SPECIAL EFFECTS réalisé par Larry Cohen, disponible en Blu-ray depuis juin 2023 chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Zoë Lund, Eric Bogosian, Brad Rijn, Kevin O’Connor, Bill Oland, H. Richard Greene, Steven Pudenz, Heidi Bassett…
Scénario : Larry Cohen
Photographie : Paul Glickman
Musique : Michael Minard
Durée : 1h46
Date de sortie initiale : 1984
LE FILM
Actrice en herbe originaire de Dallas, Mary Jean Waterman part à New York pour faire carrière, abandonnant son mari, Keefe, et son petit garçon. Bien qu’elle ait changé d’identité pour s’appeler désormais Andrea Wilcox, Keefe finit par la retrouver lors d’une séance de shooting de photos de nu qu’il abrège pour la traquer dans les rues de New York. Elle parvient toutefois à se réfugier chez Christopher Neville, metteur en scène mégalomane qui lui a promis un rôle dans son prochain film. En réalité, la jeune femme s’est jetée dans la gueule du loup…
Nous avons déjà pu dire tout le bien que l’on pensait de Larry Cohen (1936-2019) dans nos articles consacrés à Meurtres sous contrôle – God Told Me To (1976) et L’Ambulance – The Ambulance (1990), à travers lesquels nous avions passé en revue son parcours et une large partie de sa carrière. C’est donc avec un immense plaisir de parler aujourd’hui de Special Effects, que l’auteur de ces mots ne connaissait même pas avant d’avoir entre les mains l’édition Haute-Définition proposée par Le Chat qui fume. Ce onzième long-métrage mis en scène par Larry Cohen transpire d’amour pour le cinéma de Brian De Palma et intrinsèquement pour Alfred Hitchcock, puisque l’ombre de Sueurs froides – Vertigo et par conséquent de Body Double (ainsi que de Pulsions et même de Blow Out) plane sur Special Effects, formidable thriller de série B. Cette véritable pépite bénéficie d’un scénario en béton armé, qui joue avec les nerfs des spectateurs, s’adresse aux cinéphiles et s’amuse à déjouer leurs attentes du début à la fin. C’est aussi l’occasion d’admirer la prestation d’un comédien bien trop souvent oublié, Eric Bogosian, pour la première fois en haut de l’affiche, quatre ans avant le phénoménal Conversations nocturnes – Talk Radio d’Oliver Stone, adaptation d’une pièce d’une heure, en fait un monologue écrit et interprété par le comédien, dans laquelle il interprète un animateur de radio qui s’entretient avec les noctambules paumés qu’il ne ménage pas. Comme dans ce dernier, on reste bluffé par le jeu hypnotique d’Eric Bogosian qui bouffe littéralement l’écran, qui rend saisissant son personnage, un homme narcissique, haïssable et monstrueux. Une très grande découverte que ce Special Effects !
Andrea Wilcox est une actrice en herbe venue de Dallas, qui a fui le Texas, son mari Keefe et leur fils en bas âge. Son époux la retrouve à New York, où elle pose quasi-nue lors d’une séance de photos de charme. Il la poursuit dans la rue, la forçant à monter dans sa voiture. Ils arrivent à son appartement où il lui projette des images d’un film avec leur fils. Andrea parvient à lui échapper à et s’enfuir au domicile de Christopher Neville, un réalisateur qui selon-elle lui a promis un rôle dans son prochain film. Neville est un cinéaste mécontent qui est récemment revenu à New York depuis Los Angeles après l’annulation de son dernier film en raison de différends budgétaires. Neville et Andrea sont sur le point d’avoir une relation sexuelle, mais ils se disputent et la femme meurt étranglée. Son meurtre est entièrement filmé par une caméra dissimulée derrière un miroir sans tain. Après la découverte du corps d’Andrea à Coney Island, la police soupçonne immédiatement Keefe de son meurtre et il est arrêté. Neville, cependant, se fait plaisir avec Keefe en lui payant un avocat et en lui faisant retrouver la liberté. Neville affirme avoir été témoin de l’arrestation de Keefe dans la rue et être fasciné par ses histoires et celles d’Andrea. Il lui dit qu’il veut que son prochain film soit basé sur la vie d’Andrea. Keefe, initialement réticent, accepte d’aider Neville en tant que conseiller technique. Dans une Armée du Salut locale, Keefe rencontre Elaine Bernstein, une femme sans direction qui ressemble étrangement à Andrea. Il l’amène à rencontrer Neville, qui l’engage dans le film en tant qu’Andrea…
Film souvent virtuose et au rythme effréné à réhabiliter de toute urgence, Special Effects fait partie de ces grandes surprises qu’un amoureux ardent de cinéma rencontre au fil de sa vie, sur le chemin de sa passion. Tout y est dans cet opus : la ville de New York merveilleusement filmée (comme d’habitude chez Larry Cohen), un meurtre sadique, une femme fatale, un assassin intelligent et taré qu’on adore détester (on ne va pas dire qu’on le trouve attachant, mais le bougre est sacrément charismatique), un inspecteur de police nonchalant qui apporte une touche d’humour ironique, décalée voire cynique, des rebondissements à satiété, une photo chiadée de Paul Glickman (Meurtres sous contrôle)…chaque case de notre baromètre cinéphile/age personnel paraît être cochée. Pas étonnant quand on sait que Larry Cohen, lui-même fanatique de cinéma et notamment du réalisateur Samuel Fuller, connaissait les rouages de son métier et savait ce qui pouvait plaire aux spectateurs, ou tout du moins leur procurer les émotions qu’ils étaient en droit d’attendre.
Outre Eric Bogosian, encore une fois impressionnant, on retiendra la présence de Zoë Lund, actrice (L’Ange de la vengeance – Ms. 45 d’Abel Ferrara), mannequin et scénariste (Bad Lieutenant, dans lequel elle joue également), qui rappelle étrangement Anya Taylor Joy. Disparue en 1999 à l’âge de 37 ans des suites d’une overdose, celle-ci laisse d’abord perplexe dans le rôle d’Andrea, avant d’étonner (puisqu’il s’agit d’un double rôle) par la suite dans celle d’Elaine, personnage qui se démarque par sa complexité et qui démontre que la comédienne composait en fait une jeune femme peu sûre d’elle (là où on ressentait une maladresse de Zoë Lund) dans la première partie du film. Si Brad Rijn en fait souvent des tonnes et peine à convaincre (il ne tournera d’ailleurs que dans deux autres films de Larry Cohen, L’Impasse sanglante et The Stuff), on sauve aussi l’excellent Kevin O’Connor, impayable Det. Lt.Philip Delroy, qui contre toute attente va se prendre au jeu et aider Neville à monter son film, en l’échange d’une porte d’entrée à Hollywood et d’être crédité au générique.
La Grosse Pomme tient aussi un rôle central dans Special Effects, avec ses salles pornos qui entourent un cinéma plus traditionnel qui projetait alors Le Retour du Jedi et Sudden Impact : Le Retour de l’Inspecteur Harry. Une atmosphère toujours organique chez Larry Cohen, qui s’amuse à disséminer quelques clins d’oeil aux amateurs de septième art, en plaçant par exemple la photographie de Dorothy Michaels (alias Michael Dorsey, alias Dustin Hoffman dans Tootsie de Sydney Pollack) quand Neville parcourt les portraits des actrices qui pourraient bien tenir le premier rôle de son film.
Méconnu voire inconnu des fans de cet incroyable auteur qu’était Larry Cohen, Special Effects mérite qu’on en parle, qu’on le fasse connaître au plus grand nombre, qu’on en fasse l’éloge. C’est un film absolument étourdissant doublée d’une parabole passionnante sur la création et le cinéma.
LE BLU-RAY
Larry Cohen en Blu-ray en France, c’est assez rare. C’est même seulement le troisième titre du réalisateur à connaître cet honneur chez nous après L’Ambulance chez Extralucid Films et Meurtre sous contrôle chez Rimini Éditions. Special Effects déboule en HD chez le Chat qui fume, sous la forme d’un boîtier Scanavo, le visuel (superbe) de la jaquette reprenant celui d’une des affiches d’exploitation. Le menu principal est animé et musical. Version intégrale.
Aux côtés de la bande-annonce (VOSTF), vous trouverez une rencontre (36’) avec l’indéboulonnable Christophe Lemaire, qui est déjà intervenu à plusieurs reprises sur les titres du Chat qui fume. Dans un module sobrement intitulé Souvenirs, ce dernier passe d’anecdote en anecdote sur son rapport avec les séries et les films écrits et/ou réalisés par Larry Cohen au fil de sa vie de cinéphage. Sa passion pour Les Envahisseurs (qui a entraîné celle pour tout ce qui concerne les extraterrestres), sa découverte de Meurtre sous contrôle (« son chef d’oeuvre »), la carrière de Larry Cohen, ses deux rencontres avec « le roi de la série B avec Roger Corman », les conditions de tournage de Special Effects, Christophe Lemaire passe du Coca Light (!), s’égare souvent (quand il parle du distributeur Jean-Pierre Jackson) mais c’est pour la bonne cause et comme d’habitude on a l’impression d’avoir réellement passé du temps avec le journaliste et critique, qui fêtera d’ailleurs bientôt ses 63 ans. Alors bon anniversaire très cher et continuez de nous ravir avec vos réminiscences sur le cinéma Bis et d’exploitation.
L’Image et le son
Ce master HD de Special Effects brille souvent de mille feux. D’une propreté assurée (à l’exception de poussières et autres points blancs), l’image met en valeur l’élégante photo de Paul Glickman et offre un rendu très impressionnant des séquences en extérieur, avec un relief fort appréciable. Si la définition n’est pas optimale, on apprécie le niveau des détails, l’affûtage du piqué, le grain cinéma respecté, la richesse des contrastes, et l’aplomb de la compression numérique qui consolide les scènes plus agitées. On attendait peut-être des noirs un peu plus fermes. Clair et net, ce Blu-ray de Special Effects offre une deuxième jeunesse bien méritée au film de Larry Cohen.
Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio 2.0 sont propres et distillent parfaitement la musique de Michael Minard. La piste anglaise est la plus équilibrée du lot avec une homogénéité entre les dialogues et les bruitages.
Crédits images : © Le Chat qui fume / MGM / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr