Test Blu-ray / Le Comédien, réalisé par Sacha Guitry

LE COMÉDIEN réalisé par Sacha Guitry, disponible en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus le 5 décembre 2023 chez Rimini Editions.

Acteurs : Sacha Guitry, Lana Marconi, Pauline Carton, Jacques Baumer, Robert Seller, José Noguéro, Maurice Teynac, Léon Belières, Simone Paris…

Scénario : Sacha Guitry, d’après sa pièce

Photographie : Nikolai Toporkoff

Musique : Louis Beydts

Durée : 1h36

Année de sortie : 1948

LE FILM

La vie romancée de Lucien Guitry par son fils Sacha…Lucien se prend de passion pour le théâtre dès l’enfance et fait ses débuts sur scène à dix-sept ans. Il triomphe dans tous les grands rôles du répertoire. Les difficultés commencent lorsqu’il s’éprend d’une jeune fille qui décide de devenir à son tour comédienne.

« Sacha Guitry, pourquoi avez-vous fait Lucien Guitry ? » demandait un journaliste au dramaturge quand son film s’intitulait encore ainsi. Ce à quoi ce dernier aurait répondu « Parce-que Lucien Guitry m’a fait ». À l’origine du Comédien, sorti en 1948, il y a un livre, Lucien Guitry raconté par son fils, puis une pièce Le Comédien, et finalement un film, comme un hommage ultime rendu à Lucien par Sacha, qui pour le coup endosse les deux rôles dans ce long-métrage. S’il commence comme un véritable documentaire centré sur l’enfance du personnage principal, Le Comédien bifurque rapidement vers la reconstitution en narrant les origines de la passion du théâtre de son père, qui préférait apprendre les pièces les plus célèbres, plutôt que ses leçons d’arithmétique. Le Comédien convoque une troupe d’acteurs exceptionnels (dont la fidèle Pauline Carton), qui gravitent tous autour du noyau central représenté par le maître en personne, maniant le sarcasme et l’ironie comme personne d’autre à son époque. Le Comédien est une œuvre irrésistible, marquée constamment par de fabuleuses répliques, le tout doublé d’une déclaration d’amour d’un fils pour son père, qui le ressuscite pour toucher sa main une dernière fois grâce à l’artifice du septième art, pour converser avec lui, pour lui signifier qu’il sera toujours présent chaque seconde. Et c’est superbe.

Sacha Guitry se replonge dans sa mémoire et dans ce qu’il connaît des archives familiales pour évoquer la figure de son père, Lucien Guitry, comédien de théâtre renommé. Il évoque d’abord la vie du père de l’acteur, avant d’évoquer l’enfance parisienne de Lucien, qui encore jeune garçon, ramène de terribles carnets de notes à ses parents, car il est déjà plus préoccupé par le théâtre que par ses leçons. Au lieu d’aller en cours, il passe des après-midis au 56 rue de Rome, dans un cabinet de lecture, où il dévore des pièces de théâtre qu’il apprend par coeur.

« Le plus grand comédien de son temps, cela ne fait aucun doute pour personne » indique d’emblée Sacha Guitry en voix-off quand il évoque Lucien, son père donc. Si personne ne mettra sa parole en doute, cela reste sans doute à prouver, mais quand on aime…Après une première partie rapide montrant Lucien enfant, s’éprendre des grands auteurs, avalant les pièces de théâtre les unes à la suite des autres, tout en apprenant les textes, un montage montre Lucien devenir celui que son fils nous a décrit dans les premières secondes du récit, jusqu’à ce qu’on le retrouve lors de la dernière d’une pièce, un vaudeville, alors qu’il est âgé d’une soixantaine d’années. C’est dans sa loge, où aura lieu quasiment la moitié du métrage, que Lucien Guitry s’exprime sur son art, sur son rapport au public, dit ce qu’il pense réellement du jeu de ses partenaires en les regardant dans les yeux (en gros, « vous n’êtes pas bons »), tout en apprenant que la nièce d’un ami s’est éprise de lui en allant le voir jouer à plusieurs reprises et qu’elle espère le rencontrer. Flatté, forcément, surtout qu’il s’agit d’une jeune femme de trente ans sa cadette (Lana Marconi, alors la vraie compagne du réalisateur), Lucien entreprend de la séduire par orgueil, comme s’il était lui-même toujours en représentation, comme s’il n’existait aucune limite entre le jeu et la réalité. Jouer, toujours jouer, puisque le théâtre est la vie.

À la fois biopic, documenteur, théâtre filmé (les lieux de l’action sont très limités), mais pas seulement (car nous sommes ici au cinéma et Sacha Guitry explorait encore intelligemment la grammaire de cet art), Le Comédien est un film sur la transmission, sur les leçons retenues par un fils, sur les références que ce dernier a su et dû digérer pour mener sa propre barque, tout en devant accepter les frasques avec les femmes de celui qui lui a donné la vie, Lucien Guitry étant montré ici comme un véritable Don Juan. Sacha Guitry se délecte à jouer son père, en mettant dans sa bouche des dialogues bourrés de sous-entendus, hautains, misogynes, parfois tendres et émouvants, comme s’il voulait à ce moment précis réentendre la voix de Lucien Guitry disparu une vingtaine d’années auparavant.

On suit avec passion et un sourire non dissimulé cette biographie d’un monstre sacré du théâtre français, dont chaque respiration était dédiée à la scène et donc au public. L’amour est quoi qu’on en dise au centre du Comédien et c’est sans doute pour cela qu’il s’agit encore aujourd’hui d’un des films les plus attachants et accessible de son auteur.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

En décembre 2023, Rimini Editions déroule le tapis rouge à Sacha Guitry, en proposant deux de ses films dans de superbes moutures collectors, Le Comédien et Le Diable boiteux, tous les deux de 1948. Le Comédien, anciennement disponible chez LCJ Editions & Productions, est désormais présenté en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus, les trois disques étant placés dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. Le menu principal de l’édition HD est animé et musical.

L’éditeur est allé à la rencontre de Noël Herpe, historien du cinéma, que nous connaissions pour avoir été le commissaire de l’exposition Le mystère Clouzot à la Cinémathèque Française, qui propose ici un formidable retour sur Le Comédien de Sacha Guitry (30’30). Un long et passionnant entretien, qui replace brillamment le film qui nous intéresse aujourd’hui dans la carrière prodigieuse de son auteur, « à un moment un peu charnière ». Noël Herpe revient sur la genèse de ce long-métrage, sur la relation personnelle et professionnelle de Lucien et Sacha Guitry, sur la personnalité du père du comédien-auteur-réalisateur, sur les différents aspects du film (célébration du père, la difficulté de la transmission, la mise en abyme, comment réussir à devenir un autre, comment le cinéma peut ressusciter le passé et les disparus). Noël Herpe met aussi en relief, le fait que Sacha Guitry détestait le cinéma et démontrait ici la liberté, la désinvolture et la volonté du dramaturge à ne pas sacraliser ce qu’il considérait avant tout comme un divertissement.

Lors de la restauration, il a été découvert un générique comprenant un titre alternatif, Place au théâtre ! Lucien Guitry raconté par son fils. Il est ici restitué (2’15).

Nous trouvons ensuite un montage composé d’essais, ou plutôt de répétitions des comédiens (9’30). L’occasion d’apercevoir les différents claps et Sacha Guitry dire « Coupez » à plusieurs reprises.

Ne manquez pas l’interview de Raphaëlle Moine (qui selon le carton en introduction, aurait été enregistrée en juillet 2027, ce qui est rectifié à la fin), professeure en études cinématographiques à l’université Sorbonne Nouvelle (22’). Après avoir raconté sa découverte du cinéma de Sacha Guitry (à l’occasion d’une projection du film Le Roman d’un tricheur), l’invitée de Rimini Editions propose de faire la distinction entre le cinéma et le théâtre filmé, ou comment le réalisateur a su s’emparer du septième art pour prolonger l’art de la scène, tout en proposant une réflexion sur ce sujet. Ensuite, Raphaëlle Moine s’exprime sur le rapport de Sacha Guitry avec les femmes, l’auteur ayant été marié pas loin d’une demi-douzaine de fois et ayant fait jouer ses compagnes, à l’instar d’Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geveniève de Séréville et Lana Marconi (cette dernière étant à l’affiche du Comédien). Chaque épouse de Sacha Guitry, correspond à une période spécifique de son existence, mais aussi de son art, chacune étant représentative d’un nouveau courant exploité par le dramaturge, même si les deux périodes charnières de sa carrière demeurent l’avant et l’après guerre. C’est après la Seconde Guerre mondiale que l’art de Sacha Guitry se fait selon-elle plus amer, cynique et désabusé. Enfin, l’intervenante évoque la mince frontière qui existait alors entre la vie privée et la scène, entre l’écran et la vie mondaine, quand Sacha Guitry dirigeait celle à laquelle il avait passé la bague au doigt.

Vous pensiez avoir fait le tour des interviews mises à disposition par Rimini ? Détrompez-vous, les bonus continuent. On part à la rencontre de Nicolas Pariser, réalisateur d’Alice et le maire (qui a valu le César de la meilleure actrice à Anaïs Demoustier en 2020), ancien étudiant en droit, en philosophie, en histoire de l’art et du cinéma. Critique pour le cinéma au magazine Sofa et travaillant aux côtés de l’éminent Pierre Rissient, Nicolas Pariser se penche à son tour sur le cinéma de Sacha Guitry et plus particulièrement sur Le Comédien (31’30). Les rapports du dramaturge avec le septième art (qui selon-lui avait fait peur à Sacha Guitry, qui voyait comme une concurrence dans cette nouvelle forme de divertissement de masse), le premier court-métrage du réalisateur (Ceux de chez nous, disponible sur cette édition), l’avènement du parlant (« Sacha Guitry a alors senti que la donne changeait »), la carrière de Sacha Guitry dans les années 1930, l’inventivité de son cinéma (et dans sa direction d’acteurs), son regain de popularité grâce à François Truffaut, avant de retomber dans un certain oubli, avant d’être à nouveau célébré dans les années 1990. La pérennité du cinéaste est enfin largement abordée dans la dernière partie.

Noël Herpe fait son retour pour nous parler de Ceux de chez nous (20’30 + 7’30 de présentation), court-métrage (proposé dans sa version originale muette) réalisé par Sacha Guitry en 1915, au cours duquel le dramaturge capture tout simplement les grandes personnalités françaises encore en vie à cette époque, entre autres Claude Monet (dans sa propriété de Giverny), Auguste Rodin, l’avocat Henri-Robert, le pianiste Camille Saint-Saëns, Anatole France, Auguste Renoir, l’écrivain, critique d’art et journaliste français Octave Mirbeau, Edmond Rostand, Sarah Bernhardt, Edgar Degas. À noter que près de trente ans plus tard, Sacha Guitry devait revenir à ce film pour en faire une version sonorisée avec un commentaire écrit et interprété par lui-même, en y ajoutant des plans de son père Lucien. Au début des années 1950, Ceux de chez nous était à nouveau remanié pour durer près de 45 minutes, en étant agrémenté cette fois de plans sur Sacha Guitry lui-même, commentant le film dans son bureau.

Aucune trace du module intitulé La Restauration, indiqué sur le verso du Digipack.

L’Image et le son

Le Comédien n’avait sûrement jamais été présenté dans de telles conditions. Les contrastes affichent d’emblée une densité vraisemblablement inédite, les noirs sont profonds, la palette de gris riche et les blancs lumineux. Seul le générique apparaît peut-être moins aiguisé, mais le reste affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens. Avec tout ça, on oublierait presque de parler de la restauration 4K du film, réalisée à partir du négatif image nitrate, d’un marron nitrate, les travaux numériques et photochimiques ayant été réalisés par le laboratoire Hiventy. Celle-ci se révèle extraordinaire, aucune scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’encodage AVC consolide l’ensemble du début à la fin, le relief des matières est palpable. La photo est resplendissante et le cadre, au format respecté, brille de mille feux. Un master très élégant.

La partie sonore a été restaurée numériquement. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets. Si quelques saturations demeurent inévitables, la musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © UCIL / TF1 Studio / Indivision Aubart, ayants droits Sacha Guitry / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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