Test Blu-ray / Pépé le Moko, réalisé par Julien Duvivier

PÉPÉ LE MOKO, réalisé par Julien Duvivier, disponible en combo Blu-ray/DVD le 16 octobre 2024 chez Studiocanal.

Acteurs : Jean Gabin, Mireille Balin, Gabriel Babrio, Lucas Gridoux, Gilbert Gil, Saturnin Fabre, Marcel Dalio, Charles Granval…

Scénario : Julien Duvivier & Henri La Barthe, d’après le roman de Henri La Barthe

Photographie : Marc Fossard & Jules Kruger

Musique : Mohamed Iguerbouchène & Vincent Scotto

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1936

LE FILM

Réfugié dans la casbah d’Alger, Pépé le Moko chef d’une bande de malfaiteurs, est émerveillé par la beauté d’une jeune femme, Gaby, dont il tombe amoureux. Hélas, leur idylle est de courte durée car Slimane, un indicateur, tend un piège à Pépé pour le faire quitter son repaire…

Parmi les plus grandes collaborations entre Jean Gabin et des metteurs en scène, il y a celle avec Julien Duvivier (1896-1967), qui s’est déroulée sur sept longs-métrages, de Maria Chapdelaine (1934) à Voici le temps des assassins (1956). Pépé le Moko est non seulement l’une de leurs associations les plus célèbres, mais aussi l’un des films les plus emblématiques de toute la carrière prestigieuse du « Vieux ». En l’espace de deux ou trois ans, ce dernier tournera rien de moins que La Belle Équipe (déjà avec Duvivier, qui ne connaîtra pas le même succès que La Bandera), Les Bas-Fonds, La Grande Illusion et La Bête humaine de Jean Renoir (à qui Pépé le Moko avait tout d’abord été proposé), sans oublier Le Quai des brumes et Le Jour se lève de Marcel Carné. Ça calme. On retrouve donc Jean Gabin dans la peau du « Moko », dérivé du « moco », qui désigne un marin originaire de Toulon et de la Provence, truand qui a débarqué à Alger (ville entièrement reconstituée en studio à Paris) le lendemain de l’attaque d’une bande toulonnaise. Pépé le Moko, d’après le roman de Henri La Barthe, est un huis clos à ciel ouvert, un drame sentimental teinté de thriller, où le monstre du cinéma français, quasiment de tous les plans, ou de toutes les scènes, crève l’écran une fois de plus en créant une nouvelle image de gangster, ou tout du moins héritée du Scarface d’Howard Hawks sorti cinq années auparavant. Passionnant, immersif, à la limite du documentaire quant à la représentation de la Casbah, Pépé le Moko est une étape indispensable et primordiale dans le parcours de tout cinéphile qui se respecte.

Pépé le Moko, chef d’une bande de malfaiteurs, s’est réfugié dans la Casbah d’Alger avec les membres de sa bande, Pierrot, Carlos et Grand-Père, et sa maîtresse Inès. La police cherche à l’attirer hors de la Casbah, où il est pratiquement imprenable. Aidé d’un indicateur, Régis, l’inspecteur Slimane, cherche à faire sortir Pépé de son « royaume ». Il utilise habilement l’amour de Pépé pour une touriste, Gaby. Quand il apprend que Gaby va s’embarquer pour la France Pépé cherche à la rejoindre à tout prix, en dépit du danger qu’il court.

Il y a quelque chose digne d’une tragédie grecque dans Pépé le Moko. Ce dernier étant dénoncé par Inès, jalouse de le voir partir pour rejoindre une autre femme, tandis que Slimane, inspecteur de police qui à l’instar d’un Maigret, observe autour de lui et attend patiemment que la nature humaine fasse son office, fait croire à Gaby que Pépé est mort. Julien Duvivier filme la Casbah comme une fourmilière où l’on croise les kabyles, les chinois, les gitanes, les heimatlos, les slaves, les italiens, les espagnols et les filles de « tous les âges », pour ne citer que ceux-là, un maquis idéal, un dédale, un labyrinthe où Pépé ne prend même pas la peine de se fondre dans la masse depuis deux ans. Suprêmement élégant, chaussures cirées et foulard noué autour du cou, le dangereux malfaiteur, attend que la situation se tasse, tout en profitant des joies de la Casbah et en continuant ses affaires. Pépé le Moko est l’homme que les femmes et les hommes admirent, envient, convoitent, y compris l’inspecteur Slimane donc (génial Lucas Gridoux, vu la même année dans l’étonnant Forfaiture de Marcel L’Herbier), dont on peut penser qu’il n’est pas « insensible » au charme de celui qu’il rêve de mettre derrière les barreaux.

C’est la grande époque où Gabin enchaîne les conquêtes au cinéma, tout en continuant ces idylles en dehors du plateau, comme celle avec sa partenaire Mireille Balin. Cette dernière, grand mannequin de l’époque, est très vite appelée par le cinéma et fait entre autres une apparition Adieu les beaux jours d’André Beucler, où joue Jean Gabin. Pépé le Moko est un tournant pour elle, puisqu’elle accède au rang de vedette, fait preuve d’un vrai tempérament de comédienne, sa beauté de femme fatale explosant aux yeux du monde entier. Derrières leurs apparats, Pépé et Gaby (une « demi-mondaine » entretenue par un homme riche) sont de vrais parisiens, à qui la capitale manque cruellement, même si Paris n’a pas toujours été tendre avec eux. Julien Duvivier les filme comme deux âmes sœurs, qui auraient pu être heureuses ensemble et quitter la Casbah pour rejoindre Paname…mais cela aurait été trop beau.

Le caïd (qui compte à son palmarès quinze condamnations, plus de trente vols qualifiés, deux attaques de banque…) vit ses dernières heures et l’amour aura finalement raison de lui. Slimane ne s’attendait pas à ce revirement, pensant sans doute que les activités de Pépé seraient responsables de sa chute, sans penser une seule seconde que l’amour pourrait s’immiscer dans cette histoire. Pépé l’intouchable aura donc bel et bien un point faible, son coeur, qui bat à nouveau comme dans sa jeunesse, qu’il « retrouve » aux côtés de Gaby. Jean Gabin trône sur une distribution prestigieuse (Charpin, immense dans la peau de Régis, l’indicateur qui passera un sale quart d’heure une fois débusqué, tout comme Marcel Dalio, aka l’Arbi le mouchard), la photographie est fabuleuse, le montage virtuose (la séquence où Pépé marche vers la mer vue en surimpression est à la limite de l’expérimental), les dialogues signés Henri Jeanson sont succulents et l’ensemble conserve cette magie inaltérable propre au réalisme poétique.

Nombreux sont les auteurs et réalisateurs qui s’inspireront de Pépé le Moko (John Cromwell en réalisera d’ailleurs un remake plan par plan avec Charles Boyer et Hedy Lamarr en 1938), en premier lieu Casablanca de Michael Curtiz. C’est dire l’influence, par ailleurs toujours présente, de l’oeuvre de Julien Duvivier sur le septième art international.

LE BLU-RAY

Pépé le Moko revient dans les bacs ! Le premier DVD du chef d’oeuvre de Julien Duvivier remonte à 2001, dans la collection Classique de Studiocanal. Le même éditeur devait par la suite ressortir Pépé le Moko à deux reprises dans la collection Jean Gabin (en 2004 et 2010). 2024, le film fait peau neuve et revient à nouveau chez Studiocanal, dans un magnifique combo Blu-ray + DVD. Les deux disques reposent dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel élégant. Le menu principal est animé et musical.

À l’occasion de cette sortie en Haute-Définition, Studiocanal a demandé à Dominique Maillet de créer un documentaire sur Pépé le Moko. D’une durée de 56 minutes (et non pas 42 minutes comme l’indique le fourreau), ce supplément donne la parole au réalisateur Patrice Leconte (qui avait signé Monsieur Hire, « remake » de Panique de Julien Duvivier), Benjamin Stora (historien, spécialiste du Maghreb contemporain, Mathias Moncorgé (fils de Jean Gabin), Philippe Durant (historien du cinéma), Eric Bonnefille (biographe de Julien Duvivier) et Jean-Charles Tacchella (auteur et réalisateur). Chacun évoque leur fascination pour le cinéma de Julien Duvivier, la représentation de la Casbah (reconstituée en studio, entre Paris et Marseille), le casting, la nouvelle représentation du caïd au cinéma. Mathias Moncorgé partage quelques souvenirs personnels liés à son père et bien sûr sur Pépé le Moko (« un des films les plus importants de papa »), le film étant replacé dans la carrière du comédien. La fructueuse collaboration entre Julien Duvivier et Jean Gabin est aussi passée au crible, ainsi que les thèmes, la psychologie des personnages, les partis-pris de Julien Duvivier, ses intentions, les conditions de tournage, les dialogues de Henri Jeanson, le contexte politique à la fin des années 1930…vous l’aurez compris, nous sommes ici en présence d’un formidable module, à ne pas rater si vous êtes fans de Pépé le Moko.

L’Image et le son

La restauration 4K de Pépé le Moko a été réalisée à partir du négatif original 35mm et du négatif son, par l’Image Retrouvée, qui a aussi eu en charge le nouvel étalonnage et l’ensemble des travaux numériques, destinés à effacer les imperfections présentes sur les éléments originaux. C’est une renaissance, une résurrection. Ce lifting contemporain a heureusement préservé l’image spécifique de Pépé le Moko, souvent marquée par des contours flous, propres à la photographie de Marc Fossard et Jules Kruger. Avec son format respecté 1.37, ce Blu-ray au format 1080p permet enfin de (re)voir Pépé le Moko dans une sublime copie. La restauration est étincelante, les contrastes d’une densité impressionnante, la copie est stable, les gris riches, les blancs lumineux, la profondeur de champ évidente et le grain original préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes, le piqué est parfois joliment acéré pour un film des années 1930 et les détails étonnent parfois par leur précision, surtout sur les gros plans.

Studiocanal est aux petits soins avec le film de Julien Duvivier puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations demeurent inévitables surtout sur les quelques dialogues aigus et les chansons, l’écoute se révèle fluide, limpide et surtout saisissante. Aucun craquement ou souffle intempestifs ne viennent perturber l’oreille des spectateurs et les échanges sont clairs. Les sous-titres destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Crédits images : © Studiocanal / Captures : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Une réflexion sur « Test Blu-ray / Pépé le Moko, réalisé par Julien Duvivier »

  1. Tout à fait d’accord avec votre évaluation technique. Cependant, concernant les contours flous, seul le centre de l’image dans une portion infime est net (?!). Sans compter les plans flous dans leur intégralité et donc d’une illisibilité totale !! Je n’ai pas le souvenir de tels désagréments sur le DVD de 2001, que je ne possède plus, hélas, pour confirmer ou pas.

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