Test DVD / La Reine des cartes, réalisé par Thorold Dickinson

LA REINE DES CARTES (The Queen of Spades) réalisé par Thorold Dickinson, disponible en DVD le 31 mai 2021 chez Doriane Films.

Acteurs : Anton Walbrook, Edith Evans, Yvonne Mitchell, Ronald Howard, Mary Jerrold, Anthony Dawson, Miles Malleson, Michael Medwin…

Scénario : Rodney Ackland & Arthur Boys, d’après la nouvelle d’Alexandre Pouchkine, La Dame de Pique

Photographie : Otto Heller

Musique : Georges Auric

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1949

LE FILM

Au XIXème siècle, à Saint-Pétersbourg, une vieille comtesse vend son âme au diable en échange du pouvoir de gagner aux cartes. Un officier cupide et féru de jeu cherche à connaître son secret, quitte à courir de grands dangers.

Si le nom de Thorold Dickinson (1903-1984) vous est inconnu, sachez tout d’abord que nous sommes déçus, car nous vous en avions parlé il y a un an à l’occasion de la sortie en DVD de Secret People (1952), dans lequel Audrey Hepburn trouvait l’un de ses premiers rôles au cinéma, et que cela veut dire que vous êtes passés à côté de notre article. Deuxièmement, sachez que Martin Scorsese le considère comme étant « certainement un des metteurs en scène les plus ambitieux et les plus talentueux de son temps ». Nous avions déjà été dithyrambiques sur Secret People, nous le serons probablement encore plus avec La Reine des cartes The Queen of Spades, merveilleux drame teinté de fantastique, qui foudroie autant par sa beauté plastique, que par la richesse des thèmes que le film aborde. Sorti en 1949, La Reine des cartes est un chef d’oeuvre absolu sur le désir, la soif de sexe, d’argent et de pouvoir, qui prend pour protagoniste Herman, un homme d’âge mûr, à qui la vie n’a vraisemblablement pas fait de cadeau, un officier de la garde, seul, sans femme ni enfant, sans moyens financiers non plus, qui passe son temps dans quelques bars miteux où ses jeunes camarades tapent le carton, tout en se délectant des danses lascives des tziganes et en buvant vodka sur vodka. Souvent humilié, Herman reste toujours en retrait. Jusqu’au jour où il entend parler de la légende de Saint-Pétersbourg, une superstition liée à la Dame de pique, réputée maléfique et qui porte malheur au cours d’un jeu de cartes alors en vogue, le faro. Connaître le secret des cartes, pourrait bien changer l’existence d’Herman, prêt à tout, même à vendre son âme au diable, pour découvrir cette énigme. Passionnant, sublime, sans cesse étonnant, The Queen of Spades démontre une fois de plus toute l’étendue du talent de Thorold Dickinson, dont la carrière devrait connaître, on en est persuadé, un véritable regain d’intérêt auprès des cinéphiles.

La Reine des cartes est l’adaptation de la longue nouvelle fantastique d’Alexandre Pouchkine, publiée en 1834. Avant d’inspirer le cinéma, Piotr Ilitch Tchaïkovski s’en était déjà emparé pour créer l’un de ses opéras. Très rapidement, le septième art s’empare de la nouvelle et la première adaptation cinématographique date de 1910, un film russe intitulé Pikovaya dama, réalisé par Piotr Tchardynine. Un autre long-métrage russe, du même nom, sera ensuite tourné en 1916 par Yakov Protazanov. En 1927, Pique Dame est une transposition allemande, mise en scène par Aleksandr Razoumny, avec Jenny Jugo et Walter Jansen. Dix ans plus tard, c’est le cinéma français qui se penche sur ce « chef-d’œuvre de l’art fantastique » dixit Dostoïevski qui encensait l’histoire et le talent de Pouchkine. Nous voici donc arrivés en 1949, année où Thorold Dickinson entreprend le tournage de La Reine des cartes, à peine une semaine après avoir accepté de le réaliser. Ce sera l’un de ses plus grands films.

Le film s’avère plutôt fidèle à la nouvelle originale. Très vite, le spectateur apprend l’existence du mystérieux pouvoir de la comtesse Anna Fedotovna. La vieille dame connaîtrait une combinaison secrète de trois cartes permettant de gagner infailliblement au jeu de faro. Mais depuis, la comtesse refuse obstinément de livrer son secret. Herman, jeune officier du génie, n’a jamais touché une seule carte. Fasciné par la richesse que pourrait lui procurer la combinaison mystérieuse, il séduit Lizaveta Ivanovna, demoiselle de compagnie de la comtesse, dans le but de se rapprocher de la vieille dame. Un soir, Hermann parvient à s’introduire dans la demeure et se cache. Après plusieurs heures d’attente, il entre chez la comtesse, qui s’apprête à se coucher. Effrayée, elle meurt sur-le-champ. Quelques temps plus tard, Hermann a une vision. La comtesse vient lui révéler son secret : le trois, le sept et l’as, comme si une fois débarrassée de son fardeau, celle-ci pouvait enfin reposer en paix. Suivez donc Herman, ce roturier dévoré par l’ambition, dans le Saint-Pétersbourg de 1806, dont le modèle demeure Bonaparte et qui tisse progressivement sa toile avec un parfait cynisme, vous ne le regretterez pas.

La Reine des cartes plonge le spectateur dans les bas-fonds de Saint-Pétersbourg, où règne une certaine décadence, faite de jeu, de danse et de fièvre alcoolisée. Le récit bifurque ensuite vers un pacte faustien, où les âmes damnées errent dans les salons mondains de la Russie tsariste, où ils se perdent jusqu’au bout de la nuit, claquant les derniers kopecks qui tintent au fond de leur poche. The Queen of Spades fascine car il rend compte à la fois de l’ambiance sociale de la Russie du XIXe siècle, tout en restant une œuvre fondamentalement britannique. Mais sous le flegme apparent de son personnage principal, se dissimule un être au bout du rouleau, revenu de tout, profondément seul, sans passé ni avenir, qui voit apparaître la seule opportunité que la vie lui a donnée pour devenir quelqu’un, en s’enrichissant enfin. Thorold Barron Dickinson, réalisateur, scénariste, producteur et monteur, premier professeur de cinéma universitaire du Royaume-Uni (excusez du peu), s’empare à bras le corps du scénario (exceptionnel) coécrit par Rodney Ackland (49e parallèle de Michael Powell, Week-End de Carol Reed, Numéro 17 d’Alfred Hitchcock) et Arthur Boys, et livre une fable emprunte de surnaturelle et de poésie, magnifiquement photographiée par Otto Heller (Le Corsaire rouge The Crimson Pirate de Robert Siodmak, Richard III de Laurence Olivier, Ipcress – Danger immédiat The Ipcress File de Sidney J. Furie) et bercé par la composition de Georges Auric (Le Sang d’un poète et La Belle et la Bête de Jean Cocteau).

Leçon de montage, de mise en scène, de direction d’acteurs (Anton Walbrook et Edith Evans sont disons-le sensationnels), The Queen of Spades mérite toute l’attention des passionnés de cinéma, mais aussi des aficionados de fantastique. Ce qui devrait réunir un large panel de spectateurs, qui sauront petit à petit réhabiliter ce film, qui avait d’ailleurs connu les honneurs au Festival de Cannes en 1949 où il avait été présenté en sélection officielle.

LE DVD

Un an après Secret People, Doriane Films propose un autre film de Thorold Dickinson en DVD, La Reine des cartes, qui rejoint ainsi la collection Typiquement British de l’éditeur. Le disque repose dans un slim Digipack à deux volets, très élégants. Le menu principal est animé et musical.

Pas de bonus sur cette édition. En revanche, Doriane Films ne vient pas les mains vides, puisque vous trouverez tout de même dans le Digipack, un passionnant livret de seize pages, qui comprend un portrait de Thorold Dickinson et une analyse de La Reine des cartes réalisés par Jean-François Baillon (professeur à l’Université Bordeaux Montaigne), ainsi qu’un entretien avec Martin Scorsese sur Thorold Dickinson par Philip Horne, publié dans Sight and Sound en novembre 2003, puis traduit en français par Michel Ciment pour une parution dans Positif en octobre 2020. Le réalisateur américain y loue « la vivacité de la mise en scène, ainsi que l’intelligence de l’approche » de son confrère anglais, ainsi que « l’énergie nerveuse habituelle » de ses films.

L’Image et le son

Jusqu’alors inédit en DVD en France, Dorian Films livre un très beau master de La Reine des cartes. Les contrastes sont denses, les noirs concis, les blancs lumineux, le piqué acceptable et surtout, la copie est propre, même si manquant parfois de stabilité. Le format est respecté et délivre un lot de détails conséquent. N’oublions pas le grain cinéma, plutôt bien géré, hormis sur certains plans pourvus d’un voile grumeleux.

Le confort acoustique est largement assuré par la piste mono d’origine. Seule la version anglaise est disponible, mais il n’y a aucune raison de s’en plaindre ! Ce mixage affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique fort appréciable. Les effets et les ambiances sont nets, la musique mise en valeur bien que certains pics musicaux frôlent parfois la saturation. L’ensemble demeure homogène et les dialogues solides. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Doriane Films / 1949 De Grunwald Productions & Associated British Picture Corporation / Studiocanal / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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