Test Blu-ray / L’Enfer de la drogue – El Pico, réalisé par Eloy de la Iglesia

L’ENFER DE LA DROGUE (El Pico) réalisé par Eloy de la Iglesia, disponible en coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia – Coffret 3 films : Colegas + El Pico + El Pico 2 le 5 septembre 2023 chez Artus Films.

Acteurs : José Luis Manzano, José Manuel Cervino, Luis Iriondo, Enrique San Francisco, Andrea Albani, Queta Ariel, Marta Molins, Pedro Nieva Parola, Alfred Lucchetti, Guillermo Reinlein, Marta Pérez Ferrándiz…

Scénario : Gonzalo Goicoechea & Eloy de la Iglesia

Photographie : Hans Burmann

Musique : Luis Iriondo

Durée : 1h45

Date de sortie initiale : 1983

LE FILM

Dans le Bilbao du début des années 80, Paco et Urko, deux adolescents en rupture de ban délaissent leurs études pour les paradis artificiels, partageant tous deux la couche de Betty, une jeune prostituée qui va les initier à l’héroïne. De consommateurs, ils deviennent trafiquants, rapidement emportés dans une spirale criminelle qui va frapper de plein fouet leurs familles respectives.

Reprenons où nous en étions. Suite à l’engouement rencontré par Colegas en 1982, le réalisateur Eloy de la Iglesia continue sur sa lancée et s’apprête à connaître son plus grand succès et probablement l’opus le plus emblématique du cinéma quinqui avec El Pico, exploité en France sous le titre L’Enfer de la drogue ou Dose mortelle. L’accent est mis cette fois sur le fléau représenté par la dope qui circulait alors abondamment en Espagne et plus particulièrement dans les banlieues (mais pas que) où les jeunes étaient déjà livrés à eux-mêmes. Triomphe populaire, à tel point que le film est encore très largement diffusé à la télévision ibérique, El Pico est un drame foudroyant qui comme un panneau en introduction l’indique « est inspiré de faits réels librement transposés par l’imagination des auteurs ». Que faire de la liberté nouvellement acquise après la disparition de Franco ? « Je croyais qu’on était libres maintenant » annonce un personnage dans les premières minutes d’El Pico, qui avec une réalité quasi-documentaire dépeint la chute inexorable de deux fils à la vie diamétralement opposée, l’un étant le fils d’un commandant de gendarmerie et l’autre celui d’un député nationaliste basque, soudés par une amitié indéfectible et qui vont prendre le chemin de la seringue plantée dans le bras. « On sait se contrôler, on n’est pas des débiles » déclarent-ils quand ils veulent juste essayer au début et en prendre de temps en temps quand ils se sentent largués. Inévitablement, Paco et Urko entament sans véritablement se rendre compte, un aller simple pour l’enfer. Remarquable long-métrage d’Eloy de la Iglesia, metteur en scène et auteur à voir comme le chaînon manquant entre Pier Paolo Pasolini et Rainer Werner Fassbinder, El Pico deviendra un tel phénomène de société qu’une suite sera écrite, produite et mise en scène dès l’année suivante. Une immense (re)découverte s’impose dans nos contrées.

Deux jeunes amis, Paco et Urko, qui vivent à Bilbao, deviennent ensemble accros à l’héroïne. Pour obtenir leur dose quotidienne, ils n’hésiteront pas à voler, mentir et même tuer le dealer qui leur vend la drogue. Il se trouve que les deux amis sont issus de milieux familiaux antagonistes : Paco est le fils du commandant Torrecuadrada, membre de la Garde civile en poste au Pays basque, et Urko est le fils de Martín Aramendia, un leader politique influent de la gauche Abertzale. Les familles et leurs parents, prenant conscience de la gravité de la situation des jeunes, seront obligés de mettre de côté leurs différends pour tenter de résoudre et de réorienter la situation.

Il y a du Shakespeare dans El Pico, de la tragédie grecque aussi, où deux pères et leurs fils respectifs vont s’entrecroiser, sans forcément parvenir à communiquer, ce qui entraîne la chute progressive des deux rejetons dans la drogue qui selon-eux « apporte la paix, celle dont on parle tant, on la trouve comme ça ». El Pico y va à fond dans sa peinture d’une jeunesse paumée, qui ne trouve comme passe-temps et donc pour tromper l’ennui que de s’enfoncer la précieuse aiguille dans les veines, vecteur d’un plaisir éphémère et dévastateur. Le shit, l’héroïne, la morphine, tout est à portée de main et quand ce n’est pas pour se divertir, c’est pour se soigner, à l’image de la mère de Paco, dépendante et obligée d’augmenter les doses pour calmer momentanément ses douleurs. Quand lui aussi sentira le manque l’envahir, Paco ira se servir directement dans la boîte à analgésiques de sa daronne. C’est là qu’il devra se rendre à l’évidence, il n’a pas su gérer la situation comme il entendait le faire et qu’il se confiera à son père.

El Pico est une œuvre immersive, sèche, brutale, qui ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil et lui montre la vérité nue, ainsi que le sordide du quotidien, à l’instar de cette jeune maman, junkie qui a fait tout ce qu’elle a pu pour ne pas se shooter durant sa grossesse (sans y parvenir), qui exaspérée par les cris de son bambin (en manque), plonge la tétine dans la poudre blanche avant de lui coller dans la bouche, pour obtenir le silence. Âmes sensibles s’abstenir…

Si vous ne devez voir qu’un seul film quinqui, El Pico, porté par des acteurs exceptionnels (dont José Luis Manzano, muse du cinéaste), est tout indiqué tant celui-ci contient tous les ingrédients qui ont fait la renommée du sous-genre, tout en proposant un sous-texte intemporel et universel dans le sens où l’intrigue repose aussi sur un conflit générationnel et s’adresse tout autant aux jeunes qu’à leurs parents. De plus, après avoir découvert El Pico, il y a fort à parier que vous aurez envie de voir d’autres références du quinqui, alors n’hésitez plus.

LE COFFRET BLU-RAY + DVD + LIVRE

C’est incontestablement l’un des événements de la rentrée septembre 2023 dans le monde de la vidéo en France. Après Cannibal Man La Semaine d’un assassin, Artus Films revient au cinéma de José Luis Manzano avec l’édition du coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia – Coffret 3 films : Colegas + El Pico + El Pico 2. Six disques, trois DVD et trois Blu-ray, reposent dans un somptueux Digipack à quatre volets, glissé dans un fourreau cartonné très élégant. La pièce-maîtresse de ce coffret est le remarquable livret de 100 pages signé par le talentueux David Didelot et intitulé « Cine Quinqui : Les Loups sont dans la rue ». Un immense travail de recherches a donné naissance à cet ouvrage indispensable, qui se dévore de la première à la dernière page. Tout, vous saurez TOUT ce qu’il y a à savoir sur le cinéma Quinqui, ses origines, ses codes, les films représentatifs du genre, le contexte historique dans lequel il est né, ses figures emblématiques, les réalisateurs phares, ses variants, son évolution, sa pérennité, sans oublier la carrière d’Eloy de la Iglesia et ses longs-métrages appartenant au cinéma Quinqui…Nous y trouvons aussi une analyse du diptyque El Pico et El Pico 2 signée Simon Laperrière. Aujourd’hui, après Colegas, nous nous penchons uniquement sur El Pico et réaliserons la chronique de sa suite prochainement. Le menu principal du Blu-ray d’El Pico est fixe et musical.

L’éditeur a pu mettre la main sur un documentaire intitulé Du sang dans les rues, le phénomène Quinqui (43’), qui propose des intervenants divers et variés (Mery Cuesta, universitaire spécialiste du cinéma quinqui, Tom Whittaker, auteur de The Spanish Quinqui Film), dont les propos remettent le cinéma quinqui dans son contexte. Social, politique, ce document riche, dont les arguments sont dans l’ensemble aussi repris par David Didelot dans son livre, donne de multiples titres en exemple des opus emblématiques de ce sous-genre populaire et controversé. Juan Antonio de la Loma, Carlos Saura et Eloy de la Iglesia sont bien sûr largement évoqués, ainsi que leurs œuvres (à travers moult extraits), les acteurs phares et les véritables délinquants ayant participé à ces films à l’instar de José Luis Monzano, El Vaquilla, El Pirri, Quique San Francisco. Un supplément repris de l’édition US d’El Pico, disponible chez Severin Films depuis 2021.

L’interactivité se clôt sur un Diaporama et la bande-annonce.

L’Image et le son

Le master HD d’El Pico s’avère moins convaincant que celui de Colegas, sans doute plus âgé, pour ne pas dire étrangement bidouillé par moments. Les détails manquent à l’appel, le piqué est plus dénaturé, la gestion des contrastes aléatoire (tout comme celle de la texture argentique), la compression accusant aussi quelques faiblesses, sans oublier des fourmillements qui s’invitent à la partie. Certaines scènes sont étonnamment floues, mais dans l’ensemble la copie est propre et des gros plans s’avèrent heureusement dignes de cette promotion Haute-Définition.

Comme El Pico a été exploité en VHS en France, nous retrouvons une piste dans cette chère langue de Molière sur ce Blu-ray. Néanmoins, celle-ci s’avère de bien piètre qualité, sourde, reléguant au loin les ambiances musicales et les effets annexes. La version originale aux sous-titres français non imposés dispose quant à elle d’une restauration satisfaisante. L’écoute est frontale, riche, dynamique et vive. Le confort acoustique est assuré.

Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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