LE DIEU D’OSIER (The Wicker Man) réalisé par Robin Hardy, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 25 novembre 2020 chez Studiocanal.
Acteurs : Christopher Lee, Edward Woodward, Britt Ekland, Diane Cilento, Ingrid Pitt, Lindsay Kemp, Russell Waters, Aubrey Morris…
Scénario : Anthony Shaffer, d’après le roman de David Pinner
Photographie : Harry Waxman
Musique : Paul Giovanni
Durée : Version cinéma (85 minutes) et Final Cut (94 minutes).
Date de sortie initiale : 1973 / 2013
LE FILM
Une lettre anonyme amène le sergent Neil Howie à venir enquêter dans une petite île écossaise sur la mystérieuse disparition d’une jeune fille. Le policier se heurte au silence inquiétant des habitants qui vont jusqu’à nier l’existence de la disparue. Peu à peu, le sergent Howie, découvre que la petite communauté, dirigée par l’excentrique lord Summerisle, regroupe les membres d’une secte païenne qui semble s’adonner à des cérémonies d’un autre âge.
Connu en France sous le titre Le Dieu d’osier, The Wicker Man, réalisé en 1973 par Robin Hardy est très souvent cité dans les tops divers consacrés aux meilleurs films britanniques. Et cette réputation n’est pas usurpée. Quasiment cinquante ans après sa sortie dans les salles et ce même si le montage aura subi quelques coupes drastiques par la censure qui voyait d’un mauvais œil qu’on s’attaque à la religion catholique de façon aussi virulente, The Wicker Man n’a absolument rien perdu de son efficacité. Foncièrement dérangeant et pourtant parcouru tout du long par un humour noir revigorant, sombre et pourtant lumineux, véritable film de genre et néanmoins inclassable, ce Dieu d’osier étonne, bouleverse et effraie, renverse les conventions, les défonce même, pour emmener là où le spectateur était loin de se douter. C’est une des références pour de nombreux aficionados de films d’épouvante, où aucune goutte de sang n’est d’ailleurs versée, mais aussi et surtout pour moult cinéastes qui ont tenté d’en plagier l’âme, le fond, l’atmosphère, sans jamais y parvenir, ou presque, comme l’a récemment démontré le très prometteur Ari Aster avec son incroyable Midsommar, sorti en 2019. Il existe aujourd’hui au moins trois montages de The Wicker Man, celui vu dans les salles en 1973, le Director’s Cut rafistolé avec difficultés – à partir d’une copie de travail appartenant à Roger Corman – et d’une durée prolongée de 15 minutes, ainsi que le Final Cut réalisé et exploité en 2013, sous la supervision de Robin Hardy, trois ans avant de s’éteindre et qui se disait très fier de cette dernière mouture, qui se rapprochait pour lui de la version la plus proche de ses intentions originales.
Le sergent de police Neil Howie (Edward Woodward, excellent, bien avant de devenir mondialement célèbre avec la série Equalizer) se rend à Summerisle, une île éloignée des Hébrides, pour enquêter sur la disparition d’une jeune fille, Rowan Morrison, à propos de laquelle il a reçu une lettre anonyme. Howie, chrétien dévot, est troublé de voir les habitants de l’île rendre hommage aux dieux païens celtes de leurs ancêtres. Ils copulent ouvertement dans les champs, incluent des enfants dans le cadre des célébrations du 1er mai, leur enseignent l’association phallique de l’arbre de mai et placent des crapauds dans leur bouche pour soigner les maux de gorge. Les Insulaires, y compris la propre mère de Rowan, semblent tenter de contrecarrer son enquête en affirmant que Rowan n’a jamais existé. Pendant son séjour au Green Man Inn, Howie remarque une série de photographies célébrant les récoltes annuelles, représentant chacune une jeune fille sous le nom de May Queen. Le tableau de la photo de la célébration la plus récente manque étrangement ; le propriétaire lui dit qu’il était cassé. La belle fille du locateur, Willow (Britt Ekland), tente de séduire Howie, mais il refuse ses avances. Howie entre dans l’école locale et s’informe de Rowan parmi les élèves, mais tous nient son existence. Il vérifie le registre de l’école et y trouve le nom de Rowan. Il interroge l’institutrice et elle lui parle de sa concession funéraire. Après avoir vu le lieu de sépulture de Rowan, Howie rencontre le chef de l’île, Lord Summerisle (Christopher Lee, sublime dans le rôle qu’il a toujours préféré dans son immense carrière et pour lequel il a accepté de tourner gratuitement), petit-fils d’un agronome de l’époque victorienne, pour obtenir l’autorisation d’exhumation. Lord Summerisle explique que son grand-père a développé des souches d’arbres fruitiers qui prospéreraient sous le climat écossais, et a encouragé la conviction que les anciens dieux utiliseraient les nouvelles souches pour apporter la prospérité à l’île. Au cours des générations suivantes, les habitants de l’île ont pleinement adopté la religion néo-païenne. Howie trouve la photographie de récolte manquante, montrant Rowan debout au milieu de cartons vides ; la récolte avait échoué. Ses recherches révèlent que lorsqu’il y a une mauvaise récolte, les habitants de l’île font un sacrifice humain pour que la prochaine récolte soit abondante. Il arrive à la conclusion que Rowan est en vie et a été choisi pour être sacrifiée.
D’une durée de 94 minutes, le Final Cut de The Wicker Man ne change pas beaucoup la donne par rapport à la version cinéma, en dehors d’une introduction différente, d’une ou deux chansons supplémentaires et autres changements minimes, dont l’apparition de Lord Summerisle, qui intervenait beaucoup plus tôt, au cours de la première nuit de Howie sur l’île. Mais au final, l’expérience est et demeure la même, on reste abasourdis par la puissance de certaines séquences, pour le moins inattendues, à l’instar de l’appel de la « sirène » Willow, interprétée par la superbe Britt Ekland, un an avant d’incarner Mary Goodnight dans L’Homme au pistolet d’or – The Man with the Golden Gun, opus de la saga James Bond réalisé par Guy Hamilton. Même si la comédienne a été doublée pour les plans la montrant de dos, cette scène où la jeune femme, dans le plus simple appareil, se met à chanter et à caresser les murs fins qui séparent sa chambre de celle du policier, catholique pur et dur qui se réserve pour le mariage, reste hallucinante. Notons que celle-ci se trouve décalée dans le Final Cut par rapport au montage cinéma, étant remplacée dans la dernière mouture par une « offrande » de Lord Summerisle à son fils, celle de perdre son pucelage en compagnie de Willow. Tout cela se déroulant sous la fenêtre de Howie. Et des séquences comme cela il y en a des tas dans The Wicker Man, qui se permet quelques interludes musicaux, puisque divers groupes se réunissent pour entonner des chansons paillardes ou à boire, dans le pub principal, dans la rue ou dans les parcs.
Le spectateur adopte le point de vue du personnage de Neil Howie, sergent de police qui a débarqué sur Summerisle à bord de son petit hydravion, afin de mener son enquête sur la disparition d’une jeune fille de 12 ans. D’entrée de jeu, sa présence semble déplaire aux habitants, qui lui mentent ouvertement en prétextant ne pas connaître celle qu’il recherche. L’audience découvre cette île étrange et ceux qui la peuplent, hommes, femmes et enfants, en même temps que Howie, personnage auquel il est tout d’abord difficile de s’attacher en raison d’une bigoterie quelque peu exacerbée, voyant donc d’un mauvais œil tout ce qui se déroule devant ses yeux ou ceux qui déambulent autour de lui comme des abeilles autour d’un pot de miel. Sans trop dévoiler ce qui se déroule dans Le Dieu d’osier, notamment durant son dernier acte complètement dingue et qui s’inscrit de façon indélébile dans la mémoire des spectateurs, le film de Robin Hardy, écrit par le romancier, dramaturge et scénariste britannique Anthony Shaffer, auteur du fabuleux Sleuth – Le Limier (1972) Joseph L. Mankiewicz et du cultissime Frenzy (1972) d’Alfred Hitchcock, d’après le roman Ritual de David Pinner, combine intelligemment une approche semi-documentaire et l’horreur qui peut survenir n’importe où et n’importe quand. Ou quand le banal devient étrange et ce qui est étrange devient finalement banal.
Venu du genre documentaire, Robin Hardy crée une plongée et une approche inquiétantes dès la première séquence, à l’aide d’une caméra portée, comme si certains plans avaient été capturés à la sauvette. Si l’on ajoute à ces partis pris la photographie colorée et lumineuse signée Harry Waxman (The Anniversary, Chaque chose en son temps – The Family Way), ainsi qu’une musique déroutante avec des chansons de Paul Giovanni, le film met progressivement mal à l’aise, le personnage d’Howie d’abord puisque la population affiche ouvertement une sexualité quelque peu débridée loin de son mode de vie, puis le spectateur lui-même qui assiste à un défilé d’illuminés pour ainsi dire déconnectés du monde réel, qui regardent leur interlocuteur étranger avec des yeux écarquillés et un sourire figé particulièrement stressant.
Cocktail aussi étourdissant qu’enivrant de film policier, de drame, de thriller, d’épouvante et même parfois à la frontière du fantastique, The Wicker Man fait aujourd’hui partie des plus grands films d’épouvante. Si le remake du même nom réalisé en 2007 par Neil LaBute, avec Nicolas – Not the bees ! – Cage s’est fait lyncher de toutes parts, nous ne dirons pas si cela est justifié ou pas, Robin Hardy reviendra en 2012 avec The Wicker Tree, non pas une suite à son propre film, mais plutôt une relecture dans laquelle deux missionnaires puritains texans se retrouvent en Écosse prêcher la chasteté à une communauté polythéiste et infertile. Christopher Lee y faisait alors l’une de ses dernières apparitions au cinéma. Mais c’est une autre histoire, ou la même, c’est selon.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Et de 30 ! Oui, The Wicker Man est le trentième volume de la collection Make My Day ! créée en septembre 2018 par le critique et journaliste Jean-Baptiste Thoret chez Studiocanal et dont nous vous avons offert les chroniques, que vous retrouverez facilement sur notre site, de la majeure partie des titres. Rien ne change, les deux disques sont contenus dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel clinquant. Le menu principal est très légèrement animé et muet.
L’historien du cinéma et critique présente tout naturellement le film qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (10’). Comme il en a l’habitude, Jean-Baptiste Thoret replace de manière passionnante The Wicker Man dans son contexte, en évacuant d’emblée l’existence du remake « catastrophique » avec Nicolas Cage, mais en indiquant l’existence d’une « suite », The Wicker Tree. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est d’en savoir plus sur la genèse, les thèmes, le casting et la sortie de The Wicker Man et Jean-Baptiste Thoret aborde évidemment tous ces sujets, et bien plus (le parcours de Robin Hardy, celui du scénariste Anthony Shaffer) sur ce « film culte, rare, mutilé et maudit ». Pas de spoilers ici, le critique pense également à celles et ceux qui n’auraient pas encore vu The Wicker Man.
Disparu en 2016, le réalisateur Robin Hardy apparaît au cours d’une interview (16’), où il évoque le genèse de The Wicker Man, les thèmes, son amitié et sa collaboration avec Anthony Shaffer (avec lequel ils se faisaient constamment des farces), le casting, les conditions de tournage (le film a été tourné en Ecosse durant l’automne-hiver 1972, alors que l’histoire se déroule sous le beau soleil de mai), le tout mâtiné d’anecdotes comme celles liées à la doublure-fesses de Britt Ekland…
L’autre supplément croise les propos de Gary Carpenter (directeur musical associé) et de Jonny Trunk (fondateur de Trunk Records), qui parlent de la partition créée par Paul Giovanni, ainsi que ses diverses réapparitions dans les bacs, sous l’impulsion des fans et des passionnés de musiques de films.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
En 2003, Studiocanal proposait la version cinéma (84’), ainsi que le Director’s Cut (99’) de The Wicker Man, sur le DVD disponible dans la collection Cinéma de quartier. En 2008, l’éditeur ne conservait que le montage cinéma pour une nouvelle sortie en édition Standard. C’est peu dire que nous attendions l’édition HD de The Wicker Man avec une très grande impatience. Un résultat finalement en demi-teinte, puisque si l’éditeur annonce en grande pompe le Final Cut (94’), le film ayant été restauré par le British Film Institute à partir de négatifs et de diverses copies positives, le tout approuvé par Robin Hardy lui-même en 2013, le Director’s Cut a purement et simplement disparu sur cette édition. Qui plus est, le Final Cut est disponible uniquement sur la galette HD, tandis que vous trouverez la version cinéma sur le DVD. Bref…conservez votre DVD Cinéma de quartier, ou alors tournez-vous vers l’Angleterre, où vous trouverez une édition comprenant les trois montages, ainsi que la B.O. de Paul Giovanni, mais malheureusement sans les sous-titres français. Nous parlerons du Final Cut qui prend parfois l’aspect d’une mosaïque et donne au master un aspect bricolé pas franchement élégant. Ceux qui connaissent déjà le Director’s Cut ne seront donc pas dépaysés, si ce n’est que ce montage contient des séquences en moins. Le grain est présent, beaucoup plus accentué sur les scènes ajoutées, par ailleurs nettement moins définies, pour ne pas dire floues et au piqué complètement dénaturé. Le tout s’accompagne d’effets de pompages. Néanmoins, l’apport HD est net et visible sur le reste du film, qui profite au mieux de cette promotion, notamment au niveau des couleurs, chaudes et éclatantes. La copie est aussi très propre.
Seule la version cinéma, sur le DVD donc, dispose d’une version française. Le Final Cut est uniquement présenté en version anglaise 2.0, qui pour le coup s’en sort bien, même si cette fois encore, les scènes ajoutées sont ici sensiblement couvertes. L’ensemble demeure toutefois équilibré, avec des dialogues dynamiques et une bonne restitution des chansons, ainsi que de la musique.