VISIONS réalisé par Yann Gozlan, disponible en DVD & Blu-ray le 24 janvier 2024 chez M6 Vidéo.
Acteurs : Diane Kruger, Mathieu Kassovitz, Marta Nieto, Amira Casar, Grégory Fitoussi, Élodie Navarre, Romain Fleury, Yun Lai…
Scénario : Yann Gozlan, Michel Fessler, Aurélie Valat, Jean-Baptiste Delafon & Audrey Diwan
Photographie : Antoine Sanier
Musique : Philippe Rombi
Durée : 2h03
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Estelle Vasseur est commandante de bord long courrier, au professionnalisme hors pair, elle mène une existence parfaitement réglée aux côtés de Guillaume, son mari aimant et protecteur. Tout semble aller pour le mieux même si les vols et les jet lag à répétition commencent à perturber le rythme biologique de la jeune femme, et particulièrement son sommeil. Un jour, par hasard, dans un couloir de l’aéroport de Nice, elle recroise la route d’Ana, photographe avec qui elle a eu une aventure passionnée vingt ans plus tôt. Estelle est alors loin d’imaginer que ces retrouvailles vont l’entraîner dans une spirale cauchemardesque et faire basculer sa vie dans l’irrationnel.
Bien que présent depuis plus de dix ans dans le panorama du cinéma français, le réalisateur Yann Gozlan (né en 1977) aura dû attendre 2021 pour toucher le grand public avec le succès de Boîte noire (1,2 millions d’entrées), multi-récompensé et auréolé de cinq nominations aux César. Qu’ils soient réussis (Captifs, Burn Out, Boîte noire) ou pas (Un homme idéal), ses films ont toujours démontré un savoir-faire indéniable, un style qui n’a eu de cesse de s’aiguiser et une ambition finalement rare dans nos contrées. Difficile de passer après un triomphe et Yann Gozlan n’aura pas attendu longtemps, puisque Visions devait débarquer sur les écrans deux ans quasiment jour pour jour après la sortie de Boîte noire. Ce thriller érotico-fantastico-psychologique allait décontenancer le public. Avec un budget avoisinant les 9 millions d’euros, Visions ne parviendra même pas à franchir la barre des 200.000 spectateurs. Un échec important et pourtant le cinquième long-métrage du metteur en scène apparaît comme étant le plus recherché sur le plan visuel. Avec sa magnifique photographie stylisée signée Antoine Sanier (King, Hors normes, Leatherface, Santa & Cie), Visions est l’un des plus beaux films hexagonaux de l’année 2023. Sans doute trop gourmand et désireux de montrer cette fois encore qu’il en a sérieusement sous le capot, Yann Gozlan aurait toutefois mérité de tailler dans son scénario, d’assécher son intrigue qui s’étend sur plus de deux heures, ce qui peut paraître long pour le spectateur quand celui-ci est perdu dans un labyrinthe mental, d’autant plus que certains éléments demeureront mystérieux. Mais Visions est une véritable expérience sensorielle et immersive, composée de motifs récurrents dans l’oeuvre de son auteur, au point que certains font étonnamment écho à Boîte noire, comme si les deux opus dialoguaient parfois. Il s’agit bel et bien d’un film d’auteur, qui n’a de cesse d’explorer des thèmes obsessionnels et qui prouve une nouvelle fois toute la virtuosité d’un artiste arrivé à sa pleine maturité et qui possède enfin les moyens de s’exprimer. Si Visions ne fera jamais l’unanimité, heureusement d’ailleurs, on ne pourra pas nier cette folie furieuse de faire du vrai, du bon, du grand cinéma.
Depuis le début de sa carrière, Yann Gozlan a toujours porté un grand intérêt à la tension et à l’atmosphère de ses longs-métrages, comme si ses mises en scène pouvaient faire entrer les spectateurs en hyper-ventilation, les faire suffoquer. Visions est incontestablement une réussite de ce point de vue, même si une fois n’est pas coutume, le récit que le réalisateur a cosigné avec Michel Fessler (Ridicule, Farinelli : Il Castrato), Aurélie Valat (La Mécanique de l’ombre), Jean-Baptiste Delafon (D’argent et de sang, Baron Noir, BRI) et Audrey Diwan (L’Amour et les forêts, L’Événement, HhhH, BAC Nord) échappe à cette linéarité à laquelle il nous avait habitué et rend compte sans doute trop de cette écriture à plusieurs mains. Les influences et références de Yann Gozlan sont très explicites, de Brian De Palma à David Lynch, en passant par Paul Verhoeven (et ce jusqu’à la superbe composition du maestro Philippe Rombi), Darren Aronofsky (on pense évidemment à Black Swan), Roman Polanski (Possession irriguait déjà l’intrigue du court-métrage Écho, dont Visions serait un affluent) et bien sûr Alfred Hitchcock.
À ce titre, le rôle de la « blonde glaciale au tempérament de feu » revient à la magnétique Diane Kruger, magistrale du début à la fin (elle est d’ailleurs de toutes les scènes, de tous les plans), dont l’apparition rappelle étrangement celle du personnage qu’elle campait dans le récent et sympathique Désir fatal – Out of the Blue de Neil LaBute. Il s’agit assurément d’une de ses meilleures prestations et de son meilleur rôle depuis In the Fade de Fatih Akın, pour lequel avait obtenu le Prix d’interprétation au Festival de Cannes. À ses côtés, Mathieu Kassovitz a peu à faire pour rendre inquiétant le mari d’Estelle, capable de passer en un clin d’oeil de l’empathie chaleureuse à une violence jusqu’alors contenue, prête à exploser. Les cinéphiles reconnaîtront aussi la sublime Marta Nieto, déjà inoubliable dans le remarquable Madre de Rodrigo Sorogoyen, qui devient ici l’incarnation du fantasme ultime d’Estelle et qui bouleversera (pour la seconde fois) son existence.
Difficile de reprocher à Visions son aspect technique en tout point irréprochable (gigantesque travail sur le son une fois de plus), jusqu’à son affiche d’exploitation, la plus belle de 2023, tout comme son générique d’ouverture. Mais c’est toujours un pari de prendre pour unique point de vue celui d’un personnage indéniablement perturbé, au point de faire perdre ses repères durablement aux spectateurs, qui n’ayant que peu d’éléments solides sur lesquels se raccrocher (comme Estelle donc), peuvent finir par perdre le le fil, surtout que le dédale kafkaïen ne cesse de s’élargir durant 120 minutes.
Visions est l’antithèse de Captifs, qui privilégiait l’épure formelle et qui s’avère avant tout une démonstration virtuose et ininterrompue de mouvements de caméra et de découpage. Le fond, complexe, peut donc sembler se dissoudre, mais finalement rend compte du vertigineux tourbillon émotionnel dans lequel est plongé Estelle Vasseur et de son trouble mental. Le cinéma de Yann Gozlan est constitué de réminiscences, comme si ses protagonistes étaient liés et souvent à la recherche de la vérité, d’une explication, ainsi que de leur propre identité. Après tout, Estelle Vasseur ne porte-t-elle pas le même nom de famille que Pierre Niney dans Un homme idéal et Boîte noire ?
LE BLU-RAY
C’est chez M6 Vidéo que Visions apparaît dans les bacs, en DVD et en Blu-ray. Le menu principal (fixe et musical), tout comme la jaquette, reprennent le visuel d’une des deux affiches d’exploitation.
Un seul supplément sur cette édition HD. Nous en parlions dans la critique de Visions, Écho est un court-métrage (2006-23’) réalisé par Yann Gozlan et récompensé par le Grand Prix à Gerardmer. Carole, une jeune femme enceinte, souffre d’étranges troubles de l’audition, percevant par instants des bourdonnements entêtants. Son mari retenu sur un tournage, elle se retrouve seule dans son nouvel appartement. La nuit, elle entend d’étranges bruits inexpliqués qui vont d’abord l’intriguer puis très vite l’obséder. Sa vie bascule alors dans l’angoisse. Tout ce qui fait la grande réussite du cinéma de Yann Gozlan (sauf Un homme idéal, qui pour le coup était un accident de parcours) est déjà installé dans ce formidable court-métrage où trône la fantastique Lubna Azabal. Énorme travail sur le son et certains motifs qui deviendront récurrents, pour ne pas dire obsessionnels, sont présents.
L’Image et le son
Bien que le film soit passé relativement inaperçu dans les salles, M6 Vidéo prend soin du thriller de Yann Gozlan et livre un master HD au format 1080p, irréprochable et au transfert immaculé. Respectueux des volontés artistiques originales, la copie se révèle un petit bijou technique alliant des teintes chaudes, ambrées et dorées, le tout étant soutenu par un encodage AVC de haute volée. Le piqué, tout comme les contrastes, sont tranchants, la colorimétrie est joliment laquée, le relief omniprésent et les détails foisonnants sur le cadre large. Un service après-vente remarquable.
Version française DTS-HD Master Audio 5.1. Le confort acoustique est total avec une remarquable homogénéité des voix et des effets annexes. Le pouvoir immersif du mixage est fort plaisant. Toutes les enceintes sont intelligemment mises à contribution, les effets sont souvent percutants. La balance frontale et latérale est constante et riche, le caisson de basses souligne efficacement les séquences du film les plus agitées, tandis que les dialogues et commentaires restent fluides et solides. L’éditeur joint une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.