Test Blu-ray / Navajeros, réalisé par Eloy de la Iglesia

NAVAJEROS réalisé par Eloy de la Iglesia, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 7 mai 2024 chez Artus Films.

Acteurs : José Luis Manzano, Isela Vega, Verónica Castro, Jaime Garza, Enrique San Francisco, María Martín, José Sacristán, José Manuel Cervino…

Scénario : Eloy de la Iglesia & Gonzalo Goicoechea

Photographie : Antonio Cuevas

Musique : Burning

Durée : 1h32

Date de sortie initiale : 1980

LE FILM

José Manuel alias « El Jaro » vit avec sa bande de délinquants. Un jour, il rencontre Mercedes, une prostituée qui veut le ramener dans le droit chemin.

En septembre 2023, à l’occasion de la sortie du coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia chez Artus Films, qui comprenait Colegas, El Pico et El Pico 2, nous étions revenus très largement sur la carrière du réalisateur espagnol et plus particulièrement sur le genre quinqui. Vous savez donc ce qui vous reste à faire pour en savoir plus. L’éditeur a eu l’excellente idée de prolonger cette importante découverte, en éditant deux autres longs-métrages emblématiques du cinéaste, Le Député El diputado (1979) et Navajeros (1981). C’est le second que nous aborderons aujourd’hui. Dans le sillage du cinéma de son compatriote José Antonio de la Loma, qui avait comme qui dirait ouvert le bal du cinéma quinqui en 1977 avec Perros callejeros (« chiens errants ») et qui est depuis considéré comme étant le film fondateur du genre, Eloy de la Iglesia entend bien lui aussi dresser le portrait des jeunes délinquants livrés à eux-mêmes dans l’Espagne post-franquiste, où la dope était reine, où le boulot était inexistant, où les parents étaient complètement largués, comme si tout le monde se réveillait d’une immense gueule de bois. Navajeros, s’il n’atteint pas la réussite de Colegas et n’a pas la force implacable d’El Pico, n’en reste pas moins un mètre étalon du quinqui et compile tous les ingrédients de ce qui fait sa particularité. C’est aussi et surtout la première collaboration entre Eloy de la Iglesia et José Luis Manzano, sa muse, son amant et même sa pute, leur rencontre s’étant déroulée dans les milieux de la prostitution masculine du centre de Madrid, que le metteur en scène fréquentait alors assidûment. Ensemble, ils tourneront cinq films jusqu’à La Estanquera de Vallecas en 1987. Navajeros pose les bases de leurs futures associations, les motifs sont clairement exposés, sexe, drogue, violence, sang, et si cet opus s’avère au final plus sage, ou plutôt linéaire et didactique (les apartés d’un journaliste appuient d’ailleurs une dimension documentaire), ce drame à la frontière du thriller psychologique est clairement une étape.

José Manuel Gomez Perales alias « El Jaro » est un jeune de quinze ans avec déjà un lourd casier judiciaire qui comprend entre autres : 29 évasions de maisons de correction et trois blessures lors d’affrontements avec la police. Il rend visite à son frère aîné en prison, mais El Jaro passe la plupart de son temps avec ses trois meilleurs amis : El Butano, Jhonny et El Chus. Les quatre amis forment une bande dangereuse, spécialisée dans le vol des sacs à main, des pièces de monnaie dans des cabines téléphoniques publiques, des voitures et des motos. Ils dérobent également ce qu’ils peuvent dans les magasins, en cassant les vitrines. Sans logement, El Jaro s’installe chez Mercedes (superbe Isela Vega, vue dans Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia), surnommée « La Mexicana », une prostituée de vingt ans son aînée. Elle lui offre de l’amour, du sexe et un foyer. Dans un cimetière, lieu de rendez-vous d’El Jaro et de sa bande, El Jaro surprend ses trois amis criminels avec une arme, un fusil à canon scié, qu’il a réussi à obtenir. Cela permet à El Jaro et à ses amis d’intensifier leurs activités criminelles. Ils se rendent dans un quartier chic de Madrid où ils volent un groupe d’homosexuels réunis lors d’une fête. Alors qu’il mange une glace, El Jaro est sur le point d’être découvert avec son arme cachée dans son sac à dos par deux policiers en civil, mais il est sauvé par Mercedes qui distrait les policiers. Dans une discothèque avec ses amis, El Jaro rencontre La Toñi, la sœur de Chus. Épris d’elle, il l’invite à une balade, mais Toñi s’intéresse plus aux drogues qu’elle consomme qu’à El Jaro. Pour lui trouver de la drogue, El Jaro se rend chez El Marques, un trafiquant de drogue qui lui en donne à vendre. El Jaro vole toute la drogue, à El Marques le menaçant avec son couteau. De retour avec Mercedes, El Jaro lui avoue qu’il est tombé amoureux de Toñi, mais ils continuent leur liaison.

Navajeros fonctionne sur la répétition, phénomène qui caractérise le quotidien d’El Jaro et de ses camarades marginaux. Car il n’y a pas d’issue pour ces jeunes, juste des retours incessants à la case départ. Par ailleurs, un journaliste qui couvre la délinquance juvénile, raconte les conditions désastreuses du chômage et du désespoir des adolescents issus des quartiers marginaux de la ville et les liens entre la pauvreté et les activités criminelles. Ces apparitions en pointillés appuient la véracité de ce que souhaite raconter Eloy de la Iglesia, qui se place du point de vue de ses personnages, en particulier d’El Jaro donc, inspiré du véritable José Joaquín Sánchez Frutos, délinquant qui faisait les choux gras de la presse à scandale, ce qui permettait ainsi d’éviter de parler du taux de chômage qui n’avait jamais été aussi haut.

Le réalisateur suit ses protagonistes et montrent comment ceux-ci sont forcés d’agir pour survivre. S’il a indéniablement Orange mécanique en tête au moment où il tourne Navajeros, dans sa représentation de la violence, mais aussi dans l’utilisation de la musique classique comme contrepoint, Eloy de la Iglesia inscrit sa brutalité dans un réalisme cru, où les corps se dévoilent sans pudeur (on sent le cinéaste fasciné et sous l’emprise de son interprète et amant), où les âges se mêlent sans arrière-pensée, du moment qu’il y a un tant soit peu d’amour ou d’affection. Grand succès en Espagne et au Mexique, Navajeros est devenu un classique du cinéma ibérique, sur lequel les cinéphiles devraient s’arrêter dans leur parcours du septième art.

LE BLU-RAY

Après l’édition collector de Cannibal ManLa Semaine d’un assassin et le coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia, Artus Films prolonge son travail consacré au cinéaste espagnol, en éditant Navajeros et El Diputado, en Combo Blu-ray + DVD. Le premier se présente sous la forme d’un Digipack à deux volets, très élégant, glissé dans un fourreau cartonné illustré par un des visuels d’exploitation d’époque. Le menu principal est fixe et musical.

L’interactivité conséquente du précédent coffret, nous avait donné une tonne d’information sur le cinéma quinqui, ainsi que sur la carrière d’Eloy de la Iglesia, sans oublier le livret écrit par David Didelot. Néanmoins, l’intervention de Marcos Uzal (Les Cahiers du cinéma) ne manque pas d’intérêt et prolonge les bonus précédents, surtout quand celui-ci aborde plus précisément Navajeros. Pendant un peu plus de 45 minutes, le critique donne de nombreuses indications sur ce film central dans l’oeuvre de son auteur, puisqu’il s’agit de son premier vrai quinqui. Après un bref retour sur la définition et les ingrédients de ce sous-genre né après Franco, Marcos Uzal analyse les personnages, leurs motivations, les partis-pris et les intentions du réalisateur, le casting, l’utilisation de la musique et l’importance des protagonistes féminins.

L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation.

L’Image et le son

Il s’agit visiblement d’un master restauré 2K. La copie est propre, rien à redire là-dessus, la stabilité est de mise, le piqué plus qu’acceptable et la texture argentique aussi bien préservée que bien équilibrée, même s’il est vrai que certains plans paraissent étrangement plus lissés. Eloy de la Iglesia a de nouveau fait appel au chef opérateur Antonio Cuevas, avec lequel il avait travaillé sur El Diputado, pour créer une photo souvent réaliste, y compris sur les scènes nocturnes, où les noirs sont néanmoins un peu trop poreux. Les détails ne manquent pas, mais c’est au niveau des couleurs que cela est moins convaincant, certaines gammes pouvant légèrement changer au cours d’une même séquence.

Seule la version originale aux sous-titres français non imposés est disponible sur cette édition. La restauration est satisfaisante, l’écoute est frontale, riche, dynamique et vive. Les effets annexes sont conséquents et le confort acoustique assuré.

Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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