MORTELLE RANDONNÉE réalisé par Claude Miller, disponible en Édition 2 Blu-ray le 3 décembre 2024 chez Rimini Éditions.
Acteurs : Michel Serrault, Isabelle Adjani, Guy Marchand, Stéphane Audran, Macha Méril, Geneviève Page, Sami Frey, Patrick Bouchitey…
Scénario : Jacques Audiard, Michel Audiard d’après le roman de Marc Behm
Photographie : Pierre Lhomme
Musique : Carla Bley
Durée : 1h58 (version cinéma), 1h36 (version TV)
Date de sortie initiale : 1983
LE FILM
L’Oeil, surnommé ainsi pour ses talents de fin limier, travaille pour l’agence de détectives de Madame Schmitt-Boulanger. Divorcé, il est hanté par le souvenir de sa fille Marie qu’il n’a plus revue depuis sa petite enfance, et cherche désespérément à savoir où elle se trouve sur la seule image qu’il possède d’elle, une photo de classe lorsqu’elle avait huit ans…
Garde à vue ayant été un grand succès public et critique en 1981, Claude Miller a le vent en poupe et devient libre de choisir ses projets. Il jette son dévolu sur le roman Eye of the Beholder – Mortelle randonnée de Marc Behm et confie son adaptation à Michel Audiard et à son fils Jacques. Le réalisateur souhaite prendre le contrepied de son précédent film en voulant tourner aux quatre coins de l’Europe et en misant sur une esthétique sophistiquée. Il engage Pierre Lhomme, directeur de la photographie de Tout feu, tout flamme et Le Sauvage, et bénéficie d’un casting quatre étoiles avec Michel Serrault et Isabelle Adjani en tête d’affiche, accompagnés de Guy Marchand, Stéphane Audran, Macha Méril, Geneviève Page, Sami Frey, Geneviève Page, Patrick Bouchitey et la participation de Jean-Claude Brialy.
Las, comme usé par la vie, Beauvoir (Michel Serrault), surnommé « l’Œil », travaille dans l’agence de détectives de Madame Schmitt-Boulanger (Geneviève Page). Des années auparavant, il avait une vie de famille et une petite fille prénommée Marie mais sa femme l’a quitté, emmenant avec elle leur fille qu’il n’a jamais revue et dont il ne conserve qu’une vieille photo de petite écolière, sans parvenir à se rappeler où elle s’y trouve. À l’occasion d’une enquête, il croise la route de Catherine Leiris (Isabelle Adjani), alias Lucie Brentano, alias Ève Granger, alias Dorothée Ortis, alias Ariane Chevalier, alias Charlotte Vincent, jeune femme instable d’une vingtaine d’années qui assassine et dévalise des hommes fortunés. Catherine change de peau après chaque meurtre. Plutôt que de la dénoncer, « l’Œil » décide de la protéger et il va la suivre dans son périple meurtrier, de Monte-Carlo à Biarritz, en passant par Bruxelles, Rome, Baden-Baden…jusqu’en Seine-Saint-Denis. Sur la route, il croisera un couple mal intentionné, L’Homme pâle (Guy Marchand) et La Dame en gris (Stéphane Audran, enlaidie), qui en veulent visiblement à Catherine.
Mortelle randonnée demeure un film très étrange, qui peut laisser perplexes certains spectateurs à cause de sa complexité et de son intrigue bâtie autour de non-dits et de suppositions par ailleurs non résolues, mais qui ravit toujours autant par son côté inclassable et énigmatique sur lequel plane l’entêtante partition de Carla Bley. Michel et Jacques Audiard livrent un scénario très étrange, que Claude Miller prend à bras-le-corps, en espérant que les spectateurs comprennent tout ce qui se joue derrière cette apparente et banale filature. Mortelle randonnée est un film sur le deuil impossible d’un père pour sa fille décédée. Thème d’autant plus troublant que Michel Audiard et Michel Serrault ont tous les deux perdu un enfant dans un accident de la route. L’audience n’a pas suivi les symboles et les figures de style, certains spectateurs étant même persuadés que Catherine est la fille de L’Oeil. La plupart y ont vu un film long, voire interminable, filmé comme une publicité de parfum de luxe. Pourtant, Mortelle randonnée est peut-être et même sans doute un des plus beaux films français des années 1980 et la photo de Pierre Lhomme demeure sublime, renforçant l’aspect série noire parasitée par un conte macabre, mélancolique et onirique où Isabelle Adjani est magnifiée à chaque plan. Le résultat est fascinant.
Après un tournage prolongé d’un mois et demi et l’explosion du budget initial dû entre autres aux prises de vue réalisées dans des décors naturels et prestigieux, suivi d’un montage chaotique qui finit par opposer Claude Miller et son monteur Albert Jurgenson qui trouvait le film beaucoup trop long, Mortelle randonnée sort sur les écrans le 9 mars 1983. Le film attire un peu plus de 900.000 spectateurs malgré des critiques plutôt froides et même certaines assassines. Mais Mortelle randonnée est considéré comme un échec. A l’occasion de sa première diffusion à la télévision sur Canal+ en 1989, la chaîne demande au producteur Charles Gassot de raccourcir le film d’au moins 25 minutes. Claude Miller confie la tâche à Albert Jurgenson. Ce nouveau montage d’1h35 est celui habituellement diffusé. En 1999, à l’instar de Garde à vue, Mortelle randonnée bénéficie d’un remake (Voyeur) par Stephen Elliott avec Ewan McGregor et Ashley Judd dans les rôles principaux.
LE BLU-RAY
Nous terminons ce cycle Claude Miller chez Rimini Éditions avec la nouvelle mouture HD de Mortelle randonnée. Huit ans après TF1 Studio, Rimini Éditions reprend le flambeau et propose à nouveau Garde à vue, Mortelle randonnée et L’Effrontée en Haute-Définition. À noter que ce dernier et Garde à vue bénéficient d’une nouvelle restauration 4K et sont présentés pour la première fois en Ultra Haute-Définition. Mortelle randonnée est le seul du lot à ne pas jouir d’une sortie UHD. Néanmoins, le visuel s’intègre logiquement et parfaitement dans la continuité et s’avère stylisé à souhait. Les deux versions du film, la version cinéma dite intégrale et celle remontée en 1989 pour la télévision sont cette fois toutes les deux présentées en Haute-Définition. Le menu principal est animé et musical.
Dans un premier temps, Rimini reprend le documentaire rétrospectif de 32 minutes intitulé Sacrée Randonnée : l’épopée d’un film culte coréalisé par Olivier Curchod et Luc Béraud. Ce dernier, collaborateur et ami de Claude Miller, intervient également dans ce module. La réalisation est assez triste, mais les propos tenus ici valent largement le déplacement. Se succèdent à l’écran Nathan Miller (le fils de Claude Miller), le producteur Charles Gassot, Annie Miller (la femme du cinéaste), Nadine Muse (monteuse son), Jacques Audiard (coscénariste), Thierry Chabert (assistant du réalisateur), le directeur de la photographie Pierre Lhomme (disparu en 2019), et surtout Claude Miller lui-même (décédé en 2012). S’il apparaît à travers quelques images d’archives, l’émouvant entretien avec ce dernier a été réalisé par Jérôme Wybon, peu de temps avant son décès.
Chacun revient sur la production houleuse et coûteuse de Mortelle randonnée, les retards et dépassements de budget, les difficultés de tourner aux quatre coins de l’Europe, sans oublier la phase du montage où Claude Miller et le monteur Albert Jurgenson s’opposent sur la durée du film et le résultat final.
Autre supplément repris : Le réalisateur Philippe Le Guay (Les Femmes du 6ème étage, Alceste à bicyclette, Normandie nue, L’Homme de la cave) s’exprime à son tour sur Mortelle randonnée dans un module de six minutes. Le mot qui revient le plus dans cette présentation est « hypnotique », qui donne d’ailleurs son titre à ce segment. Philippe Le Guay, visiblement fasciné par le film, aborde l’esthétique du film de Claude Miller et le jeu des deux acteurs principaux.
Jérôme Wybon a mis les bouchées doubles pour nous retrouver de nouvelles archives liées à Mortelle randonnée.
Les nouveaux suppléments démarrent par une interview de Claude Miller, réalisée pour l’émission Le Monde du cinéma, par Sélim Sasson le 14 avril 1983 (6’). Le réalisateur s’exprime sur la performance de Michel Serrault dans son film, indiquant que « ce qu’on perd en folie, on le gagne en suspense avec lui », quand le journaliste pointe le doigt sur la sobriété du comédien. Le ton à la limite du fantastique, le travail avec Isabelle Adjani et du directeur de la photographie Pierre Lhomme sont aussi abordés.
Le second bonus intitulé intitulé Et il entra dans la photo… (32’), croise les propos de l’écrivain Marc Behm, du coscénariste Jacques Audiard, du réalisateur Claude Miller, du directeur de la photographie Pierre Lhomme et du producteur Charles Gassot, tous revenant sur Mortelle randonnée. Ces entretiens enregistrés en 2007, donnent de nombreuses informations sur la genèse, la production, l’adaptation du roman original, les conditions (très difficiles et exténuantes, un plan de travail impossible à respecter) de tournage et la réception d’abord négative, puis revue à la hausse avec les années de Mortelle randonnée. Certes, beaucoup de propos tenus ici renvoient à ce qui a pu être vu et/ou entendu dans les suppléments précédents, mais il serait dommage de passer à côté, surtout que réentendre la voix de Marc Behm demeure précieux. On y évoque la perte de la fille de Michel Serrault et du fils aîné de Michel Audiard, tous les deux dans un accident de voiture à deux ans d’intervalle, un drame forcément inimaginable, qui a fortement imprégné l’écriture du film pour l’un et l’interprétation pour l’autre. Les intentions de Claude Miller s’éclairent au fil de ce documentaire, ainsi que les partis-pris du chef opérateur. Le cinéaste partage quelques anecdotes, évoque le casting et s’avère toujours un formidable compagnon de route.
Claude Miller est encore une fois de retour dans un autre segment de trois minutes, au cours duquel il parle de sa découverte de la musicienne et compositrice Carla Bley (3’). Il déclare que Bertrand Tavernier lui a fait connaître l’oeuvre de cette artiste, dont il est tombé dingue de La Paloma et d’autres de ses morceaux déjà réunis sur un album, un an ou deux avant d’entreprendre Mortelle randonnée. C’est quand le film prend forme que Claude Miller décide de rencontrer Carla Bley lors d’une de ses venues à Juan-les-Pins pour un festival de jazz, afin de lui acheter les droits de son disque. Celle-ci accepte, à condition de réinterpréter les morceaux, dans les temps souhaités par Claude Miller, puisqu’elle était mécontente du son de son album. L’occasion était donc rêvée pour elle de réparer cette erreur, ce qui manifestement lui tenait à coeur.
Il est justement encore question de Carla Bley (1936-2023) dans le bonus suivant. Il s’agit d’une intervention d’Olivier Desbrosses, journaliste à Total Trax (19’). Ce spécialiste propose un beau tour d’horizon de la carrière de la pianiste, organiste, compositrice et cheffe d’orchestre de jazz américaine. L’enfance, le parcours, les rencontres déterminantes, les plus grandes œuvres, les collaborations, l’évolution du style, les premiers albums de Carla Bley sont au coeur de cette présentation pointue et néanmoins passionnante. Mortelle randonnée, la seule incursion de la musicienne dans le domaine du cinéma (même si l’essentiel des morceaux entendus dans le film étaient déjà sortis) est évidemment abordée, notamment la façon dont certains thèmes appuient une dimension fantastique ressentie au fil de l’histoire.
Enfin, le dernier supplément concocté pour cette nouvelle édition HD de Mortelle randonnée est une intervention de Frédéric Mercier (32’). Comme à son habitude, le journaliste (Positif) et animateur du Cercle sur Canal+ a solidement bossé et propose un solide portrait et une analyse impressionnante de Marc Behm et de son œuvre. Citant quelques extraits de livres de l’écrivain, Frédéric Mercier présente et dissèque les thèmes récurrents, analyse les personnages chers à cet auteur prolifique de la pop culture, avant d’en venir plus précisément à Mortelle randonnée. La « confrontation » entre le monde de Behm et celui d’Audiard est au coeur de ce bonus, l’adaptation passée au crible.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La version intégrale de Mortelle randonnée est une fois plus proposée dans un master HD de très haut niveau, qui permet d’apprécier encore la magnifique photographie de Pierre Lhomme comme il se doit. Bien qu’elles demeurent froides et presque cotonneuses sur les séquences sombres, les scènes extérieures sont les mieux loties avec un relief plus probant, un piqué plus acéré et des détails plus nombreux. Les séquences nocturnes ne sont pas pour autant dédaignées avec une jolie restitution des matières, le grain cinéma est respecté, la copie affiche une stabilité jamais prise en défaut, la copie demeure impressionnante, la restauration est superbe (toutes les scories ont disparu) et les contrastes assurés avec des noirs solides.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono permet à la composition de Carla Bley d’être délivrée avec un coffre impressionnant. Le confort acoustique est ici largement assuré, jamais entaché par un souffle quelconque. La musique, les effets annexes, les voix des comédiens, tout est ici mis en valeur avec fluidité probante. Les sous-titres français pour sourds et malentendants sont également disponibles, ainsi qu’une piste en Audiodescription.
Crédits images : © TF1 Films Productions / TF1 Studio / Rimini Éditions / Captures Blu-ray et Bonus : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr