Test Blu-ray / L’Homme qui voulait savoir, réalisé par George Sluizer

L’HOMME QUI VOULAIT SAVOIR (Spoorloos) réalisé par George Sluizer, disponible en Combo Blu-ray + DVD + Livret – Édition limitée chez Sidonis Calysta le 7 juin 2024.

Avec : Bernard-Pierre Donnadieu, Gene Bervoets, Johanna Ter Steege, Gwen Eckhaus, Bernadette Le Saché, Tania Latarjet, Lucille Glenn, Roger Souza…

Scénario : Tim Krabbé & George Sluizer, d’après le roman L’Oeuf d’or de Tim Krabbé

Photographie : Toni Kuhn

Musique : Henny Vrienten

Durée : 1h56

Date de sortie initiale : 1988

LE FILM

Sur la route des vacances, Rex et Saskia s’arrêtent sur une aire d’autoroute. L’homme s’éloigne du véhicule pendant quelques minutes. À son retour, sa compagne a disparu. Fou de douleur, il renonce à sa vie professionnelle et sociale pour se consacrer exclusivement à la recherche de la disparue. Après trois années d’une quête infructueuse, il reçoit une étrange carte postale, dont l’auteur prétend connaître la vérité sur la disparition…

Film culte des années 1980, récompensé dans tous les festivals, L’Homme qui voulait savoir est une oeuvre éprouvante pour les nerfs, qui continue de hanter les mémoires bien longtemps après. Bernard-Pierre Donnadieu livre une admirable prestation tandis que la mise en scène de George Sluizer (1932-2014) dissèque le mécanisme mental et les agissements d’un esprit malade avec originalité, renvoyant à nos peurs les plus primaires et universelles. Vous connaissez peut-être le remake, La Disparue The Vanishing, avec Jeff Bridges, Sandra Bullock et Kiefer Sutherland réalisé par George Sluizer lui-même – à l’instar d’Alfred Hitchcock pour L’Homme qui en savait trop, Ole Bornedal pour Le Veilleur de nuit et Michael Haneke pour Funny Games – en 1993, mais pas forcément le film original sorti cinq ans auparavant. Alors jetez-vous immédiatement dessus, vous ne le regretterez jamais. Le cinéaste néerlandais (mais né à Paris) George Sluizer demeure encore aujourd’hui peu connu du grand public et reste un cas atypique dans le cinéma. À l’origine de L’Homme qui voulait savoir, il y a un roman, Het Gouden Ei L’Œuf d’Or, écrit par Tim Krabbé, néerlandais comme George Sluizer, qui a participé à l’adaptation de son livre avec le réalisateur, avant d’être remercié par ce dernier pour divergences artistiques. Si le remake est étonnamment plus diffusé, L’Homme qui voulait savoir est un thriller dramatique aussi sensationnel qu’insoutenable. Bernard-Pierre Donnadieu trône de façon impériale sur ce film diabolique. Sa présence est de celle qu’on ne peut oublier et qui marque à vie l’esprit des cinéphiles.

16 juillet 1984. Rex Hofman et Saskia Wagter ont quitté Amsterdam en voiture pour passer des vacances à Bois-Vieux dans le Gard. Le couple tombe en panne de carburant sous le tunnel d’une départementale, obligeant Rex à laisser dans le véhicule une Saskia effrayée pour aller à pied chercher de l’essence. Les amants se réconcilient sur l’aire d’une station-service d’autoroute. Puis Saskia, partie chercher des boissons, disparaît de façon incompréhensible. Interrogés par Rex, caissière et pompiste indiquent l’avoir aperçue, le second signalant même la présence d’un homme à ses côtés. Les tentatives du jeune homme pour retrouver son amie restent désespérément vaines….

Alors qu’il envisageait Jean-Louis Trintignant dans le rôle de Raymond Lemorne, George Sluizer essuie le refus du comédien, qui comptait faire une pause dans son illustre carrière. C’est alors qu’il repense à un acteur qui faisait une simple apparition dans son film Un homme, deux femmes, tourné dix ans auparavant, dont le charisme l’avait marqué. Il s’agit de Bernard-Pierre Donnadieu (qui fait étrangement penser à Benoît Poelvoorde aujourd’hui, y compris dans sa façon de parler), qui en 1988 sortait du tournage de La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier et était apparu auparavant dans Les Uns et les autres de Claude Lelouch, Le Professionnel de Georges Lautner, Le Retour de Martin Guerre de Daniel Vigne, L’Indic de Serge Leroy et Max mon amour de Nagisa Oshima. Il tient ici le haut de l’affiche et tel un ogre, ce qu’il était apparemment sur le plateau, notamment avec sa partenaire Johanna Ter Steege, bouffe l’écran du début à la fin dans la peau de ce mari, père de famille et professeur de chimie bien sous tous rapports, qui s’avère en réalité un monstre, torturé, intelligent, impitoyable.

Si la prestation du belge Gene Bervoets, revu dernièrement dans l’excellent À l’intérieur Inside de Vasilis Katsoupis, a souvent été critiquée, celui-ci est pourtant convaincant et apporte une ambiguïté au personnage de Rex et ce dès la première partie du film qui expose sa relation avec la belle rousse Saskia. Cette dernière est interprétée par Johanna Ter Steege, qui faisait ses premiers pas au cinéma dans L’Homme qui voulait savoir, après avoir été repérée au théâtre, et dont la présence est inoubliable, bien qu’elle n’apparaisse en tout et pour tout qu’une demi-heure sur près de 120 minutes. Un certain Stanley Kubrick, immense défenseur de ce film qu’il considérait comme étant le plus effrayant qu’il ait vu de sa vie, devait engager la comédienne pour tenir le rôle principal d’un projet qu’il envisageait sur l’Holocauste, avant de se faire doubler par Steven Spielberg et La Liste de Schindler. Le film, qui allait entrer en pré-production allait être finalement annulé.

Dès les premières séquences, le malaise s’installe comme lors de cette scène du tunnel ouvrant le film où le cinéaste conditionne le spectateur dans l’appréhension. Le rythme est soutenu tout du long, Sluizer innove en proposant une narration quelque peu éclatée à l’aide de flashbacks et la reprise d’une même séquence vue sous plusieurs angles dont le seul repère temporel est une étape du Tour de France entendue en fond sonore.

Diaboliquement ficelé, viscéral et surtout cauchemardesque, L’Homme qui voulait savoir (ou Spoorloos, titre original) est un drame universel qui questionne le spectateur sur sa propre maîtrise de la peur, les conflits internes et l’impossibilité du deuil dans le cas d’une disparition. Chef d’oeuvre.

LE BLU-RAY

Cela a été long, mais l’attente est enfin récompensée. En effet, après une première édition en DVD chez Carlotta Films en septembre 2008, galette qui se revendait très cher (euphémisme) en occasion sur la toile, nous étions depuis sans nouvelle de L’Homme qui voulait savoir. C’est finalement chez Sidonis Calysta que le film de George Sluizer refait surface, en Combo Blu-ray + DVD + Livret (« La Science des rêves », écrit par Olivier Père – 48 pages) – Édition limitée. Visuel élégant, menu principal animé et musical. Boîtier Digibook limité à 1000 exemplaires.

Alors que le DVD Carlotta films ne proposait que la bande-annonce (également présente sur cette édition), Sidonis Calysta a pu mettre la main sur deux entretiens, tirés de l’édition Criterion de 2014.

Le premier donne la parole à la comédienne Johanna Ter Steege, enregistrée en 2014 (14’). Celle-ci revient sur sa rencontre avec George Sluizer, sur son parcours (elle a été repérée au théâtre et signait ici sa première apparition au cinéma), sa préparation (pendant quatre semaines avec un coach), la psychologie de son personnage (« un papillon, mais à l’aspect sombre »), le travail avec le réalisateur (« un vrai directeur d’acteurs »), la relation difficile avec Bernard-Pierre Donnadieu (« une personnalité très puissante, qui aimait crier et s’imposer […] une situation devenue intenable au bout de trois ou quatre jours, jusqu’à ce que George Sluizer lui parle en privé, suite à quoi tout s’est amélioré »), ainsi que les récompenses et la postérité du film. Des photos de plateau viennent illustrer ce module.

Nous découvrons ensuite une interview de George Sluizer (disparu en 2014), qui pendant près de vingt minutes revient sur son film le plus célèbre de sa carrière. Le réalisateur s’exprimait ici sur son rapport avec les spectateurs (« ça ne me dérange pas de déranger le public, mais pour cela, il fait réfléchir à ce qui est bien et à ce qui est mal »), mais aussi sur le roman et sa collaboration (devenue houleuse) avec l’auteur Tim Krabbé (que Sluizer finira par renvoyer, Krabbé n’étant pas d’accord avec certaines libertés prises par le cinéaste). Le casting, la notion de suspense, les conditions de tournage, la psychologie des personnages, la sortie discrète (« le film est longtemps resté inconnu, pendant plus d’un an, car il ne trouvait pas de distributeur, personne n’en voulait à Cannes non plus »), puis sa découverte, les récompenses dans les festivals, ainsi que les félicitations de Stanley Kubrick lui-même (« qui trouvait L’Homme qui voulait savoir plus effrayant que Shining ») sont aussi les sujets abordés durant ce supplément.

Exclusivité Sidonis, Samuel Blumenfeld donne son avis sur L’Homme qui voulait savoir (37’). On ne sait pas s’il s’agit de fatigue ou de surmenage, mais le critique et journaliste paraît en petite forme en ce moment et cela se ressent dans ses interventions. Si la première partie de ce bonus est plutôt convaincante, en l’occurrence un retour sur la carrière de George Sluizer, on reste un peu plus dubitatif sur l’analyse que livre Samuel Blumenfeld, qui reprend aussi de nombreux arguments avancés par le réalisateur dans son interview. Autant dire que ce supplément n’apporte au final pas grand-chose par rapport à ce qui a déjà été entendu précédemment et sa sur-interprétation de certaines séquences laisse perplexe.

L’Image et le son

L’Homme qui voulait savoir a bénéficié d’une restauration 2K, réalisée à partir du négatif original, issue d’une collaboration entre Eye Filmmuseum (la cinémathèque hollandaise, située à Amsterdam). C’est du moins ce qu’un panneau nous indique avant le début du film, même si l’on peut également penser qu’il s’agit du même master sorti chez Criterion il y a dix ans. En l’état, voici une copie HD, propre et nette. Si la palette de couleurs est relativement monotone, elle respecte en tous points les désirs originaux du chef opérateur. Les contrastes ont été révisés par rapport à l’édition Carlotta, de légères scories demeurent, même si moindre que sur l’ancien DVD, tandis que la texture argentique est préservée et toujours plus prononcée sur les scènes sombres et nocturnes. L’ensemble est stable, les fourmillements aux abonnés absents. Blu-ray au format 1080p.

La piste mono impressionne dès le générique d’ouverture avec une imposante présence musicale mettant en relief les notes de synthétiseur obsédantes d’Henny Vrienten. Non seulement les voix des comédiens sont d’une belle précision mais le travail sonore est idéalement restitué avec de multiples ambiances, douces et vibrantes.

Crédits images : © Sidonis Calysta / Sabrina Piazzi / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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