Test Blu-ray / Un Américain bien tranquille, réalisé par Joseph L. Mankiewicz

UN AMÉRICAIN BIEN TRANQUILLE (The Quiet American) réalisé par Joseph L. Mankiewicz, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 18 avril 2023 chez Rimini Editions.

Acteurs : Audie Murphy, Michael Redgrave, Claude Dauphin, Giorgia Moll, Bruce Cabot, Fred Sadoff, Kerima, Richard Loo…

Scénario : Joseph L. Mankiewicz, d’après le roman de Graham Greene

Photographie : Robert Krasker

Musique : Mario Nascimbene

Durée : 1h57

Date de sortie initiale : 1958

LE FILM

À Saïgon, en pleine guerre d’Indochine, Pyle, un jeune Américain, fait la connaissance de Fowler, journaliste anglais, et tombe amoureux de sa jeune maîtresse vietnamienne. Fowler découvre peu à peu que Pyle travaille pour la CIA. Et lorsque l’Américain est retrouvé mort, l’inspecteur français chargé de l’affaire sollicite l’aide de Fowler.

Quand on évoque Joseph L. Mankiewicz (1909-1993), l’oeil du cinéphile s’illumine, de nombreux titres et tout autant d’images se bousculent dans les mémoires, L’Aventure de madame MuirThe Ghost and Mrs. Muir (1947), Chaînes conjugalesA Letter to Three Wives (1949), La Maison des étrangers House of Strangers (1949), ÈveAll about Eve (1950), La Comtesse aux pieds nusThe Barefoot Contessa (1954), Soudain l’été dernier Suddenly Last Summer (1959) et CléopâtreCleopatra (1963). Une filmographie conséquente, monumentale et pourtant non exhaustive. En effet, un autre long-métrage du réalisateur aura également fait couler beaucoup d’encre, Un Américain bien tranquille The Quiet American, qui sort sur les écrans en 1958, adapté d’un roman de Graham Greene (Le Troisième homme) jugé anti-américain. Néanmoins, Joseph L. Mankiewicz s’est toujours approprié les livres dont il s’inspirait, à tel point d’ailleurs que l’écrivain fera savoir publiquement qu’il condamne cette transposition. Que reste-t-il d’Un Américain bien tranquille 65 ans après sa sortie ? Un résultat en « demi-teinte », car si on ne peut s’empêcher d’admirer la performance des comédiens et la composition magistrale des plans (magnifique photo de Robert Krasker, La Chute de l’empire romain, Le Cid), la surabondance des dialogues peut rapidement fatiguer et ce dès le premier quart d’heure. C’est ce qui a toujours été difficile chez Mankiewicz, aller au-delà d’un « bavardage » copieux, ce qui demande un véritable investissement de la part des spectateurs, surtout quand le film, comme c’est le cas ici, dure 120 minutes. Deux heures durant lesquelles les échanges entre les personnages ne s’arrêtent pas une seule seconde, participant certes à créer une atmosphère étouffante, mais qui ne laissent aucune soupape pourtant indispensable à un public qui peut facilement décrocher si on ne lui laisse pas une petite chance de reprendre son souffle. On peut donc être fasciné par cette virtuosité de tous les instants, mais aussi resté sur le bas-côté et ne pas se laisser emporter par ce récit tortueux et alambiqué.

A Saïgon, au printemps 1952, A Saïgon, en pleine guerre, on découvre le cadavre d’un Américain. L’inspecteur Vigot convoque le journaliste Fowler qui avait rencontré l’Américain deux mois auparavant. Stephen Pyle, jeune idéaliste américain, représentant de commerce avait fait sa connaissance ainsi que celle de sa maîtresse, Phuong. Tombé amoureux de la jeune Indochinoise, Pyle, honnête, le confesse à son rival. Quelques semaines plus tard, il sauve la vie du journaliste en l’aidant à échapper à une patrouille communiste à une centaine de kilomètres de Saïgon, où ils étaient allés assister à une fête nationaliste.

Mais qui était donc ce chargé d’une mission humanitaire, qui débarque (par hasard ?) au plus fort de la résistance vietnamienne, contre la présence coloniale française ? Joseph L. Mankiewicz dresse le portrait croisé de deux hommes que tout sépare, en premier lieu l’âge. Alors que l’un est déjà bien installé et connaît par coeur le Vietnam, l’autre, utopiste, fougueux, essaye d’apprivoiser ce pays où il vient d’arriver. Alors qu’il sympathise avec le reporter anglais Thomas Fowler (marié à une femme en Angleterre, avec laquelle il est séparé, mais qui lui refuse le divorce), Stephen Pyle est bientôt attiré par Phuong, la jeune maîtresse vietnamienne de ce dernier, belle et mystérieuse, à la fois libre et soumise. Un étrange triangle amoureux s’installe, mais le vétéran Fowler n’est pas prêt à laisser partir celle dont il est follement épris et avec laquelle il voulait partager ses vieux jours qui s’annoncent. Ils se disputent alors les faveurs de la jeune vietnamienne, les tensions entre les deux hommes s’exacerbent, tandis que Saïgon est de plus en plus mise à feu et à sang. Comme à son habitude, le cinéaste aurait sans doute gagné à réduire considérablement ses dialogues, même si cela n’empêche pas d’apprécier souvent cet échange de punchlines entre Fowler et Pyle.

Du point de vue formel, Un Américain bien tranquille subjugue. Chaque plan est savamment étudié, composé, rempli et ce dès la première séquence qui ouvre le film sur les festivités du nouvel an chinois, qui plante le décor avec quelques indications sur la situation politique « Il y avait un empereur qui régnait avec l’accord de la France », l’ennemi – le communiste donc – étant aussi désigné d’entrée de jeu. Là-dessus, Joseph L. Mankiewicz déroule son récit essentiellement par les dialogues, impliquant intellectuellement le spectateur. Le divertissement a souvent été relégué au second plan chez le réalisateur, cérébral, qui souhaitait que son audience ressorte du cinéma en ayant appris quelque chose. Cet aspect, non pas donneur de leçons, mais didactique, peut parfois agacer, mais la maestria d’ensemble fait passer la pilule, d’autant plus que le personnage de Fowler est ici plus attachant que prévu et ceci grâce à la prestation de Michael Redgrave. Vu dans Le Messager et Temps sans pitié de Joseph Losey, La Bataille d’Angleterre de Guy Hamilton, Les Héros de Telemark d’Anthony Mann, Le Secret derrière la porte de Fritz Lang et Une femme disparaît d’Alfred Hitchcock, le comédien britannique crève à nouveau l’écran dans Un Américain bien tranquille.

Dans ce rôle initialement envisagé pour Laurence Olivier, il apporte un « bagage » du haut de ses cinquante ans, crée une empathie (on le voit même pleurer quand sa maîtresse le quitte) malgré une certaine ambiguïté, surtout quand Phuong (interprétée par l’italienne Giorgia Moll), la jeune femme qu’il aime, est ouvertement convoitée par cet Américain qui pourrait lui foutre en l’air son « plan retraite ». Quand Pyle (Audie Murphy, incontestablement dans un de ses meilleurs rôles) est retrouvé mort, l’histoire dévoile sous forme de flashback comment Fowler en est venu à enquêter sur lui.

Un Américain bien tranquille n’a rien du film « aimable ». Il s’agit d’un dialogue entre un metteur en scène et scénariste avec les spectateurs, jamais caressés dans le sens du poil. Cette ambition a souvent été la marque de fabrique de Joseph L. Mankiewicz, ce qui peut dérouter, mais pas laisser indifférent. Une fois qu’on se prend au jeu, l’expérience fonctionne, on en ressort grisé mentalement, fatigué aussi peut-être (le manque de rythme n’aide pas), pas forcément satisfait du point de vue « récréatif », mais cela a toujours fait partie du pacte passé avec l’un des auteurs les plus passionnants de l’âge d’or hollywoodien.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Sept ans après avoir édité Quelque-part dans la nuitSomewhere in the Night, Rimini Editions revient à Joseph L. Mankiewicz en proposant Un Américain bien tranquille en Combo Blu-ray + DVD. Ce film avait été édité en DVD chez Swift Productions il y a près de quinze ans. Les deux disques, qui arborent la même sérigraphie, reposent dans un élégant Digipack à deux volets au visuel clinquant. Le menu principal est animé et musical.

Le cinéaste, critique de cinéma à Positif, enseignant en cinéma et journaliste N.T. Binh nous propose une formidable présentation d’Un Américain bien tranquille (36’30). Pas un seul temps mort et une tonne d’informations (il faut voir toutes les notes que nous avons pris lors de cette écoute) durant cette intervention, à ne pas manquer. L’invité de Rimini Editions, auteur en 1988, de la monographie Mankiewicz, replace The Quiet American dans la carrière et la filmographie de Joseph L. Mankiewicz, rappelant ainsi que ce dernier a tout d’abord été scénariste (Alice au Pays des Merveilles de Norman Z. McLeod, L’Ennemi public n°1 de W.S. Van Dyke), puis producteur (Furie de Fritz Lang, Indiscrétions de George Cukor), avant de passer derrière la caméra en 1946 avec Le Château du dragon, en remplacement d’Ernst Lubitsch, victime d’une crise cardiaque. L’adaptation et donc forcément la trahison du roman de Graham Greene (qui fera connaître publiquement son mécontentement), le tournage sur les lieux même de l’action, la psychologie des personnages, les intentions du cinéaste, le casting (Mongotmery Clift et Laurence Olivier avaient été envisagés), le premier montage de 3h30 (!), l’échec public et commercial du film, pourtant soutenu en France par Jean-Luc Godard (qui le classera à la première place des meilleurs films de 1958) et Eric Rohmer, sont aussi les sujets abordés au cours de ce module indispensable et érudit.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Un Blu-ray au format 1080p (AVC). Ce nouveau master restauré en HD au format respecté 1.85 d’Un Américain bien tranquille se révèle assez pointilleux en terme de piqué sur les scènes diurnes, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés sur les plans larges, de clarté et de relief. La nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Joseph L. Mankiewicz, la photo signée Robert Krasker retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé, même si le rendu est aléatoire. Seuls petits accrocs constatés : des poussières, griffures et scories diverses qui sont passées à travers les mailles du filet numérique, ainsi que de légers fourmillements.

En ce qui concerne la version anglaise DTS-HD Master Audio 2.0, peu de choses à signaler, si ce n’est que le confort acoustique est éloquent, les dialogues dynamiques, en dépit de fluctuations. Peut-être un sifflement sensible en fond, mais rien de rédhibitoire. La version française se concentre essentiellement sur le report des voix, tandis que de sensibles craquements et un souffle se font parfois entendre. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Rimini Editions / MGM / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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