Test DVD / Un vrai crime d’amour, réalisé par Luigi Comencini

UN VRAI CRIME D’AMOUR (Delitto d’amore) par Luigi Comencini, disponible en DVD le 15 octobre 2019 chez Tamasa Diffusion

Acteurs :  Giuliano Gemma, Stefania Sandrelli, Brizio Montinaro, Renato Scarpa, Cesira Abbiati, Rina Franchetti, Emilio Bonucci, Antonio Iodice…

Scénario :  Ugo Pirro, Luigi Comencini

Photographie : Luigi Kuveiller

Musique : Carlo Rustichelli

Durée : 1h36

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Nullo et Carmela s’aiment. Lui, militant communiste et syndicaliste, elle, sicilienne, catholique et soumise à l’autorité d’un frère. Quoi qu’ils fassent, leur amour est condamné d’avance et leur vie quotidienne contaminée par l’environnement, la différence entre les gens du Nord et du Sud, et par cette usine de Milan dont le patron empoisonne plus ou moins volontairement les ouvriers…

Alors qu’il vient de tourner l’un de ses films les plus corrosifs, L’Argent de la vieilleLo Scopone scientifico, le grand Luigi Comencini (1916-2007) enchaîne rapidement avec Un vrai crime d’amourDelitto d’amore, une œuvre pudique, immense de sensibilité et divinement interprété par le couple Stefania Sandrelli et Giuliano Gemma. Histoire d’amour bouleversée par la classe sociale, l’origine, la religion et l’orientation politique de leurs familles respectives, les deux amants renvoient à Roméo et Juliette de William Shakespeare. Luigi Comencini signe un mélodrame bouleversant et romanesque, tout en fustigeant son pays englué dans ses traditions inamovibles et archaïques, qui se tourne alors vers la course au profit, au détriment des sentiments humains et du respect de l’environnement. Un vrai crime d’amour est un film méconnu du maestro, mais n’en demeure pas moins riche et n’a de cesse d’approfondir les thèmes qui parcourront l’oeuvre à venir du cinéaste.

L’histoire se déroule dans la banlieue de Milan. Nullo (Giuliano Gemma, entre Les Anges mangent aussi des fayots et Même les anges tirent à droite) et Carmela (Stefania Sandrelli, après sa collaboration avec Pietro Germi) sont tous deux ouvriers dans la même usine. Nullo vient du Nord de l’Italie, ses parents sont communistes et non-croyants, tandis que Carmela est originaire de Sicile et vient d’un milieu catholique. Arrivée à Milan avec sa famille, ils vivent ensemble dans un quartier misérable. Alors que naît un amour entre Carmela et Nullo, celui-ci va se heurter à de multiples contradictions, familiales et culturelles.

Il y a tout d’abord cette dimension documentaire qui interpelle, cette description de l’usine, véritable monstre qui engloutit les hommes et les femmes, dans ses entrailles noyées sous la fumée toxique. Des cylindres métalliques sont produits à la chaîne. Quelle est leur utilité ? Nous ne le saurons jamais, « mais ça se vend » comme il est dit au détour d’une réplique. Le problème, c’est que les ouvriers se tuent littéralement à la tâche en produisant. Le directeur, faussement paternaliste, est « le seul responsable du degré de toxicité de son entreprise » (peu importe si les fleurs moisissent aux alentours) et donne le change en distribuant quelques berlingots de lait à son personnel, puisqu’il est bien connu que le calcium renforce le système immunitaire.

Ensuite, Un vrai crime d’amour est une histoire intense et passionnelle entre deux êtres que tout sépare. Nullo a beau rejeter le système et arborer une photo du Che dans sa chambre, l’appartement dans lequel il vit avec sa famille montre un certain confort, emblématique de l’essor de la banlieue milanaise où les immeubles émergent de terre comme des champignons bétonnés. Carmela elle vit avec son frère et ses parents dans un bidonville coloré, une baraque hirsute où les toilettes sont de pauvres cabanes plantées à l’extérieur et où la crasse s’accumule sur les murs. Pas de Che, mais quelques crucifix ornent cette habitation où s’entassent les lits, séparés seulement par des couvertures accrochées ou des vitres recouvertes de papier journal. Pas d’intimité pour Carmela, d’ailleurs son frère rôde et la surveille. Pas question pour cette famille d’immigrants venus de Sicile de s’acoquiner avec gens du cru. S’ils ont été obligés de quitter leur terre natale, c’est pour trouver du travail, inexistant en Sicile, qui a d’ailleurs connu un tremblement de terre et d’autres catastrophes naturelles. Le Nord industrialisé de l’Italie s’enorgueillit d’attirer la main d’oeuvre bon marché. Il y aura d’ailleurs toujours des ouvriers prêts à accepter le salaire le plus bas.

Alors que Nullo et Carmela tentent de s’aimer et de s’apprivoiser, les traditions méridionales de l’une et l’engagement politique de l’autre ressurgissent systématiquement, empêchant Carmela et Nullo de se donner complètement l’un à l’autre. Si Carmella perd sa virginité avec Nullo, le sang rouge laissé sur un drap ne peut rivaliser avec celui du drapeau que brandit le conseiller syndical. Ces Roméo et Juliette des temps modernes déambulent dans un monde rongé par la pourriture, entre un environnement professionnel qui distille son venin dans leurs poumons, et une nature empoisonnée par l’homme, où les coulées d’eau sont recouvertes d’une mousse nauséabonde qui s’écrase sur les rives jonchées de détritus et de cadavres d’oiseaux. Le signal d’alarme était déjà donné, « à la veille de l’an 2000 » comme le dit plusieurs fois Nullo.

Tourné la même année que Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? avec la sublime Laura Antonelli, Un vrai crime d’amour est un aparté dans la carrière cinématographique de Luigi Comencini dans les années 1970, dans le sens où le cinéaste perdra quasiment tout espoir dans ses films suivants en fustigeant l’homme et ses bassesses. Ici, l’amour de Nullo et Carmela parvient à mettre à terre tout et tous ceux qui se mettaient en travers de leur chemin, même s’il faudra pour cela un immense sacrifice.

Avec son scénario coécrit par Ugo Pirro, auteur engagé des chefs d’oeuvre d’Elio Petri Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, La propriété, c’est plus le vol et La classe ouvrière va au paradis, Un vrai crime d’amour s’inscrit dans le courant du cinéma italien contestataire et pessimiste des années de plomb. Ici, surnagent les visages, les sourires, les étreintes et le regard de deux êtres qui en voulant s’aimer envers et contre tous ont voulu s’élever contre les interdits. Et c’est aussi merveilleux que percutant et tragique.

LE DVD

Le DVD disponible chez Tamasa Diffusion repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un passionnant petit livret de 16 pages illustré et signé Jean A. Gili, critique cinématographique et historien du cinéma, spécialisé dans le cinéma italien. Le menu principal fixe et musical.

En guise d’interactivité nous trouvons la bande-annonce du film, sous-titrée en anglais et qui dévoile le film du début à la fin, ainsi qu’une compilation de bandes-annonces de films italiens déjà disponibles chez l’éditeur.

L’Image et le son

Jusqu’alors inédit en DVD, Un vrai crime d’amour de Luigi Comencini jouit d’un beau transfert DVD et d’un master restauré 2K. Le générique d’ouverture au grain très appuyé et à la définition chancelante laissait pourtant présager le pire. Une fois le film entamé, les contrastes trouvent une solidité constante et la photographie de Luigi Kuveiller (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, Le Venin de la peur, Avanti!) est idéalement restituée avec ses couleurs froides et hivernales (beaucoup de teintes grises et bleues) où se distinguent les tâches de rouge. La copie est assez propre, même si des tâches, scories, poussières, fils en bord de cadre, collures et rayures verticales subsistent parfois. Quelques fourmillements sur les arrière-plans sont constatables mais rien de bien gênant. Bonne gestion de la texture argentique.

Propre et dynamique, le mixage Dolby italien ne fait certes pas d’esbroufe inutile mais restitue parfaitement les dialogues du film et laisse une belle place à la musique de Carlo Rustichelli. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Documento Film – TDR – DVD / Tamasa Diffusion / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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