PÉTRUS réalisé par Marc Allégret, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 28 octobre 2022 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Fernandel, Simone Simon, Pierre Brasseur, Marcel Dalio, Simone Sylvestre, Corinne Calvet, Jean-Roger Caussimont, Jane Marken, Abel Jacquin…
Scénario : Marc Allégret & Marcel Rivet, d’après la pièce de Marcel Achard
Photographie : Michel Kelbert
Musique : Joseph Kosma
Durée : 1h27
Date de sortie initiale : 1946
LE FILM
Migo, girl au « Frou-Frou » un cabaret montmartrois, tire sur son amant volage, Rodrigue Goutari, le manque et blesse accidentellement Pétrus, qui se trouve, par la même occasion, entraîné contre son gré dans un trafic de fausse monnaie.
En 1939, Marc Allégret (1900-1973) interrompt définitivement le tournage du Corsaire, en raison de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. 1940, le réalisateur démarre les prises de vue de Parade en sept nuits, mais doit là aussi suspendre, cette fois-ci momentanément le tournage, avant de reprendre un an plus tard là où il s’était arrêté. Suivront les drames L’Arlésienne (avec Louis Jourdan et Raimu), Lunegarde et Félicie Nanteuil, ainsi que les comédies-dramatiques La Belle Aventure (avec Claude Dauphin et Micheline Presle) et Les Petites du quai aux fleurs. Marc Allégret n’a jamais cessé d’être actif. Avant son départ pour l’Angleterre, où il signera trois films, il emballe Pétrus (après avoir tenté de transposer L’Armée des ombres de Joseph Kessel), pour lequel il retrouve Fernandel et Simone Simon, avec lesquels il avait démarré au cinéma au début des années 1930 avec les courts-métrages La Meilleure Bobonne, J’ai quelque chose à vous dire et Attaque nocturne, ainsi que le long-métrage L’Hôtel du libre échange (1934) pour le premier, Mam’zelle Nitouche (1931), La Petite Chocolatière (1932) et Lac aux Dames (1934) pour la seconde. Adapté de la pièce éponyme de Marcel Achard, qui aura d’ailleurs participé lui-même aux dialogues avec Marc Allégret, Marcel Rivet (Les Amants du Tage d’Henri Verneuil et Au grand balcon d’Henri Decoin), Pétrus est une comédie-dramatique difficilement classable, dans le sens où le récit semble bifurquer vers le polar dans sa dernière partie et dont les éclairages du mythique chef opérateur Michel Kelbert (Notre Dame de Paris de Jean Delannoy, Un carnet de bal de Julien Duvivier, Le Diable au corps de Claude Autant-Lara, French Cancan de Jean Renoir) renforcent aussi cette impression. Marc Allégret déstabilise autant ses personnages, perdus dans une valse de sentiments, que les spectateurs, qui ne savent plus sur quel pied danser à plusieurs reprises et ce du début à la fin. Outre Fernandel (parfait de sobriété), le charme mutin de Simone Simon et l’excellence de Marcel Dalio, Pierre Brasseur livre une grande prestation dans le rôle du suintant et suffisant Rodrigue Goutari, danseur mondain, qui n’aura de cesse de jouer avec l’amour que lui porte la douce Migo. Un très bon cru d’un cinéaste souvent oublié ou mésestimé aujourd’hui.
A Montmartre, au milieu des années 1940. Mico, danseuse de cabaret, est follement amoureuse du séduisant Rodrigue. Mais une nuit, elle découvre qu’il la trompe. Elle tire sur lui. Le manquant, la jeune femme blesse un certain Pétrus, un photographe qui se trouve mêlé à de sombres règlements de compte.
En fait, en quelques secondes, la partition du maestro Joseph Kosma (Le Cas du docteur Laurent, Des gens sans importance, Les Évadés, Souvenirs perdus) donne le ton en étant à la fois douce et pesante, jamais guillerette, mais non dénuée d’ironie. Les magnifiques décors du légendaire Max Douy (Le Meurtrier, Quai des Orfèvres, Les Dames du Bois de Boulogne, La Règle du jeu) reconstituent le quartier de Montmartre entre les studios de Munchenstein Bâle (Suisse) et ceux des Buttes Chaumont, ce qui donne d’emblée au film un aspect conte romanesque. La théâtralité originale s’efface, même si l’abondance des dialogues renvoie à sa source première, grâce à une mise en scène inspirée et aérée de Marc Allégret, qui présente, puis exploite les différents lieux de l’action, aussi bien les coulisses et la salle principale du Frou-Frou, que le studio de Pétrus et le commissariat dans lequel les personnages se retrouveront. 1946 est une grande année pour Fernandel, dont le succès ne s’est pas démenti durant la guerre (Le Mystère Saint-Val et Naïs ayant été des triomphes en 1945), qui connaîtra trois hits d’affilée, Les Gueux au paradis de René Le Hénaff (2 millions d’entrées), L’Aventure de Cabassou (2,3 millions de spectateurs) et Pétrus qui attirera près de 2,6 millions de français dans les salles. Il est évidemment impeccable dans la peau du personnage-titre, un homme d’une quarantaine d’années, photographe de son état, qui ne connaît rien aux femmes, mais qui épris de Migo, une belle gosse, une girl (on peut même penser à une call-girl lors de sa première apparition), autrement dit une danseuse et huitième cocotte d’une revue de la Butte, va tenter de convaincre l’homme dont elle est amoureuse, Rodrigue, homme qui collectionne les aventures.
Il y a quelque chose de Cyrano de Bergerac dans le personnage de Pétrus, une poésie qui émane tout naturellement de Fernandel, aussi drôle que bouleversant. Même chose pour Simone Simon, qui avait précédemment illuminé Mademoiselle Fifi de Robert Wise, La Féline – Cat People de Jacques Tourneur, La Bête humaine de Jean Renoir, très attachante dans le rôle de Migo, jeune femme au coeur tendre, ingénue sans doute, qui telle Roxane se rendra compte que les attentions et aussi les mots de celui qu’elle pensait être amoureux d’elle, proviennent en réalité d’un autre.
Le côté « polar » découle de l’intrigue liée à la fausse monnaie, utilisée à la fois comme élément dramatique et comique, qui se refile de main en main pour faire rire la galerie, mais aussi pour révéler la mesquinerie et même la méchanceté de Rodrigue, merveilleusement incarné par le monstre Pierre Brasseur. Pétrus est un divertissement forcément suranné, mais qui n’en reste pas moins bourré de charme, bien rythmé et divinement interprété.
LE DIGIBOOK
La voici, la voilà ! La dixième vague Coin de Mire Cinéma est arrivée ! Celle-ci est d’ailleurs très conséquente puisqu’elle contient pas moins de huit titres : Le Ciel est à vous (1944) de Jean Grémillon, Pétrus (1946) de Marc Allégret, Martin Roumagnac (1946) de Georges Lacombe, Adorables créatures (1952) de Christian-Jaque, L’Air de Paris de Marcel Carné (1954), Notre Dame de Paris (1956) de Jean Delannoy, Le Meurtrier (1963) de Claude Autant-Lara, Du rififi à Paname (1965) de Denys de La Patellière ! Comme à chaque nouvelle vague, nous aimons rappeler l’origine de l’éditeur Coin de Mire Cinéma, dont nous suivons les sorties depuis ses débuts en octobre 2018. Fondateur de la structure indépendante Coin de mire Cinéma, Thierry Blondeau est un autodidacte, un cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. Coin de Mire Cinéma propose déjà 55 titres aux cinéphiles (dont vous pouvez retrouver l’intégralité des chroniques sur notre site). Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.
L’éditeur a d’ores et déjà annoncé près de trente de titres à venir (La Table aux crevés de Henri Verneul, La Vierge du Rhin de Gilles Grangier, Tout l’or du monde de René Clair, Monsieur de Jean-Paul Le Chanois, Le Drapeau noir flotte sur la marmite de Michel Audiard, Julie pot de colle de Philippe de Broca, Le Tonnerre de Dieu de Denys de La Patellière) et même L’Homme de Rio en combo 4K UHD/Blu-ray !. Chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet sur le site de l’éditeur et dans certains magasins spécialisés.
L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Marc Allégret, avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels, des photos promotionnelles, de l’affiche belge et d’un extrait de l’album du film. Le menu principal est fixe et musical. À noter que Pétrus disposait jusqu’à présent d’une édition en DVD chez M6 Vidéo depuis 2007, dans la collection Les Classiques Français SNC.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film (ici celle de Martin Roumagnac de Georges Lacombe), puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Sorti sur les écrans le 2 octobre, nous retrouvons donc les journaux des actualités de la 40e semaine (12’). L’occasion d’y croiser le général de Gaulle en visite à Épinal à l’occasion du deuxième anniversaire de la libération de la ville, de réaliser un gros plan sur Shanghai et ses sept millions d’habitants (plus de 26 millions aujourd’hui…), d’admirer une course d’anciens véhicules à Montmartre. Plus émouvant, nous assistons au sauvetage de 18 rescapés du crash du vol Bruxelles-New-York survenu le 18 septembre 1946 près de l’aéroport international de Gander au Canada. Avant la page sportive (avec les courses hippiques à Chantilly entre autres) et le retour de la vie parisienne (au cinéma, dans les musées, sur les podiums), nous apprenons qu’un cargo américain, le « David Caldwell », pris dans une violente tempête dans l’estuaire de la Gironde le 4 septembre 1946, a été coupé en deux.
Pas de chocolats glacés dans les réclames de l’année 1946 (5’30), mais une pub pour les cours de sténotypie Grandjean (« un métier au bout des doigts »), les pâtes La Lune (« sont d’une tenue parfaite et meilleures que les meilleurs légumes ! […] la plus réputée des marques de pâtes ! »), la margarine Astra (« qui rend tout meilleur ») et l’Ambre solaire !
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce de Pétrus et sur celles de la dernière vague.
L’Image et le son
Restauration HD pour Pétrus. Master au format respecté 1.37 et compression AVC. Voilà un lifting inattendu et bienvenu pour le film de Marc Allégret. Le Blu-ray en met souvent plein les yeux et la définition laisse pantois. La restauration numérique 2K se révèle étincelante, les contrastes sont d’une densité impressionnante, les noirs profonds, les blancs lumineux et le grain original heureusement préservé. Une ou deux séquences peut-être moins définies, mais cela demeure anecdotique car les très nombreuses séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes plus claires ou les rares séquences diurnes, le piqué est aussi tranchant qu’inédit, la stabilité de mise et les détails étonnent par leur précision.
La piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. L’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises, les dialogues clairs, dynamiques, même s’ils s’accompagnent d’un très léger souffle. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.