Becker, Henri Jeanson). Son film peut enfin être redécouvert.
Le Corbeau est le premier chef d’oeuvre incontesté d’Henri-Georges Clouzot, référence du Whodunit et entraînera même un remake aux Etats-Unis, La Treizième Lettre – The Thirteenth Letter, réalisé par Otto Preminger en 1951, avec Charles Boyer.
LE BLU-RAY
Le test du Blu-ray du Corbeau, disponible chez Studiocanal, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est sobre, animé sur quelques séquences du film.
L’éditeur joint un seul documentaire sur ce Blu-ray. Le Chef d’oeuvre maudit d’Henri-Georges Clouzot (26’), donne la parole à Pierre-Henri Gibert (réalisateur du Scandale Clouzot) et Claude Gauteur (historien, auteur de Henri-Georges Clouzot, l’oeuvre fantôme, chez LettMotif). Dans ces entretiens croisés, les intervenants dissèquent à la fois le fond (« un témoignage passionnant de la situation de la France durant l’ Occupation », le scénario inspiré d’un fait divers) et la forme, replacent Le Corbeau dans l’oeuvre du cinéaste (première fois qu’il détient les pleins pouvoirs sur un film), mais évoquent aussi et surtout les conditions de production (la Continental), sans oublier l’interdiction du film à la Libération et la sanction envers Clouzot qui à la base devait ne plus avoir le droit d’exercer son métier à vie ! Si ce module remplit bien son contrat, il est dommage que Studiocanal n’ait pas pu reprendre la présentation du Corbeau par Bertrand Tavernier et Jacques Siclier, disponible sur l’édition DVD sortie en 2003.
L’Image et le son
Le premier chef d’oeuvre d’Henri-Georges Clouzot nous apparaît en édition HD restaurée en 4K par le laboratoire Eclair, à partir du négatif original. Et voilà un Blu-ray qui en met souvent plein les yeux avec une définition qui laisse pantois. Le nouveau master HD au format 1080p/AVC ne cherche jamais à atténuer les partis pris esthétiques originaux. La copie se révèle souvent étincelante et pointilleuse en terme de piqué (les scènes en extérieur), de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux, richesse des gris), de détails ciselés et de relief. La propreté de la copie est sidérante, la stabilité est de mise, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les fondus enchaînés sont vraiment les seuls moments où la définition décroche quelque peu, mais cela ne dure que quelques secondes. L’ensemble reste fluide et réellement plaisant. Il serait difficile de faire mieux sans que cela dénature les volontés artistiques.
L’éditeur est aux petits soins avec le film d’Henri-Georges Clouzot puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, ainsi qu’un très léger souffle, l’écoute se révèle équilibrée. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises. Si certains échanges manquent de punch et se révèlent moins précis, les dialogues sont dans l’ensemble clairs, dynamiques. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.
PARANOIAQUE (Paranoiac !) réalisépar Peter Graham Scott,disponible en DVD et combo Blu-ray+DVD le 9 novembre 2017 chez Elephant Films
Acteurs : Janette Scott, Oliver Reed, Sheila Burrell, Maurice Denham, Alexander Davion, Liliane Brousse…
Scénario : Jimmy Sangster, d’après le roman de Josephine Tey – Brat Farrar
Photographie : Arthur Grant
Musique : Elisabeth Lutyens
Durée : 1h20
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
Depuis la mort de ses parents dans un accident, Simon Ashby, un jeune homme mentalement très dérangé, vit avec sa tante très attentionnée dans leur superbe demeure des environs de Londres. Lors d’un service funèbre en mémoire du couple disparu, Eleanor, la soeur de Simon, aperçoit la silhouette de leur frère Tony, qui s’est suicidé voilà sept ans. Sa tante et son frère n’accordent aucun crédit à ses déclarations et s’empressent de la croire folle. Le retour d’un Tony bien réel la sauve d’un internement. Tony explique avoir seulement disparu. Il est victime de nombreuses tentatives d’assassinat, alors même qu’il s’éprend de sa soeur…
Même si la Hammer Films demeure emblématique de l’épouvante et du fantastique au cinéma, celle-ci était pourtant loin de se cantonner aux genres qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Des films de pirates et d’aventures sont nés également au sein de la Hammer, y compris des thrillers dramatiques et psychologiques, à l’instar de Paranoïaque (Paranoiac pour les puristes), réalisé par Freddie Francis en 1963, qui découle de deux des plus grands films de l’histoire du cinéma qui venaient alors de secouer la planète entière, Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955) et Psychose d’Alfred Hithcock (1960). Opus méconnu de la société de production britannique, Paranoïaque s’avère un film très étonnant, osé et moderne, emblématique de l’ambition et de l’éclectisme de la Hammer.
La famille Ashby est affectée par deux drames : la mort du père et de la mère, il y a onze ans, dans un accident d’avion, et celle de leur fils, il y a huit ans, suicidé à cause d’un mal de vivre qu’il traînait depuis leur disparition. Les autres enfants, Simon et Eleanore, furent placés sous la coupe de leur tante et, tous les ans, en commémoration de ce tragique événement, a lieu une messe. C’est au cours de celle-ci qu’Eleanore aperçoit un homme ressemblant à son frère décédé, Anthony. Taxée de folle, et Simon (alcoolique notoire) ne lui accordant aucune attention, négociant déjà l’héritage qu’il touchera dans trois semaines, la progéniture Ashby va mal.
Si Paranoïaque est une réussite de plus de la Hammer, cela est dû avant tout au choix du metteur en scène, Freddie Francis (1917-2007), qui est à l’époque un chef opérateur très convoité, à qui l’on doit les images inoubliables des Innocents de Jack Clayton (1961), qui avait auparavant travaillé Jack Cardiff sur Amants et fils – Sons and Lovers (1960), pour lequel il avait remporté l’Oscar de la meilleure photographie. Après cette récompense suprême, Freddie Francis décide de passer à la réalisation. Outre Paranoïaque, il signera L’Empreinte de Frankenstein, Dracula et les femmes, Hysteria et Meurtre par procuration, pour le compte de la Hammer. S’il mettra en scène d’autres films dans les années 1970-80, Freddie Francis réalisera également les inoubliables photographies d’Elephant Man, Dune et Une histoire vraie pour David Lynch, mais aussi celle du remake des Nerfs à vif par Martin Scorsese, ainsi que celle de Glory d’Edward Zwick, qui lui vaudra un second Oscar. Mais pour l’heure, Paranoïaque démontre tout son savoir-faire derrière la caméra.
Il fait tout d’abord appel au chef opérateur Arthur Grant, grand nom de la Hammer, qui réalise une splendide photographie N&B très contrastée. D’autre part, Freddie Francis se révèle être un formidable directeur d’acteurs, même si Oliver Reed (qui sortait de La Nuit du Loup-Garou et du Fascinant Capitaine Clegg) ne s’est jamais réellement fait « diriger ». Le comédien livre une prestation complètement dingue et son personnage de frangin déséquilibré, libidineux et porté sur la bibine – les verres qu’il s’envoie du début à la fin ne semblent pas contenir du jus de fruit – fait l’intérêt du film. Parallèlement, la trame faite de rebondissements en tous genres, flirte aussi avec la censure, qui avait déjà fait réécrire le film en raison, avec une double sous-intrigue incestueuse où une tante (géniale Sheila Burrell) entretient une évidente relation avec son neveu (Oliver Reed), tandis qu’une jeune femme (Janette Scott) s’éprend de celui qui dit être son frère (Alexander Davion), que tout le monde croyait mort.
Secrets de famille dissimulés derrière les belles façades d’une vieille demeure ancestrale de la campagne anglaise, perversion, inceste, usurpation d’identité, quasi-nécrophilie, cadavre dissimulé dans le placard (au sens propre comme au figuré), le panier est lourd, mais Freddie Francis et le scénariste Jimmy Sangster parviennent à rendre Paranoïaque miraculeusement divertissant, tout en flattant l’oeil et les désirs des cinéphiles.
LE BLU-RAY
Paranoïaque est disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD chez Elephant Films. Cette édition contient également un livret collector de 20 pages, ainsi qu’une jaquette réversible avec choix entre facings « moderne » ou « vintage ». Le boîtier Blu-ray est glissé dans un fourreau. Le menu principal est animé et musical.
Bravo à Elephant Films qui nous livre ici l’une de ses meilleures présentations. On doit cette grande réussite à Nicolas Stanzick, auteur du livre Dans les griffes de la Hammer : la France livrée au cinéma d’épouvante. Dans un premier module de 10 minutes, ce dernier nous raconte l’histoire du mythique studio Hammer Film Productions. Comment le studio a-t-il fait sa place dans l’Histoire du cinéma, comment le studio a-t-il réussi l’exploit de susciter un véritable culte sur son seul nom et surtout en produisant de vrais auteurs ? Comment les créateurs du studio ont-ils pu ranimer l’intérêt des spectateurs pour des mythes alors tombés en désuétude ou parfois même devenus objets de comédies ? Nicolas Stanzick, érudit, passionnant, passe en revue les grands noms (Terence Fisher bien évidemment, Christopher Lee, Peter Cushing) qui ont fait le triomphe de la Hammer dans le monde entier, mais aussi les grandes étapes qui ont conduit le studio vers les films d’épouvante qui ont fait sa renommée. Voilà une formidable introduction !
Retrouvons ensuite Nicolas Stanzick pour la présentation de Paranoïaque (15’). Evidemment, ce module est à visionner après avoir vu ou revu le film puisque les scènes clés sont abordées. Comme lors de sa présentation de la Hammer, Nicolas Stanzick, toujours débordant d’énergie et à la passion contagieuse, indique tout ce que le cinéphile souhaiterait savoir sur la production de Paranoïaque. Le journaliste replace donc ce film dans l’histoire de la Hammer Films, au moment où le studio souhaitait s’orienter vers d’autres genres afin de ne pas rester enfermé dans le domaine de l’horreur gothique. Les triomphes des Diaboliques et surtout de Psychose donnent l’idée à la Hammer de mettre en route quelques thrillers psychologiques et horrifiques (le plus souvent en N&B), dont le film de Freddie Francis. La carrière de ce dernier, ainsi que le travail – et l’influence – du scénariste Jimmy Sangster, les démêlés avec la censure (qui considérait le premier scénario comme étant une « atroce immondice »), le casting, sont abordés avec intelligence et spontanéité.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces et une galerie de photos.
L’Image et le son
Franchement, nous ne nous attendions pas à un résultat aussi beau. Malgré quelques légères imperfections, ce nouveau master restauré HD (1080p, AVC) s’impose aisément comme l’une des plus belles surprises de cette fin d’année. Ce qui frappe d’emblée, mis à part le fantastique usage du cadre large, c’est la densité du N&B et la profondeur de champ qui est souvent admirable. La photo est formidablement nuancée avec une large palette de gris, un blanc lumineux et des noirs profonds. La gestion du grain est fort plaisante. La copie est lumineuse et le rendu des textures est très réaliste.
Le film est disponible en version originale ainsi qu’en version française DTS HD Master Audio mono d’origine. Sans surprise, la piste anglaise l’emporte haut la main sur son homologue, surtout du point de vue homogénéité entre les voix des comédiens, la musique et les effets sonores. La piste française est tantôt sourde, tantôt criarde, au détriment des ambiances annexes et de la partition de Elisabeth Lutyens. Dans les deux cas, point de souffle à déplorer, ni aucun craquement. Le changement de langue est possible à la volée et les sous-titres français non imposés.
FREUD, PASSIONS SECRÈTES (Freud: The Secret Passion) réalisépar John Huston,disponible en DVD le 12 septembre 2017 chez Rimini Editions
Acteurs : Montgomery Clift, Susannah York, Larry Parks, Susan Kohner, Eileen Herlie, Fernand Ledoux, David McCallum…
Scénario : Wolfgang Reinhardt, Charles Kaufman
Photographie : Douglas Slocombe
Musique : Jerry Goldsmith
Durée : 2h15
Date de sortie initiale : 1962
LE FILM
1885. Sigmund Freud, 29 ans, est neurologue à l’hôpital général de Vienne. Confronté à des cas pathologiques qui défient la médecine traditionnelle, il n’hésite pas à faire appel à l’hypnose pour essayer de comprendre le mal dont souffrent les patients. Au fur et à mesure de ses expériences, Freud perçoit qu’il est tout proche de l’une des découvertes majeures de l’histoire de la science.
« Il est préférable de laisser les scorpions dans l’obscurité… »
Freud, passions secrètes, Freud: The Secret Passion ou tout simplement Freud est un chef d’oeuvre caché de John Huston. Sorti en 1962, ce film admirable et pourtant oublié est aussi l’avant-dernier long métrage du comédien Montgomery Clift, éblouissant dans le rôle-titre. Plus qu’un biopic, John Huston met en scène la découverte de la psychanalyse et de l’inconscient. La passion du réalisateur pour ce sujet remonte à la Seconde Guerre mondiale. Mobilisé dans l’équipe des cinéastes militaires de l’U.S. Army, sous la direction de Frank Capra, John Huston est appelé à réaliser quelques documentaires auprès des soldats. C’est le cas du méconnu Que la lumière soit – Let there be light (1946) qui suit une équipe de psychiatres tenter de soigner des rescapés, victimes de chocs traumatiques. Certains présentent des troubles de la vue, d’autres sont visiblement handicapés ou angoissés, persuadés qu’une bombe va leur tomber dessus. John Huston observe ces médecins avoir recours à la psychanalyse et à l’hypnose. Fasciné, il sait qu’il réalisera plus tard un film tournant autour de Freud. Considéré comme un film capital sur le traitement psychiatrique des blessés de guerre, Que la lumière soit est néanmoins interdit par le Pentagone et restera inédit jusqu’en 1981. Sélectionné dans la section Un certain regard au Festival de Cannes cette année-là, les spectateurs découvrent des images insoutenables. Après son film maudit Les Désaxés – The Misfits (1961) et suite à de longues recherches sur Freud durant lesquelles il s’initie même aux techniques de l’hypnose, John Huston entreprend enfin ce projet qui lui tenait à coeur depuis une quinzaine d’années.
Le jeune Sigmund Freud se rend à Paris pour rencontrer le professeur Charcot, dont les travaux sur l’hypnose l’intéressent depuis longtemps. Revenu à Vienne, il poursuit ses propres recherches sur l’hystérie, malgré l’opposition de son entourage. Seul le docteur Breuer le soutient et l’encourage dans ses recherches. Au contact de patients névrosés, Freud découvre le rôle prépondérant de la sexualité dans les mécanismes de l’inconscient et, malgré la désapprobation collective de ses collègues psychiatres, en vient à élaborer une théorie sur l’origine sexuelle des névroses.
« Quelle magnificence d’éclairer les ténèbres de vos lumières ! »
Dans un premier temps, en 1958, John Huston avait demandé au philosophe et écrivain Jean-Paul Sartre d’écrire le scénario. Ce dernier n’avait pas pris la chose à la légère et avait finalement remis au réalisateur un scénario documenté de plus de 400 pages, uniquement concentré sur les débuts de Freud en tant que neurologue. Après avoir décliné poliment ce travail de titan, John Huston se tourne vers un scénariste plus « expérimenté », Wolfgang Reinhardt. Freud, passions secrètes est le fruit de toutes ces études poussées. Souvent filmé comme un thriller, le récit est haletant et le cinéaste parvient à mettre en scène la passion d’un homme, qui vit littéralement pour son travail. Montgomery Clift, bien qu’extrêmement souffrant sur le tournage et au plus mal avec ses problèmes d’alcool – Huston, excédé, pense sérieusement le remplacer par Eli Wallach – incarne Freud à la perfection. Avec son regard perçant, à tel point que ses yeux bleus illuminent la superbe photographie N&B crépusculaire du chef opérateur Douglas Slocombe (Gatsby le magnifique, les trois premiers Indiana Jones), le comédien restitue tout le feu qui anime son personnage, un foyer sans cesse attisé par de nouvelles découvertes. Bien que marié à la jeune Martha (magnifique Susan Kohner, la Sarah Jane de Mirage de la vie de Douglas Sirk), Freud se lance seul dans cette aventure. John Huston a recours à quelques plans hérités de l’expressionnisme allemand pour renforcer l’aspect « monstre » de Freud, dont la silhouette se dessine dans la pénombre, quand celui-ci entreprend de rendre visite à ses patients cobayes (dont la divine Susannah York), avant de réaliser sa propre analyse pour affronter ses démons. Cette impression quasi-fantastique est par ailleurs renforcée par la composition angoissante de Jerry Goldsmith.
John Huston filme ensuite son personnage, seul contre tous, annoncer à ses confrères l’aboutissement de son travail. Freud est filmé de dos, comme jeté dans une arène où l’ambiance est effervescente, comme si les spectateurs étaient prêts à le lyncher. Cela ne manque pas d’arriver au moment où Freud leur présente ce qui l’avait effrayé dans un premier temps, puis ce qui allait alors devenir un concept central dans la psychanalyse, le complexe d’Oedipe. Drame psychologique, biopic et même parfois inclassable quand le cinéaste a recours au rêve et aux fantasmes pour montrer – et c’est ce qui l’intéresse le plus – la pensée à l’oeuvre chez son personnage principal, Freud, passions secrètes est un chef d’oeuvre trépidant, magistral et remarquablement documenté. Enfin, notons qu’à sa sortie, les distributeurs ont imposé à John Huston de couper une demi-heure de son film, jugé alors trop austère. S’il restera très attaché à Freud, passions secrètes tout au long de sa vie, il reniera en revanche le montage sorti dans les salles.
LE DVD
Le DVD de Freud, passions secrètes, disponible chez Rimini Editions, repose dans un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné. Visuel attractif centré sur Montgomery Clift. Le menu principal est animé et musical.
Pour cette édition, l’éditeur est allé à la rencontre de Marie-Laure Susini, psychanalyste et écrivain, membre de l’École de La Cause Freudienne de 1981 à 1991, puis de l’École de Psychanalyse Sigmund Freud de 1993 à 2010. Dans le premier segment intitulé Freud, le film oublié (22’), notre interlocutrice se penche sur la genèse du film de John Huston et déclare « c’est un chef d’oeuvre, mais même les plus grands fans de John Huston le connaissent peu ». Marie-Laure Susini évoque les ouvrages sur la vie de Freud (dont une biographie écrite par Stefan Zweig, Sigmund Freud : La guérison par l’esprit), les raisons qui ont poussé John Huston à réaliser un film sur la découverte de la psychanalyse (qui découle du documentaire Que la lumière soit, dont on nous présente un extrait), l’évolution du scénario (dont l’épisode Jean-Paul Sartre), le casting (Montgomery Clift est selon elle parfait), les conditions de tournage et les intentions du cinéaste. Dommage que cette intervention soit sans cesse entrecoupée d’extraits du film, de la bande-annonce ou de photos de moyenne qualité.
Dans un second module (Freud, secrets d’adaptation, 12’), Marie-Laure Susini se concentre sur le fond du film et la façon dont John Huston a abordé l’inconscient dans Freud, passions secrètes. Elle déclare que tous les dialogues sont « incroyablement construits et totalement au service de la psychanalyse », que les séquences de rêve imaginées par le cinéaste sont formidables et précises et que John Huston a parfaitement retranscrit le travail méticuleux et complexe, ainsi que l’aventure intérieure d’un homme seul pendant plus de dix ans.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
On ne sait pas où Rimini Editions est allé chercher cette copie, toujours est-il que le master présenté ici a semble-t-il connu quelques heures de vol. Dès la première séquence, les fourmillements s’invitent, ainsi que des points blancs, de nombreuses rayures verticales, des pixels, des plans flous. Il faut attendre quelques minutes pour que la copie au dégrainage assez conséquent, trouve enfin une certaine stabilité, même si les défauts ont tendance à réapparaître tout au long de ces 135 minutes. Les séquences de rêves sont les plus abimées du lot, les noirs sont charbonneux, le manque de piqué est conséquent, quelques séquences paraissent surexposées et la définition chancelle à plusieurs reprises. Il faudra se contenter de cette image, car soyons honnêtes, découvrir Freud, passions secrètes en DVD en 2017 était quasi-inespéré.
L’éditeur ne propose que la version originale du film de John Huston. Plutôt dynamique, nettoyée, homogène et naturelle, sans souffle parasite, cette piste Dolby Digital 1.0 offre un confort acoustique solide et restitue admirablement les somptueux dialogues et la musique de Jerry Goldsmith. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
JACK L’ÉVENTREUR (The Lodger) réalisépar John Brahm,disponible en DVD et Blu-ray le 5 septembre chez Rimini Editions
Acteurs : Merle Oberon, George Sanders, Laird Cregar, Cedric Hardwicke, Sara Allgood, Aubrey Mather…
Scénario : Barré Lyndon d’après le roman de Marie Belloc Lowndes
Photographie : Lucien Ballard
Musique : Hugo Friedhofer
Durée : 1h24
Date de sortie initiale : 1944
LE FILM
1888. Londres est secouée par une série de meurtres sanglants, et l’on vient de découvrir la quatrième victime de l’assassin. Au même moment, l’étrange M. Slade loue une chambre dans une maison bourgeoise et tombe amoureux de la nièce de sa logeuse.
Le cinéaste allemand John Brahm (1893-1982) fuit l’Allemagne à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. Il arrive à Hollywood et signe son premier long métrage Le Lys brisé en 1936, sous le nom d’Hans Brahm. Eclectique, John Brahm passe facilement du drame à la comédie, d’une Prison centrale à un Pensionnat de jeunes filles, quand la consécration arrive avec son thriller Laissez-nous vivre (1939) avec Henry Fonda et Maureen O’Sullivan. En 1942, The Undying Monster est un tournant dans sa carrière. Pour le compte de la Fox, John Brahm suit le genre fantastique initié par les studios Universal, à travers une histoire de loup-garou mise en scène avec une esthétique expressionniste saluée de la part de la critique. Le cinéaste récidive dans le genre épouvante avec Jack l’Eventreur – The Lodger en version originale, troisième adaptation du roman de Marie Belloc Lowndes. Publié en 1913, cet ouvrage avait déjà été transposé au cinéma en 1927 par Alfred Hitchcock – sous le titre français Les Cheveux d’or – avec Ivor Novello et demeure entre autres célèbre pour sa séquence du plafond transparent où l’on aperçoit le tueur présumé faire les cent pas. Le réalisateur britannique Maurice Elveny signera également une adaptation en 1932, cette fois encore avec Ivor Novello.
D’après un scénario de Barré Lyndon (Crépuscule de Henry Hathaway), le film de John Brahm s’inspire très librement de la véritable histoire de Jack l’Eventreur, même si le récit est bel et bien situé dans le district londonien de Whitechapel en 1888. Il s’agit d’une interprétation parmi tant d’autres, résolument moderne et sexuellement explicite. Même si John Brahm a toujours déclaré n’avoir jamais vu la version d’Alfred Hitchcock, le réalisateur joue sur les attentes des spectateurs qui auraient en tête Les Cheveux d’or, pour mieux les prendre par surprise. Ainsi, la présence de l’imposant Laird Cregar, vu dans Le Cygne noir de Henry King et Le ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch, peut à la fois être inquiétante (surtout quand il est filmé en contre-plongée), mais aussi créer un sentiment de doute quant à la véritable nature de son personnage, en faisant penser que nous sommes en présence d’un commissaire infiltré qui enquête sur les meurtres commis dans le quartier de Whitechapel. John Brahm brouille ainsi les cartes en jouant sur l’aura de la première transposition, tout en proposant une relecture différente, sans doute plus premier degré, mais tout autant efficace que le film d’Alfred Hitchcock.
La première séquence donne le ton en plongeant directement le spectateur dans un quartier animé où les passants se trouvent perdus dans le fog londonnien. Les décors sont très réussis avec ses murs défraîchis et ses ruelles pavées. Même si la présence de policemen a été renforcée depuis que trois meurtres de femmes se sont succédé, nous assistons (hors-champ) au quatrième à travers la voix de la nouvelle victime. Dans le Londres victorien, la terreur règne. Des chanteuses et danseuses de cabaret sont assassinées par un tueur en série et la police peine à trouver le coupable. Cette série macabre coïncide avec l’arrivée d’un étrange locataire, Mr Slade, dans la pension de famille des Bonting. Cet homme énigmatique dit être pathologiste. Mais très vite, ses étonnantes et multiples sorties nocturnes inquiètent les locataires, surtout quand Mr Slade semble s’intéresser à la nièce de sa logeuse, une certaine Kitty Langley, nouvelle vedette d’une revue dansante qui connaît un grand succès dans la capitale.
Jack l’Eventreur de John Brahm se regarde et s’apprécie en deux temps. La première fois, l’histoire rondement menée par le cinéaste allemand s’avère un formidable divertissement, prenant et qui comprend son lot de surprises. La deuxième fois, une fois au fait des rebondissements ou plutôt des soupçons qui se sont révélés exacts quant à la véritable nature de Mr Slade, le spectateur pourra encore plus apprécier la grande réussite technique de cette œuvre, sa mise en scène souvent virtuose mais également la sublime photographie expressionniste de Lucien Ballard (La Horde sauvage, L’Ultime razzia, Guet-apens) faite d’ombres et de perspectives, sans oublier le fond de l’histoire particulièrement ambigu. Sur ce point, la nature ouvertement bisexuelle de Mr Slade est étonnante pour un film de 1944, y compris son affection quasi-incestueuse qu’il entretenait pour son frère, dont le suicide pour l’amour d’une danseuse est devenu le déclencheur de la haine (mais y compris de l’attirance) de Slade pour les jeunes femmes artistes. Le roman de Marie Belloc Lowndes sert de support et John Brahm s’approprie le mythe du personnage de Jack l’Eventreur (qui tuait alors des prostituées et non des chanteuses), pour en livrer sa propre interprétation en l’inscrivant dans un trauma sexuel et psychologique d’une folle modernité qui n’est pas sans rappeler les motifs de l’assassin du Dressed to Kill de Brian de Palma.
En effet, Slade est à la fois tiraillé entre ce désir de venger son frère en tuant ces chanteuses de cabaret et l’envie sexuelle de ces femmes, notamment de Kitty (la belle Merle Oberon, la Cathy des Hauts de Hurlevent de William Wyler) dont il tombe amoureux malgré-lui. Les dialogues qui peuvent parfois paraître trop écrits et déclamés avec théâtralité par Laird Cregar, sont pourtant violents et encore une fois saisissants pour un film des années 1940. N’oublions pas la présence de George Sanders, qui incarne l’inspecteur de Scotland Yard chargé de l’enquête et qui use de son côté de nouvelles méthodes afin de démasquer le tueur, en ayant notamment recours aux empreintes digitales. Jack l’Eventreur version John Brahm est au final une très grande réussite, dont l’atmosphère poisseuse sur le fond et sur la forme demeure singulière plus de 70 ans après sa sortie.
LE BLU-RAY
Le Blu-ray de Jack l’Eventreur, disponible chez Rimini Editions, repose dans boîtier classique de couleur noire. Le visuel de la jaquette est très élégant. Le menu principal est animé et musical. L’éditeur joint également un livret de 32 pages rédigé par l’incontournable Marc Toullec, ancien rédacteur en chef de Mad Movies, intitulé John Brahm, l’illustre inconnu d’Hollywood.
Pour compléter le visionnage de Jack l’Eventreur, l’éditeur est allé à la rencontre du critique cinéma Justin Kwedi, qui officie pour les sites DVDClassik et Culturopoing (19’). Si l’intervention de Justin Kwedi, visiblement impressionné par l’exercice, manque de construction et s’avère parfois redondante, elle n’en demeure pas moins intéressante et donne entre autres envie de se pencher un peu plus sur l’oeuvre de John Brahm. Le portrait du réalisateur est dressé dans une première partie où Justin Kwedi démontre son éclectisme après son arrivée à Hollywood dans les années 1930. Puis le journaliste se penche sur la trilogie gothique constituée de The Undying Monster (1942), Jack l’Eventreur (1944) et Hangover Square (1945), qui a largement contribué à sa renommée. L’adaptation du roman de Marie Belloc Lowndes, le casting du film, ses qualités esthétiques (la photo, les décors) et la psychologie des personnages sont les sujets également abordés durant ces vingt minutes.
L’Image et le son
Ce master restauré de Jack l’Eventeur, jusqu’alors inédit en France, est on ne peut plus flatteur pour les mirettes. Tout d’abord, le splendide N&B de Lucien Ballard retrouve une densité inespérée dès le générique en ouverture. Même si elle semble déjà dater, la restauration est indéniable, aucune poussière ou scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’image est d’une stabilité à toutes épreuves hormis quelques effets de pompages des noirs. La gestion des contrastes est certes aléatoire, mais le piqué s’avère convaincant la plupart du temps. Si les puristes risquent de rechigner en ce qui concerne le lissage parfois trop excessif (euphémisme) du grain argentique original, le cadre n’est pas avare en détails – sauf sur les scènes embrumées, difficiles à restituer – et cette très belle copie participe à la redécouverte de ce grand film méconnu.
L’unique version anglaise est proposée en DTS-HD Master Audio Mono. L’écoute demeure appréciable en version originale (avec sous-titres français imposés), avec une bonne restitution de la musique, des effets annexes et des voix très fluides et aérées, sans aucun souffle. Si elle manque parfois de coffre, l’acoustique demeure suffisante.
SOUDAIN L’ÉTÉ DERNIER (Suddenly, Last Summer) réalisépar Joseph L. Mankiewicz,disponible en DVD et Blu-ray le 23 août 2017 chez Carlotta Films
Acteurs : Elizabeth Taylor, Katharine Hepburn, Montgomery Clift, Albert Dekker, Mercedes McCambridge, Gary Raymond…
Scénario : Gore Vidal d’après la pièce de théâtre Suddenly, Last Summer de Tennessee Williams
Photographie : Jack Hildyard
Musique : Malcolm Arnold, Buxton Orr
Durée : 1h54
Date de sortie initiale : 1959
LE FILM
Dans la Nouvelle-Orléans de 1937, une riche veuve, Violet Venable, propose de financer l’hôpital public Lyons View si l’un de ses praticiens, le docteur Cukrowicz, accepte de pratiquer une lobotomie sur sa nièce Catherine Holly. Celle-ci est internée depuis le décès mystérieux, durant un périple estival, de Sebastian Venable, poète et fils de Mrs Venable. La version que raconte Catherine du décès de Sebastian paraît tellement loufoque, que Violet la croit folle à lier. Avec l’aide du Dr Cukrowicz, Catherine va peu à peu recouvrer la mémoire jusqu’à révéler une vérité que certains auraient préféré rester enfouie.
Tout d’abord scénariste (Alice au pays des merveilles de Norman Z. McLeod, L’Ennemi public n°1 de W.S. Van Dyke), puis producteur (Furie de Fritz Lang, Indiscrétions de George Cukor), Joseph L. Mankiewicz (1909-1993) passe derrière la caméra en 1946 avec Le Château du dragon, en remplacement d’Ernst Lubitsch, victime d’une crise cardiaque. Suite à ce premier et grand succès, Mankiewicz choisit une pièce de Lee Strasberg, qu’il adapte avec Howard Dimsdale. Ce sera Quelque part dans la nuit, un film noir dans le style du Faucon maltais de John Huston (1941) et du Grand sommeil de Howard Hawks, par ailleurs sorti quelques semaines après le film de Mankiewicz. Suivront Un mariage à Boston (1947), L’Aventure de madame Muir (1947), Escape (1948) et Chaînes conjugales (1949). Autant dire que Joseph L. Mankiewicz a le vent en poupe à la fin des années 1940. Il clôt cette fabuleuse décennie avec La Maison des étrangers – House of Strangers, drame familial qui annonce notamment Le Parrain plus de 20 ans avant. Le cinéaste prend alors son envol avec Eve (1950), On murmure dans la ville (1951), L’Affaire Cicéron (1952) et Jules César (1953). En revanche, il connaît quelques revers commerciaux et enchaîne les échecs avec La Comtesse aux pieds nus (1954), Blanches colombes et vilains messieurs (1955) et Un Américain bien tranquille (1958). Pour se refaire au box-office, Joseph L. Mankiewicz accepte la proposition du producteur Sam Spiegel (L’Odyssée de l’African Queen, Sur les quais et Le Pont de la rivière Kwaï), l’audacieuse adaptation de la pièce de Tennessee Williams, Soudain l’été dernier.
A l’hôpital psychiatrique de Lion’s View, le docteur Cukrowicz pratique dans des conditions vétustes la psychiatrie et la neurochirurgie. Le directeur lui annonce que Violet Venable, une riche veuve, lègue un million de dollars à l’établissement, à condition que Cukrowicz accepte de pratiquer une lobotomie sur sa nièce, Catherine. La jeune fille, traumatisée par la mort récente de son cousin Sebastien, le fils de Violet donc, a sombré dans la folie. Le jeune médecin s’efforce alors de provoquer chez sa patiente le souvenir de la scène fatale. C’est ainsi qu’il découvre peu à peu une troublante vérité que tous s’entendent, par intérêt, à lui tenir cachée, et dont l’innocente Catherine pourrait bien être la victime. Soudain l’été dernier aborde des thèmes extrêmement graves et rarement évoqués au cinéma à la fin des années 1950 comme l’homosexualité, la pédophilie, l’inceste et même le cannibalisme. A partir d’un scénario principalement écrit par Gore Vidal, qui a étendu l’histoire de la pièce originale en un acte de Tennessee Williams, le cinéaste signe un drame psychologique haletant qui s’apparente souvent à un thriller avec une tension maintenue du début à la fin. Fin lettré, Joseph L. Mankiewicz use des mots comme de véritables munitions et les longues, très longues séquences dialoguées, à l’instar de l’apparition de Katharine Hepburn, mettent les nerfs des spectateurs et ceux des personnages à rude épreuve.
Cette atmosphère pesante et oppressantesur le déni et le transfert, renvoie également aux difficiles conditions de tournage, en particulier pour Montgomery Clift, imposé par sa grande amie Elizabeth Taylor, qui venait d’avoir un très grave accident de voiture. Miraculé mais défiguré, le comédien avait dû subir de nombreuses opérations de chirurgie esthétique. Si son visage s’est ensuite transformé en figeant ses traits figés, ce traumatisme n’a fait qu’accentuer ses penchants pour l’alcool et sa dépendance aux médicaments. Le voir trembler à l’écran est souvent difficile, ce qui ne l’empêche pas de livrer une remarquable performance, même si Mankiewicz avait sérieusement envisagé de le remplacer par Peter O’Toole, avant que ses deux partenaires à l’écran ne prennent sa défense. De son côté, Elizabeth Taylor vient de perdre son troisième mari Michael Todd dans un accident d’avion et tombe en dépression. Quant à Katherine Hepburn, elle fait preuve d’une jalousie exacerbée envers Elizabeth Taylor et passe le tournage à pester contre cette histoire qu’elle trouve répugnante et qui la montre presque sans fard à l’écran. Elle finira ses prises de vue en allant cracher sur le plateau et dans le bureau de Sam Spiegel. Les deux comédiennes seront nommées pour l’Oscar de la meilleure actrice, qui sera finalement remporté par Simone Signoret pour Les Chemins de la haute ville. Sublime et d’ailleurs sublimée par Mankiewicz (tous les cinéphiles ont en tête la comédienne moulée dans son maillot de bain affriolant) Elizabeth Taylor obtiendra le Golden Globe pour sa prestation.
La pièce de théâtre originale était l’une des créations les plus personnelles du dramaturge puisque très inspirée de l’histoire de sa sœur aînée Rose, qui atteinte de schizophrénie aiguë avait subi une lobotomie en 1937 après une décision de leur mère castratrice et tyannique. Cet événement traumatisera Tennessee Williams toute sa vie et entraînera une rupture définitive avec les membres de la famille. Si les thèmes tabous et sulfureux sont évidemment plus suggérés qu’explicites, Soudain l’été dernier instaure un malaise qui ne fait que s’accentuer au fil des révélations de Catherine sur l’étrange disparition de son cousin, jeune poète que tout le monde adulait comme un Dieu, en premier lieu sa mère (Katharine Hepburn donc, immense) qui ne le quittait jamais et dont la relation trouble faisait jaser jusqu’à l’intelligentsia. Lors de la révélation finale qui s’apparente à un épisode des enquêtes d’Hercule Poirot (remplacé ici par un neurochirurgien en quête de la vérité) quand tous les suspects sont réunis dans une même pièce autour du détective, on comprend ainsi que Sebastian, prédateur sexuel, utilisait sa mère comme appât afin d’attirer de jeunes garçons démunis afin d’abuser d’eux. Voyant sa mère Violet vieillir, Sebastian a ensuite jeté son dévolu sur sa cousine Catherine, présente lors de sa mort l’été dernier. Délaissée, Violet voit sa nièce devenir sa rivale en occultant son désir pour son propre fils et décide alors de s’en débarrasser en la faisant interner puis en demandant sa lobotomisation.
Soudain l’été dernier condense tous les tourments propres à Tennessee Williams et le film de Joseph L. Mankiewicz demeure l’une des plus transpositions les plus denses, complexes, terrifiantes et impressionnantes d’une des œuvres de l’écrivain aux côtés d’Un tramway nommé désir d’Elia Kazan et La Nuit de l’iguane de John Huston.
LE BLU-RAY
Le test de l’édition HD de Soudain l’été dernier, disponible chez Carlotta Films, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le visuel de la jaquette, tout comme celui du menu principal fixe et musical, est étonnamment sobre, mais très élégant.
Avec la bande-annonce originale, l’éditeur joint une passionnante présentation de Soudain l’été dernier par Michel Ciment, critique, historien du cinéma et directeur de la revue Positif(26’). Ce dernier indique comment Joseph L. Mankiewicz s’est emparé de la pièce de Tennessee Williams pour la transcender, avant d’analyser l’adaptation, le style et l’interprétation d’un trio d’acteurs hors du commun. Michel Ciment replace Soudain l’été dernier dans la carrière du cinéaste, avant de très vite enchaîner sur les thèmes de la pièce originale et de sa transposition. Dans la dernière partie de cet entretien, le critique parle de l’accueil mitigé de la part de la critique américaine et française (Jean-Pierre Melville appelait même au boycott du film), ce qui n’a pas empêché Soudain l’été dernier de remporter un immense succès à travers le monde.
L’Image et le son
Le film de Joseph L. Mankiewicz avait bénéficié d’une édition en DVD en 2002 chez Sony Pictures. Le nouveau master restauré 4K au format respecté 1.85 de Soudain l’été dernier livré par Carlotta se révèle extrêmement pointilleux en terme de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté (l’éclat des yeux de Montgomery Clift) et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans, la photo entre ombre et lumière signée par le grand Jack Hildyard (Le Pont de la rivière Kwaï, L’Etau, Vacances à Venise) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les contrastes ne cessent d’impressionner, la copie est stable, tout comme les fondus enchaînés qui n’entraînent pas de décrochages. Il s’agit sans nul doute de la plus belle copie de Soudain l’été dernier disponible à ce jour.
Comme pour l’image, le son a également été restauré de fond en comble. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur le mixage anglais DTS-HD Master Audio 1.0. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets, jamais étouffés, les effets annexes probants et les plages de silence très impressionnantes. La partition entêtante est impeccablement restituée. Néanmoins, cette piste paraît parfois trop « propre » et donne un côté quelque peu artificiel à l’ensemble. La version française est correcte, un peu plus sourde, mais étonnamment plus naturelle. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
L’ESPRIT DE CAÏN (Raising Cain) réalisépar Brian De Palma,disponible en combo DVD-Blu-ray le 28 mars 2017 chez Elephant Films
Acteurs : John Lithgow, Lolita Davidovich, Steven Bauer, Frances Sternhagen, Gregg Henry, Tom Bower, Gabrielle Carteris…
Scénario : Brian De Palma
Photographie : Stephen H. Burum
Musique : Pino Donaggio
Durée : 1h31
Date de sortie initiale : 1992
LE FILM
Le docteur Carter Nix est un pédopsychiatre réputé qui décide d’abandonner sa carrière pour mieux pouvoir élever la fille qu’il a eue avec Jenny, elle-même médecin. Cette dernière se montre concernée par l’obsession grandissante que son mari porte à l’éducation de leur enfant, jusqu’à commencer à douter de la santé mentale de l’homme qu’elle a épousé et qu’elle croit connaître.
En 1984, Brian De Palma livre un chef d’oeuvre sur sa filiation avec son maître Alfred Hitchcock, Body Double. Puis, le cinéaste effectue un virage étonnant dans sa carrière, cela ne sera pas l’unique fois, en enchaînant trois films de studio aux budgets conséquents et portés par des stars. Les Incorruptibles (1987) est un succès mondial et vaut à Sean Connery le seul Oscar de sa carrière, Outrages (1989), interprété par Michael J. Fox et Sean Penn est un film sur les dérives de la guerre du Vietnam qui se solde par un échec au box-office. Ce changement de registre étonne les spectateurs et la difficulté de son sujet, le viol et le meurtre d’une jeune paysanne vietnamienne en 1966 par des soldats américains, entraîne son rejet total aux Etats-Unis. De Palma essaye alors de se refaire avec Le Bûcher des vanités, mais malheureusement, cette adaptation du roman de Tom Wolfe avec pourtant le trio Tom Hanks – Melanie Griffith – Bruce Willis en vedette est très mal accueillie par la presse et les salles sont désertées. Après ces expériences à la Paramount, à la Fox puis à la Warner Bros., Brian de Palma tombe dans la dépression au début des années 1990. Comme tout artiste, il décide de revenir à ses premières amours, au film à petit budget, une production indépendante plus modeste dans laquelle il mettrait à nouveau tous les thèmes qui l’animent et qui ont fait sa renommée. Ce thriller névrotique, psychologique, baroque et hitchcockien s’intitule L’Esprit de Caïn et demeure à ce jour le film le plus mal aimé, probablement le plus incompris de son auteur, celui qui entraîne le plus de débats au sein même de la sphère des fans du réalisateur.
Sorti en 1992, Raising Cain détonne et la critique conspue immédiatement ce film. « Grotesque », « ridicule », « absurde », « outrancier », rarement un film de Brian De Palma aura été à ce point controversé et traîné dans la boue. Pourtant, rétrospectivement, ces qualificatifs reflètent bien ce film du réalisateur de Phantom of the Paradise, qui concentre le plus la sève de sa création. Le spectre d’Alfred Hitchcock plane évidemment sur Raising Cain, comme si Brian De Palma, après s’être éloigné de ses thèmes de prédilection, se sentait à nouveau attirer par celui qui lui a donné envie de faire ce métier de cinéaste. Magistralement interprété par John Lithgow, le personnage principal schizophrène atteint de dédoublement de la personnalité renvoie à la propre situation de De Palma, pris entre son désir de conserver son indépendance, ainsi que sa liberté créatrice, et son obligation à se plier aux directives des studios hollywoodiens afin de survivre dans l’industrie cinématographique. Le cinéaste use de ficelles devenues « populaires » à l’instar du soap opéra, caractérisé par l’idylle entre une femme (la ravissante Lolita Davidovich) avec son ancien amant (Steven Bauer), filmée comme un épisode des Feux de l’amour. Redoutablement intelligent, Brian De Palma dynamite ces codes afin de mieux les parasiter, en incluant ses thèmes récurrents, la perversité, le voyeurisme, la frustration sexuelle, le meurtre à l’arme blanche, le travestissement, le double. L’Esprit de Caïn n’est pas une parodie, mais une œuvre maîtrisée de A à Z par un réalisateur bien trop heureux de faire perdre ses repères à un spectateur devenu trop conditionné par une esthétique acidulée et des histoires à l’eau de rose tirées d’un mauvais roman de gare.
Nul autre film que Psychose a su parler de la psyché bouleversée d’un être humain. Le chef d’oeuvre d’Alfred Hitchcock est omniprésent dans L’Esprit de Caïn, tout comme Le Voyeur de Michael Powell, mais contrairement à un Quentin Tarantino ou un Nicolas Winding Refn qui se contentent la plupart du temps de plagier leurs modèles, les références ont été digérées par De Palma dont l’oeuvre n’a de cesse de converser avec celle de ses modèles. Par ailleurs, Brian De Palma s’autocite avec humour à travers quelques motifs puisque nous retrouvons la grande femme blonde aux lunettes noires de Pulsions, ou bien encore la panique de la femme en train de se noyer qui n’est pas sans rappeler l’une des séquences de Blow Out. John Lithgow se délecte dans ce rôle-multiple (Carter/Caïn/Dr. Nix/Josh/Margo), qui a vraisemblablement et très largement inspiré James McAvoy dans le formidable Split de M. Night Shyamalan, qui comme une mise en abyme a de son côté été bercé par le cinéma de Brian de Palma et d’Alfred Hitchcock. Rythmé par les sublimes accords de Pino Donaggio (Carrie au bal du diable), L’Esprit de Caïn ne cesse de déstabiliser les spectateurs, en leur faisant constamment perdre leurs repères, les obligeant ainsi à recomposer systématiquement l’histoire qu’on leur montre et que Brian de Palma n’a de cesse de leur déconstruire en jouant à la fois sur la temporalité, l’inconscient, avec parfois des rêves qui s’imbriquent dans d’autres rêves au moyen d’un montage chronologique…mais défragmenté.
C’est cette construction et ce mélange de genres qui a visiblement choqué les spectateurs à la sortie du film, avant d’être « remonté » en 2012 par Peet Gelderblom, un réalisateur néerlandais fan de Brian De Palma et de L’Esprit de Caïn, qui ayant appris que le cinéaste avait décidé – chose qu’il a ensuite regretté – de changer la structure originelle de son film en postproduction (afin de ne pas trop perdre de spectateurs), a décidé de le recomposer en suivant le scénario initial et en se servant d’une simple copie en DVD. Si ce recut, proposant les mêmes scènes mais dans un ordre différent et une durée identique, rapproche encore plus L’Esprit de Caïn de Pulsions, l’expérience est moins viscérale et vertigineuse, plus classique et linéaire, bien que ce recut mélange à la fois le présent, le passé et les songes. Malgré tout, cette version remaniée avec l’adoubement de Brian De Palma himself – qui a voulu que les deux moutures soient proposées en Blu-ray – s’avère une belle curiosité, L’Esprit de Caïn conserve indéniablement plus de force dans son cut cinéma, plus axé sur le trouble dissociatif de son personnage principal (qui passe au second plan dans le recut), plutôt que sur sa critique de l’adultère, dans laquelle on se perd finalement moins et qui reflète moins le chaos psychologique de Nix/Caïn.
Virtuose, comme ce long et extraordinaire plan-séquence durant lequel Frances Sternhagen détaille la personnalité et le trauma de Carter Nix, Raising Cain s’adresse donc non seulement aux cinéphiles passionnés par le genre et par la filmographie de Brian De Palma, mais aussi aux cinéphiles férus de technique, tout comme à ceux qui possèdent un bagage nanti de références. Injustement considéré comme mineur et souvent dissimulé derrière des oeuvres prestigieuses et mondialement reconnues, L’Esprit de Caïn est pourtant un film à la fois matriciel, somme et définitif d’un des plus grands auteurs de l’histoire du cinéma.
LE BLU-RAY
Elephant Films édite l’un de ses titres les plus importants à ce jour. Cette édition combo de L’Esprit de Caïn se compose de deux Blu-ray, la version cinéma d’un côté (disque rouge), la version « Director’s Cut » 2016 de l’autre (disque bleu), sans oublier le DVD du montage cinéma (disque jaune). Les trois galettes, ainsi qu’un livret de 20 pages écrit par Stéphane du Mesnildot, critique aux Cahiers du Cinéma (qui reprend l’essentiel de sa présentation dans les bonus), reposent dans un boîtier transparent glissé dans un surétui. La jaquette est réversible. Le visuel du recto a été concocté pour cette sortie dans les bacs, tandis que l’affiche originale est disponible au verso. A vous de choisir ! Le menu principal de chaque disque est animé sur la musique de Pino Donaggio.
Le montage cinéma s’accompagne d’une formidable présentation par Stéphane du Mesnildot, que nous évoquions plus haut (21’). L’intervenant replace L’Esprit de Caïn dans la carrière de Brian De Palma, insiste sur le côté œuvre maudite, détaille les thèmes du film qui nous intéresse, revient sur l’accueil très froid de la part de la critique et des spectateurs, sans oublier les références de Brian De Palma (Le Voyeur, Psychose, Pas de printemps pour Marnie, Pulsions, Ne vous retournez pas), la forme très détaillée avec l’usage du plan-séquence et du cadre dans l’image. Une analyse précise, passionnante et très détaillée.
L’interactivité se clôt sur une galerie de photos et des bandes-annonces.
Le Blu-ray de la version « Director’s Cut » (terme autorisé par le maître en personne) démarre automatiquement par un clip de 2’30, durant lequel Peet Gelderblom, dont nous parlons dans la critique du film, présente la raison d’être de ce recut. Ce segment intitulé Le Changement de Caïn, la restauration du classique culte de Brian De Palma, est également disponible dans la section des suppléments.
Comme il l’indique dans le module précédent, Peet Gelderblom a présenté sa version « Director’s Cut » de L’Esprit de Caïn, dans un essai vidéo posté sur le site IndieWire en 2012. C’est après avoir découvert cet exposé, que Brian De Palma, tout comme plusieurs de ses confrères (dont Edgar Wright) s’est dit très heureux et impressionné par ce remodelage qu’il avait finalement abandonné avant la sortie du film dans les salles. Elephant Films propose de découvrir ce petit documentaire en question (13’), dans lequel Peet Gelderblom revient sur chacune des étapes qui ont conduit à cette version alternative.
L’interactivité se clôt sur une galerie de photos et les credits.
L’Image et le son
Le sort réservé à chaque mouture est différent. La version cinéma 1992 est la mieux lotie. Le film est disponible sur un BD 50, double couche donc, et la copie présentée, même si elle ne peut rivaliser avec les standards actuels à 2 ou 4K, s’en sort très bien. La gestion du grain argentique est solide, les couleurs plaisantes et ravivées. Bien qu’elle ne paraisse pas récente et que les détails manquent parfois à l’appel, la restauration est indéniable (à peine quelques points blancs à signaler), les contrastes élégants et la stabilité est de mise. En revanche, le « Director’s Cut » 2016, présenté sur un BD 25 apparaît plus délavé avec un aspect étonnamment plus lisse, une compression moins discrète et un bruit vidéo parfois palpable. Dans les deux cas, le film est évidemment proposé dans son format original 1.85.
Les versions originale et française (présentes sur les deux montages) bénéficient d’une piste DTS-HD Master Audio Stéréo 2.0 exemplaire et limpide, restituant les dialogues avec minutie – moins en version originale toutefois – ainsi que l’enivrante bande originale signée Pino Donaggio qui jouit d’un coffre inédit. Les effets sont solides, le confort acoustique largement assuré et nous découvrons même quelques ambiances inédites qui avaient pu échapper à nos oreilles jusqu’à maintenant. La piste française se focalise un peu trop sur les dialogues et le doublage de John Lighgow au détriment des effets annexes, plus saisissants en version anglaise. Un souffle léger demeure constatable en français pour les deux options acoustiques. Le mixage français est certes moins riche mais contentera les habitués de cette version. Nous échappons heureusement à un remixage 5.1 inutile. Les sous-titres français ne sont pas imposés.