L’ANGE NOIR réalisé par Jean-Claude Brisseau, disponible en combo Blu-ray+DVD le 25 septembre 2019 chez Studiocanal
Acteurs : Sylvie Vartan, Michel Piccoli, Tchéky Karyo, Alexandra Winisky, María Luisa García, Philippe Torreton, Bernard Verley, Claude Faraldo…
Scénario : Jean-Claude Brisseau
Photographie : Romain Winding
Musique : Jean Musy
Durée : 1h39
Date de sortie initiale : 1994
LE FILM
Une femme vient de tuer un homme chez elle. Il s’appelle Wadeck Aslanian. Elle, c’est Stéphane Feuvrier, l’épouse de Georges Feuvrier, un magistrat intègre héritier d’une très grosse fortune. Ils ont une fille de 18 ans, Cécile. Avec l’aide de Fernande, son alliée de toujours qui est à son service, Stéphane organise une mise en scène pour faire croire à une tentative de viol et légitimer son crime…
Cinéphile, Jean-Claude Brisseau (1944-2019), alors professeur de français et d’histoire bourlinguant dans les collèges de la région parisienne, prend la caméra au début des années 1970. Il signe un premier court-métrage en 1973 pour Des jeunes femmes disparaissent, avant de réaliser son premier long métrage, La Croisée des chemins en 1976. Tourné en Super 8, le film est réalisé, produit et photographié par Jean-Claude Brisseau et marque le premier portrait d’un personnage féminin de sa filmographie. Dès son second long métrage Médiumnité (1976), il est remarqué par Maurice Pialat et Eric Rohmer. S’ensuivent plusieurs projets pour la télévision. Mais c’est en 1983 qu’il explose dans le paysage cinématographique avec le redoutable Un jeu brutal, interprété par l’immense Bruno Cremer, avec lequel le cinéaste tournera à trois reprises. S’ensuivent De bruit et de fureur (1988) et surtout Noce blanche (1989), immense succès populaire avec près de deux millions d’entrées, qui vaut à Vanessa Paradis le César du meilleur espoir féminin. En 1992, Céline est un échec au box-office. Il entame alors l’écriture de L’Ange noir, qu’il offre à Sylvie Vartan (la seule et unique fois qu’il écrit pour un/e comédien/ne), persuadé que la chanteuse et égérie du temps des Yéyés est une grande actrice insoupçonnée à qui les cinéastes n’ont pas donné sa chance au cinéma. C’est une révélation. Même si cela restera son unique grand rôle, Sylvie Vartan crève l’écran dans L’Ange noir, variation de La Lettre – The Letter de William Wyler (1940) avec Bette Davis, dans lequel Jean-Claude Brisseau filme sa comédienne – qui rappelle parfois Catherine Deneuve – comme une héroïne hitchcockienne, tout en rendant hommage au cinéma qu’il admire depuis toujours, le film noir américain des années 1940-50. L’Ange noir est un sommet dans l’oeuvre atypique, personnelle, intimiste et unique de son auteur.
Quand Jean-Claude Brisseau réalise un travelling vers le chignon et la nuque de Sylvie Vartan, l’ombre de Vertigo – Sueurs froides n’est pas loin. Même chose, la relation trouble et ambiguë qui unit Stéphane Feuvrier à son avocat Paul Delorme n’est pas sans rappeler le couple formé par Barbara Stanwyck et Fred MacMurray dans Assurance sur la mort – Double Indemnity (1944) de Billy Wilder. Sylvie Vartan, visage fermé, peau diaphane, blondeur évanescente, tout de noir vêtue, à l’exception du plan furtif la montrant en lingerie blanche au tout début du film après le meurtre de Wadeck Aslanian, est magnifiée par le réalisateur, visiblement fasciné par l’ancienne idole des jeunes. Une femme fatale, mais aussi une Hélène de Troie vénéneuse et glaciale qui subjugue tous les hommes qui croisent son chemin et son regard.
Après un premier acte foudroyant et plongeant immédiatement le spectateur au sein d’un récit étrange et étouffant, le film suit l’enquête réalisée par Paul Delorme, interprété par l’impeccable Tchéky Karyo. Les indices livrés par quelques mystérieuses lettres anonymes le conduisent dans la périphérie de Bordeaux, ainsi que dans le 18e arrondissement de Paris, où Jean-Claude Brisseau aura d’ailleurs passé une partie de son enfance. Le passé de Stéphane Feuvrier ressurgit alors.
Jean-Claude Brisseau livre un magnifique objet de cinéma. La photographie de Romain Winding est à se damner avec ses couleurs baroques et ses éclairages luminescents, la mise en scène est élégante du début à la fin et la musique somptueuse de Jean Musy (Clair de femme) donne à L’Ange noir un côté opéra tragique dont le final pourrait décontenancer plus d’un spectateur. Si Jean-Claude Brisseau brise le réalisme par quelques apartés oniriques proches du surréalisme, qui reflètent le fantasme de ses protagonistes, ce qui nous vaut d’ailleurs quelques séquences de jeunes femmes dénudées qui annoncent l’oeuvre à venir du cinéaste, le choix de clore son histoire en ayant recours à un romanesque grandiloquent laisse tout d’abord perplexe. Puis, les éléments se remettent en place, la psychologie des personnages prédomine et finalement se voit refléter par ces partis pris que l’on pensait trop emphatiques.
Entre perversité, manipulations, faux semblants (quand la théâtralité devient le quotidien), la critique de la bourgeoisie est ainsi proche de celle d’un Claude Chabrol, Jean-Claude Brisseau joue avec les clichés d’un genre qui l’a forgé, qu’il affectionne, et qu’il contourne volontiers pour mieux se l’approprier. Un diamant noir.
LE BLU-RAY
L’Ange noir de Jean-Claude Brisseau est le numéro 16 de la collection Make My Day ! dirigée par Jean-Baptiste Thoret et disponible chez Studiocanal. L’ensemble est présenté ici dans un combo Blu-ray/DVD, disposé dans un Digipack, glissé dans un fourreau cartonné. Le menu principal est sobre, très légèrement animé et muet.
Jean-Baptiste Thoret présente tout naturellement le film qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (7’30). Comme il en a l’habitude, le critique replace de manière passionnante L’ange noir dans son contexte et dans la filmographie de Jean-Claude Brisseau, que Thoret qualifie de « cinéaste cinéphile ». La genèse, les références (le film noir américain, Vertigo – Sueurs froides d’Alfred Hitchcock) et les thèmes du film (le désir féminin), mais également la fascination du réalisateur pour Sylvie Vartan (qu’il souhaitait vraiment faire tourner) sont abordés sans pour autant spoiler le film pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore vu. Jean-Baptiste Thoret revient également sur le « rendez-vous manqué » de Sylvie Vartan avec le cinéma. On apprend entre autres qu’elle devait incarner le premier rôle féminin dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard et celui des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy.
Auteur de L’Ange exterminateur : Jean-Claude Brisseau, entretiens (Grasset, 2006), Antoine de Baecque propose un retour sur la carrière du cinéaste, doublé d’une analyse sur L’Ange noir (39’). Nous avons tout d’abord un portrait dressé de Jean-Claude Brisseau (« un ovni dans le cinéma français, un autodidacte complet, un gamin des périph’, un cinéphile fou ») qui a été professeur de français et d’histoire dans le 93, avant d’acheter une caméra et de réaliser ses premiers films. Remarqué par Maurice Pialat et Eric Rohmer, Jean-Claude Brisseau entre discrètement dans le monde du cinéma, dans lequel il ne s’interdira rien. Antoine de Baecque prend le temps d’analyser la trajectoire personnelle du réalisateur, puis se penche sur les thèmes récurrents (le plaisir féminin, la jouissance de la femme) et partis pris de son cinéma. Partagé entre le réalisme et le rêve, Jean-Claude Brisseau n’aura de cesse de vouloir filmer cet entre-deux, entre la matérialité de la société et la sensualité quasi-mystique de ses personnages féminins. Les films du cinéaste sont rapidement passés en revue, jusqu’à L’Ange noir, un « basculement dans l’oeuvre de Brisseau », ainsi que la dernière partie de sa carrière.
L’éditeur joint également un document d’archive, un entretien avec Sylvie Vartan et Jean-Claude Brisseau, réalisé pour l’émission Le Cercle de minuit en 1994, à l’occasion de la sortie du film (16’). Laure Adler pose ses questions à la chanteuse/comédienne et au réalisateur, qui répondent de manière franche, surtout le second, qui n’hésite pas à contredire la journaliste et à montrer son désaccord avec son interprétation. Sylvie Vartan revient sur son personnage, ainsi que sur sa collaboration avec Jean-Claude Brisseau, tandis que ce dernier aborde son rapport à la sexualité et la violence au cinéma, déclare être «chrétien, mais également marxiste et freudien » et évoque les thèmes de L’Ange noir, « un film noir atypique, un film sur la fascination ». Signalons également la présence sur le plateau du réalisateur polonais Krzysztof Kieslowski.
L’Image et le son
Le master HD semble avoir déjà quelques heures de vol, même si l’ensemble est globalement positif. Toutefois, ceux qui auront jeté un œil sur le Blu-ray de Céline chez Gaumont et ceux d’Un jeu brutal, De bruit et de fureur et Noce blanche disponibles chez Carlotta films, force est de constater que la copie présentée ici de L’Ange noir apparaît comme étant la plus sensible. Les partis pris esthétiques du chef opérateur Romain Winding donnent parfois du fil à retordre avec ses éclairages luminescents. C’est d’autant plus visibles sur les sources d’éclairages entourées d’un halo. Cela entraîne quelques fourmillements et une gestion aléatoire des contrastes, ainsi qu’un grain parfois plus appuyé sur les séquences sombres ou/et tamisées. Néanmoins, l’apport HD se fait parfois ressentir, mais sans doute moins que nous l’espérions, d’autant plus que la photo du film est magnifique. La propreté est néanmoins évidente et les détails sont éloquents.
Ce mixage DTS-HD Master Audio 2.0 instaure un confort acoustique suffisant, même si les dialogues paraissent souvent étouffés car murmurés. Ce mixage fait la part belle à la sublime composition de Jean Musy, avec une ardeur jamais démentie. Malheureusement, aucune piste de sous-titres pour les spectateurs sourds et malentendants.