MAIGRET VOIT ROUGE réalisé par Gilles Grangier, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 4 septembre 2020 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Jean Gabin, Françoise Fabian, Marcel Bozzufi, Paul Carpenter, Michel Constantin, Guy Decomble, Edward Meeks, Ricky Cooper, Vittorio Sanipoli, Paul Frankeur, Paulette Dubost, Jacques Dynam…
Scénario : Jacques Robert & Gilles Grangier, d’après le roman de Georges Simenon.
Photographie : Louis Page
Musique : Michel Legrand & Francis Lemarque
Durée : 1h24
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
Trois hommes à bord d’une Chevrolet tirent sur un Américain en plein Pigalle. Lorsqu’un témoin s’approche pour secourir la victime, celle-ci a disparu, emportée par une mystérieuse DS blanche. Le commissaire Maigret se rend d’abord à l’ambassade des Etats-Unis où un diplomate lui conseille de ne pas s’occuper de l’affaire. Il n’en faut pas plus pour que Maigret voit rouge.
Même s’il avait déclaré qu’on ne l’y reprendrait plus et qu’il ferait ses adieux au personnage dans Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, Jean Gabin se laisse convaincre une dernière fois et reprend la pipe de Jules Maigret pour Maigret voit rouge. Si L’Affaire Saint-Fiacre déboule un peu plus d’un an après Maigret tend un piège, Maigret voit rouge sort quasiment quatre ans jour pour jour après le précédent épisode. Cette fois, Jean Delannoy et même Michel Audiard ont refusé poliment ce troisième et dernier round, préférant laisser la place au réalisateur Gilles Grangier et au scénariste Jacques Robert. N’y allons pas par quatre chemins, si Maigret voit rouge vaut le coup d’oeil, c’est uniquement et une fois de plus pour Jean Gabin, qui semble toutefois fatigué par le commissaire divisionnaire qu’il interprète, comme s’il ne savait plus où l’emmener ou quoi lui apporter. Il y a une envie d’ancrer le personnage de Georges Simenon dans son époque moderne et contemporaine, cela se sent dès l’orchestration composée par les illustres Michel Legrand et Francis Lemarque, mais il se crée un décalage qui ne sied guère à Maigret, d’autant plus que l’histoire manque cruellement d’intérêt. Mais Gabin reste Gabin et la magie opère dès qu’il apparaît à l’écran, qu’il ne se gêne pas de bouffer à chaque apparition et c’est entre autres pour cela qu’on l’aime et qu’on l’aimera toujours.
Un règlement de comptes en plein Paris laisse une victime inanimée sur les trottoirs de Pigalle. L’inspecteur Lognon, second du commissaire Maigret, est témoin de la scène. Il part chercher du secours. Revenu sur les lieux, il doit se rendre à l’évidence : le corps n’est plus là. Le commissaire Maigret est chargé de l’affaire. Seules pistes : les trois hommes à l’origine du coup de feu étaient à bord d’une Chevrolet et la victime a été transportée dans une mystérieuse DS blanche. Le commissaire penche pour un règlement de comptes entre gangsters américains. Mais encore faut-il expliquer pourquoi ceux-ci seraient venus régler leurs affaires dans la capitale française…
Gilles Grangier (1911-1996) et Jean Gabin tourneront douze longs métrages ensemble, de 1953 à 1969, de La Vierge du Rhin à Sous le signe du taureau, en passant par Gas-oil (1955), Le Sang à la tête (1956), Le Rouge est mis (1957), Le Désordre et la nuit (1958), Archimède le clochard (1959), Les Vieux de la vieille (1960), Le Cave se rebiffe (1961), Le Gentleman d’Epsom (1962), Maigret voit rouge (1963) et L’Age ingrat (1964). Un rendez-vous quasiment annuel, très largement plébiscité par les spectateurs puisque ces films attireront au total près de 30 millions de français dans les salles ! Maigret voit rouge est leur antépénultième association et l’on sent que Gilles Grangier et Jean Gabin se sont quelque peu forcés à le faire, surtout que le comédien semble y apparaître un peu plus en pointillés. Le récit se disperse souvent et se focalise un peu trop sur les adversaires de Maigret, des américains « pur jus » ou des italo-américains dont l’un est interprété par Michel Constantin, alors ancien capitaine de l’équipe de France de volley-ball puis champion de France, qui avait fait des débuts remarqués au cinéma quatre ans plus tôt dans Le Trou de Jacques Becker, avant d’interpréter le chef des racketteurs américains dans Un nommé La Rocca de Jean Becker. Sa large carrure et son mètre 85 sont vite remarqués par les cinéastes et Gilles Grangier lui confie à nouveau un rôle d’américain dans Maigret voit rouge, où il ne s’exprime qu’en anglais, par ailleurs doublé par un autre acteur. Michel Constantin est celui qui s’en tire finalement le mieux dans ce troisième épisode au point de voler la vedette à chaque apparition avec son charisme bourru, jusqu’à la dernière confrontation où son personnage fonce dans le tas tel un bulldozer. Une séquence qui n’est pas sans rappeler celle du même acabit dans le merveilleux Il était une fois un flic (1970) de Georges Lautner.
Le titre indique que le commissaire Maigret se retrouve face à une enquête difficile, qui parvient à le faire se départir de son calme habituel. Pourtant, l’ensemble apparaît plan-plan, même si une fois de plus Gilles Grangier parvient à restituer les ambiances du Paris interlope, comme il avait déjà pu le démontrer dans le méconnu Le Désordre et la nuit, soutenu pour cela par la solide photographie du chef opérateur Louis Page. Même s’il y a cette volonté de moderniser le personnage, cette adaptation du roman Maigret, Lognon et les Gangsters, publié en 1952 aux Presses de la Cité, manque d’enjeux. Même s’il avait prouvé précédemment la richesse de sa plume avec Marie-Octobre (1959) de Julien Duvivier et Le Septième Juré (1962) de Georges Lautner, le style du scénariste Jacques Robert s’accorde mal avec celui de Georges Simenon, dont Michel Audiard parvenait à convoquer l’âme, tout en se l’appropriant. Finalement, la meilleure partie du film demeure celle où Maigret, piqué au vif par les réflexions offensantes de ses homologues américains, décide de leur démontrer ce qu’est la police française et d’accélérer les procédures. Mais le rythme en dents de scie n’aide pas beaucoup une intrigue déjà brinquebalante.
Le charisme et le talent des comédiens (Paul Frankeur, Guy Declombe, Jacques Dynam, Françoise Fabian, Paulette Dubost, Marcel Bozzuffi, du lourd quoi) importent le plus finalement dans ce Maigret voit rouge, petit film policier sans prétention, au charme désuet indéniable, mais auquel on lui préférera toujours les deux premiers volets. Les « seulement » deux millions d’entrées du film confirmeront à Jean Gabin l’envie de raccrocher définitivement au placard le complet-veston et le chapeau melon de Maigret.
LE DIGIBOOK
Nous avons été parmi les premiers à parler de Coin de Mire Cinéma il y a de cela près de deux ans. Depuis, nous avons chroniqué les 25 titres sortis sous la bannière de l’éditeur, dont le travail et la passion ont immédiatement séduit les cinéphiles et les adeptes du support physique que nous sommes. Nous voici donc rendu à la cinquième vague de Coin de Mire Cinéma, qui a d’ores et déjà annoncé une trentaine de titres à venir, avec pêle-mêle La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque, La Table aux crevés, Le Grand chef et Le Mouton à 5 pattes de Henri Verneuil, Chiens perdus sans collier de Jean Delannoy, Les Liaisons dangereuses de Roger Vadim, Classe tous risques de Claude Sautet, Le Jardinier d’Argenteuil de Jean-Paul le Chanois, Le Rapace et Dernier domicile connu de José Giovanni, Ho ! de Robert Enrico, La Veuve Couderc et Le Chat de Pierre Granier-Deferre, La Poudre d’escampette et Chère Louise de Philippe De Broca ou bien encore Les Granges brûlées de Jean Chapot…Pour l’heure, cette nouvelle vague comprend Maigret tend un piège (Jean Delannoy, 1958), Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (Jean Delannoy, 1959), Maigret voit rouge (Gilles Grangier, 1963), Les Evadés (Jean-Paul Le Chanois, 1955), Maxime (Henri Verneuil, 1958) et Le Diable et les 10 commandements (Julien Duvivier, 1962). Jusqu’à présent, Maigret voit rouge n’était disponible qu’en DVD chez Studiocanal. Coin de Mire vient d’en acquérir les droits pour intégrer ce titre, ainsi que les deux autres Maigret avec Jean Gabin, à leur prestigieuse collection. Pour connaître toutes les spécificités de ces éditions dites de « La Séance », nous vous renvoyons à notre premier article consacré à Coin de Mire Cinéma https://homepopcorn.fr/test-blu-ray-archimede-le-clochard-realise-par-gilles-grangier/ .Tous les titres de cette collection sont édités à 3000 exemplaires.
L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Gilles Grangier avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction du dossier de presse original, des matériels publicitaires et promotionnels, et d’articles divers. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Le journal des actualités de cette 38è semaine de l’année 1963 (10’), permet un retour sur ce qui faisait la une des infos 25 ans plus tôt, autrement dit la conférence de Munich entre Adolf Hitler et Benito Mussolini. Puis, on passe à l’inauguration de la nouvelle liaison ferroviaire reliant Paris et Bruxelles, où le voyage s’effectue désormais en 2h35. Quelques images ne nous épargnent pas le résultat d’un vol effectué par un « homme-oiseau » qui s’est inévitablement scratché. En Alabama, les étudiants blancs manifestent après l’inscription d’afro-américains à l’université. On y voit également un documentaire troublant sur la rébellion angolaise, alors colonie portugaise, qui lutte (avec notamment des enfants armés) pour l’indépendance, que le pays n’obtiendra finalement qu’en 1975.
Les réclames publicitaires (8’) vont régaler les gourmands avec les spots pour Nuts et Crunch, le tout arrosé de jus de raisin Bendor et d’une clope Gitanes. N’oubliez pas d’aller faire un tour chez Calor histoire d’aller voir leurs nouveaux fers à repasser, mais aussi chez Kodak où toute une nouvelle gamme d’appareils photo Instamatic vous attend ! Et grande découverte que cette publicité pour le stylo Bic Junior avec son slogan étrange « Oh la p’tite boule ! ».
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Maigret voit rouge a été restauré en 4K à partir du négatif original. Force est de constater que nous n’avions jamais vu le film de Gilles Grangier dans de telles conditions. Les contrastes sont très appréciables, les noirs sont profonds. Seul le générique apparaît peut-être moins aiguisé, mais le reste affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens. Avec tout ça, on oublierait presque de parler de la restauration. Celle-ci se révèle extraordinaire, aucune scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’encodage AVC consolide l’ensemble du début à la fin. Ce master très élégant permet de redécouvrir ce troisième et dernier Maigret avec Jean Gabin dans une qualité technique admirable.
Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets. La musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / Maigret voit rouge, réalisé par Gilles Grangier »