L’HEURE DU CRIME (Johnny O’Clock) réalisé par Robert Rossen, disponible en DVD le 16 juin 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Dick Powell, Evelyn Keyes, Lee J. Cobb, Ellen Drew, Nina Foch, Thomas Gomez, Mabel Paige,Phil Brown, John Kellogg…
Scénario : Robert Rossen d’après une nouvelle de Milton Holmes
Photographie : Burnett Guffey
Musique : George Duning
Durée : 1h31
Date de sortie initiale : 1947
LE FILM
Johnny O’Clock et son partenaire Pete Marchettis sont à la tête d’une salle de jeux clandestine. Chuck Blayden, un policier corrompu, tente de s’acoquiner avec Pete, tout en mettant Johnny à l’écart. Quand Harriet, la petite amie de Chuck, est retrouvée morte, sa sœur Nancy soupçonne Chuck, qui a précipitamment quitté la ville. Elle demande alors à Johnny de l’aider à enquêter sur cette affaire, mais la situation se complique lorsque l’inspecteur Koch est placé sur l’affaire…
Pour beaucoup il est le mythique réalisateur de L’Arnaqueur – The Hustler (1961) avec Paul Newman, pour d’autres il est le grand scénariste des Fantastiques années 20 – The Roaring Twenties (1939) de Raoul Walsh et qui a aussi collaboré avec Lloyd Bacon (Femmes marquées tiré de l’histoire du gangster Lucky Luciano, Menaces sur la ville, A Child is Born), Lewis Milestone (L’Ange des ténèbres, Le Commando de la mort, L’Emprise du crime) et bien d’autres grands noms. Cet artiste, c’est Robert Rossen (1908-1966) dont le travail est inscrit dans la mémoire des cinéphiles, mais aussi en raison de la tristement célèbre liste noire, puisque le cinéaste, sympathisant communiste, sera l’une des victimes du maccarthysme dans les années 1950. Toutefois, à l’instar de son confrère Elia Kazan, Robert Rossen trahira la cause en livrant plusieurs dizaines de noms à la commission des activités anti-américaines lors de la chasse aux sorcières. Robert Rossen décide de passer derrière la caméra en 1947 avec L’Heure du crime – Johnny O’Clock, en s’attaquant à un genre alors en pleine explosion, le film noir. Désireux de montrer qu’il en a sous le capot en matière de mise en scène, le nouveau cinéaste adapte seul une nouvelle de Milton Holmes et en extrait un scénario proche de l’univers des romans de Raymond Chandler (Le Grand sommeil, Adieu, ma jolie), tout en faisant preuve d’une virtuosité confondante avec ce premier long métrage. Par ailleurs, il n’est pas interdit de penser que L’Heure du crime vaut aujourd’hui bien plus pour sa réalisation, sa sublime plastique et son casting parfait, que pour son récit quelque peu alambiqué qui pourrait encore laisser quelques spectateurs sur le côté de la route en s’éparpillant un peu dans tous les sens.
Johnny O’Clock est le partenaire du joueur Guido Marchettis. Il en profite pour gêner les autres établissements de jeu réservés à une clientèle huppée, avec l’aide d’un policier corrompu qui disparaît soudain. C’est alors que Harriet Hobson est empoisonnée dans son appartement au moment où apparaît sa soeur, Nancy. Lorsque le corps du policier est retrouvé, l’inspecteur Koch soupçonne à la fois Johnny et Marchettis d’être l’auteur de ces meurtres. Johnny décide alors d’éloigner Nancy, mais Marchettis attaque sa voiture. Johnny s’enfuit et accuse Marchettis des deux meurtres.
Beaucoup de personnages et de liens tissés entre eux, qui s’entrecroisent sans cesse, avec une ex-fiancée du héros qui vit avec un autre, mais qui aime toujours le premier, qui tombe amoureux de la sœur celle-ci, peut-être y a-t-il quelques erreurs d’ailleurs dans ce résumé, anyway, le scénario de L’Heure du crime semble prendre un malin plaisir à se compliquer lui-même. Malgré la présence au générique de Dick Powell (1904-1963), ancien crooner et vedette des films musicaux des années 1930 alors en pleine reconversion (il venait de triompher dans Adieu, ma belle – Murder, My Sweet d’Edward Dmytryk où il tenait le rôle culte de Philip Marlowe), la star de L’Heure du crime est bel et bien Robert Rossen lui-même, ainsi que son chef opérateur, le grand Burnett Guffey (Le Violent de Nicholas Ray, L’Homme à l’affût d’Edward Dmytryk). Le cadre, la gestion de l’espace, la beauté incommensurable du N&B entre ombres et lumières, l’élégance de la mise en scène, la direction d’acteurs (et d’actrices avec les magnifiques Evelyn Keyes, Ellen Drew et Nina Foch), la beauté des dialogues, tout est remarquable dans ce Johnny O’Clock.
On ne sait pas si Robert Rossen a voulu se surpasser à travers un récit parfois insondable, où l’on se pose souvent des questions quant aux motivations parfois obscures des personnages, mais en l’état, L’Heure du crime s’impose comme un superbe objet de cinéma que l’on dissèque sur la forme, mais qui peut lasser sur le fond. Entre le « suicide » d’une petite hôtesse de casino, dont l’amant est aussi retrouvé mort, un flic pourri et un autre particulièrement retors (Lee J. Cobb, qui interprétera le fameux troisième juré dans le film de procès Douze hommes en colère réalisé dix ans plus tard par Sidney Lumet) qui s’acharne sur son cigare au fur et à mesure que sa tension monte d’un cran, il y a de quoi paumer l’audience à un moment ou à un autre, surtout que l’abondance de dialogues peut parfois fatiguer. Mais le charme est aussi indéniable qu’omniprésent.
Revoir ou découvrir L’Heure du crime en 2020 est indispensable, d’une part pour se rabattre sur des valeurs sûres à l’heure où le cinéma contemporain fait grise mine (et pas seulement en raison d’un certain virus), d’autre part pour contribuer à la réhabilitation d’un des plus grands réalisateurs américains de l’après-guerre qui n’aura pourtant mis en scène qu’une dizaine de longs-métrages.
LE DVD
L’Heure du crime fait son apparition en DVD chez Sidonis Calysta. Le titre rejoint ainsi la collection Film Noir de l’éditeur. Le menu principal est animé et musical. A noter que le titre était déjà disponible dans un coffret de 20 DVD spécial Film Noir édité par Sidonis Calysta en 2018. La très belle jaquette est glissée dans un boîtier Amaray classique transparent, lui-même glissé dans un sur-étui cartonné.
Deux entretiens au programme :
François Guérif (5’) a étonnamment peu de choses à dire, mais il le fait bien. Il revient tout d’abord sur la carrière de Robert Rossen, en abordant les films qu’il a écrit ainsi que ceux qu’il a mis en scène. Puis, il évoque la mise en route de son premier long métrage L’Heure du crime, le casting avec notamment le choix souvent critiqué de Dick Powell par les amateurs de films noirs. François Guérif donne ensuite son avis sur Johnny O’Clock, « à voir comme un examen de passage vers la réalisation, où la mise en scène et les comédiens valorisent le film ».
Une fois n’est pas coutume, Patrick Brion est plus prolixe que son camarade (10’). Les arguments avancés sont néanmoins à peu près les mêmes que ceux de François Guérif, en un peu plus étayé (la carrière de Robert Rossen, le désir de reconversion de Dick Powell, la difficulté de compréhension du scénario, la qualité des dialogues, le cinéaste face au maccarthysme…).
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Pas d’édition HD pour L’Heure du crime. Néanmoins ce master Standard s’en sort haut la main avec une superbe copie restaurée, un piqué ciselé et des contrastes denses (noirs concis, blancs lumineux) qui valorisent les partis pris de l’immense Burnett Guffey. L’ensemble est très propre, stable, la définition élégante et la texture argentique solidement gérée.
Comme pour l’image, le son a également été restauré. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage anglais Dolby Digital 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets, très rarement étouffés, les effets annexes probants et les plages de silence impressionnantes. Les sous-titres français ne sont pas imposés.