LA CLEPSYDRE (Sanatorium pod klepsydra) réalisé par Wojciech J. Has, disponible en DVD depuis le 6 novembre 2019 chez Malavida Films.
Acteurs : Jan Nowicki, Tadeusz Kondrat, Irena Orska, Halina Kowalska, Gustaw Holoubek, Mieczyslaw Voit, Bozena Adamek…
Scénario : Wojciech J. Has d’après la nouvelle de Bruno Schulz « Santorium pod Klepsydra«
Photographie : Witold Sobocinski
Musique : Jerzy Maksymiuk
Durée : 2h
Année de sortie : 1973
LE FILM
Jozef vient rendre visite à son père dans un étrange sanatorium. Peu à peu, il se perd dans le bâtiment, il s’égare dans ses souvenirs, ses rêves d’enfants, son passé et ses fantasmes.
Quelle œuvre étrange, énigmatique, déroutante, insondable, riche, déconcertante, visuellement époustouflante et impénétrable que La Clepsydre – Sanatorium pod Klepsydrą, réalisée par Wojciech J. Has (1925-2000) et adaptation de deux nouvelles de Bruno Schulz, éditées en France sous le titre Le Sanatorium au croque-mort et Les Boutiques de cannelle. Il serait impossible, ou plutôt impensable de tenter de décortiquer ce film tellement dingue, qui s’apparente à un rêve éveillé, ou un cauchemar c’est selon, qui prend l’apparence d’un récit initiatique, où un homme revivrait certains moments de son passé, tout en se perdant dans son imagination et en mélangeant à la fois les faits réels avec quelques mirages et hallucinations. Prix du jury au Festival de Cannes en 1973.
Jozef vient voir son père en traitement dans un sanatorium, mais l’établissement médical que Jozef découvre est un vaste palais lugubre, rongé par la vermine et tapissé de toiles d’araignées où le temps et l’espace sont comme pris dans un vertigineux tourbillon. Le Dr. Gotard lui explique que le temps y a été comme retardé. Ne comprenant rien à ce discours, Jozef s’aventure dans la vaste demeure et voit apparaître son double…
Dès la première image, le spectateur entre dans un monde où l’artificialité est omniprésente, comme un décor de cinéma exagéré, aux couleurs appuyées ou au contraire désaturées. Ce qui frappe également d’emblée, c’est la richesse des costumes, des accessoires, des décors. Et dire que nous n’en sommes qu’à la première séquence, celle où l’audience découvre le protagoniste, Jozef, qu’il suivra dans ses aventures, dans son examen de conscience, dans sa quête de lui-même. La Clepsydre, électrochoc cinématographique sorti en 1973, est peut-être le film somme – qui aura nécessité cinq ans de préparation – de la carrière de Wojciech J. Has, auteur prolifique et metteur en scène polonais du Noeud coulant (1958), Chambre commune (1960), Adieu jeunesse (1961), L’Or de mes rêves (1962), Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1965) ou La Poupée (1968) pour ne citer que ses œuvres antérieures. Profondément individualiste, Wojciech J. Has restera à part et éloigné du cinéma de ses compatriotes et confrères plus célèbres, Krzysztof Kieślowski, Andrzej Wajda, Roman Polanski et Jerzy Skolimowski. En évitant volontairement l’engagement politique, il ne s’exprimera d’ailleurs jamais sur ce sujet en public, Wojciech J. Has souhaite privilégier la portée universelle de ses films, tout en se rapprochant du courant surréaliste. La Clepsydre est emblématique de ces partis pris oniriques et intentions, même si encore une fois le film demeure abstrait, opaque.
Les spectateurs y découvriront, sentiront, comprendront ce qu’ils pourront. Aux côtés du personnage principal, la liberté leur est donnée de continuer à avancer ou non dans ce labyrinthe de la pensée et dédale de la vie. Les rencontres étranges se font et de défont. Parfois, pour passer d’un tableau à l’autre, le passage est difficile à trouver. Il faut pour cela ramper sous un lit, au bout duquel on atterrit directement dans une rue très animée. Si La Clepsydre conserve et conservera probablement pour toujours ses secrets, on peut simultanément admirer chaque plan, chaque scène, chaque personnage, chaque situation.
Les couleurs disparates – magnifique photographie de Witold Sobocinski chef opérateur de Pirates et Frantic de Roman Polanski – baignent les personnages croisés par Jozef, qui à aucun moment ne semble s’étonner des situations absurdes, kafkaïennes et inouïes dans lesquelles il se retrouve plongé. Pourtant, en raison de l’étrange sanatorium, où le temps retarde d’un certain intervalle sur le présent, Jozef active les alternatives du passé. Il s’en dégage une poésie de chaque instant, même si indescriptible ou même impossible à analyser réellement, comme dans un film de Federico Fellini, Andreï Tarkovski ou David Lynch. Chaque spectateur au vécu différent, verra La Clepsydre différemment.
Wojciech J. Has use du cinéma comme d’une séance d’hypnose. On en ressort étourdi, les sens engourdis, en ne comprenant pas vraiment ce qu’on vient de voir, mais en étant certain d’avoir assisté à un tour de prestidigitation cinématographique unique et une expérience sensorielle que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
LE DVD
Cela fait près de quinze ans que Malavida Films prend soin des œuvres de Wojciech J. Has, dont le catalogue comprend l’intégrale de ses films en DVD. Déjà édité en 2005, La Clepsydre est proposée ici en version restaurée par Malavida. Le disque repose dans un très élégant boîtier Digipack à deux volets. Le menu principal est très légèrement animé et musical.
Aucun supplément en vidéo n’est présenté ici. En revanche, ruez-vous sur le livret de 12 pages inclus dans le Digipack, qui contient une fabuleuse analyse de La Clepsydre par Frédéric Mercier, publiée en 2012 sur le site DVDClassik, ainsi qu’un extrait de Cinéma et imaginaire baroque, d’Emmanuel Plasseraud (Septentrion presses universitaires-2007).
L’Image et le son
Superbe master restauré proposé par Malavida. La Clepsydre aurait même mérité d’être présenté en Haute-Définition. Toujours est-il que cette édition standard en met souvent plein la vue. La stabilité est de mise sur les deux heures du long métrage, ainsi que la propreté de l’image, la clarté est éloquente, la densité des contrastes impressionne et surtout, la colorimétrie ne cesse de flatter les rétines avec des teintes bigarrées à souhait.
La piste Stéréo offre au spectateur un confort acoustique certain, qui respecte les partis pris originaux. L’écoute est plutôt dynamique, claire et profite beaucoup aux envolées musicales de Jerzy Maksymiuk.