SANDRA (réalisé par Vaghe stelle dell’Orsa…Sandra), disponible le 3 juin 2019 en DVD chez Films sans Frontières
Acteurs : Claudia Cardinale, Michael Craig, Jean Sorel, Marie Bell, Renzo Ricci, Fred Williams, Amalia Troiani, Vittorio Manfrino…
Scénario : Luchino Visconti, Suso Cecchi D’Amico, Enrico Medioli
Photographie : Armando Nannuzzi
Musique : César Franck
Durée : 1h36
Année de sortie : 1965
LE FILM
Dans une grande propriété décatie et isolée de Volterra (en Toscane), Sandra, riche héritière juive, revient après des années d’absence, en compagnie de son mari américain. Une cérémonie doit être organisée en hommage à son père, mort à Auschwitz, suite à la délation probable de sa mère et de son amant, toujours en vie. Les retrouvailles avec ces derniers et surtout avec son frère, Gianni, naguère objet d’un amour interdit, vont faire resurgir les fantômes du passé…
Comme il le fera souvent ultérieurement après son accident vasculaire cérébral survenu sur le tournage de Ludwig ou le Crépuscule des dieux et qui le laissera à moitié paralysé, Luchino Visconti signe avec Sandra un quasi-huis clos qui lui permet de travailler dans un cadre sécurisé, à la limite de la théâtralisation. Après la flamboyance du Guépard, le cinéaste revient déjà derrière la caméra deux ans plus tard, alors qu’il lui fallait habituellement de trois à cinq ans pour peaufiner un nouveau projet, avec son huitième long métrage, Sandra donc. Le titre original Vaghe stelle dell’Orsa, que l’on peut traduire par « Pâles étoiles de la Grande Ourse », est emprunté au début du poème Le Ricordanze du recueil Canti de Giacomo Leopardi (1798-1837), écrivain, poète et philosophe italien, souvent considéré comme le deuxième plus célèbre et influent écrivain italien après Dante Alighieri.
Sandra se situe à mi-parcours de la carrière d’un des plus illustres réalisateurs de l’histoire du cinéma italien et annonce clairement les thèmes et partis pris de films à venir comme Les Damnés – La Caduta degli Dei (1969) et Violence et passion – Gruppo di famiglia in un interno (1974). Et si Sandra, opus méconnu de la filmographie de Luchino Visconti, était son chef d’oeuvre oublié et l’une des pierres fondatrices sous-estimées de son cinéma ?
Après des années d’absence, Sandra revient à Volterra, sa ville natale en Toscane, pour assister à une cérémonie de donation du jardin familial à la municipalité en mémoire de son père. Elle est accompagnée de son mari Andrew, un Américain follement amoureux d’elle et désireux de connaître le lieu où son épouse a passé sa jeunesse. Dans cette immense maison, Sandra est envahie par les souvenirs du passé. Elle retrouve son frère Gianni, jeune écrivain avec lequel elle entretient une relation ambiguë, et qui écrit un roman autobiographique. Elle revoit également sa mère, pianiste, qui souffre de graves troubles psychiatriques. Andrew découvre peu à peu que la famille est tourmentée par la mort du père, un brillant intellectuel juif déporté par les nazis et mort à Auschwitz. Sandra et Gianni attribuent la responsabilité de cette mort à une dénonciation de leur mère et de son amant, devenu ensuite son second époux. Ébranlé par cette découverte, Andrew organise une réunion de famille en vue de clarifier la situation. Lors du repas, les doutes qu’il entretenait quant à la relation incestueuse de Sandra avec Gianni semblent confirmés.
Passion morbide qui gangrène les êtres, Sandra traite ouvertement de l’inceste, « Parce que l’inceste est le dernier tabou de la société contemporaine » disait Luchino Visconti. Sandra c’est Claudia Cardinale, 26 ans, beauté envoûtante, sensualité insolente et surtout étonnamment moderne chez Luchino Visconti, qui l’avait déjà dirigée dans Rocco et ses frères (1960) et Le Guépard (1963). La belle aura déjà tourné chez Mario Monicelli, Pietro Germi, Luigi Zampa, Valerio Zurlini, Mauro Bolognini, Abel Gance, Henri Verneuil, Philippe de Broca, Federico Fellini, Blake Edwards, Henry Hathaway, Luigi Comencini, des pointures, faisant d’elle l’une des actrices les plus convoitées des années 1960. Pouvant se permettre de choisir ses projets, Claudia Cardinale ne cède pas à la facilité et s’empare à bras le corps du rôle de Sandra, probablement l’un de ses plus forts, l’un de ses plus difficiles et ambigus de sa filmographie.
De par son sujet troublant, Vaghe stelle dell’Orsa pourrait repousser moult spectateurs, mais c’est sans compter la pudeur, la délicatesse, la sensibilité et l’intelligence du cinéaste. Les personnages déambulent dans les vastes pièces d’un palais dégradé par les années, où le temps semble s’être figé, entre ombres et lumières (magnifique photographie du chef opérateur Armando Nannuzzi), partagés entre leur désir d’avouer ce qu’ils ont sur le coeur, et celui de se fondre dans le décor décrépit dont les murs ont été témoins d’actes inavouables responsables de leurs traumas respectifs. Claudia Cardinale subjugue dans la peau de Sandra, qui a dû se forger une carapace et tromper les apparences, pour (sur)vivre. Les apparences s’effondrent quand elle retrouve son frère Gianni (Jean Sorel, intense), dont les sentiments envers Sandra sont aussi brûlants que jadis. Luchino Visconti n’a pas peur d’aborder frontalement le thème de l’inceste, en montrant le désir des corps, souvent dénudés et désirables. Malgré ce sujet tabou et lourd, le cinéaste livre pourtant l’un de ses films les plus « abordables » et empathiques, l’un de ses plus courts aussi, peut-être parce que le secret de famille lui permet de jouer et de flirter avec le film policier, en instaurant un suspense, en jouant sur les non-dits et la poussière dissimulée sous le tapis.
La théâtralisation n’est donc qu’un leurre, car la mise en scène est sans cesse inspirée, vivante, organique et le cloisonnement des personnages, ainsi que l’unité de lieu renforcent certes le côté intimiste et anxiogène du récit hérité de la mythologie grecque, où apparaissent les figures d’Electre et Oreste, le mythe d’Oedipe bien évidemment, mais en demeurant cinématographique avant tout. Quant à Sandra, contre toute attente, le cinéaste et ses scénaristes, les illustres Suso Cecchi D’Amico et Enrico Medioli, décident d’offrir une issue possible à leur personnage principal, un espoir, un avenir. Mais tout ceci demandera un sacrifice, une perte irrémédiable. Sandra est un chef d’oeuvre, récompensé en 1965 par le Lion d’Or à la Mostra de Venise.
LE DVD
Merci à Films sans Frontières de nous permettre de posséder enfin Sandra dans notre DVDthèque ! L’éditeur qui possédait déjà Les Amants diaboliques (1942), La Terre tremble (1948) et Bellissima (1951), ajoute ce joyau à son catalogue. Le visuel de la jaquette, glissée dans un boîtier Amaray de couleur blanche, est très beau, tandis que le verso cite quelques propos de Luchino Visconti (extrait de Luchino Visconti cinéaste – Ramsay Poche Cinéma), ainsi qu’une critique de Jacques Morice publiée dans Télérama. Le menu principal est fixe et muet.
Aucun supplément sur cette édition.
L’Image et le son
Bon, nous sommes devant un master au format 1.37, présenté en 4/3. Passons…cette copie n’en demeure pas moins très propre, le N&B dense et la stabilité de mise. Ne faisons pas la fine bouche, car nous rappelons qu’il est bien plus agréable de visionner un film rare comme Sandra dans ces conditions et sur support DVD, plutôt que sur son ordinateur grâce à un moyen détourné.
Une piste unique italienne en Mono 2.0 et aux sous-titres français non imposés. L’écoute est propre, sans trop de chuintement et l’ensemble fait également la part belle à l’accompagne musical.