UNE AFFAIRE DE FEMMES réalisé par Claude Chabrol, disponible en DVD et Blu-ray le 22 septembre 2021 chez Carlotta Films.
Acteurs : Isabelle Huppert, François Cluzet, Marie Trintignant, Nils Tavernier, Lolita Chammah, Aurore Gauvin, Guillaume Foutrier, Nicolas Foutrier, Marie Bunel, Dominique Blanc, Evelyne Didi, Dani…
Scénario : Claude Chabrol & Colo Tavernier O’Hagan, d’après le roman de Francis Szpiner
Photographie : Jean Rabier
Musique : Matthieu Chabrol
Durée : 1h48
Année de sortie : 1988
LE FILM
Par solidarité en ce début de guerre, Marie, mère de famille d’une trentaine d’années, va aider sa voisine à se débarrasser d’un enfant non désiré. Bientôt, c’est l’engrenage. Les ‘services’ de Marie se rétribueront et deviendront son gagne-pain. Mais, Marie, la faiseuse d’anges est dénoncée. Sous Vichy, une dénonciation équivaut à une exécution. Marie est arrêtée et condamnée.
Une affaire de femmes est l’un des plus grands succès de Claude Chabrol. Un million d’entrées en France, trois nominations aux César, Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Isabelle Huppert à la Mostra de Venise, le réalisateur étant lui-même récompensé à deux reprises à ce même festival. Ceci sans compter les nominations et autres récompenses diverses (à Bogota, à Boston, aux Golden Globes, aux David di Donatello…), le film est un triomphe à travers le monde et la critique est très largement conquise. Sorti entre Le Cri du hibou, adaptation d’un roman de Patricia Highsmith qui a valu à Mathilda May le César du meilleur espoir féminin, et Jours tranquilles à Clichy, d’après le roman éponyme d’Henry Miller, Une affaire de femmes s’inspire lui aussi d’un livre écrit par l’avocat Francis Szpiner, tiré d’une d’une histoire vraie, celle de Marie-Louise Giraud (1903-1943), une des dernières femmes condamnées à mort en France par guillotine, dénoncée pour avoir effectué près d’une trentaine d’avortements illégaux sous l’occupation. Cette dernière, la seule « faiseuse d’anges » exécutée pour cette raison, est interprétée par Isabelle Huppert, dans sa deuxième collaboration avec Claude Chabrol, dix ans après Violette Nozière. Fabuleux portrait dressé d’une résistante malgré elle, Une affaire de femmes est une œuvre passionnante, dont la protagoniste n’est certes pas très sympathique, mais à laquelle la comédienne apporte une humanité, une force incroyable et son hypersensibilité. Assurément l’une des plus intenses prestations d’Isabelle Huppert.
1942, Cherbourg sous l’occupation. Marie se débrouille seule, avec ses deux enfants, alors que son mari est prisonnier de guerre. Elle sort au café le soir avec Rachel pour danser. Elle rêve d’être chanteuse. Un matin, elle tombe sur Ginette (la géniale Marie Bunel), sa voisine qui ne veut pas garder l’enfant de son copain partant pour le STO, se faire un bain de moutarde. Marie l’aide à avorter avec une poire à eau qu’elle remplit d’eau savonneuse. Alors qu’elle rentre de la campagne, elle a la surprise, peu agréable, de voir son mari de retour, invalide. Elle ne lui a jamais écrit durant sa captivité et souhaite continuer de profiter de son « temps libre ». Marie n’a aucune envie de coucher avec son mari et le lui signifie fermement. Elle continue à se promener seule, et rencontre une prostituée, Lucie, lui avouant par bravade que malgré sa « gueule d’ange », elle est une « faiseuse d’anges ». Un jour, une amie de Lucie accompagnée de sa sœur lui demande de l’aider à avorter car elle est enceinte d’un allemand alors que son mari est retenu prisonnier. Avec les 1000 francs de l’avortement, Marie vit plus largement et propose même à Lucie de se prostituer chez elle. Son mari apprend ce qui se passe sous son toit. Il se met à boire, perd son emploi et finit par perdre sa pension d’invalidité. Marie gagne maintenant suffisamment d’argent pour déménager dans un appartement du centre de Cherbourg. Elle rencontre Lucien (Nils Tavernier), un milicien qui devient son amant. Elle procure ainsi à son mari un poste de surveillant du port. Paul accepte tout jusqu’au jour où il n’en peut plus d’être humilié, ignoré. Il finit par dénoncer sa propre femme au commissaire, en écrivant une lettre anonyme.
« Côté mise en scène, je me suis amusé à faire un film de 1943 et non un film sur 1943. Les cinéastes de l’époque n’avaient pas encore vu Citizen Kane. Ils ignoraient la perspective, la profondeur de champ. J’ai joué là-dessus. Et, pour mon plaisir personnel, j’ai essayé de nouveaux procédés de narration. » – Claude Chabrol
« J’suis encore jeune après tout ! » dit Marie, qui rêve d’être chanteuse, qui danse avec une copine jusqu’à une heure bien avancée de la nuit, qui continue de fredonner dans la rue après sa soirée bien arrosée. Dès le lendemain, Marie est en pleine forme et s’occupe de ses deux enfants, Pierrot et Mouche, le premier (interprété en fait par des jumeaux assez remarquables et poignants) étant quelque peu délaissé par sa mère, tandis que la seconde (Lolita Chammah, 4 ans) lui donne parfois du fil à retordre. Néanmoins, Marie n’oublie pas son rôle de mère. Elle semble s’être fait une raison quant à l’absence de son mari Paul et essaye de profiter de chaque jour, malgré la situation. Jusqu’à ce Paul revienne de la guerre, blessé. Ce retour va bouleverser le train-train de Marie, qui en secret s’occupe des femmes enceintes qui souhaitent avorter. Paul (François Cluzet, impeccable), sans cesse rabaissé par Marie, qui le trompe, se refuse à lui et le pousse même dans les bras de leur femme de ménage, commence à perdre patience. Quand il découvre son secret, Paul, à bout, décide d’envoyer une lettre anonyme à la kommandantur pour dévoiler les actes de sa femme.
« Ce sont des gens simples, alors il faut filmer simplement » disait Claude Chabrol sur la mise en scène d’Une affaire de femmes. La reconstitution est discrète, mais très correcte, suffisante pour instaurer le contexte historique. Isabelle Huppert illumine ces décors et costumes tristounets, tout comme sa partenaire Marie Trintignant, à mille lieues de son personnage de Betty, pour lequel elle retrouvera le cinéaste quatre ans plus tard. Le plus gros challenge du film est de rendre attachant un personnage pourtant peu sympathique. Les rapports de Marie avec Paul sont très difficiles, les dialogues – coécrits par le réalisateur avec Colo Tavernier – percutants, ironiques et cyniques (« Qu’est ce que tu me reproches ? » « De ne pas t’aimer »), le cadre étouffe petit à petit les personnages, jusqu’à l’arrestation de Marie commentée par Claude Chabrol lui-même qui prête sa voix au personnage de Pierrot adulte, témoin de l’emprisonnement de sa mère.
En voyant Une affaire de femmes, il n’est pas étonnant que Claude Chabrol ait finalement entrepris d’adapter Madame Bovary de Gustave Flaubert trois ans plus tard et d’en confier à nouveau le rôle principal à Isabelle Huppert, tant le personnage de Marie annonce déjà le désir de fuite, de succès et d’élévation d’Emma.
LE BLU-RAY
Après Betty et avant Madame Bovary, nous passons aujourd’hui en revue la nouvelle édition HD d’Une affaire de femmes, désormais disponible chez Carlotta Films, auparavant édité – depuis 2001 – par MK2. La jaquette, glissée dans un boîtier classique de couleur noire, reprend l’un des célèbres visuels du film. L’ensemble est glissé dans un surétui cartonné liseré jaune. Le menu principal est fixe et musical.
Carlotta Films reprend presque tous les suppléments disponibles sur l’ancienne édition MK2 sortie en 2001, avec tout d’abord la présentation du film par Joël Magny (2’). L’historien du cinéma et critique (Les Cahiers du Cinéma), disparu en 2017, avait signé un ouvrage, sobrement intitulé Claude Chabrol, paru en 1987 aux éditions des Cahiers du Cinéma. Sur un montage d’images d’Une affaire de femmes et des photogrammes tirés du film, il revenait ici sur la genèse du 41e long-métrage de Claude Chabrol, « qui réalisait enfin le film qu’il voulait sur la période de l’occupation et de la France de Vichy ». Le fait divers réel, le casting et les récompenses du film sont aussi abordés.
Nous trouvons ensuite quatre séquences tirées du film, commentées par Claude Chabrol lui-même, à savoir La Vie de Marie (5’), La femme du garde-barrière (7’30), Fernande (4’35) et Monsieur le commissaire (6’40). On aperçoit brièvement le réalisateur derrière son micro, puis on l’écoute avec attention, surtout quand il revient sur les partis-pris et ses intentions. Claude Chabrol analyse son montage, le choix de jouer avec l’empathie pour le personnage principal, la musique de son fils Matthieu Chabrol (« qui compose sur scénario et non pas sur image, afin d’éviter le synchronisme imbécile »), sans oublier l’interprétation d’Isabelle Huppert qui le laisse une fois de plus pantois d’admiration.
Nous passons à un entretien avec Marin Karmitz (enregistré en janvier 2001), producteur d’Une affaire de femmes et de onze autres longs-métrages de Claude Chabrol, de Poulet au vinaigre (1985) à La Fleur du mal (2002). Durant son intervention (4’), Marin Karmitz explique en quoi les thèmes de l’avortement et de la peine de mort restent toujours difficiles à aborder dans le cinéma moderne. Il indique aussi en quoi Une affaire de femmes est pour lui un film extrêmement moderne, puisqu’il parle « de la réalité actuelle en France et même dans le monde », en raison de ses deux thèmes centraux, l’avortement et la peine de mort. Deux sujets toujours repris en politique et qui ont rebuté tous les distributeurs outre-Atlantique. Faute de pouvoir en trouver, Marin Karmitz a décidé de distribuer lui-même Une affaire de femmes aux Etats-Unis, où il aura finalement un très grand succès critique et public.
L’entretien avec Francis Szpiner (également enregistré en janvier 2001), auteur du livre Une affaire de femmes, revient sur les raisons qui ont poussé l’avocat et homme politique à entreprendre des recherches pour ensuite écrire sur l’affaire Marie-Louise Giraud (8’).
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce originale.
En revanche, disparition du module de douze minutes consacré à la présentation d’Une affaire de femmes, tiré de l’émission Cinéma, Cinémas, qui se focalisait entre autres sur Claude Chabrol et Isabelle Huppert qui enchaînaient les interviews, les conférences de presse et les séances photos, dans lequel on y voyait aussi l’évidente complicité et l’immense respect qui unissaient les deux artistes. L’ensemble était suivi de la présentation triomphale du film à la Mostra de Venise, en présence de Simone Veil.
L’Image et le son
Une affaire de femmes rejoint le plan de restauration de certains titres anciennement édités par MK2 et en l’occurrence les films de Claude Chabrol. Le nouveau lifting 4K d’Une affaire de femmes est livré dans un écrin Blu-ray au format 1080p. La photo signée par le chef opérateur Jean Rabier (En toute innocence, Cold Sweat – De la part des copains, Le Scandale) est ici respectée avec des couleurs froides, volontairement délavées et une patine argentique très appréciable. L’image (1.66, 16/9 compatible 4/3) a été savamment nettoyée, la copie est vraiment très propre, l’ensemble est stable, le cadre ne manque pas de détails. Le piqué doux demeure agréable pour les mirettes, les contrastes sont élégants. Si les noirs manquent légèrement de concision, l’édition HD d’Une affaire de femmes reste très soignée.
L’éditeur propose un mixage DTS-HD Master Audio Mono 1.0. Comme pour l’image, le son a également subi un dépoussiérage de premier ordre. La piste est propre, avec des dialogues clairs, l’écoute est nettement supérieure à celle de l’ancienne édition DVD, certains effets se distinguent et la musique de Matthieu Chabrol possède même un coffre inédit. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles. Nous trouvons également une piste Audiodescription.