LE DERNIER DES JUIFS réalisé par Noé Debré, disponible en DVD & Blu-ray le 24 mai 2024 chez Ad Vitam.
Acteurs : Michael Zindel, Agnès Jaoui, Solal Bouloudnine, Eva Huault, Khalid Maadour, Pierre-Henry Salfati, Redouanne Harjane, Jean-Claude Bolle-Reddat…
Scénario : Noé Debré & Élie Benchimol
Photographie : Boris Lévy
Musique : Valentin Hadjadj
Durée : 1h30
Date de sortie initiale : 2024
LE FILM
Bellisha a vingt-six ans et mène une vie de petit retraité : il va au café, fait le marché, flâne dans la cité… Il vit chez sa mère Giselle, qui sort très peu et à qui il fait croire qu’il est solidement intégré dans la vie active. Le vent tourne quand Giselle s’aperçoit qu’ils sont les derniers juifs de leur cité. Elle se convainc qu’il faut qu’ils partent eux-aussi. Bellisha n’en a pas très envie mais pour rassurer sa mère, il lui fait croire qu’il prépare leur départ.
Petit à petit, Noé Debré se fait un nom dans le cinéma français. Scénariste remarqué depuis une dizaine d’années, ayant collaboré avec Kim Chapiron (La Crème de la crème), Anthony Marciano (Les Gamins), Jacques Audiard (Dheepan), Eric Judor (Problemos), Yvan Attal (Le Brio) et le prometteur Emmanuel Poulain-Arnaud (Le Test, Les Cobayes), il coécrit Stillwater de Tom McCarthy, avant de réaliser la minisérie à succès Parlement pour France TV. Déjà metteur en scène de trois courts-métrages, il passe le cap du long avec Le Dernier des Juifs, dont il signe l’histoire avec Élie Benchimol, film forcément très personnel comme souvent avec une première œuvre. Sorti dans un contexte difficile, houleux, pour ne pas dire « délicat » (avec l’attaque du Hamas contre Israël survenue le 7 octobre 2023), Le Dernier des Juifs ne sera pas parvenu à attirer plus de 200.000 spectateurs. Espérons que ce film drôle, singulier, humaniste, moderne et jamais pathos trouve une seconde chance grâce à sa mise à dispo en DVD, Blu-ray et autres supports, ce qu’il mérite très largement.
À 25 ans passés, Bellisha demeure un éternel adolescent. Gringalet, nonchalant et immature, il est pourtant expert en krav-maga, très demandé sur le marché du travail et doté d’innombrables talents. Du moins c’est ce qu’il fait croire à sa mère Gisèle, chez qui il vit toujours, dans un HLM de cité. Elle sort de moins en moins et, après la disparition de la synagogue puis la fermeture de l’épicerie casher du coin, Gisèle s’inquiète pour l’avenir de son fils : ils sont les derniers juifs de la cité. Pour la rassurer et ne pas bouleverser cette vie insouciante qu’il aime tant, quel mensonge Bellisha va-t-il encore pouvoir inventer ?
Il y a de la poésie dans Le Dernier des Juifs, un humour décalé, un univers singulier, un burlesque assumé qui contraste avec les codes habituels des films dits « communautaires ». Cette comédie douce-amère (pour ne pas dire « à mère ») révèle un comédien étonnant, Michael Zindel, qui était déjà apparu dans deux courts-métrages de Noé Debré, Une fille moderne (2019) et On n’est pas des animaux (2021). Il fait ici sa première apparition au cinéma et tient le premier rôle aux côtés de la merveilleuse Agnès Jaoui, qui se fond dans cet univers, qu’elle connaît pour être née au sein d’une famille juive originaire de Tunisie. Malgré son fond sérieux, Le Dernier des Juifs reste une œuvre positive, sans cesse pertinente, qui ne tombe pas dans le sempiternel film identitaire, en présentant son personnage principal comme un jeune homme (trop) moderne, qui pense avant tout à lui, à sa mère bien sûr, mais aussi à sa copine musulmane (et mariée) avec laquelle il passe du bon temps quand le mari de celle-ci est parti.
On suit donc Ruben Bellisha dans son quotidien (« fier israélite, fleur du judaïsme universel » indique une voix-off), dans lequel il fait bonne figure, essaye de ne pas contrarier sa mère malade, quitte à faire passer du poulet quelconque pour de la volaille casher (il n’ose pas lui dire que leur artisan habituel a mis la clé sous la porte), regarde un Rabbin sur YouTube histoire de ne pas être trop largué dans sa religion. Il raconte aussi des histoires à sa mère (comme un ersatz de Shéhérazade), trouve un petit boulot de vendeur de pompes à chaleur grâce à son cousin Asher, mais un poids immense paraît lui peser sur le corps et le fatiguer dans tout ce qu’il entreprend. Noé Debré colle au plus près de Bellisha, qu’il ne quitte jamais, l’utilisation du cadre spécifique 1/66 l’aidant dans cette démarche, dans ses hésitations, ses peurs. Ne sachant pas si sa mère va s’en sortir, si elle sera encore de ce monde avant de pouvoir partir en Israël (ou à Saint-Mandé, ou encore dans le 17e arrondissement de Paris) et quitter la cité désertée par les Juifs, remplacés par des Africains (même s’il y a des noirs juifs en Israël dit Giselle), Bellisha doit se préparer à affronter le grand monde seul.
Le Dernier des Juifs est un film touchant, universel, qui impose un univers original, celui de son auteur et metteur en scène, d’ores et déjà prometteur et dont on a hâte de découvrir le prochain opus.
LE BLU-RAY
Après son rapide passage dans les salles, Le Dernier des Juifs apparaît en DVD et Blu-ray chez Ad Vitam. Le visuel reprend celui de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.
Si l’on aurait voulu découvrir les trois courts-métrages réalisés par Noé Debré, nous sommes déjà satisfaits de pouvoir visionner Une fille moderne (2019, 29’). Un étudiant en école talmudique fait la rencontre d’une strip-teaseuse lors d’un enterrement de vie de garçon. Une intimité naît entre Nathan, qui ne peut ni voir, ni toucher le corps d’une femme, et Jenny, qui gagne sa vie en donnant son corps à voir et à toucher. Mais la soirée ne va pas se passer comme prévu et chaque participant s’en souviendra probablement toute leur vie. Ou comment Noé Debré signe un remarquable film, haletant, poignant et mélancolique. Grande découverte et génialement interprété.
Nous trouvons ensuite quelques essais en vidéo des comédiens, centrés sur la scène de la formation accélérée de Bellisha par son cousin, pour vendre des pompes à chaleur (4’).
Enfin, l’éditeur livre des interviews croisées de Noé Debré, Michael Zindel et Agnès Jaoui (18’), réalisés visiblement juste après la sortie du film, étant donné que les intervenants s’expriment sur le fait que certains exploitants ont eu peur de sortir Le Dernier des Juifs, en raison du contexte. Noé Debré revient sur son parcours, explique qu’il avait écrit un autre film (« dans le ton de la série Parlement ») et devait le tourner, avant d’avoir l’idée du Dernier des Juifs, qui serait plus simple à monter pour un premier long-métrage. De son côté, l’acteur principal explique s’être inspiré d’Adam Sandler dans Punch Drunk Love, de Mathieu Kassovitz dans Regarde les hommes tomber et de Marcello Fonte dans Dogman de Matteo Garrone, pour créer son personnage, tandis qu’Agnès Jaoui développe un peu la psychologie de Giselle.
L’Image et le son
Ad Vitam soigne le master HD du Dernier des Juifs, avec des contrastes élégants, à part peut-être durant les séquences sombres où l’image paraît plus douce et moins affûtée, mais cela demeure franchement anecdotique. La clarté demeure frappante, le piqué est vif, les gros plans détaillés et la colorimétrie, brute de décoffrage, reste élégante.
Le spectateur a le choix entre une piste Stéréo et une DTS HD Master Audio Digital 5.1. Le Dernier des Juifs repose très souvent sur les dialogues et l’action demeure essentiellement canalisée sur la scène frontale. La musique bénéficie en revanche d’une remarquable spatialisation, les effets latéraux ne sont pas oubliés. S’il ne faut pas s’attendre non plus à des ambiances immersives, les conditions acoustiques sont plus qu’acceptables, y compris pour la piste stéréo qui se révèle riche et percutante. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.