LA GUERRE DE MURPHY (Murphy’s War) réalisé par Peter Yates, disponible en DVD le 9 juin 2021 chez ESC Editions.
Acteurs : Peter O’Toole, Siân Phillips, Philippe Noiret, Horst Janson, John Hallam, Ingo Mogendorf…
Scénario : Stirling Silliphant, d’après le roman de Max Catto
Photographie : Douglas Slocombe
Musique : John Barry
Durée : 1h42
Année de sortie : 1971
LE FILM
A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Murphy est le seul survivant de son équipage. Son sous-marin ayant été torpillé par les allemands, il échoue sur une île isolée. Il y rumine sa vengeance en imaginant toutes sortes de moyens de couler à son tour le sous-marin de l’ennemi. L’administrateur de l’île se joint à lui pour échafauder ses sombres plans.
Nous avons déjà parlé de Peter Yates (1929-2011) à l’occasion de la ressortie d’un de ses films méconnus (et pour le moins étrange), L’Oeil du témoin – Eyewitness (1981), avec William Hurt, Sigourney Weaver, Christopher Plummer, Morgan Freeman et James Woods, et de celle de Krull (1983), formidable film d’aventures pour toute la famille, qui n’a eu de cesse d’être redécouvert. Éclectique, le réalisateur, remarqué par Steve McQueen (qui lui confiera les manettes de Bullitt en 1968) pour son travail sur les séries Le Saint et Destination danger, mais aussi avec son premier polar Trois milliards d’un coup – Robbery, aura signé 23 longs-métrages de 1963 à 1998. Deux ans après avoir dirigé Dustin Hoffman et Mia Farrow dans John & Mary, Peter Yates s’envole pour le Venezuela (après avoir refusé d’adapter un roman intitulé…Le Parrain) pour y tourner La Guerre de Murphy – Murphy’s War, d’après un scénario du légendaire Stirling Silliphant (Nightfall – Poursuites dans la nuit de Jacques Tourneur, Les Flics ne dorment pas la nuit – The New Centurions de Richard Fleischer, On ne joue pas avec le crime – 5 Against the House de Phil Karlson, La Ronde du crime – The Lineup de Don Siegel) et un roman de Max Catto. Fondamentalement antiguerre, cette fable merveilleusement mise en scène vaut certes pour son message implacable et intemporel, mais aussi pour la confrontation inattendue de deux monstres sacrés du cinéma, le britannique Peter O’Toole et le français Philippe Noiret, dont l’évidente alchimie est aussi évidente que magique.
Dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, le Mount Kyle, un cargo britannique est torpillé par un U-Boot dans le delta de l’Orénoque, un fleuve du Venezuela, et l’équipage est massacré. Murphy (Peter O’Toole), simple cuistot irlandais, est l’un des deux seuls survivants avec un pilote aviateur, le lieutenant Ellis (John Hallam) qui est grièvement blessé. Ils trouvent refuge dans une mission dirigée par le Docteur Hayden (Sian Philiips), une femme médecin quaker, auprès de laquelle est abandonné depuis le début de la guerre Louis Brezon (Philippe Noiret), un ingénieur français travaillant pour une compagnie pétrolière. Ayant intercepté une conversation radio, les Allemands se présentent à la mission, abattent Ellis afin que personne ne retrouve leurs traces et détruisent la radio. Bien décidé à se venger, Murphy répare l’hydravion du lieutenant Ellis et s’en va bombarder le sous-marin. Il le rate et le U-Boot surgit afin de détruire la mission. Murphy décide alors de retrouver le U-Boot et de le couler afin de venger la mort de ses amis, quand on apprend la fin de la guerre. Mais la fin de la Seconde Guerre mondiale ne met pas fin à la colère de Murphy qui cherche ensuite toujours à se venger.
On retrouve bien là l’efficacité, pour ne pas dire la sécheresse du scénariste du mythique Village des damnés (1960) de Wolf Rilla, Dans la chaleur de la nuit – In the Heat of the Night (1967) de Norman Jewison, L’Aventure du Poséidon – The Poseidon Adventure (1972) de Ronald Neame et La Tour infernale – The Towering Inferno (1974) de John Guillermin. Oui est d’Over the Top – Le bras de fer (1987) de Menahem Golan aussi, on ne l’oublie pas. La Guerre de Murphy ne possède pas une once de gras. Le récit va droit à l’essentiel, sans jamais omettre l’émotion et surtout sans expliciter la psyché perturbée du personnage principal, extraordinairement interprété par Peter O’Toole, qui se révèle progressivement, pas strate successive. Murphy est un homme tour à tour attachant, drôle, étonnant, courageux, mais aussi incontrôlable, obsessionnel, dangereux, menaçant, en un mot complètement cinglé. Pourtant, cela n’est pas évident d’emblée et Brezon, le français expatrié, sera le premier à s’en rendre compte le premier. Ce dernier est incarné par Philippe Noiret, dans une de ses rares incursions dans le cinéma dit international. Les deux comédiens se retrouvent quatre ans après s’être rencontrés sur le plateau de La Nuit des généraux – The Night of the Generals (1967) d’Anatole Litvak. Devenus amis, leur éclatante et authentique complicité est l’un des atouts majeurs de La Guerre de Murphy, comme également celle de Peter O’Toole avec Sian Phillips, alors sa compagne et la mère de ses deux filles.
Au-delà de la magnifique performance de ce trio vedette, Peter Yates signe une de ses plus belles réalisations, parvenant à conjuguer les rapports intimes de ses protagonistes, et le spectacle en cadre large (remarquable photographie de Douglas Slocombe, chef opérateur de Freud, passions secrètes de John Huston, Hurler de peur de Seth Holt et des trois premiers Indiana Jones de Steven Spielberg) comme lors de la scène inaugurale, celle du bombardement, d’une brutalité assez frontale et d’une violence percutante, ou bien encore celle où Murphy prend (difficilement) les commandes de l’hydravion, armé d’une bombe artisanale, désireux de retrouver le sous-marin teuton responsable du naufrage du cargo où il officiait, pour se venger. Peter Yates, et donc Max Catto et Stirling Silliphant se penchent sur le thème – malheureusement éternel – de la violence qui engendre la violence, un serpent qui se mord la queue, un puits sans fond. Les séquences d’action ont entre autres été emballées par l’excellent John Glen, metteur en scène des trois derniers épisodes de James Bond période Roger Moore et des deux portés par Timothy Dalton. Également monteur, il l’était déjà sur Au service secret de sa majesté – On Her Majesty’s Secret Service (1969) de Peter Hunt et le sera encore sur L’Espion qui m’aimait – The Spy Who Loved Me (1977) et Moonraker (1979) de Lewis Gilbert, John Glen impose sa patte sur les scènes qui impliquent une lourde pyrotechnie, comme un Michael Bay avant l’heure.
Tout ce beau petit monde, réuni autant devant que derrière la caméra, s’implique à fond dans cette charge contre les conflits armés de tous bords, dont la tension, tant physique que psychologique va crescendo, jusqu’à l’acte final complètement dingue où Murphy perd les pédales, ne veut plus entendre raison – d’ailleurs, sa conscience représentée par Brezon aura disparu – et se lancera corps et âme dans la mission ultime qu’il s’est fixée. Le final « tout ça pour ça » est aussi abrupt que sublime. Un très grand film.
LE DVD
ESC Editions ne s’est pas foulé sur ce coup-là puisque l’éditeur a purement et simplement tout repris, y compris le même menu principal (animé et musical) de l’ancienne édition Opening ! D’ailleurs, même le panneau d’avertissement en avant-programme est signé Opening ! Aucune différence avec l’ancienne édition donc, y compris pour le master, mais nous en reparlerons plus bas. Si vous possédez déjà La Guerre de Murphy en DVD, surtout, ne vous faites pas avoir, puisqu’il s’agit du même objet !
Les suppléments (réalisés en 2007) sont donc identiques. Seul le tampon ESC Editions a été imprimé sur la jaquette à la place d’Opening/Filmedia.
On commence par le documentaire rétrospectif de 16 minutes, composé des interviews des comédiens Philippe Noiret et Sian Phillips, du producteur Michael Deeley et du réalisateur Peter Yates, qui tour à tour reviennent sur l’aventure de La Guerre de Murphy. Michael Deeley explique comment Peter Yates et lui ont décliné la transposition au cinéma du roman Le Parrain de Mario Puzo proposée par Paramount, pour aller tourner La Guerre de Murphy au Venezuela. Les difficiles conditions des prises de vue (Philippe Noiret qui explique comment il s’est retrouvé aux urgences un matin où il avait perdu le sens de l’équilibre), l’amitié et la camaraderie qui unissaient les trois acteurs principaux, les décors naturels du delta de l’Orénoque, les problèmes logistiques, la présence de serpents et de piranhas qui retardaient le tournage et bien d’autres éléments sont dévoilés à travers ce supplément.
Dans le bonus suivant (« Une autre fin », 3’), Peter Yates et Michael Deeley s’expriment sur le sort réservé au personnage interprété par Peter O’Toole à la fin de La Guerre de Murphy. Un destin qui « coulait de source » et pour lequel s’est battu le réalisateur, face à son producteur qui souhaitait de son côté que Murphy s’en sorte (la scène a d’ailleurs été tournée, mais rejetée), mais ceci pour des raisons commerciales. Peter Yates avoue qu’il retiendra la leçon après l’échec commercial du film et qu’il ne réservera plus de mauvais sort à ses personnages, comme ce sera par exemple le cas pour celui incarné par Robert Shaw dans Les Grands fonds – The Deep (1977).
Le 26 mai 2006, après la dernière représentation de la pièce Love Letters au Théâtre de la Madeleine, dans laquelle il donnait la réplique à Anouk Aimée, Philippe Noiret acceptait de revenir sur sa carrière américaine et britannique. Le monstre du cinéma français passe en revue quelques-unes de ses aventures en langue anglaise comme La Nuit des généraux – The Night of the Generals d’Anatole Litvak, L’Étau – Topaz d’Alfred Hitchcock, Justine de George Cukor. S’il déclare avoir pris beaucoup de plaisir sur ces tournages et à travailler avec ces cinéastes reconnus, Philippe Noiret se remémore en souriant « avoir pu caresser ce rêve d’enfant », d’avoir pu habiter quatre mois « entre ironie et bonheur » dans une villa de Beverly Hills, où il avait pu « jouer le jeu hollywoodien » en louant une Cadillac décapotable. Avec humour et élégance, il indique « avoir pu tirer un bon paquet de dollars pour s’acheter une très jolie maison », avant de décliner finalement les multiples propositions, car il n’avait jamais eu ce fantasme d’embrasser une carrière internationale, avant de conclure en disant « Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire là-bas ».
Place à Peter Yates qui partage ses souvenirs liés à son premier long-métrage américain, le mythique Bullitt (5’30). Un bonus quelque peu hors-sujet, mais qui reste tout de même bien sympathique, surtout quand le réalisateur s’exprime sur Steve McQueen, qui l’a fait venir à Hollywood et qui l’a fait poireauter quelques semaines avant de se manifester.
L’interactivité se clôt sur une analyse du film de guerre au début des années 1970 (7’) par le spécialiste Thomas Gayrard. Une évolution représentée selon lui par M*A*S*H de Robert Altman et Duel dans le Pacifique – Hell in the Pacific de John Boorman, jusqu’à l’aboutissement d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, de Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino et d’Au-delà de la gloire de Samuel Fuller. Il indique ici ce que La Guerre de Murphy a apporté au genre, en analysant comment le film de Peter Yates se réapproprie les motifs des films de guerre, tout en les décalant et en combinant à la fois une bataille navale, une bataille aérienne et une bataille sous-marine.
L’Image et le son
Pas de sortie en HD pour La Guerre de Murphy donc…et en plus de cela, on nous refourgue le même master, le même DVD pardon, car il n’y a rien d’ESC Editions ici à part le logo sur la jaquette. Le film de Peter Yates dispose d’une édition Standard soignée qui instaure un confort de visionnage plaisant, après cinq minutes plutôt hésitantes. La copie est joliment restaurée, mais affiche déjà quinze ans d’âge. La copie est présentée dans son format original, débarrassée des poussières les plus récalcitrantes. Si la clarté est aléatoire et que diverses scènes semblent plus délavées voire ouatées, la colorimétrie est chatoyante avec de beaux contrastes, une texture agréable avec un grain bien géré, une profondeur de champ appréciable, un piqué souvent pointu sur les séquences diurnes et même quelques noirs compacts.
Rien à signaler du côté Audio. Les pistes française et anglaise (aux sous-titres non imposés) sont de semblable qualité, mixant harmonieusement les voix des comédiens (Philippe Noiret se double lui-même en VF), la musique de John Barry et les effets annexes. C’est dynamique à souhait, suffisamment riche. Quelques craquements et un léger souffle, mais rien de bien méchant.