Test Blu-ray / Phase IV, réalisé par Saul Bass

PHASE IV réalisé par Saul Bass, disponible en DVD, Blu-ray et Édition Coffret Ultra Collector – Blu-ray + DVD + Livre le 17 juin 2020 chez Carlotta Films.

Acteurs : Nigel Davenport, Michael Murphy, Lynne Frederick, Alan Gifford, Robert Henderson, Helen Horton…

Scénario : Mayo Simon

Photographie : Dick Bush

Musique : Brian Gascoigne

Durée : 1h23

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Ernest Hubbs, un biologiste anglais, observe un dérèglement du comportement des fourmis dans une vallée de l’Arizona. Des espèces autrefois en conflit se mettent à communiquer entre elles, tandis que leurs prédateurs habituels disparaissent de façon inquiétante. Le professeur recrute le scientifique J.R. Lesko, spécialiste du langage, pour étudier ce curieux phénomène. Ce qu’ils vont bientôt observer sur place dépasse l’entendement…

Phase IV. Film culte. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le seul et unique long métrage réalisé par le légendaire Saul Bass (1920-1996). Quand il entreprend Phase IV, le designer et graphiste a déjà vingt ans de carrière dans le domaine cinématographique, dont trois courts-métrages à son actif, The Searching Eye (1964), From here to There (1964) et Why Man Creates ? (1968) qui remporte un Oscar en 1969. Trois films qui posent d’emblée un ton, une ambiance, une atmosphère, un style, une griffe, ainsi que les sujets qui le fascineront toute sa vie, dont un en particulier, la place de l’homme sur Terre, dans l’univers. Extraordinaire long métrage avant-gardiste, ambitieux et expérimental, Phase IV fascine autant qu’il incite à la réflexion, éblouit autant qu’il tente de dialoguer avec le spectateur. Philosophique, métaphysique, hypnotique mais aussi sublime, le film de Saul Bass n’a jamais livré toutes ses clés et s’inscrit de façon indélébile dans la mémoire du cinéphile.

Ernest D. Hubbs, scientifique issu d’une grande université, découvre que le cosmos influence certaines espèces de fourmis, en Arizona. Celles-ci s’unissent, éliminent leurs prédateurs et construisent des structures inhabituelles. Elles semblent douées d’intelligence et de stratégie. Hubbs s’associe avec son collègue James Lesko pour en faire une étude plus poussée. Ils font évacuer la région, construisent un laboratoire de pointe et commencent à étudier le comportement des fourmis. Le lendemain de l’installation du laboratoire, celles-ci l’attaquent, mais Lesko diffuse un poison jaune qui tue toutes les assaillantes. Quand Lesko et Hubbs sortent, ils découvrent Kendra, une habitante de la région qui n’avait pas été évacuée. Dans l’impossibilité de le faire, puisque coupés du monde, ils la recueillent.

Qui n’a pas vibré devant les génériques des films d’Otto Preminger (Carmen Jones, L’Homme au bras d’or, Bonjour Tristesse, Autopsie d’un meurtre, Bunny Lake a disparu), de Robert Aldrich (Le Grand Couteau, Attaque), d’Alfred Hitchcock (Sueurs froides, La Mort aux trousses, Psychose) ou bien encore de Stanley Kubrick (Spartacus), de Robert Wise (West Side Story), de John Frankenheimer (Grand Prix et L’Opération diaboliqueSeconds), d’Edward Dmytryk (La Rue chaude) et plus tard de Martin Scorsese (Les Affranchis, Les Nerfs à vif, Casino) ? Un dénominateur commun entre tous ces monuments du septième art, le graphiste Saul Bass, également concepteur d’affiches pour quelques-uns des films susmentionnés. Son travail fait alors partie intégrante de la narration, à l’instar de son confrère Maurice Binder sur les épisodes de la saga James Bond.

Phase IV se place dans la continuité de l’oeuvre de Stanley Kubrick, 2001, l’Odyssée de l’espace. En refusant le « spectaculaire », mais en privilégiant l’intellect, ce qui a probablement entraîné l’échec du film à sa sortie, Saul Bass participe à la révolution du cinéma fantastique et de science-fiction, en s’interrogeant sur l’origine, le développement et l’évolution de la vie terrestre. Film-miroir à 2001, l’Odyssée de l’espace, Saul Bass en reprend ouvertement dans Phase IV la structure, certains motifs et les pistes réflexives, tout en se les appropriant, en les assimilant et en les restituant, en formant ses propres interrogations. De plus, Phase IV surfe sur la frontière tendue entre la fiction et le documentaire, en faisant des fourmis de véritables protagonistes, en les filmant en gros plan, en macro, travail réalisé par le photographe animalier Ken Middleham. En passant ainsi des humains aux insectes, Saul Bass place ses protagonistes sur un pied d’égalité, avant que les fourmis ne prennent définitivement le dessus.

Le cinéaste observe donc ses personnages tel un entomologiste. Les êtres humains s’agitent dans leur bocal et paniquent devant un phénomène qu’ils ne peuvent pas expliquer, tandis que les fourmis se préparent calmement, de façon structurée, quitte à se mettre en danger ou même à se sacrifier. C’est le cas de cette séquence dingue où un fragment de poison est transporté d’une fourmi à l’autre. Toutes celles qui y touchent meurent, mais le poisson parvient finalement à la reine, qui l’absorbe, l’assimile et se met à pondre des œufs jaunes, d’où naissent des nouvelles fourmis résistantes au poison. Grâce à leurs « agents kamikazes », les insectes s’adaptent, se renforcent et peuvent continuer à assiéger le laboratoire. L’angoisse ne fait alors que se resserrer autour de la gorge du spectateur. Les fourmis sont stratégiques, ridiculisant la race humaine. L’une d’elles détruit le climatiseur. La chaleur coupe les ordinateurs, qui ne fonctionnent alors plus que la nuit, quand la température baisse. Or, ces ordinateurs servent à l’un d’eux à décoder le langage des fourmis, dans l’espoir de communiquer avec elles. Puis les fourmis envoient un message aux scientifiques. Encore ignorants de ses subtilités, ils le décodent mal. Mais quel est le but des fourmis ? Dominer la planète ?

L’épilogue renvoie une fois de plus au trip psychédélique de 2001, l’Odyssée de l’espace, même si Saul Bass a quand même dû revoir sa copie, afin de ne pas trop perdre le spectateur encore plus. Néanmoins, le final demeure dantesque, troublant, sensationnel. Si Phase IV reste un pur produit de son époque, son propos sur le devenir de l’homme et l’écologie, sa rigueur dramatique et sa beauté formelle (sans oublier l’envoûtante musique de Brian Gascoigne) restent également intemporelles et universelles. Un chef d’oeuvre absolu, « fourmi »llant d’idées et d’une beauté à couper le souffle, récompensé par le Prix spécial du jury au Festival international du film fantastique d’Avoriaz.

LES EDITIONS DVD, BLU-RAY et COFFRET ULTRA COLLECTOR BLU-RAY + DVD + LIVRE

Phase IV n’avait jamais connu les honneurs d’une édition en DVD. C’est peu dire que nous attendions le film de Saul Bass comme le Messie, mais nous étions loin d’imaginer une telle sortie ! Rendez-vous compte, Phase IV est non seulement proposé chez Carlotta Films en DVD, en Blu-ray, mais aussi en Coffret Ultra Collector – Blu-ray + DVD + Livre, le numéro 15 de cette collection. Cette édition collector limitée et numérotée à 2500 exemplaires, dont le visuel exclusif a été créé par Scott Saslow (graphiste californien, spécialisé dans la création d’affiches alternatives) contient évidemment les deux disques, mais aussi le livre incroyable Phase IV, éclipse de l’humanité rédigé par Frank Lafond, enseignant et auteur du Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction, incluant de nombreuses photos d’archives (200 pages).

Les suppléments suivants sont communs aux deux galettes :

Une vie de fourmi (21’) – Un entretien avec Jasper Sharp (critique et co-réalisateur de The Creeping Garden) et Sean Hogan (réalisateur et scénariste de The Devil’s Business) : Œuvre de science-fiction hybride proche de l’expérimentation, précurseur des films d’horreur cosmique d’aujourd’hui, Phase IV reste indissociable de son contexte de production : les années 1970. Les deux cinéastes replacent Phase IV dans son contexte, historique et cinématographique, en évoquant les films expérimentaux des années 1970 et l’évolution du film de science-fiction suite à 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Les thèmes de Phase IV sont ensuite largement abordés, ainsi que les partis pris, les conditions de tournage, la sortie et l’échec public du film, sans oublier la fin originale voulue par Saul Bass, proposée en supplément à part entière. Le parcours et l’oeuvre de Saul Bass sont également au programme de cette excellente interview croisée.

Fin originale de Saul Bass (17’35) : Carlotta Films propose la fin de Phase IV telle qu’imaginée par Saul Bass, mais rejetée par la Paramount. En réalité, la fin alternative commence à la douzième minute et présente un épilogue plus sombre et explicite, dans laquelle le réalisateur montrait l’évolution de la race humaine au fil des années et des siècles à travers de nouvelles et sublimes compositions graphiques. Des séquences inédites réellement troublantes où l’on peut voir des êtres humains parqués dans des alvéoles surveillées par les fourmis et même des araignées.

L’édition standard dispose également d’un court-métrage, forcément le plus didactique du lot, Bass on titles (1977 – Couleurs – 34’). En 1977, renonçant pour un temps à la conception de génériques de films, Saul Bass dresse le bilan de son apport à cette activité qu’il a contribué à ennoblir. Dans Bass on Titles, il passe ainsi en revue ses principales réussites pour mieux s’affirmer comme réalisateur à part entière. L’occasion d’admirer une fois de plus certains génériques dans leur intégralité : L’Homme au bras d’or et Première victoire d’Otto Preminger, Seconds – L’Opération diabolique et Grand Prix de John Frankenheimer, Un monde fou, fou, fou, fou de Stanley Kramer, Les Grands espaces de William Wyler, Les Vainqueurs de Carl Foreman, À neuf heures de Rama de Mark Robson, La Rue chaude d’Edward Dmytryk.

L’interactivité du DVD se clôt sur la bande-annonce originale.

L’édition Haute-Définition contient aussi cinq autres courts-métrages exceptionnels de Saul Bass. Tous ces films sont inédits en France.

The Searching Eye (1964 – Couleurs – 18’) : Conçu pour la Foire internationale de New York en 1964, The Searching Eye fut notamment primé à la Mostra de Venise. De la compagnie Eastman Kodak qui l’a financé, Saul Bass se refuse à faire la promotion directe et livre avec poésie une éblouissante exploration du monde visible et invisible. Les actions simples d’un jeune garçon sur la plage entraînent des métaphores visuelles sur le monde normalement invisible. La caméra ajoute une dimension profonde sur ce que regarde le garçon, nous donnant une compréhension plus profonde de la conscience visuelle. Le savoir et le « comprendre » sont au coeur de The Searching Eye, qui pose les bases et prolonge sans cesse le travail de Saul Bass où l’oeil (scrutateur) est un élément clé de toute son œuvre, tout comme la nature qui reprend ses droits. « Plus nous voyons, plus nous cherchons », dans un besoin de contemplation. The Searching Eye annonce aussi le travail de Terrence Malick. Cet extraordinaire court-métrage pourrait être résumé par l’une des répliques entendues dans le film « Jadis convaincu d’être au centre de l’univers, l’homme sans quelle petite place il occupe dans la totalité du grand tout. Mais l’esprit de l’homme ne connaît pas de limites. Il y a tout à voir, à apprendre, à connaître ».

Why Man Creates (1968 – Couleurs – 25’) : Marquant la rencontre de Saul Bass avec Mayo Simon, scénariste de Phase IV, Why Man Creates remporte un Oscar et de nombreux prix à travers le monde. Rarement projeté en salles, cet essai protéiforme sur la créativité devint vite un support de réflexion incontournable dans les écoles américaines. Le film, succession de sketches, est un mélange d’animation, de photographies et de vignettes qui offre une perspective historique de la créativité à travers les âges.

Notes on the popular arts (1977 – Couleurs – 20’) : Dans ce film, remontage d’une bande promotionnelle pour Warner Communications, Saul Bass donne libre cours à son humour, à travers une série de vignettes spirituelles qui, sous le signe de la fragmentation et du refus de la théorie, illustre la valeur des arts populaires de nos jours : la télévision, la musique, les comics, les livres et les magazines, le cinéma. Saul Bass s’amuse en montrant des objets du quotidien devenir fous et se retourner contre leurs utilisateurs (le téléphone, une agrafeuse), et s’en prend même aux pseudo-critiques qui ont un avis sur tout.

The Solar Film (1980 – Couleurs – 10’) : Né dans le Bronx, Saul Bass commence à s’intéresser à l’environnement naturel quand il s’installe en Californie. En 1980, à la demande de Robert Redford, il coréalise avec sa femme Elaine The Solar Film, une œuvre de sensibilisation à l’énergie solaire qui sera projeté en première partie du Cavalier électrique de Sydney Pollack. Comme pour ses autres courts-métrages, Saul Bass s’approprie cette commande pour y explorer à nouveau ses thèmes de prédilection, puisque le soleil est ici exposé comme moteur de la vie et de l’évolution, en revenant sur l’existence végétale, puis animale, et enfin humaine.

Quest (1983 – Couleurs – 30’) : En 1983, Saul Bass et sa femme Elaine s’associent à Ray Bradbury, que le réalisateur avait conseillé pour son incursion au théâtre dans les années 1960. Produit par une secte japonaise, Quest réussit à conjuguer un parcours initiatique imposé avec des obsessions purement formelles et des échos de Phase IV. Ce film beau, intense, émouvant et spectaculaire, foudroie pendant trente minutes, du début à la fin. Une colonie d’êtres humains envoie le plus jeune de ses enfants accomplir la quête ultime. Dans ce monde entre science et magie, la durée de vie est limitée à une semaine. Comment apprendre, comment ressentir, comment vivre en si peu de temps ? L’homme, cette créature déjà très éphémère, est à quatre pattes le lundi, à trois le dimanche soir, et poussière le lundi suivant. Le jeune, et de moins en moins jeune héros, va devoir surmonter des épreuves ésotériques avant finalement d’être confronté à la question de la liberté : « Si je peux vivre des milliers de jours, lequel sera le plus beau ? ». Les amateurs de décors fascinants, de quête héroïque et spirituelle, mais aussi de jeux vidéos (le récit s’apparente à un jeu de plateforme) vont être aux anges.

Un mot sur le livre inédit de 200 pages, Phase IV, éclipse de l’humanité, par Frank Lafond. « Pourquoi des fourmis ? Tout d’abord, il y a plus de fourmis sur cette planète qu’il n’y a d’autres animaux terrestres vivants. […] D’après un grand nombre de scientifiques sérieux, elles pourraient bien être les héritières de la terre. » ‒ Paul B. Radin, producteur du film. Fruit d’un minutieux travail d’exploration des archives de Saul Bass et des multiples versions du scénario, Phase IV, éclipse de l’humanité raconte l’évolution de ce maelström visuel orchestré de main de maître par son réalisateur : de la conception du projet à ses nombreuses phases d’écriture et de montage, en passant par son tournage à cheval sur trois pays. Un ouvrage inédit de Frank Lafond accompagné de nombreuses photos d’archives.Visitez le site de Frank Lafond sur http://frank.lafond.free.fr .

L’Image et le son

Carlotta Films livre un master HD (1080p, AVC) de haute qualité. C’était d’ailleurs inespéré. Les partis pris esthétiques du mythique directeur de la photographie Dick Bush (Philadelphia Experiment, Victor/Victoria, Le Convoi de la peur, Les Sévices de Dracula) trouvent en Blu-ray un nouvel écrin et se voient entièrement respectés. Point de réducteur de bruit à l’horizon, ni de « fourmi »llements, le grain est présent, beau, élégant, la photo très sophistiquée est savamment restituée, la colorimétrie retrouve un vrai éclat et le piqué est probant. Le format original 1.85 est conservé, la profondeur de champ fort appréciable. Les séquences sombres sont tout aussi précises avec des noirs denses, l’encodage AVC demeure solide, la propreté est indéniable. Un master Haute Définition qui tient du miracle.

Les versions originale et française bénéficient d’un mixage DTS-HD Master Audio 1.0. Le confort acoustique est largement assuré dans les deux cas. L’espace phonique se révèle probant et les dialogues (très réduits) sont clairs, nets, tout comme la musique très bien délivrée qui participe à l’expérience sensorielle. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare (conseillée) ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre. La piste française, moins naturelle que son homologue, place peut-être les voix trop en avant par rapport aux ambiances annexes, mais cela demeure anecdotique.

Crédits images : © Carlotta Films / Paramount Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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