Test Blu-ray / Souvenirs d’en France, réalisé par André Téchiné

SOUVENIRS D’EN FRANCE réalisé par André Téchiné, disponible en DVD et Blu-ray le 11 mars 2020 chez Carlotta Films.

Acteurs : Jeanne Moreau, Michel Auclair, Marie-France Pisier, Claude Mann, Orane Demazis, Aram Stephan, Hélène Surgère, Julien Guiomar…

Scénario : André Téchiné, Marilyn Goldin

Photographie : Bruno Nuytten

Musique : Philippe Sarde

Durée : 1h35

Date de sortie initiale : 1975

LE FILM

Une petite ville du Sud-Ouest, dans les années 1930. Les Pedret, famille de notables à la tête de l’usine locale, marient leur fils cadet Prosper à Régina, une jeune femme de son rang. Bientôt c’est au tour de son frère Hector d’officialiser sa relation avec Berthe, la blanchisseuse du coin. Mme Pedret est contre ce mariage, mais son mari reconnaît en Berthe la personne qu’il fut autrefois : fils d’immigrés espagnols, il a épousé une Française et a acquis sa fortune par ses propres moyens. La jeune femme entre alors dans la famille et deviendra au fil du temps la véritable chef du clan grâce à son autorité et son charisme…

Touche-à-tout, à la fois auteur de scénarios, enseignant à l’IDHEC, réalisateur de feuilletons télévisés, André Téchiné (né en 1943) passe le cap du grand écran en 1969 avec son premier long métrage, Paulina s’en va, avec Bulle Ogier. Le cinéaste profite de cette expérience pour se faire la main, mais surtout pour tenter des choses formelles, pour s’éloigner des standards français en vogue, à tendance naturaliste. Le film ne sortira que six ans plus tard. Comment trouver sa voie ? En voulant s’affranchir des règles habituelles, l’ancien critique aux Cahiers du cinéma se plonge alors dans une narration complexe. Toutefois, rétrospectivement, c’est avec son second long métrage Souvenirs d’en France qu’il prend réellement son envol. Il lui aura fallu attendre sept années pour trouver cette approche romanesque qu’il cherchait. André Téchiné retrouve Marie-France Pisier et Michèle Moretti, déjà présentes à l’affiche de Paulina s’en va, pour une vivisection de ses propres racines dans le Sud-Ouest de la France et l’univers de la famille, influencée par Bertolt Brecht. Souvenirs d’en France est l’un des films les plus attachants et les plus faciles d’accès du réalisateur. Magistralement mis en scène, porté par des comédiens en état de grâce, il y règne comme une exaltation de la vie et témoigne d’une grande sensibilité. Le film se suit aujourd’hui comme une saga familiale de l’été, mais étendue sur une trentaine d’années, qui vaut également pour la beauté, le charme, le talent et le jeu foncièrement moderne de Marie-France Pisier, qui vole la vedette à Jeanne Moreau, également magnifique.

Dans les années 30, au sein d’une famille bourgeoise, l’un des fils épouse Regina (Marie-France Pisier), une jeune fille de son rang, tandis que son frère aîné, Hector (Michel Auclair), maintient, contre l’avis de sa mère, sa liaison avec Berthe (Jeanne Moreau), la blanchisseuse du pays. Aussi Hector se décide-t-il à présenter officiellement Berthe à sa famille au cours d’un dîner. Le grand-père Pedret, qui est à l’origine de la dynastie, reconnaît en Berthe quelqu’un qui, comme lui, a le désir d’ « arriver ». Aussi, en face d’elle et pour la mettre à l’aise, évoque-t-il ses origines : émigré, il a épousé une Française, et, peu à peu, il a transformé la forge de ses débuts en atelier, puis en usine… Pédret décide de marier le couple Hector-Berthe… La guerre arrive. Berthe, sans s’occuper de la prudente neutralité du clan, s’engage dans le conflit et devient une héroïne de la Résistance. Son autorité et son prestige en font le véritable chef de famille. Mais imperceptiblement ses relations avec Hector se sont dégradées.

Le scénario de Souvenirs d’en France est riche, très riche même. Pourtant, André Téchiné et sa coscénariste Marilyn Goldin (Barocco, Le Grand Bleu, Camille Claudel) ont réussi à croiser la Grande Histoire avec celle d’une famille en un peu plus de 90 minutes. Les personnages masculins sont relégués au rang d’intermédiaires pour les protagonistes féminins, qui gravissent l’échelle sociale dans un monde dirigé de main de maître par de grands patrons et des patriarches. Si l’on sent d’emblée Regina comme un électron libre et indépendant au sein de la grande famille principale, Berthe ne s’affirme pas immédiatement. Sa transformation, son évolution et son destin apparaissent et se dévoilent pas strates. Les deux comédiennes sont donc logées à la même enseigne. Marie-France Pisier incendie l’écran et sera récompensée par le César de la meilleure actrice dans un second rôle, couplé avec celui obtenu pour son interprétation dans Cousin, cousine de Jean-Charles Tacchella. La scène où les spectateurs sortent du cinéma après la projection du Roman de Marguerite Gautier de George Cukor, quand Regina rit à gorge déployée en disant très fort que le film est nul et que tout ceci n’est que « foutaises », fait partie de l’histoire du cinéma. C’est d’ailleurs au cours de cette séquence qu’André Téchiné expérimente le plus avec de nombreux travellings latéraux devant l’entrée du cinéma, en passant d’un personnage à l’autre, tandis qu’une pluie diluvienne s’abat sur la petite bourgade.

Regina est un personnage libre, jamais à sa place, qui a la bougeotte et qui profitera de la bonne occasion pour s’extraire de cette famille engluée dans ses us et coutumes. En revanche, Berthe, bien que femme forte, se révélera à elle-même au fil des années, face à l’Histoire et surtout en prenant le train en marche, en écoutant la classe populaire d’où elle provient et dont elle ne reniera jamais ses origines.

André Téchiné déploie son récit avec une virtuosité qu’on ne lui connaîtra que rarement après. Sa direction d’acteurs n’avait pas encore pris cette approche quasi-théâtrale et emphatique qui a souvent pesé sur son cinéma. Il est également solidement épaulé par la magnifique partition (une de plus) de Philippe Sarde, ainsi que par la splendide photographie de Bruno Nuytten aux teintes chatoyantes. Les deux hommes collaboreront à nouveau sur Barocco (1976), Les Soeurs Brontë (1979) et Hôtel des Amériques (1981).

Souvenirs d’en France est un film rare et méconnu, l’oeuvre fondatrice de toute la filmographie d’André Téchiné, quasiment invisible depuis sa sortie en 1975 et qui connaît enfin une seconde chance depuis sa restauration en 2019.

LE BLU-RAY

Au mois de mars 2020, André Téchiné est à l’honneur chez Carlotta Films, puisque Souvenirs d’en France, Rendez-vous et Le Lieu du crime ont tous connu une nouvelle restauration, avant de sortir en DVD et en Blu-ray. Le visuel reprend celui de la ressortie dans les salles de Souvenirs d’en France, tout comme le menu principal, fixe et musical.

Outre la bande-annonce de la ressortie 2019, Carlotta Films propose un entretien d’André Téchiné mené par Jean-Marc Lalanne (23’30). On pourra reprocher au critique de cinéma et directeur de la rédaction des Inrockuptibles de tutoyer le cinéaste et de le couvrir de louanges, mais heureusement, André Téchiné revient avant tout sur la genèse, le tournage et la sortie de son second long métrage. Ses intentions, les partis pris, les éléments autobiographiques, le travail avec les comédiens, ce qui a nourri le récit de ces deux portraits de femmes ambitieuses, résistantes et rebelles, sont abordés au fil de cette entrevue.

L’Image et le son

En introduction, un panneau indique : « Souvenirs d’en France a été scanné et restauré 4K sous la supervision du réalisateur André Téchiné et du directeur de la photographie Bruno Nuytten. Les premiers travaux ont été effectués à partir du matériel source fourni : négatif 16 mm, copie 35 mm et magnétique 35 mm. Seul élément exploitable immédiatement, le négatif présentait toutefois de nombreuses rayures et des traces de moisissures sur certaines bobines. Plusieurs plans étaient également absents : le premier plan du film, le générique de début, le dernier plan du film et le générique de fin. Pour permettre la reconstruction du film dans son intégralité, deux copies ont été fournies : l’une au format 16 mm et l’autre au format 35 mm. Si la copie 16 mm prêtée par la Cinémathèque de Toulouse a permis de vérifier le montage des cartons et des scènes manquantes, c’est la copie d’exploitation 35 mm qui a fourni le meilleur résultat. Des tests de scans ont été réalisés et de nombreux allers-retours entre la restauration numérique et l’étalonnage ont été effectués afin d’homogénéiser au mieux ces plans avec le reste du film ». Un travail qu’on imagine colossal et dont le résultat est tout bonnement miraculeux. Si quelques rayures verticales demeurent, la propreté de la copie est souvent sidérante, surtout quand on connaît les conditions dans lesquelles ont été retrouvées les bobines originales. Les partis pris de la photographie de la Bruno Nuytten retrouvent un véritable éclat avec des teintes ambrées et chaudes, tout comme les éclairages luminescents. La texture argentique est à se damner de beauté, tout comme les contrastes denses et aux noirs détaillés. Sublime restauration réalisée par Hiventy et au final, une véritable résurrection pour Souvenirs d’en France.

L’écoute paraît parfois confinée, mais le confort acoustique est indéniable. Si l’on excepte un très léger souffle, les voix se détachent sans peine, les effets et ambiances recherchés sont notables et l’ensemble est d’une propreté remarquable. Belle place aux envolées musicales de Philippe Sarde. Voilà un mixage DTS-HD Master Audio 1.0 de qualité. L’éditeur joint également une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © Carlotta Films / Tigon Films Distributors LTD – IMPEX-FILMS / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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