NITRAM réalisé par Justin Kurzel, disponible en DVD le 6 septembre 2022 chez Ad Vitam.
Acteurs : Caleb Landry Jones, Judy Davis, Anthony LaPaglia, Phoebe Taylor, Sean Keenan, Conrad Brandt, Essie Davis, Zaidee Ward…
Scénario : Shaun Grant
Photographie : Germain McMicking
Musique : Jed Kurzel
Durée : 1h47
Date de sortie initiale : 2021
LE FILM
Australie, milieu des années 90, Nitram vit chez ses parents, où le temps s’écoule entre solitude et frustration. Alors qu’il propose ses services comme jardinier, il rencontre Helen, une héritière marginale qui vit seule avec ses animaux. Ensemble, ils se construisent une vie à part. Quand Helen disparaît tragiquement, la colère et la solitude de Nitram ressurgissent. Commence alors une longue descente qui va le mener au pire.
Nitr-oglycérine ! Nitram est le cinquième long-métrage explosif de Justin Kurzel, découvert avec Les Crimes de Snowtown en 2011, qui avait ensuite dirigé Michael Fassbender et Marion Cotillard dans Macbeth (2015) et Assassin’s Creed (2016), avant de signer un western avec Russell Crowe, Nicholas Hoult et Charlie Hunnam, Le Gang Kelly. Le film s’inspire d’une histoire vraie. En avril 1996 à Port Arthur en Tasmanie (Australie), un forcené agissant en solitaire ouvre le feu sur la foule. 35 personnes perdront la vie, 23 autres seront grièvement blessés. L’individu responsable de ce massacre, Martin Bryant, 28 ans, écope de 35 peines d’emprisonnement à perpétuité et de 1 035 ans sans liberté conditionnelle. Suite à cet événement, l’Australie révisa sa législation sur le port d’arme et adopta le National Firearms Agreement, des réformes acceptées en une douzaine de jours. Près de 650.000 armes à feu sont alors rachetées par l’État et détruites. Cependant, comme nous l’indique un panneau glaçant en guise de conclusion, aucun état ni territoire ne s’est entièrement conformé au NFA et il y aurait aujourd’hui plus d’armes à feu détenues en Australie qu’à l’époque de l’attentat. Nitram ne montre pas la tuerie, qui intervient dans les dernières secondes du film et nous ne verrons que son auteur s’installer tranquillement à une table, manger une salade de fruits, avant de sortir un fusil de son sac, de se lever et de se diriger vers ses premières victimes. Justin Kurzel dresse le portrait de Martin Bryant, 66 de Q.I., qui après sa courte scolarité reçoit une pension d’invalidité et se fait quelques billets ici et là en proposant ses services comme jardinier ou homme à tout faire. Comment cet individu « lent » a-t-il pu tourner ainsi ? Sans faire de psychologie à deux balles, mais en exposant l’environnement, l’entourage, le quotidien et le rapport avec ses parents, le réalisateur reste constamment collé au plus près de son personnage principal, extraordinairement tenu par Caleb Landry Jones, très justement récompensé par le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 2021. Attention, film choc !
Nitram est un jeune adulte handicapé intellectuel qui vit avec ses parents à Port Arthur, en Australie. Il déclenche régulièrement des feux d’artifice à l’extérieur qui dérangent les voisins et vend sa poudre explosive aux écoliers. Son père a récemment reçu un premier accord commercial, dans le but d’acheter une chambre d’hôtes que Nitram aidera à gérer. Il essaie de tondre les pelouses locales pour gagner de l’argent et rencontre une voisine nommée Helen, actrice à la retraite et riche héritière, qui lui propose de l’argent pour promener sa douzaine de chiens. Les deux deviennent rapidement amis, Helen lui achetant une voiture, bien que Nitram n’ait pas de permis et possède la dangereuse habitude de se précipiter sur le volant lorsque les deux conduisent. Nitram devient de plus en plus frustré par la vie à la maison et dit à ses parents qu’il emménage avec Helen, où il habitera dans l’une des chambres d’amis. Helen insiste pour qu’il se débarrasse de sa carabine à air comprimé, car elle déteste les armes à feu. Bien qu’il possède les fonds pour la chambre d’hôtes, le père de Nitram se voit refuser l’achat en raison de l’offre plus élevée d’un autre couple, ce qui le plonge dans un état dépressif…
Si Justin Kurzel et son fidèle scénariste Shaun Grant ont évidemment pris quelques infimes libertés, les deux collaborateurs ont scrupuleusement retracé la vie de Martin Bryant, allant même jusqu’à retrouver l’apparition de ce dernier, alors âgé de 12 ans, lors d’un reportage réalisé au service des grands brûlés d’un hôpital, où celui-ci venait d’être hospitalisé après avoir joué avec des pétards dans son jardin. Puis, saut dans le temps (on ne sait pas en quelle année nous sommes, la réponse sera donnée dans la conclusion), on découvre « Nitram », désormais un grand garçon, les cheveux longs, blonds et dégueulasses, un enfant dissimulé dans une silhouette trapue. Rappelant parfois furieusement le très regretté Philip Seymour Hoffman, Caleb Landry Jones ne crève pas l’écran, il l’atomise. Découvert dans le rôle du Hurleur dans X-Men : Le Commencement de Matthew Vaughn, l’acteur texan n’a eu de cesse de tracer sa route et de promener son physique atypique, en tenant le rôle principal dans Antivirus de Brandon Cronenberg, en apparaissant dans Byzantium de Neil Jordan, Queen and Country de John Boorman, Get Out de Jordan Peele, Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance de Martin McDonagh, The Florida Project de Sean Baker et même dans quatre épisodes de la série Twin Peaks: The Return. L’acteur s’efface derrière la tignasse pisseuse de Nitram et fascine chaque seconde avec ce mélange de force bourrue et de sensibilité fragile comme du cristal.
Nitram est une bombe à retardement et même si l’on ne sait rien de la tenue du drame à venir, le spectateur se rend compte que quelque chose cloche, que le personnage s’apparente à une cocotte minute prête à exploser à n’importe quel moment. Aux côtés de Caleb Landry Jones, Essie Davis, Maggie dans Matrix Reloaded et Matrix Revolutions, tête d’affiche du formidable Mister Babadook et vue dernièrement dans le superbe Milla de Shannon Murphy, épouse du cinéaste Justin Kurzel, est méconnaissable dans le rôle d’Helen. Ayant au bas mot 25 ou 30 ans de plus que Nitram, cette femme mystérieuse et fortunée, va se lier d’amitié avec lui, avant de le déniaiser, même si le film reste vague sur ce point. Toujours est-il qu’il quitte le domicile de ses parents (interprétés par les sublimes Anthony LaPaglia et Judy Davis) s’installe chez elle et se laisse gentiment entretenir, tandis qu’il s’entraîne à tirer, pour passer le temps, avec sa carabine à air comprimé, ce que déteste Helen. Après la mort accidentelle de cette dernière, dont Nitram est d’ailleurs grandement responsable, ce dernier va amorcer sa descente aux enfers, jusqu’au point de non-retour.
Justin Kurzel et le directeur de la photographie Germain McMicking (Mortal Kombat version 2021, la troisième saison de True Detective) saisissent les moindres faits et gestes de leur protagoniste, s’attardent sur lui quand il est à l’arrêt et probablement perdu dans ses réflexions, pour essayer de comprendre ce qui a pu le pousser à commettre l’irréparable, puis le laissent sortir du cadre au moment où il prend les armes. Nous ne sommes pas ici dans un documentaire sur Martin Bryant, mais certains partis-pris bruts comme l’utilisation de la caméra portée créent forcément une immersion particulièrement anxiogène, dont l’étreinte se resserre au fil du récit. On ressort lessivés de Nitram, œuvre ambitieuse, viscérale, à ranger aux côtés d’Elephant de Gus Van Sant et Polytechnique de Denis Villeneuve, portée par des comédiens exceptionnels.
LE DVD
Sorti dans les salles françaises en mai 2022, Nitram dispose d’une édition DVD chez Ad Vitam. La jaquette, glissée dans un boîtier Amaray classique de couleur blanche, reprend le visuel de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.
Seule la bande-annonce est disponible comme supplément.
L’Image et le son
Pas de Blu-ray donc pour Nitram, mais ne faisons pas la fine bouche. La photo signée Germain McMicking est habilement restituée, notamment les partis pris esthétiques, avec une colorimétrie parfois volontairement terne et un piqué aléatoire en raison de la mise en scène de temps en temps vive et heurtée. Les détails sont acceptables, la luminosité omniprésente.
Le mixage anglais Dolby Digital 5.1 propose une plongée intimiste dans l’histoire de Nitram, en usant avec parcimonie des ambiances latérales et une délivrance saisissante des dialogues sur la centrale. La musique jouit d’une jolie spatialisation, quelques effets naturels sont mis en valeur. Une piste Stéréo est aussi présente.