Test DVD / In Fabric, réalisé par Peter Strickland

IN FABRIC réalisé par Peter Strickland, disponible en DVD le 17 mars 2020 chez Tamasa Diffusion.

Acteurs : Sidse Babett Knudsen, Marianne Jean-Baptiste, Julian Barratt, Steve Oram, Jaygann Ayeh, Zsolt Páll, Richard Bremmer, Deborah Griffin, Gwendoline Christie…

Scénario : Peter Strickland

Photographie : Ari Wegner

Musique : Cavern of Anti-Matter

Durée : 1h54

Année de sortie : 2018

LE FILM

La boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s, son petit personnel versé dans les cérémonies occultes, ses commerciaux aux sourires carnassiers. Sa robe rouge, superbe, et aussi maudite qu’une maison bâtie sur un cimetière indien. De corps en corps, le morceau de tissu torture ses différent(e)s propriétaires avec un certain raffinement dans la cruauté.

Franchement, on ne sait pas ce que Peter Strickland fume en cachette, mais c’est de la bonne ! Avec In Fabric, son quatrième long métrage, le réalisateur et scénariste britannique repousse les limites de son dispositif, quitte à décontenancer de nombreux spectateurs, tout en comblant l’attente de celles et ceux qui le suivent depuis ses débuts. Après Katalin Varga (2009), primé au Festival de Berlin, Berberian Sound Studio (2012), primé à Locarno, et The Duke of Burgundy, film uniquement composé d’actrices, Peter Strickland (né en 1973) continue sur sa lancée et In Fabric témoigne une fois de plus de la singularité de son cinéma marqué par de nombreuses références au genre horrifique, en particulier le giallo. Et c’est une grande réussite.

Les bijoux ou les vêtements maudits ont souvent inspiré le cinéma ou la télévision. On se souvient surtout de I’m Dangerous Tonight, également connu sous le titre Red Evil Terror, ou bien encore Robe de sang pour son exploitation française, réalisé par Tobe Hooper en 1990. Un téléfilm très efficace, qui permettait surtout d’admirer la ravissante Mädchen Amick, tout juste révélée par la série Twin Peaks, dans lequel la comédienne était sous l’emprise d’une robe rouge ensorcelée. Il y a de cela dans In Fabric, film de genre formidablement mis en scène et merveilleusement photographié par Ari Wegner (The Young Lady de William Oldroyd), dont les partis pris renvoient directement au cinéma de Mario Bava et de Dario Argento, où la couleur rouge est mise en valeur. Si certains spectateurs risquent d’être décontenancés (euphémisme) par les angles de prises de vue et l’immense travail sur le son (pensé comme une séance d’hypnose), ou tout simplement d’être laissés sur le bas côté, les autres embarqueront à bord de ce train fantôme chatoyant. In Fabric fonce tête baissée dans une sorte de monde parallèle marqué par des boutiques de fringues, sans âge, intemporelles donc, où les employés semblent eux-mêmes sortir d’on ne sait où, d’outre-tombe peut-être, prêts à renseigner et à conseiller une clientèle qui s’agglutine en masse devant leurs vitrines, avant la levée du rideau de fer. Les soldes sont conséquents, la masse populaire achète sans rechigner, juste pour faire de bonnes affaires. Et de ce point de vue, une étrange robe rouge va faire le bonheur (sic) de ses heureux acquéreurs.

In Fabric fonctionne du point de vue épouvante, sans effusion de sang, mais dont l’angoisse est distillée au compte-gouttes, avec une tension permanente, et souvent un humour noir inattendu. La première victime (à l’écran du moins) de cette robe est interprétée par l’excellente Marianne Jean-Baptiste, révélée en 1996 par Mike Leigh dans Secrets et Mensonges Secrets and Lies et star des sept saisons de la série FBI : Portés disparus, dont le récent divorce la pousse à prendre à nouveau soin d’elle, dans l’espoir de faire une nouvelle rencontre. Cette robe tombe à point nommé. Mais Sheila, son personnage, est loin de se douter que l’habit est comme habité par une conscience démoniaque, qui va s’en prendre entre autres à Gwen, l’amie de son fils, incarnée par la géniale Gwendoline Christie, rendue célèbre dans le monde entier avec son rôle de Brienne de Torth dans la série Game of Thrones. L’ombre de David Lynch plane aussi sur In Fabric, en particulier Lost Highway, Mulholland Drive et Inland Empire avec ses séquences hallucinées, où le quotidien semble parasité par le paranormal, des individus au visage de cire (ici celui de l’incroyable Fatma Mohamed, actrice complice du cinéaste), et au sourire figé.

Peter Strickland réalise un film de fétichiste en abordant le rapport aux vêtements de l’homme et de la femme, ceux qui excitent, qui attirent l’oeil, qui échauffent les sens, qui font aussi perdre la tête et pour lesquels certains seraient prêts à vendre leur âme au diable pour les obtenir. Raison de plus pour Satan, si l’on peut parler d’entité responsable de cet envoûtement, pour devancer ces passionnés et leur proposer directement ses services et ses créations !

Récompensé à maintes reprises dans les festivals du monde entier, In Fabric ne laisse en aucun cas indifférent, et parvient à combiner à la fois le cinéma d’auteur avec le divertissement le plus basique et attachant lié au cinéma de genre. Une œuvre hybride, intelligente, mystérieuse, volontiers sarcastique et pleine d’esprit sur le consumérisme, mais aussi bourrée de charme et sans cesse inventive.

LE DVD

Chose étonnante, In Fabric arrive dans l’escarcelle de Tamasa Diffusion, dans un superbe Slim Digipack, dans lequel est glissé un livret de 16 pages, comprenant un entretien avec Marianne Jean-Baptiste et de Gwendoline Christie. Le menu principal est fixe et musical.

Du point de vue des suppléments en vidéo, nous trouvons tout d’abord une interview de la costumière Jo Thompson (14’), à l’occasion de la présentation d’In Fabric au Festival du Film des Villes Soeurs de Mers-les-Bains, mettant au premier plan les métiers du costume, de la coiffure et du maquillage dans le domaine du cinéma. Avec à son palmarès des œuvres aussi variées que This Is England (2006) de Shane Meadows, Song for Marion (2012) de Paul Andrew Williamsla et la série Les Enquêtes de Morse, Jo Thompson revient sur son travail réalisé pour In Fabric, qu’elle considère comme une vraie comédie d’horreur et sur lequel elle a adoré travailler. Elle y évoque sa rencontre (via Skype) avec Peter Strickland, la conception de la robe rouge (pensée comme un des personnages principaux) et ses références (le réalisateur lui a fait regarder Le Carnaval des âmes de Herk Harvey.

Peter Strickland apparaît lui aussi au cours d’un entretien (19’) réalisé à l’occasion de la sortie du film en France. Le cinéaste revient sur la genèse d’In Fabric, liée à ses souvenirs d’enfance sur les grands magasins anglais dans les années 1970. Il y aborde aussi le travail sur le son avec des bruitages spécifiques. Il déclare également qu’In Fabric n’est pas un film anti-consumériste, mais plutôt un cauchemar sur le prêt-à-porter, avec une satire du consumérisme en arrière-plan, tout en étant une célébration des magasins. La création de la robe, l’écriture du scénario, les décors, son attirance pour le giallo, le casting, la photo d’Ari Wegner sont aussi analysés au cours de ce module.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Dommage de pas bénéficier d’In Fabric en Haute-Définition, comme c’est le cas par exemple en Angleterre. Néanmoins, cette édition Standard du film de Peter Strickland s’en sort très bien avec notamment des couleurs pimpantes et très affirmées, notamment les teintes rouges. Le cadre large affiche une somme impressionnante de détails sur les matières, le piqué est aiguisé à souhait, les contrastes riches.

L’expérience souhaitée par le cinéaste passe aussi par le son et l’éditeur livre un mixage Dolby Digital 5.1. très étonnant avec sa spatialisation très enveloppante, ses ambiances immersives, sa musique enivrante et ses bruitages uniques. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © 2019 ROOK FILMS FABRIC LTD / Tamasa Diffusion / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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