Test Blu-ray / Objectif 500 millions, réalisé par Pierre Schoendoerffer

OBJECTIF 500 MILLIONS réalisé par Pierre Schoendoerffer, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 2 mars 2022 chez Studiocanal.

Acteurs : Bruno Cremer, Marisa Mell, Jean-Claude Rolland, Etienne Bierry, Pierre Fromont, Jean-François Chauvel, D. Zimbaca, Hong Mai Thomas…

Scénario : Pierre Schoendoerffer & Jorge Semprún

Photographie : Alain Levent

Musique : Pierre Jansen

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 1966

LE FILM

A sa sortie de prison, un ancien parachutiste se voit proposer un coup: voler un sac postal contenant cinq cents millions et transporté par avion de Paris à Bordeaux. Le seul complice qu’il trouve pour l’aider dans cette opération est l’officier qui l’avait autrefois dénoncé. Il réussira finalement à se venger de lui.

Du réalisateur Pierre Schoendoerffer (1928-2012), on connaît essentiellement La 317e Section (1965) et Le Crabe-Tambour (1977), adaptés de ses propres romans, ainsi que Diên Biên Phu (1992). S’il a finalement peu tourné, neuf longs-métrages et quatre documentaires en près de cinquante ans de carrière, l’ancien matelot (il rêvait de devenir marin) et photographe-reporter de guerre (il part comme volontaire en Indochine pour le compte du Service cinématographique des armées sous le grade de caporal, puis de caporal-chef), Pierre Schoendoerffer aura construit une œuvre cohérente, forcément marquée par son passé militaire, à ses expériences personnelles (il est fait prisonnier par le Vietminh en 1954, puis relâché quelques mois plus tard, après les accords de Genève). Il passe à la mise en scène en 1956 grâce à Joseph Kessel, qui lui écrit son premier film, La Passe du diable, qu’il coréalise avec Jacques Dupont, en compagnie de Raoul Coutard à la photographie et de Georges de Beauregard à la production, qui deviendra le grand nom de la Nouvelle vague prête à débarque. S’il ne sortira que deux ans plus tard, ce coup d’essai tourné en Afghanistan conforte le jeune cinéaste dans son désir de septième art. S’ensuit Ramuntcho (1959), comédie-dramatique qui se déroule à la fin de la Guerre d’Indochine, où ressort déjà l’approche didactique de Pierre Schoendoerffer, Pêcheur d’Islande (1959), qui narre les aventures en mer d’un équipage breton de Concarneau, puis le documentaire de propagande Attention ! Hélicoptères (1963). La reconnaissance arrive en 1965 avec La 317e Section, qui raconte l’histoire de six journées de guerre, en mai 1954, durant la guerre d’Indochine, dont le réalisme cru, renforcé par le N&B charbonneux du fidèle Raoul Coutard et des prises de vues capturées à l’épaule dans la jungle cambodgienne, crée l’événement auprès du public (1,7 millions d’entrées) et de la critique, le film repartant alors avec le Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes en 1965. Dans la filmographie de Pierre Schoendoerffer, se cache un film de « genre », de braquage, Objectif 500 millions, qui sort dès l’année suivante. Une concession au cinéma commercial ? Pas du tout, car sous ses allures de spectacle du samedi soir, il s’agit ni plus ni moins d’un prolongement des thèmes qui animeront le réalisateur toute sa vie, en l’occurrence ici comment un homme, qui aura dédié toute son existence au combat peut-il survivre après un conflit, une fois démobilisé et rendu à la vie civile ? Interprété par Bruno Cremer, monstre de charisme qui crève l’écran et qui le vampirise du début à la fin en étant quasiment de chaque plan, Objectif 500 millions est une remarquable curiosité.

Le capitaine Richau, ancien de la guerre d’Algérie, a participé à des activités subversives. Condamné, il se trouve, à sa sortie de prison, sans travail, sans argent et cruellement marqué par l’issue d’un combat qu’il n’a pas accepté. Il n’est pas tout à fait sans amis. Quelques anciens, dont l’un surtout, Douard, qui servit sous ses ordres, se proposent de l’aider. En vain. C’est dans ce climat psychologique qu’un jour, une jeune femme, Yo, le contacte. Il s’agit de participer à un hold-up : un sac postal contenant 500 millions, transporté par avion d’Orly. Son rôle : s’introduire dans l’avion, réduire l’équipage au silence durant le vol, lancer en parachute le sac postal, puis se parachuter lui-même. En bas, Yo attendra, à un endroit indiqué, en compagnie d’un complice. Or ce complice est Pierre, un ancien d’Algérie lui aussi, qui, pour sauver sa peau, fit condamner Richau. Une haine tenace, depuis, tenaille Richau. Il accepte donc de préparer le coup, mais dans le dessein suivant : amoureux de Yo, il partira avec elle une fois l’argent en main, accompagné de camarades ; ils iront tous créer une communauté en Amérique du Sud, mais les amis contactés ne veulent pas s’expatrier. Pourtant, Richau semble accepter que l’affaire se déroule comme prévu. L’endroit choisi pour le parachutage est une petite plage de l’Atlantique.

« Tu sais, on est pas encore morts ! Mais le diable marche avec nous… »

1961. Fin de la guerre d’Algérie. Des officiers de l’armée française s’insurgèrent contre le gouvernement. Cinq ans plus tard, nous suivons un ancien capitaine et membre de l’OAS, fraîchement sorti de prison où il a passé trois ans, après qu’un de ses complices ait indiqué leur planque à la police d’Oran. La capitaine Richau, même s’il ne veut plus qu’on le nomme ainsi car « il n’existe plus », vit essentiellement la nuit, s’entraîne au judo (« santé, sobriété ! ») dans un vieux gymnase tenu par un de ses anciens sous-officiers, qui passe son temps à cracher tout son venin sur les « rombières » qui cassent le potentiel de ses sportifs prometteurs. Richau vit dans le passé, dans ses souvenirs, dans un fantasme aussi, celui de s’installer en Amérique du Sud, où lui et ses hommes rêvaient de s’organiser en communauté, en kolkhoze, en kibboutz. Richau a tout perdu quand il a été destitué par le tribunal militaire. Alors évidemment, quand une femme mystérieuse lui propose un coup à 500 millions, Richau commence à y réfléchir à deux fois. Mais le passé ressurgit encore une fois, quand celui qui est la cause de ses trois ans de cabane refait surface…Bruno Cremer est exceptionnel dans le rôle principal, retrouvant Pierre Schoendoerffer après La 317ème Section, qui avait fait de lui un comédien sur lequel il fallait désormais compter. Celle par qui l’affaire arrive n’est autre que l’autrichienne Marisa Mell, vue jusqu’à présent dans Casanova 70 de Mario Monicelli et Train d’enfer de Gilles Grangier. Celle qui connaîtra une belle carrière en Italie (Danger : Diabolik ! de Mario Bava, Perversion Story Una sull’altra de Lucio Fulci, Le Tueur à l’orchidée Sette orchidee macchiate di rosso d’Umberto Lenzi, Ultime violence La Belva col mitra de Sergio Grieco) apporte ce parfum typique de série B avec ses tenues brillantes et extravagantes, une touche sexy qui participe indéniablement au charme d’Objectif 500 millions et qui surtout détonne auprès du personnage stoïque (et cinglé) de Richau.

« La mort est au centre des sept cercles de la peur, comme au coeur d’une cible. L’homme qui de sa vie n’a jamais franchi le premier cercle est un lâche. L’homme qui franchit le premier cercle, le deuxième cercle, le troisième, le quatrième et le cinquième cercle est courageux. L’homme qui franchit le sixième cercle est téméraire. Le septième est un fou, il entre alors dans le royaume de la mort ».

S’il ne filme pas la guerre frontalement ici, Pierre Schoendoerffer capture celle qui se joue encore dans les méandres de l’esprit malade de Richau. Un regard de Bruno Cremer suffit pour mettre en relief la psyché perturbée de cet homme, une machine à tuer qu’on a désactivé et même cloué au pilori pour montrer le bon exemple. Au début du film, Richau s’apparente à une carcasse vide, s’animant uniquement lorsqu’il manie des armes, en tenant en joue un homme de l’autre côté d’une fenêtre, ou tout simplement en plaçant le canon contre sa tempe, en se regardant dans le miroir. L’éclairage intermittent de la pièce dans laquelle il se trouve, renvoie à ses pensées, perdues entre l’ombre et la lumière, tandis que Richau se demande s’il doit appuyer ou non sur la gâchette. Tout son être se redresse et reprend vie quand l’élaboration d’un braquage arrive sans crier gare. Coécrit avec le scénariste Jorge Semprún, futur auteur de Z (1969) et L’Aveu (1970) de Costa-Gavras, de L’Attentat (1972) d’Yves Boisset et de Stavisky (1974) d’Alain Resnais, Objectif 500 millions est moins un polar qu’un drame psychologique, la chronique d’un suicide annoncé, remis à plus tard, une ultime opération commando à travers laquelle Richau va pouvoir enfin se livrer corps et âme, par l’intermédiaire d’un casse finalement prétexte.

Avec ses dialogues et son montage percutants, la puissance de sa tête d’affiche, le sex-appeal de Marisa Mell, la beauté brute de sa mise en scène et de la photographie d’Alain Levent (La Religieuse de Jacques Rivette), son final crépusculaire et inattendu, Objectif 500 millions s’avère une radiographie implacable de la guerre d’Algérie et de ses conséquences sur l’être humain.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Les complétistes seront ravis d’apprendre que ce film oublié et jusqu’alors indisponible en DVD de Pierre Schoendoerffer est désormais disponible dans les bacs chez Studiocanal, dans la collection Make My Day de Jean-Baptiste Thoret, 45ème titre de cette merveilleuse anthologie. Rien ne change, les deux disques sont contenus dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel clinquant. Le menu principal est très légèrement animé et muet.

L’historien du cinéma et critique présente tout naturellement le film (« devenu assez rare ») qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (7’). Comme il en a l’habitude, Jean-Baptiste Thoret replace de manière passionnante Objectif 500 millions dans la filmographie de Pierre Schoendoerffer. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est d’en savoir plus sur la genèse, les thèmes, le casting et la sortie de cet opus méconnu du cinéaste de La 317e Section et Jean-Baptiste Thoret aborde évidemment tous ces sujets, et bien plus. Pas de spoilers ici, le critique pense également à celles et ceux qui n’auraient pas encore vu Objectif 500 millions.

Après cette brillante introduction et après avoir vu le film qui nous intéresse aujourd’hui, ne manquez sous aucun prétexte l’analyse de François Angelier (Mauvais genres), qui durant 45 minutes reviendra à la fois sur le cinéma de Pierre Schoendoerffer, sa thématique principale (la guerre et ses lendemains, comment être à la hauteur de la victoire ou dans la défaite, comment revient-on du côté de la vie après la guerre, ce qu’est la France, son armée, les lendemains de conflits), mais aussi sur l’histoire de la guerre d’Algérie, moteur narratif d’Objectif 500 millions. Cette intervention foisonnante est un véritable modèle du genre, apportant toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension du film, aussi bien historiques que du point de vue formel. Les personnages, notamment celui incarné par Bruno Cremer, les scènes décisives (celle du repas, de l’Arc de Triomphe, le final quasi-onirique), les liens entre l’OAS et la Nouvelle vague et bien d’autres sujets sont inscrits au programme de ce fabuleux bonus.

Enfin, l’éditeur a mis la main sur un document d’archives de 4 minutes, tourné sur la plage de Lacanau, où Pierre Schoendoerffer et son équipe se sont installés. Le réalisateur répond à quelques questions d’une journaliste, indiquant au détour d’une phrase que Bruno Cremer est selon-lui le plus grand des comédiens français, tout en parlant des personnages et de leurs motivations.

L’Image et le son

Invisible depuis longtemps, très longtemps même visiblement, Objectif 500 millions est pourtant présenté dans une copie entièrement restaurée. Le superbe N&B d’Alain Levent (Le Vampire de Düsseldorf de Robert Hossein, La Bande à Bonnot de Philippe Fourastié, Mon oncle Benjamin de Édouard Molinaro, Des enfants gâtés de Bertrand Tavernier) est fabuleusement restitué avec des noirs denses, sans être bouchés, une clarté appréciable, des contrastes savamment gérés. Le master est propre, même si quelques rayures et griffures subsistent, mais l’ensemble est stable, le piqué impressionne sur les gros plans, les détails sont raffermis, le grain argentique est fin, organique, et l’apport HD est loin d’être négligeable. Signalons que le film est parfois constitué d’images extraites de reportages tournés par Pierre Schoendoerffer durant son passé militaire et dont la définition est évidemment plus chancelante.

Une piste DTS HD Master Audio 2.0 de bon acabit, qui délivre les dialogues avec fluidité et vivacité. La composition inquiétante de Pierre Jansen (Le Grand frère de Francis Girod, Les Innocents aux mains sales de Claude Chabrol) est excellemment restituée et les effets annexes précis. Notons divers chuintements, saturations dans les aigus et fluctuations du volume au cours d’une même séquence, mais rien de bien méchant. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, sont aussi disponibles.

Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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