LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF (Öndög) réalisé par Wang Quan’an, disponible en DVD le 1er décembre 2020 chez Diaphana.
Acteurs : Aorigeletu, Arild Gangtemuer, Enkhtaivan Dulamjav, Norovsambuu…
Scénario : Wang Quan’an
Photographie : Aymerick Pilarski
Durée : 1h40
Date de sortie initiale : 2020
LE FILM
Le corps d’une femme est retrouvé au milieu de la steppe mongole. Un policier novice est désigné pour monter la garde sur les lieux du crime. Dans cette région sauvage, une jeune bergère, malicieuse et indépendante, vient l’aider à se protéger du froid et des loups. Le lendemain matin, l’enquête suit son cours, la bergère retourne à sa vie libre mais quelque chose aura changé.
Difficile de mettre des mots sur le septième long-métrage du réalisateur – issu de la sixième génération de cinéastes chinois – Wang Quan’an (né en 1965), diplômé de l’Académie de cinéma de Pékin, rendu célèbre dans le monde entier pour avoir reçu l’Ours d’or au Festival de Berlin en 2007 pour Le Mariage de Tuya, puis l’Ours d’argent du meilleur scénario en 2010 à ce même Festival pour Apart Together. Les néophytes auront sans doute du mal à entrer dans l’univers du cinéaste avec La Femme des steppes, le flic et l’oeuf – Öndög et nous leur conseillerons plutôt de découvrir ses premiers films, avant de plonger dans cette œuvre insolite, merveilleusement photographiée, contemplative, trop diront certains et on ne pourra pas leur donner tort, mais assurément une expérience cinématographique, sensorielle et pleine de pudeur, qui agit véritablement comme une séance d’hypnose.
L’exposition nous cueille là où on ne l’attendait pas avec ce plan séquence et travelling capturés devant un véhicule qui foule la steppe, de nuit, tandis que deux hommes discutent et voient leurs badinages stoppés par l’irruption dans les phares d’un corps immobile, planté dans la végétation. Ce sera sans doute la séquence la plus « agitée » et violente du film, car dès la scène suivante, le temps semble s’arrêter, la caméra balayant de droite à gauche la steppe où quelques individus s’agitent autour de ce corps qui parasite leur quotidien, sans avoir l’air concerné par ce qui se passe. D’ailleurs, les flics ne s’emmerdent pas et laissent le plus jeune de leur équipe surveiller la défunte (car il s’agit d’une femme, dont on ne saura jamais l’identité, ni le meurtrier), au milieu de nulle part et surtout du froid glacial. Alors que la Terre tourne et que le soleil donne aux sublimes paysages un aspect quasi-fantastique, le jeune policier est rejoint par une bergère qui possède sa yourte dans les environs. Elle vient lui apporter un peu d’alcool pour le réchauffer, puis un peu de réconfort, à tel point que les deux couchent finalement ensemble près d’un chameau qui se repose à leurs côtés. Après cette nuit qui s’apparente à un récit initiatique pour le jeune policier, la bergère, apprend qu’elle est enceinte. Une nouvelle qui semble l’éclairer quelque peu, car celle-ci a déjà fait deux fausses couches.
Wang Quan’an ne creuse pas la psychologie de ses protagonistes et préfère les dévoiler strate par strate, de manière suffisante pour les rendre attachants, un peu à la façon d’un Roy Andersson dont les personnages sont la plupart du temps réduits à leur activité professionnelle. Du coup, son décor sensationnel lui offre l’une des plus grandes scènes théâtrales du monde, sur laquelle ses acteurs, non professionnels et qui exercent réellement le métier de berger et de policier (ce qui donne un aspect documentaire constant, attention à l’abattage du mouton non simulé), déambulent d’un point à l’autre avec des dialogues réduits à leur maximum, le metteur en scène préférant laisser les corps s’exprimer. Après Le Mariage de Tuya, Wang Quan’an retrouve ainsi la Mongolie qui l’inspire et lui permet d’expérimenter le cadre, extraordinaire, épaulé par le chef opérateur français Aymerick Pilarski (Du coeur à l’âme de Zheng Yi), dont le travail sur les couleurs laisse pantois d’admiration.
La Femme des steppes, le flic et l’oeuf, récompensé par la Montgolfière d’or au Festival des trois continents en 2019, était un retour aux sources nécessaires pour Wang Quan’an, six ans après le tournage lourd et éreintant de White Deer Plain en 2011, suivi d’un montage chaotique où on lui avait imposé moult coupes. Le cinéaste aura mis 6 ans pour se remettre d’aplomb et décider de revenir derrière la caméra avec une équipe réduite (avec parfois des gens du cru embauchés sur place), un budget restreint et un tournage rapide de trois semaines. Même si les conditions climatiques étaient loin d’être paradisiaques avec une température avoisinant les -35 degrés, Wang Quan’an est à nouveau en pleine possession de ses moyens et son film peut se voir comme le segment manquant entre le cinéma d’Aki Kaurismäki et celui des frères Coen période Fargo, ce qui n’est pas un mince compliment.
LE DVD
La Femme des steppes, le Flic et l’Oeuf dispose d’une édition DVD chez Diaphana et se compose de deux disques, le premier comprenant le film et l’interview du chef opérateur Aymerick Pilarski, le second la Masterclass avec Wang Quan’an au Forum des images, animée par Pascal Mérigeau. Le menu principal est animé et musical.
Sur le premier DVD, vous trouverez la bande-annonce du film, ainsi qu’un entretien avec le directeur de la photographie Aymerick Pilarski (24’), français qui « s’exporte » et qui a fait ses classes sur Croisades (2014) de Nick Powell (avec Nicolas Cage), avant de signer les photos de Du coeur à l’âme de Zheng Yi et Invisible Tattoo d’Yitong Lu. Si vous avez adhéré au film de Wang Quan’an, nous ne saurons que trop vous conseiller d’écouter cette interview, par ailleurs fort sympathique, durant laquelle Aymerick Pilarski évoque tout d’abord son parcours, avant d’en venir à sa rencontre avec le réalisateur chinois et surtout aux conditions extrêmes de tournage en Mongolie. Le chef opérateur dissèque ensuite les intentions du cinéaste et partage de nombreux souvenirs liés aux prises de vue. Les partis-pris esthétiques sont évidemment passés au peigne fin.
Les cinéphiles les plus avancés ou les spectateurs curieux jetteront un œil sur la masterclass de Wang Quan’an, réalisée au Forum des Images le 21 novembre 2019 et animée par le journaliste et critique Pascal Mérigeau. Une fois n’est pas coutume, l’évènement est proposé dans son intégralité (1h54 quand même), comprenant quelques extraits des films abordés. Vous y entendrez parler pêle-mêle de la formation et du parcours du réalisateur (qui a réalisé son premier film Yue shi – Éclipse de Lune à l’âge de 34 ans), de sa découverte du cinéma (Le Vieux fusil de Robert Enrico a été un catalyseur), de ses collaborations avec la comédienne Yu Nan, du tournage en Mongolie pour Le Mariage de Tuya et La Femme des steppes, le flic et l’œuf, des thèmes et des motifs récurrents qui parcourent son œuvre. Le metteur en scène s’étend un peu plus sur les difficiles conditions de tournage et surtout de post-production de White Deer Plain, une superproduction historique dont l’issue (des remontages successifs et imposés qui ont complètement dénaturé son travail) l’a éloigné des plateaux de cinéma durant six ans. Wang Quan’an en vient enfin à La Femme des steppes, le flic et l’œuf qui lui a redonné envie de retrouver son art. On apprend qu’il prépare actuellement un film centré sur l’élévation du mur entre les Etats-Unis et le Mexique désiré par Donald Trump, avec une star oscarisée en tête d’affiche…
L’Image et le son
Dommage, vraiment dommage de ne pas bénéficier de La Femme des steppes, le flic et l’œuf en Haute-Définition !!! La splendide photographie d’Aymerick Pilarski le méritait largement…Cela étant, cette édition Standard s’en tire honorablement, même s’il ne faut pas s’attendre à un piqué incroyable et à une profondeur de champ spectaculaire. Les contrastes sont corrects, mais la HD aurait sûrement magnifié les scènes nocturnes au coin du feu ou les levers/couchers de soleil. Les gros plans ne manquent pas de détails et la luminosité est plaisante sur les séquences diurnes.
La version originale mongol Dolby Digital 5.1. instaure d’excellentes conditions acoustiques et fait la part belle aux ambiances naturelles bien présentes. Quelques effets sont saisissants et le rendu des voix (bien que limités) est sans faille. L’éditeur joint également une piste Stéréo, frontale, dynamique, percutante, mais forcément moins enveloppante.