Test Blu-ray / L’Aigle à deux têtes, réalisé par Jean Cocteau

L’AIGLE À DEUX TÊTES réalisé par Jean Cocteau, disponible en Combo Blu-ray + DVD depuis le 16 septembre 2025 chez Rimini Éditions.

Acteurs : Edwige Feuillère, Jean Marais, Silvia Monfort, Jacques Varennes, W. Edward Stirling, Martine de Breteuil, Maurice Nasil, Gilles Quéant, Ahmed Abdallah, Jean Debucourt…

Scénario : Jean Cocteau, d’après sa pièce

Photographie : Christian Matras

Musique : Georges Auric

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 1948

LE FILM

Veuve depuis l’assassinat de son mari, la reine d’un royaume imaginaire vit recluse dans ses appartements, tandis que sa belle-mère cherche à s’emparer du trône. Un jeune anarchiste fait irruption dans sa chambre, décidé à la tuer. Contre toute attente, ils tombent amoureux l’un de l’autre, et décident de reprendre le pouvoir du royaume.

Avec plus de quatre millions d’entrées, La Belle et la Bête, premier long-métrage de Jean Cocteau, récompensé par le Prix Louis-Delluc 1946, est un triomphe aussi colossal qu’inattendu pour son auteur. Difficile donc de prévoir quel sera son second film, l’artiste touche-à-tout trouvant avec ce nouveau médium l’occasion d’explorer, d’inventer, de s’exprimer autrement sur ses obsessions, ses peurs, sa vision de l’humanité. Il jette finalement et rapidement son dévolu sur l’adaptation cinématographique de sa pièce – en trois actes – L’Aigle à deux têtes, grand succès des planches, qui s’est jouée pendant plus d’un an à guichets fermés et ce dès sa création en décembre 1946 au théâtre Hébertot à Paris. Pièce dite « historique », dans laquelle Jean Cocteau s’inspire de la mort de Louis II de Bavière (aka le roi fou) et celle de sa cousine Élisabeth d’Autriche (aka Sissi), L’Aigle à deux têtes était par essence un huis clos centré sur les liens entrecroisés et inévitables entre l’amour et le trépas. Pour sa transposition à l’écran, le dramaturge aère sa pièce en tournant quelques scènes en extérieur, afin de mieux planter son décor principal, celui du château, perdu au milieu de la campagne et dans lequel la reine vit avec le souvenir de son mari, mort le jour de leurs noces il y a dix ans, avant que le mariage ait pu être consommé. Souvent marqué par de (très) longues plages de dialogues et un manque de rythme, L’Aigle à deux têtes fascine par la prestation d’Edwige Feuillère, qui reprenait alors le rôle qu’elle avait campé sur scène. Il en est de même pour Jean Marais, étonnamment plus sobre que dans Les Parents terribles, qui sera pourtant filmé dans la foulée et sortira trois mois plus tard, fin 1948. Si l’engouement ne sera pas le même que pour celui rencontré avec La Belle et la Bête, L’Aigle à deux têtes remporte un beau succès dans les salles avec 2,4 millions d’entrées.

À l’aube du XXe siècle, dans un pays indéterminé (mais qui évoque l’Autriche à l’époque décadente), la reine veuve s’est réfugiée dans les appartements de son château de Krantz. Une lutte de pouvoir s’est engagée avec l’archiduchesse, sa détestable belle-mère. La reine, suivie par son fidèle amoureux transi, le duc Félix de Willenstein, résiste fermement, étroitement surveillée par le comte de Foëhn, le rusé ministre de la police, et cernée par des espions, dont sa lectrice Mademoiselle Edith de Berg, la seule personne à avoir l’autorisation de voir son visage découvert. De plus, sa vie est menacée. Précisément, le poète anarchiste Stanislas, pourchassé par les forces de police, car voulant attenter à la vie de la souveraine, fait irruption chez elle au hasard de sa fuite et tombe évanoui à ses pieds. Passés les premiers émois, la reine ne crie pas à l’aide, ni ne le chasse car Stanislas la trouble par son étrange ressemblance avec le défunt époux, le roi Frédéric, victime d’un attentat terroriste le matin de leurs noces, 10 ans plus tôt. La reine apprend, par la bouche d’Edith, que Stanislas a été envoyé par le comte de Foëhn pour l’assassiner et qu’il est aussi l’auteur d’un poème pamphlétaire, virulent texte dans lequel il dénonce le comportement de la reine. Elle décide néanmoins de le cacher, de le soigner en tant qu’« Envoyé de la Mort » ; elle l’appelle son « Destin ». Stanislas est surpris par cette jeune et belle souveraine qui ne ressemble pas à celle qu’on lui avait décrite et découvre une femme qui a sa propre façon de penser ; il abandonne son sinistre projet et reste dans les appartements royaux, en revêtant les habits du défunt roi. La reine provoque Stanislas en lui montrant un médaillon contenant une capsule de poison, laissant à portée de ses mains un revolver armé et lui dit : « Je vous donne trois jours pour me rendre le service que j’attends de vous… Si vous ne m’abattez pas, je vous abats !». Alors un amour fulgurant, intense et insensé va leur faire vivre trois jours passionnés.

On est tout d’abord subjugué dans un premier temps par la beauté insensée des décors, créés par Christian Bérard, déjà à l’oeuvre sur La Belle et la Bête, dont on reconnaît le style, voulu entre réalisme et imaginaire, puisque comme l’indique un écrit par Jean Cocteau en avant-programme, « Ce film n’est pas de l’histoire, c’est une histoire, une histoire inventée de toutes pièces par l’auteur », place est donc faite ici au romanesque, à la poésie et même à la magie. La photographie de Christian Matras (Adorables créatures, Cartouche, Le Coeur battant, Fanfan la tulipe) éblouit avec ses lumières incandescentes, les costumes, magnifiques, de Marcel Escoffier (Les Misérables, Les Parents terribles), finissent par emporter le spectateur dans un monde « imaginaire », celui du cinéaste. On reste cependant plus touché par la forme que sur le fond.

L’alchimie entre Jean Marais et Edwige Feuillère est indéniable, mais les abondants dialogues sont parfois difficiles à cerner aujourd’hui, rendant la compréhension pesante, longue. Mais l’on suit tout de même le chemin parcouru par ces deux êtres que rien ne prédisposait à mettre face-à-face, si ce n’est leur isolement. Comme le dit la reine à ce jeune homme, « Vous êtes une solitude en face d’une solitude ». Pourtant, Stanislas va redonner goût à la vie à cette reine qui vivait recluse, coupée du monde dans un univers étouffant. Il l’encourage à partir pour la capitale afin de reprendre le pouvoir pour réduire à néant les intrigues de la cour. Mais celles-ci sont redoutables, car le comte de Foëhn, averti par Edith (toujours étonnante Silvia Monfort), est inquiet de la tournure prise par cette relation qui risque de compromettre son projet d’une régence de l’archiduchesse avec lui au gouvernail.

Jean Cocteau, qui a mis beaucoup de sa propre personnalité dans le personnage de la reine, règle ses comptes avec la politique, toujours enlisée dans la conspiration, dans les complots et qui empêche finalement les êtres de circuler librement. La fin ne peut être que fatale pour nos deux protagonistes, qui vont vivre une vie entière en trois jours. La scène la plus célèbre du film, et celle qui avait aussi marqué les esprits de celles et de ceux qui avaient découvert la pièce originale, est sans doute la mort de Stanislas. Empoisonné, le jeune homme, foudroyé, tombe en arrière dans les escaliers, avant de rendre son dernier souffle. Une cascade réellement impressionnante et déjà réalisée par Jean Marais lui-même.

Drame romantique, tragédie, mélodrame politique, L’Aigle à deux têtes vaut pour l’osmose entre les deux têtes d’affiche, à la fois dans le jeu, mais aussi dans la vie. Une union qui sera telle, qu’Edwige Feuillère sera victime d’une crise cardiaque en apprenant la mort de Jean Marais en novembre 1998. La comédienne devait mourir à son tour cinq jours plus tard, le jour des obsèques de son partenaire. Jean Cocteau lui-même n’aurait pas rêvé pareille conclusion.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Après Les Parents terribles hier, nous passons aujourd’hui en revue L’Aigle à deux têtes, qui apparaît dans les bacs chez Rimini Éditions, en Combo Blu-ray + DVD, film qui disposait jusqu’à présent d’une édition DVD, sortie chez TF1 Studio en 2010. Les deux disques reposent dans un boîtier Amaray classique transparent, glissé dans un fourreau cartonné. Le visuel de la jaquette reprend le « style » Cocteau. Le menu principal est animé et musical.

Comme sur Les Parents terribles, nous retrouvons le bonus TF1 Studio, à savoir l’interview de Claude Pinoteau (12’). Deux ans avant sa disparition, le réalisateur de La Boum et de La 7ème cible, revenait sur sa rencontre avec Jean Cocteau, dont il allait devenir l’assistant. Les conditions de tournage de L’Aigle à deux têtes sont évoquées (aucune place à l’improvisation, le texte devait être respecté à la ligne), ainsi que le casting et la réalisation de la cascade de Jean Marais, réalisée sans trucage, ni doublure.

Pour sa propre édition, Rimini, comme pour Les Parents terribles cette fois encore, a demandé à l’excellent Noël Herpe de nous dresser le portrait de Jean Cocteau dans un premier module (11’), puis de nous présenter L’Aigle à deux têtes dans un second (42’). Déjà présent sur les éditions HD du Diable boiteux et Le Comédien, sorties chez Rimini en décembre 2023, Noël Herpe, érudit et fabuleux conteur, retrace tout d’abord le parcours de Jean Cocteau, « artiste total et touche-à-tout, qui excellait dans tous les domaines, un surdoué dans l’art ». Détesté pour ce qu’il était, autrement dit auteur à succès, ouvertement homosexuel, opiomane, auteur renommé, formidable journaliste, Jean Cocteau était selon Noël Herpe, un artiste qui voulait plaire et surtout à ceux à qui il ne plaisait pas. D’où cette volonté de se plonger dans tous les arts, comme s’il était toujours lancé dans une quête permanente de séduction. Les thèmes récurrents de ses créations (la difficulté d’être, la peur de la mort, l’être et le paraître, l’étude psychanalytique et même scientifique des relations) sont aussi abordés au cours du premier bonus.

Le second module, plus conséquent, mais remarquablement préparé, revient sur TOUS les aspects de L’Aigle à deux têtes. La genèse de la pièce de théâtre (née du désir – pour ne pas dire du caprice – de Jean Marais de jouer dans une pièce où il serait muet dans le premier acte, où il pleurerait dans le second, avant de tomber dans un escalier dans le dernier), son écriture, ses premières représentations, le casting, les thèmes (le destin notamment), le succès public et l’accueil essentiellement négatif de la presse, sont les premiers sujets abordés. Puis, Noël Herpe en vient à l’adaptation cinématographique de la pièce (plus longue que le film, qui contient quant à lui quelques scènes en extérieur ajoutées pour le cinéma), avec là aussi les mêmes éléments, les partis-pris et les intentions de Jean Cocteau passés en revue. Les conditions de prises de vue (la robe portée par Edwige Feuillère faisait tellement de bruit, que tous ses dialogues ont été repris en postsynchronisation), l’accueil glacial de la presse, la pérennité du film (qui allait inspirer moult cinéastes comme Pedro Almodovar, Luchino Visconti et Michelangelo Antonioni) sont enfin les derniers points inscrits au programme de cette formidable et riche intervention.

L’Image et le son

Belle restauration 4K, qui ne peut toutefois pas rivaliser avec d’autres liftings numériques et photochimiques du même acabit, puisque celui de L’Aigle à deux têtes a été réalisé par Hiventy à partir de deux marrons nitrates. La stabilité de l’image est nette, tout comme la propreté de la copie, indéniable et n’ayant laissé aucune poussière passer à travers les mailles du filet. C’est la gestion des contrastes qui est parfois aléatoire, ou moins équilibrée que si la restauration avait été effectuée via les éléments originaux. Les blancs sont lumineux, trop sans doute, les noirs denses (certains diront même bouchés), mais les scènes tamisées ou sombres, perdent en détails. Le reste du temps, le piqué est affûté et les décors peuvent être analysés sous tous les angles.

Le mixage privilégie la musique légère, solennelle, dramatique, majestueuse, mélancolique, douce et oppressante de Georges Auric. Cependant, un souffle se fait souvent entendre, le volume des dialogues est parfois hasardeux, certains échanges étant même chuintants. Le confort acoustique est un peu plus probant que pour Les Parents terribles, avec des passages plus clairs et nets, surtout sur les scènes en extérieur. Présence de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi que d’une piste Audiodescription.

Crédits images : © Rimini Éditions / Studio TF1 / Pathé Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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