Test Blu-ray / Soudain l’été dernier, réalisé par Joseph L. Mankiewicz

SOUDAIN L’ÉTÉ DERNIER (Suddenly, Last Summer) réalisé par Joseph L. Mankiewicz, disponible en DVD et Blu-ray le 23 août 2017 chez Carlotta Films

Acteurs : Elizabeth Taylor, Katharine Hepburn, Montgomery Clift, Albert Dekker, Mercedes McCambridge, Gary Raymond…

Scénario : Gore Vidal d’après la pièce de théâtre Suddenly, Last Summer de Tennessee Williams

Photographie : Jack Hildyard

Musique : Malcolm Arnold, Buxton Orr

Durée : 1h54

Date de sortie initiale : 1959

LE FILM

Dans la Nouvelle-Orléans de 1937, une riche veuve, Violet Venable, propose de financer l’hôpital public Lyons View si l’un de ses praticiens, le docteur Cukrowicz, accepte de pratiquer une lobotomie sur sa nièce Catherine Holly. Celle-ci est internée depuis le décès mystérieux, durant un périple estival, de Sebastian Venable, poète et fils de Mrs Venable. La version que raconte Catherine du décès de Sebastian paraît tellement loufoque, que Violet la croit folle à lier. Avec l’aide du Dr Cukrowicz, Catherine va peu à peu recouvrer la mémoire jusqu’à révéler une vérité que certains auraient préféré rester enfouie.

Tout d’abord scénariste (Alice au pays des merveilles de Norman Z. McLeod, L’Ennemi public n°1 de W.S. Van Dyke), puis producteur (Furie de Fritz Lang, Indiscrétions de George Cukor), Joseph L. Mankiewicz (1909-1993) passe derrière la caméra en 1946 avec Le Château du dragon, en remplacement d’Ernst Lubitsch, victime d’une crise cardiaque. Suite à ce premier et grand succès, Mankiewicz choisit une pièce de Lee Strasberg, qu’il adapte avec Howard Dimsdale. Ce sera Quelque part dans la nuit, un film noir dans le style du Faucon maltais de John Huston (1941) et du Grand sommeil de Howard Hawks, par ailleurs sorti quelques semaines après le film de Mankiewicz. Suivront Un mariage à Boston (1947), L’Aventure de madame Muir (1947), Escape (1948) et Chaînes conjugales (1949). Autant dire que Joseph L. Mankiewicz a le vent en poupe à la fin des années 1940. Il clôt cette fabuleuse décennie avec La Maison des étrangersHouse of Strangers, drame familial qui annonce notamment Le Parrain plus de 20 ans avant. Le cinéaste prend alors son envol avec Eve (1950), On murmure dans la ville (1951), L’Affaire Cicéron (1952) et Jules César (1953). En revanche, il connaît quelques revers commerciaux et enchaîne les échecs avec La Comtesse aux pieds nus (1954), Blanches colombes et vilains messieurs (1955) et Un Américain bien tranquille (1958). Pour se refaire au box-office, Joseph L. Mankiewicz accepte la proposition du producteur Sam Spiegel (L’Odyssée de l’African Queen, Sur les quais et Le Pont de la rivière Kwaï), l’audacieuse adaptation de la pièce de Tennessee Williams, Soudain l’été dernier.

A l’hôpital psychiatrique de Lion’s View, le docteur Cukrowicz pratique dans des conditions vétustes la psychiatrie et la neurochirurgie. Le directeur lui annonce que Violet Venable, une riche veuve, lègue un million de dollars à l’établissement, à condition que Cukrowicz accepte de pratiquer une lobotomie sur sa nièce, Catherine. La jeune fille, traumatisée par la mort récente de son cousin Sebastien, le fils de Violet donc, a sombré dans la folie. Le jeune médecin s’efforce alors de provoquer chez sa patiente le souvenir de la scène fatale. C’est ainsi qu’il découvre peu à peu une troublante vérité que tous s’entendent, par intérêt, à lui tenir cachée, et dont l’innocente Catherine pourrait bien être la victime. Soudain l’été dernier aborde des thèmes extrêmement graves et rarement évoqués au cinéma à la fin des années 1950 comme l’homosexualité, la pédophilie, l’inceste et même le cannibalisme. A partir d’un scénario principalement écrit par Gore Vidal, qui a étendu l’histoire de la pièce originale en un acte de Tennessee Williams, le cinéaste signe un drame psychologique haletant qui s’apparente souvent à un thriller avec une tension maintenue du début à la fin. Fin lettré, Joseph L. Mankiewicz use des mots comme de véritables munitions et les longues, très longues séquences dialoguées, à l’instar de l’apparition de Katharine Hepburn, mettent les nerfs des spectateurs et ceux des personnages à rude épreuve.

Cette atmosphère pesante et oppressante sur le déni et le transfert, renvoie également aux difficiles conditions de tournage, en particulier pour Montgomery Clift, imposé par sa grande amie Elizabeth Taylor, qui venait d’avoir un très grave accident de voiture. Miraculé mais défiguré, le comédien avait dû subir de nombreuses opérations de chirurgie esthétique. Si son visage s’est ensuite transformé en figeant ses traits figés, ce traumatisme n’a fait qu’accentuer ses penchants pour l’alcool et sa dépendance aux médicaments. Le voir trembler à l’écran est souvent difficile, ce qui ne l’empêche pas de livrer une remarquable performance, même si Mankiewicz avait sérieusement envisagé de le remplacer par Peter O’Toole, avant que ses deux partenaires à l’écran ne prennent sa défense. De son côté, Elizabeth Taylor vient de perdre son troisième mari Michael Todd dans un accident d’avion et tombe en dépression. Quant à Katherine Hepburn, elle fait preuve d’une jalousie exacerbée envers Elizabeth Taylor et passe le tournage à pester contre cette histoire qu’elle trouve répugnante et qui la montre presque sans fard à l’écran. Elle finira ses prises de vue en allant cracher sur le plateau et dans le bureau de Sam Spiegel. Les deux comédiennes seront nommées pour l’Oscar de la meilleure actrice, qui sera finalement remporté par Simone Signoret pour Les Chemins de la haute ville. Sublime et d’ailleurs sublimée par Mankiewicz (tous les cinéphiles ont en tête la comédienne moulée dans son maillot de bain affriolant) Elizabeth Taylor obtiendra le Golden Globe pour sa prestation.

La pièce de théâtre originale était l’une des créations les plus personnelles du dramaturge puisque très inspirée de l’histoire de sa sœur aînée Rose, qui atteinte de schizophrénie aiguë avait subi une lobotomie en 1937 après une décision de leur mère castratrice et tyannique. Cet événement traumatisera Tennessee Williams toute sa vie et entraînera une rupture définitive avec les membres de la famille. Si les thèmes tabous et sulfureux sont évidemment plus suggérés qu’explicites, Soudain l’été dernier instaure un malaise qui ne fait que s’accentuer au fil des révélations de Catherine sur l’étrange disparition de son cousin, jeune poète que tout le monde adulait comme un Dieu, en premier lieu sa mère (Katharine Hepburn donc, immense) qui ne le quittait jamais et dont la relation trouble faisait jaser jusqu’à l’intelligentsia. Lors de la révélation finale qui s’apparente à un épisode des enquêtes d’Hercule Poirot (remplacé ici par un neurochirurgien en quête de la vérité) quand tous les suspects sont réunis dans une même pièce autour du détective, on comprend ainsi que Sebastian, prédateur sexuel, utilisait sa mère comme appât afin d’attirer de jeunes garçons démunis afin d’abuser d’eux. Voyant sa mère Violet vieillir, Sebastian a ensuite jeté son dévolu sur sa cousine Catherine, présente lors de sa mort l’été dernier. Délaissée, Violet voit sa nièce devenir sa rivale en occultant son désir pour son propre fils et décide alors de s’en débarrasser en la faisant interner puis en demandant sa lobotomisation.

Soudain l’été dernier condense tous les tourments propres à Tennessee Williams et le film de Joseph L. Mankiewicz demeure l’une des plus transpositions les plus denses, complexes, terrifiantes et impressionnantes d’une des œuvres de l’écrivain aux côtés d’Un tramway nommé désir d’Elia Kazan et La Nuit de l’iguane de John Huston.

LE BLU-RAY

Le test de l’édition HD de Soudain l’été dernier, disponible chez Carlotta Films, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le visuel de la jaquette, tout comme celui du menu principal fixe et musical, est étonnamment sobre, mais très élégant.

Avec la bande-annonce originale, l’éditeur joint une passionnante présentation de Soudain l’été dernier par Michel Ciment, critique, historien du cinéma et directeur de la revue Positif (26’). Ce dernier indique comment Joseph L. Mankiewicz s’est emparé de la pièce de Tennessee Williams pour la transcender, avant d’analyser l’adaptation, le style et l’interprétation d’un trio d’acteurs hors du commun. Michel Ciment replace Soudain l’été dernier dans la carrière du cinéaste, avant de très vite enchaîner sur les thèmes de la pièce originale et de sa transposition. Dans la dernière partie de cet entretien, le critique parle de l’accueil mitigé de la part de la critique américaine et française (Jean-Pierre Melville appelait même au boycott du film), ce qui n’a pas empêché Soudain l’été dernier de remporter un immense succès à travers le monde.

L’Image et le son

Le film de Joseph L. Mankiewicz avait bénéficié d’une édition en DVD en 2002 chez Sony Pictures. Le nouveau master restauré 4K au format respecté 1.85 de Soudain l’été dernier livré par Carlotta se révèle extrêmement pointilleux en terme de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté (l’éclat des yeux de Montgomery Clift) et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans, la photo entre ombre et lumière signée par le grand Jack Hildyard (Le Pont de la rivière Kwaï, L’Etau, Vacances à Venise) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les contrastes ne cessent d’impressionner, la copie est stable, tout comme les fondus enchaînés qui n’entraînent pas de décrochages. Il s’agit sans nul doute de la plus belle copie de Soudain l’été dernier disponible à ce jour.

Comme pour l’image, le son a également été restauré de fond en comble. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur le mixage anglais DTS-HD Master Audio 1.0. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets, jamais étouffés, les effets annexes probants et les plages de silence très impressionnantes. La partition entêtante est impeccablement restituée. Néanmoins, cette piste paraît parfois trop « propre » et donne un côté quelque peu artificiel à l’ensemble. La version française est correcte, un peu plus sourde, mais étonnamment plus naturelle. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © 1960, renouvelé 1988 Horizon Pictures (G.B.) LTD. Tois droits réservés. / Columbia Pictures / Carlotta Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / L’Esprit de Caïn, réalisé par Brian De Palma

L’ESPRIT DE CAÏN (Raising Cain) réalisé par Brian De Palma, disponible en combo DVD-Blu-ray le 28 mars 2017 chez Elephant Films

Acteurs : John Lithgow, Lolita Davidovich, Steven Bauer, Frances Sternhagen, Gregg Henry, Tom Bower, Gabrielle Carteris…

Scénario : Brian De Palma

Photographie : Stephen H. Burum

Musique : Pino Donaggio

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1992

LE FILM

Le docteur Carter Nix est un pédopsychiatre réputé qui décide d’abandonner sa carrière pour mieux pouvoir élever la fille qu’il a eue avec Jenny, elle-même médecin. Cette dernière se montre concernée par l’obsession grandissante que son mari porte à l’éducation de leur enfant, jusqu’à commencer à douter de la santé mentale de l’homme qu’elle a épousé et qu’elle croit connaître.

En 1984, Brian De Palma livre un chef d’oeuvre sur sa filiation avec son maître Alfred Hitchcock, Body Double. Puis, le cinéaste effectue un virage étonnant dans sa carrière, cela ne sera pas l’unique fois, en enchaînant trois films de studio aux budgets conséquents et portés par des stars. Les Incorruptibles (1987) est un succès mondial et vaut à Sean Connery le seul Oscar de sa carrière, Outrages (1989), interprété par Michael J. Fox et Sean Penn est un film sur les dérives de la guerre du Vietnam qui se solde par un échec au box-office. Ce changement de registre étonne les spectateurs et la difficulté de son sujet, le viol et le meurtre d’une jeune paysanne vietnamienne en 1966 par des soldats américains, entraîne son rejet total aux Etats-Unis. De Palma essaye alors de se refaire avec Le Bûcher des vanités, mais malheureusement, cette adaptation du roman de Tom Wolfe avec pourtant le trio Tom Hanks – Melanie Griffith – Bruce Willis en vedette est très mal accueillie par la presse et les salles sont désertées. Après ces expériences à la Paramount, à la Fox puis à la Warner Bros., Brian de Palma tombe dans la dépression au début des années 1990. Comme tout artiste, il décide de revenir à ses premières amours, au film à petit budget, une production indépendante plus modeste dans laquelle il mettrait à nouveau tous les thèmes qui l’animent et qui ont fait sa renommée. Ce thriller névrotique, psychologique, baroque et hitchcockien s’intitule L’Esprit de Caïn et demeure à ce jour le film le plus mal aimé, probablement le plus incompris de son auteur, celui qui entraîne le plus de débats au sein même de la sphère des fans du réalisateur.

Sorti en 1992, Raising Cain détonne et la critique conspue immédiatement ce film. « Grotesque », « ridicule », « absurde », « outrancier », rarement un film de Brian De Palma aura été à ce point controversé et traîné dans la boue. Pourtant, rétrospectivement, ces qualificatifs reflètent bien ce film du réalisateur de Phantom of the Paradise, qui concentre le plus la sève de sa création. Le spectre d’Alfred Hitchcock plane évidemment sur Raising Cain, comme si Brian De Palma, après s’être éloigné de ses thèmes de prédilection, se sentait à nouveau attirer par celui qui lui a donné envie de faire ce métier de cinéaste. Magistralement interprété par John Lithgow, le personnage principal schizophrène atteint de dédoublement de la personnalité renvoie à la propre situation de De Palma, pris entre son désir de conserver son indépendance, ainsi que sa liberté créatrice, et son obligation à se plier aux directives des studios hollywoodiens afin de survivre dans l’industrie cinématographique. Le cinéaste use de ficelles devenues « populaires » à l’instar du soap opéra, caractérisé par l’idylle entre une femme (la ravissante Lolita Davidovich) avec son ancien amant (Steven Bauer), filmée comme un épisode des Feux de l’amour. Redoutablement intelligent, Brian De Palma dynamite ces codes afin de mieux les parasiter, en incluant ses thèmes récurrents, la perversité, le voyeurisme, la frustration sexuelle, le meurtre à l’arme blanche, le travestissement, le double. L’Esprit de Caïn n’est pas une parodie, mais une œuvre maîtrisée de A à Z par un réalisateur bien trop heureux de faire perdre ses repères à un spectateur devenu trop conditionné par une esthétique acidulée et des histoires à l’eau de rose tirées d’un mauvais roman de gare.

Nul autre film que Psychose a su parler de la psyché bouleversée d’un être humain. Le chef d’oeuvre d’Alfred Hitchcock est omniprésent dans L’Esprit de Caïn, tout comme Le Voyeur de Michael Powell, mais contrairement à un Quentin Tarantino ou un Nicolas Winding Refn qui se contentent la plupart du temps de plagier leurs modèles, les références ont été digérées par De Palma dont l’oeuvre n’a de cesse de converser avec celle de ses modèles. Par ailleurs, Brian De Palma s’autocite avec humour à travers quelques motifs puisque nous retrouvons la grande femme blonde aux lunettes noires de Pulsions, ou bien encore la panique de la femme en train de se noyer qui n’est pas sans rappeler l’une des séquences de Blow Out. John Lithgow se délecte dans ce rôle-multiple (Carter/Caïn/Dr. Nix/Josh/Margo), qui a vraisemblablement et très largement inspiré James McAvoy dans le formidable Split de M. Night Shyamalan, qui comme une mise en abyme a de son côté été bercé par le cinéma de Brian de Palma et d’Alfred Hitchcock. Rythmé par les sublimes accords de Pino Donaggio (Carrie au bal du diable), L’Esprit de Caïn ne cesse de déstabiliser les spectateurs, en leur faisant constamment perdre leurs repères, les obligeant ainsi à recomposer systématiquement l’histoire qu’on leur montre et que Brian de Palma n’a de cesse de leur déconstruire en jouant à la fois sur la temporalité, l’inconscient, avec parfois des rêves qui s’imbriquent dans d’autres rêves au moyen d’un montage chronologique…mais défragmenté.

C’est cette construction et ce mélange de genres qui a visiblement choqué les spectateurs à la sortie du film, avant d’être « remonté » en 2012 par Peet Gelderblom, un réalisateur néerlandais fan de Brian De Palma et de L’Esprit de Caïn, qui ayant appris que le cinéaste avait décidé – chose qu’il a ensuite regretté – de changer la structure originelle de son film en postproduction (afin de ne pas trop perdre de spectateurs), a décidé de le recomposer en suivant le scénario initial et en se servant d’une simple copie en DVD. Si ce recut, proposant les mêmes scènes mais dans un ordre différent et une durée identique, rapproche encore plus L’Esprit de Caïn de Pulsions, l’expérience est moins viscérale et vertigineuse, plus classique et linéaire, bien que ce recut mélange à la fois le présent, le passé et les songes. Malgré tout, cette version remaniée avec l’adoubement de Brian De Palma himself – qui a voulu que les deux moutures soient proposées en Blu-ray – s’avère une belle curiosité, L’Esprit de Caïn conserve indéniablement plus de force dans son cut cinéma, plus axé sur le trouble dissociatif de son personnage principal (qui passe au second plan dans le recut), plutôt que sur sa critique de l’adultère, dans laquelle on se perd finalement moins et qui reflète moins le chaos psychologique de Nix/Caïn.

Virtuose, comme ce long et extraordinaire plan-séquence durant lequel Frances Sternhagen détaille la personnalité et le trauma de Carter Nix, Raising Cain s’adresse donc non seulement aux cinéphiles passionnés par le genre et par la filmographie de Brian De Palma, mais aussi aux cinéphiles férus de technique, tout comme à ceux qui possèdent un bagage nanti de références. Injustement considéré comme mineur et souvent dissimulé derrière des oeuvres prestigieuses et mondialement reconnues, L’Esprit de Caïn est pourtant un film à la fois matriciel, somme et définitif d’un des plus grands auteurs de l’histoire du cinéma.

LE BLU-RAY

Elephant Films édite l’un de ses titres les plus importants à ce jour. Cette édition combo de L’Esprit de Caïn se compose de deux Blu-ray, la version cinéma d’un côté (disque rouge), la version « Director’s Cut » 2016 de l’autre (disque bleu), sans oublier le DVD du montage cinéma (disque jaune). Les trois galettes, ainsi qu’un livret de 20 pages écrit par Stéphane du Mesnildot, critique aux Cahiers du Cinéma (qui reprend l’essentiel de sa présentation dans les bonus), reposent dans un boîtier transparent glissé dans un surétui. La jaquette est réversible. Le visuel du recto a été concocté pour cette sortie dans les bacs, tandis que l’affiche originale est disponible au verso. A vous de choisir ! Le menu principal de chaque disque est animé sur la musique de Pino Donaggio.

Le montage cinéma s’accompagne d’une formidable présentation par Stéphane du Mesnildot, que nous évoquions plus haut (21’). L’intervenant replace L’Esprit de Caïn dans la carrière de Brian De Palma, insiste sur le côté œuvre maudite, détaille les thèmes du film qui nous intéresse, revient sur l’accueil très froid de la part de la critique et des spectateurs, sans oublier les références de Brian De Palma (Le Voyeur, Psychose, Pas de printemps pour Marnie, Pulsions, Ne vous retournez pas), la forme très détaillée avec l’usage du plan-séquence et du cadre dans l’image. Une analyse précise, passionnante et très détaillée.

L’interactivité se clôt sur une galerie de photos et des bandes-annonces.

Le Blu-ray de la version « Director’s Cut » (terme autorisé par le maître en personne) démarre automatiquement par un clip de 2’30, durant lequel Peet Gelderblom, dont nous parlons dans la critique du film, présente la raison d’être de ce recut. Ce segment intitulé Le Changement de Caïn, la restauration du classique culte de Brian De Palma, est également disponible dans la section des suppléments.

Comme il l’indique dans le module précédent, Peet Gelderblom a présenté sa version « Director’s Cut » de L’Esprit de Caïn, dans un essai vidéo posté sur le site IndieWire en 2012. C’est après avoir découvert cet exposé, que Brian De Palma, tout comme plusieurs de ses confrères (dont Edgar Wright) s’est dit très heureux et impressionné par ce remodelage qu’il avait finalement abandonné avant la sortie du film dans les salles. Elephant Films propose de découvrir ce petit documentaire en question (13’), dans lequel Peet Gelderblom revient sur chacune des étapes qui ont conduit à cette version alternative.

L’interactivité se clôt sur une galerie de photos et les credits.

L’Image et le son

Le sort réservé à chaque mouture est différent. La version cinéma 1992 est la mieux lotie. Le film est disponible sur un BD 50, double couche donc, et la copie présentée, même si elle ne peut rivaliser avec les standards actuels à 2 ou 4K, s’en sort très bien. La gestion du grain argentique est solide, les couleurs plaisantes et ravivées. Bien qu’elle ne paraisse pas récente et que les détails manquent parfois à l’appel, la restauration est indéniable (à peine quelques points blancs à signaler), les contrastes élégants et la stabilité est de mise. En revanche, le « Director’s Cut » 2016, présenté sur un BD 25 apparaît plus délavé avec un aspect étonnamment plus lisse, une compression moins discrète et un bruit vidéo parfois palpable. Dans les deux cas, le film est évidemment proposé dans son format original 1.85.

Les versions originale et française (présentes sur les deux montages) bénéficient d’une piste DTS-HD Master Audio Stéréo 2.0 exemplaire et limpide, restituant les dialogues avec minutie – moins en version originale toutefois – ainsi que l’enivrante bande originale signée Pino Donaggio qui jouit d’un coffre inédit. Les effets sont solides, le confort acoustique largement assuré et nous découvrons même quelques ambiances inédites qui avaient pu échapper à nos oreilles jusqu’à maintenant. La piste française se focalise un peu trop sur les dialogues et le doublage de John Lighgow au détriment des effets annexes, plus saisissants en version anglaise. Un souffle léger demeure constatable en français pour les deux options acoustiques. Le mixage français est certes moins riche mais contentera les habitués de cette version. Nous échappons heureusement à un remixage 5.1 inutile. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Universal Studios. / Elephant Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / A la recherche du plaisir, réalisé par Silvio Amadio

A LA RECHERCHE DU PLAISIR (Alla ricerca del piacere) réalisé par Silvio Amadio, disponible en Édition Collector limité (1000ex) Blu-ray + DVD + CD le 15 juin 2017 chez Le Chat qui fume

Acteurs : Barbara Bouchet, Farley Granger, Rosalba Neri, Nino Segurini, Dino Mele, Umberto Raho, Patrizia Viotti

Scénario : Silvio Amadio

Photographie : Aldo Giordani

Musique : Teo Usuelli

Durée : 1h40

Date de sortie initiale : 1972

LE FILM

Greta Franklin s’établit sur une île près de Venise et entre en contact avec Richard Stuart, qui vit dans une magnifique maison en compagnie de son épouse Elonora. Elle est engagée comme nouvelle secrétaire par Richard, la précédente ayant disparu dans d’étranges circonstances. Richard et Eleonora ignorent que Greta a une bonne raison d’accepter ce job : elle connaissait personnellement Sally…

L’oeuvre éclectique du réalisateur italien Silvio Amadio (1926-1995) n’est pas restée dans la mémoire des cinéphiles. Il faut dire que ses derniers films aux titres fleuris et explicites comme Comment faire cocu les maris jaloux, Les Polissonnes excitées, Si douce, si perverse ou bien encore La Lycéenne a grandi ont souvent éclipsé d’autres opus nettement plus intéressants. C’est le cas d’A la recherche du plaisir Alla ricerca del piacere (1972), également connu sous le titre américain Amuck ! ou bien encore Maniac Mansion, superbe variation du giallo, qui s’avère avant tout un drame-thriller psychologique et érotique brillant et passionnant. La sublime Barbara Bouchet, au sommet de sa carrière (la même année que La Longue nuit de l’exorcisme de Lucio Fulci) et de sa beauté, qui enchaînait alors les tournages en Italie depuis la fin des années 1960, porte le film sur ses belles épaules – et quelle chute de reins mamma mia ! – et inspire Silvio Amadio.

Greta Franklin (Barbara Bouchet) part en Italie suite à son embauche comme secrétaire auprès de l’écrivain notoire Richard Stuart (Farley Granger), qui possède un vaste domaine isolé sur une île aux alentours de Venise. Mais son but premier est de retrouver Sally, son amie, son amante, disparue alors qu’elle occupait le même poste. Eleonora (Rosalba Neri), la femme de Stuart, bisexuelle, lui fait bientôt des avances, puis la drogue pour assouvir ses désirs. Lors d’une soirée décadente, Stuart diffuse un petit film amateur dans lequel Greta reconnaît Sally. Décidée à enquêter sur ce couple sulfureux, elle ne s’aperçoit pas qu’elle tombe dans le piège qu’il lui tend. Un piège dangereux, peut-être même mortel.

A la recherche du plaisir n’est pas un énième film de genre, bâclé et réalisé à la va-vite. Certes, nous sommes en plein cinéma d’exploitation, mais Silvio Amadio soigne chaque plan, instaure une atmosphère trouble et troublante du début à la fin, pour ne pas dire jusqu’à la toute dernière seconde. Dès le générique, le cinéaste transporte le spectateur à Venise, avec Barbara Bouchet qui découvre la ville. Puis, le personnage s’en éloigne pour finalement débarquer sur une petite île près de la Sérénissime, dans une grande demeure. En quelques minutes, le réalisateur a donc dressé le tableau et isole cette jeune secrétaire. A la recherche du plaisir s’avère un véritable jeu de pistes, reposant sur la mise en scène (toute l’investigation de Greta est vraiment une référence), l’étrangeté et la beauté des décors, sans oublier la peur distillée par celles et ceux qui gravitent autour de Greta.

Découvert chez Alfred Hitchcock dans La Corde (1948) et L’Inconnu du Nord-Express (1951), premier rôle chez Luchino Visconti dans Senso en 1954, Farley Granger sort de quinze ans d’apparitions à la télévision, avant d’être à nouveau appelé par le cinéma italien au début des années 1970. Il apporte à Amuck ! son charme venimeux, suintant et semble se délecter de ce personnage ambigu et machiavélique. N’oublions pas la sensuelle Rosalba Neri (La Polak dans la saga Angélique, Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle, Les Vierges de la pleine Lune) et son regard troublant, peu avare de ses charmes, dont la scène saphique avec Barbara Bouchet, tournée au ralenti sur une musique envoûtante de Teo Usuelli (Le Lit conjugal, Dilinger est mort) reste probablement la plus célèbre du film.

A la recherche du plaisir combine de façon assez virtuose le film d’enquête et l’histoire d’amour, en jouant avec les codes du giallo sans pour autant entrer dans cette catégorie puisqu’il n’y a ici aucun tueur ganté, ni crime à l’arme blanche réalisé en caméra subjective, juste une brute épaisse au cerveau en compote qui utilise ses mains pendant une partie de jambes en l’air qui tourne mal. Ce qui n’empêche pas A la recherche du plaisir d’être une immense réussite, anxiogène, culte auprès des amateurs, aussi rare que précieux, d’autant plus que le film n’est jamais sorti en France.

LE BLU-RAY

Que dire si ce n’est que Le Chat qui fume nous offre une nouvelle fois un magnifique objet qui devrait intégrer la DVD-Bluraythèque de tout cinéphile qui se respecte ! Le combo Digipack à trois volets de ce nouveau titre « Exploitation italienne », renferme à la fois le DVD du film, le Blu-ray et également le CD de la bande originale de Teo Usuelli, que l’auteur de ces mots écoute d’ailleurs en fond pendant qu’il écrit cette chronique. Sur le verso des volets, nous trouvons l’affiche américaine du film (Amuck !), ainsi que deux visuels provenant de l’exploitation italienne. L’ensemble se glisse dans un fourreau cartonné du plus bel effet, au visuel superbe, jaune « giallo » et attractif. Cette édition collector est limitée à 1000 exemplaires. Le menu principal est élégant, animé et musical.

Après avoir écouté ces 52 minutes de musique enivrante, regardons ce que le Chat nous propose en guise de suppléments.

On commence par l’excellente interview de la comédienne Rosalba Neri (16’). Visiblement heureuse et émue de partager ses souvenirs liés à A la recherche du plaisir, l’actrice évoque le tournage à Venise et dans ses environs, y compris dans la villa de la styliste Roberta di Camerino. Rosalba Neri en vient ensuite à sa collaboration avec le réalisateur Silvio Amadio, « un homme et cinéaste très dur, qui inspirait la crainte », parle de son personnage et de ses partenaires, sans oublier les conditions des prises de vues de la célèbre séquence saphique avec Barbara Bouchet.

Cette dernière prend ensuite la parole dans un entretien (19′) plus détaché que celui de Rosalba Neri, comme si la comédienne gardait un souvenir amer de « jouer à peu près toujours le même personnage » et qu’elle voulait être mieux considérée que pour sa participation aux films d’exploitation. En italien, la comédienne indique que l’année 1972 fut pourtant la plus intense de sa carrière – « Souvent, je ne savais même pas dans quel film j’étais en train de jouer ! » – avec plus de 8 films tournés quasi-simultanément. Barbara Bouchet ne parvient pas à réaliser que « ce genre de film » ait pu traverser les décennies et déclare que c’est à Quentin Tarantino – qui avait voulu la rencontrer lors de sa venue au Festival de Venise – que l’on doit entre autres ce regain de popularité. Contrairement à sa partenaire, l’actrice décrit Silvio Amadio comme un homme assez calme et doux, qui ne s’agitait jamais, toujours très gentil et aimable, dont elle garde un très bon souvenir. Barbara Bouchet parle ensuite du travail du réalisateur, du tournage à Venise et des scènes érotiques, de ses partenaires.

Nous passons à l’entretien avec Stefano Amadio (22’), fils du réalisateur Silvio Amadio, qui propose un portrait de son père et un panorama de sa carrière. Son enfance, ses débuts dans le cinéma grâce à son beau-frère Massimo Girotti et à Luchino Visconti, ses premières mises en scène, ses succès et les genres abordés (péplum, western, policier, comédie) sont évoqués. Puis Stefano Amadio aborde A la recherche du plaisir à travers des anecdotes amusantes (celle sur Barbara Bouchet nue sur le plateau, devant le regard médusé des techniciens) et souvenirs divers. Quand on lui demande quelle empreinte  a laissé son père dans le cinéma italien, Stefano Amadio répond « une petite empreinte, mais son sérieux et son professionnalisme demeurent auprès de ceux qui ont travaillé avec lui ».

Le supplément qui suit donne la parole à l’excellent Philippe Chouvel, journaliste chez Psychovision, qui propose une présentation d’A la recherche du plaisir (« pas un des meilleurs gialli, mais un thriller de bonne facture qui possède de nombreuses qualités »), tout en revenant sur l’ensemble de la carrière de Silvio Amadio (24’). Ce bonus complète parfaitement ce qui a déjà été entendu précédemment et propose de nombreux éléments pertinents, d’autant plus que l’énumération des films du cinéaste (dont les quatre comédies grivoises avec Gloria Guida) donne sérieusement envie de redécouvrir cette oeuvre. Philippe Chouvel s’extasie – on le comprend – sur la scène saphique entre Barbara Bouchet et Rosalba Neri et se dit ravi que le film soit enfin disponible dans les meilleures conditions possibles.

Le dernier bonus de cette section est désormais le rendez-vous incontournable où l’éditeur demande à un invité de donner ses trois gialli préférés. C’est au tour du directeur de la Cinémathèque Jean-François Rauger de s’y coller (12’), d’expliquer sa vision du giallo et de parler de l’évolution du genre. L’intéressé donne plus que trois titres, à savoir Les Frissons de l’angoisseProfondo Rosso de Dario Argento (dont il défend la version courte), Six femmes pour l’assassinSei donne per l’assassino, Cinq filles dans une nuit chaude d’été5 bambole per la luna d’agosto et La Baie sanglanteReazione a catena de Mario Bava, L’Emmurée vivanteSette note in nero de Lucio Fulci, Les Rendez-vous de SatanPerché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer ? de Giuliano Carnimeo.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces de films disponibles ou prochainement prévus chez Le Chat qui fume. Par ailleurs, le trailer d’A la recherche du plaisir vaut le coup d’oeil pour son (faux ?) micro-trottoir de spectateurs (« Ceux qui ont fait ce film devraient être arrêtés ! », « Je n’ai jamais vu autant de sexe et de nudité dans un film ! ») réalisé après une projection du film de Silvio Amadio. Certains jubilent, d’autres sont choqués. La bande-annonce insiste bien sur le caractère sexuel du film pour appâter, tandis qu’une voix annonce que des coupes ont dû être faites (malgré un aperçu de la scène saphique), mais que le film sera bien présenté dans sa version intégrale dans les salles. « Un film si réaliste et troublant, que vous aurez envie de quitter la salle, mais vous n’en serez pas capable ! ».

L’Image et le son

L’élévation HD (1080p) magnifie les partis pris esthétiques de la photographie signée Aldo Giordani, chef opérateur culte à qui l’on doit les images de On l’appelle Trinita et de sa suite, ou bien encore Dommage que tu sois une canaille et Moi, moi, moi et les autres d’Alessandro Blasetti. La photo éthérée d’A la recherche du plaisir baigne dans des teintes brunes du plus bel effet. Le piqué dépend des volontés artistiques originales et s’avère plus incisif sur toutes les lumineuses séquences tournées en extérieur. La copie est très propre, la restauration est superbe, aucune poussière n’est à signaler, les contrastes sont concis, les noirs souvent denses, les couleurs éclatantes. La gestion du grain original est équilibrée mais tend à être plus appuyé sur les scènes sombres et nocturnes. Mais le codec AVC consolide l’ensemble avec brio, les arrière-plans sont stables, la profondeur de champ est indéniable et les détails d’une richesse incontestée sur le magnifique cadre large. Un très beau Blu-ray qui permet de (re)découvrir totalement le film, présenté en version intégrale, de Silvio Amadio !

Comme pour l’image, le son a également été restauré. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage italien DTS-HD Master Audio Mono, pas même un souffle parasite. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets, même si les voix des comédiens, enregistrées en postsynchronisation, peuvent parfois saturer ou apparaître en très léger décalage avec le mouvement des lèvres. La composition de Teo Usuelli est excellemment délivrée. Notons que les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr