
LE VEUF (Il Vedovo) réalisé par Dino Risi, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 16 septembre 2025 chez Tamasa Distribution.
Acteurs : Alberto Sordi, Franca Valeri, Livio Lorenzon, Nando Bruno, Leonora Ruffo, Ruggero Marchi, Gastone Bettanini, Mario Passante…
Scénario : Fabio Carpi, Dino Risi, Rodolfo Sonego, Sandro Continenza & Dino Verde
Photographie : Luciano Trasatti
Musique : Armando Trovajoli
Durée : 1h27
Date de sortie initiale : 1959
LE FILM
Homme d’affaires médiocre et dépensier, Alberto Nardi est marié à Elvira, issue d’une riche famille à la tête d’une fortune conséquente. Alors que les créanciers le harcèlent, son banquier accepte de lui prêter de l’argent uniquement si son épouse prospère le garantit. Mais lassée d’éponger les dettes de son mari, Elvira refuse et Alberto se prend à espérer un prompt veuvage.

Le Veuf, étonnamment plus connu sous son titre original Il Vedovo, est encore aujourd’hui et ce depuis longtemps, considéré comme l’une des plus grandes comédies italiennes. Réalisée par l’immense Dino Risi en 1959, juste après la trilogie Pauvres mais beaux – Beaux mais pauvres – Pauvres Millionnaires. Il Vedovo n’a rien perdu de son mordant et demeure exemplaire. Alberto Sordi, l’« Albertone », comme il est alors affectueusement appelé par ses admirateurs, est de tous les plans et se délecte des savoureux dialogues conçus spécialement pour mettre (sans mal) son talent en valeur, son bagout et sa gestuelle uniques. Face à lui, moins célèbre en France, mais tout aussi populaire de l’autre côté des Alpes, l’actrice Franca Valeri, que certains spectateurs et cinéphiles auront vu dans Le Signe de Vénus – Il segno di Venere quatre ans auparavant, retrouve le cinéaste et s’éloigne de ses rôles de femme timide et renfermée, en incarnant avec délice l’épouse dominante de ce pauvre type, qui sous ses airs de businessman est en réalité un véritable loser qui doit de l’argent à tout le monde. La seule solution qu’il envisage pour se sortir de ses dettes est de liquider sa femme fortunée jusqu’au jour où un accident de train exauce son vœu le plus cher. On le comprend rapidement, tout est ici prétexte pour laisser le champ libre à l’acteur romain. Comme toujours chez Dino Risi, la femme tient tête à l’homme, prêt à toutes les bassesses possibles, afin de concrétiser ses ambitions. Le film est composé de trois parties distinctes de trente minutes chacune, la première mettant en place les personnages et le dilemme d’Alberto, la deuxième étant centrée sur le deuil provisoire, la troisième étant la plus cruelle, celle où le mari décide d’assassiner réellement sa chère moitié grâce à trois acolytes soudoyés pour l’occasion. Une brillante comédie de mœurs, noire, satirique et burlesque, menée à cent à l’heure. Du grand Dino Risi.


Milan, au pied de la Tour Velasca (qui venait d’être livrée), une immense tour de bureaux et d’appartements de luxe : le jeune commendatore Alberto Nardi, élégant et gominé, fait les cent pas au bras de son confident-comptable, le Marquis Stucchi (un homme mûr, effacé et distingué, qui fut le capitaine d’Albert pendant la guerre) en lui racontant son dernier rêve. La scène campe la psychologie d’Alberto : infantile, égocentrique, mégalomane et mythomane, il a épousé par intérêt Elvira, une très riche héritière (sa fortune est évaluée à au moins 1000 millions de lires) qui le domine et dont il rêve de suivre le convoi funèbre…Dans la vie, Alberto, romain d’origine, est un chef d’entreprise de très faible envergure, qui se prend pour un cavaliere d’industrie, mais dont la fabrique d’ascenseurs bat de l’aile : le comptable ne sait pas comment il va pouvoir payer les ouvriers (qui manifestent leur mécontentement) et Alberto doit multiplier les expédients. De plus ses ascenseurs tombent sans arrêt en panne, voire en chute libre… Alberto a pour épouse Elvira, originaire du nord de l’Italie, une très riche femme de tête qui, dotée du sens des affaires et d’une grosse fortune personnelle, connaît le succès et évolue dans une société où Alberto fait pâle figure. Elvira, qui en cinq ans de vie commune a appris à connaître Alberto, ne cache pas le mépris qu’elle éprouve pour son mari, elle refuse de renflouer son affaire, et le laisse se ridiculiser dans le monde. Elle sait qu’il n’aura jamais le courage de la quitter : il profite des miettes de sa fortune, qu’il convoite…Elvira prend le train de nuit pour se rendre chez sa mère, en Suisse, et au matin la nouvelle se répand soudain: le Milan-Zurich a déraillé, la voiture-couchette est tombée au fond d’un lac alpin, il n’y a pas de rescapés. Alberto, persuadé que son épouse est morte et qu’il hérite de sa fortune, joue le veuf inconsolable, et entre en ébullition : il investit à sa fantaisie des sommes considérables…


Quel modèle de scénario ! En plus de Dino Risi, quatre autres auteurs sont crédités au générique, Fabio Carpi (Une poule, un train… et quelques monstres), Rodolfo Sonego (Les Complexés, Qui a tué le chat ?, L’Argent de la vieille), Sandro Continenza (Un Condé, Hercule contre les vampires, La Muraille de feu) et Dino Verde (La Mort marche en talons hauts, Mariti in città), pour au final dresser le portrait d’un homme pleutre, qui n’est autre qu’une radiographie détournée de l’Italie en cette période dite de miracle économique. Alberto Sordi, époustouflant, prodigieux, l’un des plus grands monstres du cinéma italien, n’a pas son pareil pour incarner ce genre de personnage, qui campé par un autre deviendrait vite antipathique, repoussant, irritant. Le comédien n’avait qu’à apparaître pour être immédiatement attachant, pathétique, drôle et pourtant un clown qui n’avait qu’à baisser ses lourdes paupières pour devenir bouleversant. C’est peu dire qu’il est extraordinaire dans Il Vedovo, tourné entre La Grande Guerre – La Grande guerra de Mario Monicelli et La Grande pagaille – Tutti a casa de Luigi Comencini (excusez du peu), dans un rôle dont le nom sonne étrangement similaire au sien.


Tandis que beaucoup galèrent et s’avèrent peu concernés par « il boom », d’autres possèdent un manoir dans le Piémont Italien, roulent en Lancia ou vivent quasiment au sommet du gratte-ciel planté dans le centre de la capitale lombarde. Alberto arrive alors à saturation, d’autant plus que sa femme n’hésite pas à l’humilier en permanence, en l’appelant petit crétin en public. Mais le divorce est impossible (il sera rendu possible dix ans plus tard!) et les deux doivent se supporter envers et contre tout. Alberto passe son temps entre ses affaires peu florissantes et sa maîtresse Gioia (la magnifique Leonora Ruffo, vue dans Destination Planète Hydra, Le Prince esclave, Les Vitelloni). L’étau se resserre sur Alberto, quand soudain l’accident de train va jouer en sa faveur.


Mais nous sommes dans le domaine de la comédie et le retour de bâton est inévitable, surtout si celui-ci est adroitement tenu par des maîtres en la matière. Si nous ne révélerons pas la toute dernière partie du film, la retraite d’Alberto dans un monastère franciscain est aussi un grand moment.


Marqué par une photographie élégante de Luciano Trasatti (La Traite des blanches) et une musique toujours entêtante d’Armando Trovajoli, Il Vedovo reste une référence dans le domaine satirique. Le cinéaste et Alberto Sordi, qui signaient ici leur quatrième collaboration, se retrouveront en 1961 pour Une vie difficile – Una vita difficile, encore plus exceptionnel.


LE COMBO BLU-RAY + DVD
Revoilà Il Vedovo dans les bacs ! Et on ne va pas s’en plaindre, puisque le film de Dino Risi est présenté pour la première fois en Haute-Définition grâce aux bons soins de Tamasa Distribution. Le Veuf était jusqu’à présent disponible en DVD chez M6 Vidéo, dans la collection Les Maîtres Italiens – SNC. Tamasa propose un Combo Blu-ray + DVD, les deux disques étant réunis dans un Digipack à deux volets, aux couleurs typiques de cette anthologie. Le menu principal est fixe et musical.

C’est devenu un rendez-vous que nous apprécions tout particulièrement, celui avec la brillante Aurore Renaut, maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’université de Lorraine (30’30). Dans un premier temps, celle-ci nous parle de Dino Risi (même si elle prononce son nom « Rizzi »), de son parcours, de son arrivée dans le monde du cinéma alors qu’il se préparait à devenir psychiatre. Ce don pour disséquer l’âme humaine sera une de ses grandes armes pour dépeindre ses concitoyens, son pays, au point de faire de lui l’un des maîtres de la comédie italienne. Puis, Aurore Renaut bifurque sur Alberto Sordi, sur sa carrière, ses débuts à la radio, comme doubleur aussi (il est la voix italienne d’Oliver Hardy), jusqu’à son explosion au cinéma où il restera à jamais l’un des « monstres ». Franca Valeri est aussi mise en avant, « actrice à réhabiliter » comme elle le dit à juste titre. Dans une troisième partie, Aurore Renaut en vient plus précisément à Il Vedovo, dont elle dissèque surtout le fond, évoque le contexte social, économique et politique de l’Italie de la fin des années 1950 et explique que l’histoire est inspirée d’un fait réel qui venait tout juste de défrayer la chronique, l’affaire Fenaroli. Cela s’était déroulé à Rome, où une femme avait été retrouvée étranglée dans son appartement. Son époux, Giovanni Fenaroli, à la tête d’une grande entreprise, vivait en réalité à Milan avec sa maîtresse et aurait fait assassiner sa femme par un complice, dans l’espoir de toucher le pactole lié à son assurance-vie.

Tamasa reprend la conversation avec Dino Risi (32’), disponible sur le DVD M6 Vidéo. Le cinéaste, alors âgé de 91 ans et qui allait disparaître cinq mois plus tard, revenait avec malice sur les débuts de sa longue et glorieuse carrière sans oublier sur sa fructueuse collaboration avec « son fétiche » Vittorio Gassman sur une quinzaine de films, ainsi que sur ses associations avec Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni et Nino Manfredi (avec qui il n’a pas vraiment aimé travailler, car il ne le faisait pas rire). Cet entretien passionnant, émouvant et en français est d’autant plus essentiel qu’il abordait plus de cinquante ans de cinéma. Dino Risi y confiait son amour du septième art depuis l’âge de 7 ans, mais aussi qu’il ne s’était pas d’emblée dirigé vers une carrière cinématographique à cause de ses études de médecine. C’est après avoir réussi brillamment ses examens qu’il allait tout plaquer pour se consacrer entièrement au cinéma. Alors bien sûr, vu l’âge du bonhomme l’entretien s’avère ponctué de quelques pauses, mais quel plaisir ! Dino Risi ne manquait pas d’anecdotes truculentes et démontrait qu’il s’était toujours inspiré des gens de tous les jours pour créer ses personnages. Nous avons affaire ici à une véritable leçon de cinéma. Un cinéaste qui déclarait avoir fait des films pour amuser les gens qu’il regardait et qu’il trouvait tristes dans la vie quotidienne. Un homme qui observait ses concitoyens et qui désirait les divertir par l’intermédiaire de son art. Les rapports humains l’inspiraient, les enfants, les rapports sociaux… Rendant hommage à son modèle Billy Wilder, Dino Risi se penchait ensuite sur la comédie « à l’italienne » en évoquant les acteurs phares de ce courant et pour qui les films étaient écrits sur mesure.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Tamasa Distribution ne déçoit pas avec ce master HD (restauré 2K) d’Il Vedovo, avec une image renversante du début à la fin. Le format 1.66 est respecté et le 16/9 offre au film une jeunesse exceptionnelle. Les contrastes sont parfaitement gérés, les gros plans sont d’une belle finesse, les noirs denses et la copie lumineuse. On retrouve également des arrières-plans plus nets que sur l’ancien DVD M6 Vidéo. La copie est fabuleuse et s’avère la plus belle proposée en France à ce jour.

Les quelques grésillements de l’ancienne copie ont disparu. Point de version française, mais une piste italienne qui fait solidement le boulot. La restauration est éloquente, les dialogues (nombreux !) sont clairs, sans fausse note, et la musique yéyé percutante.


Crédits images : © Tamasa / SND (Groupe M6) / Paneuropa / Cine del Duca / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr