L’ABBÉ PIERRE: UNE VIE DE COMBATS réalisé par Frédéric Tellier, disponible en DVD & Blu-ray le 7 mars 2024 chez M6 Vidéo.
Acteurs : Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz, Antoine Laurent, Alain Sachs, Leïla Muse, Malik Amraoui, Chloé Stefani…
Scénario : Frédéric Tellier & Olivier Gorce
Photographie : Renaud Chassaing
Musique : Bryce Dessner
Durée : 2h18
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.
Était-ce bien raisonnable ? 35 ans après Hiver 54, l’abbé Pierre de Denis Amar, grand succès de l’année 1989 avec plus d’1,6 million d’entrées, qui vaudra à son interprète Lambert Wilson d’être récompensé par le prix Jean-Gabin et d’être à nouveau nommé aux César, le cinéma français s’empare de l’histoire du célèbre prêtre. Cette fois, il s’agit de toute sa vie passée au crible dans L’Abbé Pierre : une vie de combats, un vrai biopic donc, tourné avec un budget confortable de 15 millions d’euros, pour passer en revue sept décennies, en gros de 1937 (quand l’abbé a 25 ans) jusqu’à sa mort en janvier 2007. À la barre, l’excellent Frédéric Tellier, révélé en 2014 avec L’Affaire SK1, qui a ensuite largement confirmé avec Sauver ou périr quatre ans plus tard et Goliath en 2022. Mais L’Abbé Pierre : une vie de combats ne fonctionne malheureusement pas et tombe dans le piège de la page Wikipédia illustrée, comme bon nombre de films du genre. S’il n’y a évidemment rien à redire sur la prestation de Benjamin Lavernhe, comme d’habitude parfait, c’est tout le reste qui peine à convaincre, ennuie et ce n’est pas l’absence de rythme qui aide à aller au bout de ces très longues 135 minutes. Les spectateurs ont été peu enthousiastes face à ce drame « historique », le film ayant fait ni plus ni moins deux fois moins d’entrées qu’Hiver 54. Un échec on ne va pas dire « mérité », mais tout du moins peu étonnant.
Élevé dans le catholicisme dans une famille bourgeoise, Henri Grouès est déterminé à devenir prêtre malgré son renvoi du couvent des Capucins de Crest. La Seconde Guerre mondiale va l’en empêcher. À la tête d’un régiment, il est longuement hospitalisé durant la guerre. Il entre ensuite dans la Résistance tout d’abord en aidant les réfractaires au Service du travail obligatoire. Il y fait la connaissance de Lucie Coutaz, qui lui donne le nom d’Abbé Pierre. Pendant la guerre, il voit l’horreur de la guerre et perd un ami au front. Jusqu’à sa mort en 2007, il va mener de nombreux combats, comme s’il avait de nombreuses vies. Il lutte pour aider les sans-abris et fonde notamment la communauté Emmaüs en 1949.
Franchement, depuis qu’on l’a découvert en mec lunaire dans le génial Radiostars de Romain Levy en 2012, nous n’avons jamais vu Benjamin Lavernhe mauvais et ce même si les films n’étaient pas forcément réussis comme La Marche, Un beau dimanche, Le Goût des merveilles, Jeanne du Barry…mais dans l’ensemble, le comédien et pensionnaire de la Comédie–Française choisit on ne peut mieux ses projets. C’est bien simple, hormis les rares films mentionnés, c’est un quasi-sans faute. Elle l’adore, Comme un avion, Le Sens de la fête, Antoinette dans les Cévennes, Les Choses humaines, Le Sixième enfant et bien d’autres, l’acteur y a brillé systématiquement, même comme second ou troisième couteau. Avec L’Abbé Pierre : Une vie de combat, il porte cette grosse production sur ses épaules, jusque sur l’affiche qui reflète la dimension mystique de son personnage. D’autres y verront une parodie de la célèbre photographie de George A. Romero entouré de zombies, qui a vraisemblablement inspiré son auteur.
Non, la grande question qui se pose est comment peut-on encore faire ce genre de biopics dans les années 2020 ? En toute honnêteté, on frôle le nanar à de nombreuses reprises (la « résurrection » après le naufrage…), le réalisateur Frédéric Tellier, habituellement très inspiré, est ici complètement à côté de la plaque en faisant de son personnage principal un vrai super-héros, tout en s’amusant avec son étalonnage numérique artificiel, en emmenant le prêtre en haute-montagne, où il se prend pour Peter Jackson en plagiant un plan du Seigneur des Anneaux. Il faut s’armer de courage pour arriver au bout de cette hagiographie (impression renforcée par l’utilisation récurrente des lentilles photographiques lensbaby, qui créent un flou autour du prêtre) où l’on sent que même le metteur en scène en a ras le bol et ne sait pas comment terminer tout cela. En électrocutant l’Abbé dans sa baignoire (il le montre comme une vraie rock-star prenant des amphétamines et même en faisant l’amour à une jeune fermière dans les années 40) ? Cela a déjà été fait. En lui faisant chanter Non, je ne regrette rien ? Non, ça a déjà été pris.
Benjamin Lavernhe, qui avait précédemment collaboré avec Frédéric Tellier sur L’Affaire SK1, impressionne, même s’il fait ce qu’il peut pour plier son mètre 90 et déclare faire 1m65. Mais on ne comprend pas pourquoi celui-ci croule sous le maquillage (assez dingue, créé par les artistes de l’atelier CLFSX de Montreuil, déjà à l’oeuvre sur Le Règne animal) dans la dernière partie, alors que sa partenaire Emmanuelle Bercot, dans le rôle de Lucie Coutaz, secrétaire de l’abbé Pierre de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort, ne bouge pas du tout en cinquante ans alors qu’elle est plus âgée que le prêtre. Ah oui, le décès de l’Abbé Pierre justement, c’est quelque chose aussi. Vous connaissez Stargate ? Sachez que l’Abbé prend pour ainsi dire le même portail. Nous n’en dirons pas plus. La musique boum-boum et OMNIPRÉSENTE de l’américain Bryce Dessner (Nos âmes d’enfants, Irrésistible, The Revenant) n’arrange rien et enfonce le clou à de nombreuses reprises, là où il aurait sans doute fallu un peu plus de « légèreté ». Un échec artistique donc.
LE BLU-RAY
Après avoir attiré un peu plus de 800.000 spectateurs dans les salles (c’est assez peu compte tenu de l’entreprise), L’Abbé Pierre : Une vie de combats débarque en DVD et Blu-ray chez M6 Vidéo. La jaquette, glissée dans un boîtier classique de couleur bleue, reprend le visuel de l’affiche d’exploitation. L’ensemble repose dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical. À noter l’existence d’une édition collector, comprenant entre autres le DVD, le Blu-ray et le DVD d’un documentaire inédit et exclusif intitulé Les Combats de l’Abbé Pierre (45’).
On démarre la section des bonus par quelques interviews regroupées dans un même module (18’). Les huit premières minutes donnent la parole à Laurent Desmard, président d’honneur de la Fondation Abbé Pierre et secrétaire particulier de l’abbé pendant 15 ans. Celui-ci revient avec beaucoup d’émotion sur ses souvenirs liés à celui qu’il fréquentait et voyait comme son grand-père, avouant que le film lui a mis les larmes aux yeux. Laurent Desmard évoque l’origine du projet de Frédéric Tellier, sa collaboration avec le réalisateur et Emmanuelle Bercot qui disposait alors de très peu d’archives concernant son personnage. Ensuite, nous découvrons Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot et Frédéric Tellier, réunis pour la promotion de L’Abbé Pierre : Une vie de combats. L’occasion pour eux de parler des conditions de tournage (l’acteur devait subir six heures de maquillage pour les scènes du prêtre dans la dernière partie de sa vie), l’approche de leurs rôles respectifs, les partis-pris et les intentions d’un tel projet.
L’éditeur propose ensuite plus d’une demi-douzaine de scènes coupées au montage (22’30). Des séquences pourtant intéressantes, certaines étant même nettement plus réussies que la plupart de celles conservées pour l’exploitation du film dans les salles. On retiendra notamment l’évasion de Jacques De Gaulle, frère cadet de Charles, durant la Seconde Guerre mondiale par l’Abbé Pierre et ses amis résistants, ainsi qu’une longue scène éprouvante durant laquelle Georges Legay (Michel Vuillermoz) raconte son histoire à l’Abbé Pierre et Lucie Courtaz. Une autre scène amusante montrait l’Abbé Pierre participer à un jeu radiophonique, durant lequel il remportait le gros lot…avant de confier à ses compagnons d’Emmaüs que le jeu avait été truqué pour qu’il puisse gagner.
L’Image et le son
Après un semi-succès dans les salles, M6 Vidéo prend soin de L’Abbé Pierre : une vie de combats pour son arrivée dans les salons et en Haute Définition. Un master HD quasi-irréprochable au transfert immaculé. Respectueux des volontés artistiques originales, la copie se révèle un petit bijou technique alliant des teintes chaudes dans la première partie avec des teintes plus froides à mesure que l’on se rapproche de l’hiver 54, le tout soutenu par un encodage AVC de haute volée. Le piqué, tout comme les contrastes, sont riches et tranchants. Les gros plans sont ciselés à souhait (les maquillages sont bluffants), la colorimétrie est joliment laquée, le relief très présent. Un service après-vente remarquable et élégant.
Le mixage DTS-HD Master Audio 5.1 convient parfaitement à un film comme celui de Fréderic Tellier, notamment en raison de l’omniprésence de la composition de Bryce Dessner. Les spectateurs sont systématiquement plongés au milieu d’ambiances naturelles ou musicales. Les effets latéraux sont probants, les basses sont utilisées à bon escient. Si les dialogues auraient également mérité d’être plus ardents sur la centrale, le confort acoustique est indéniable, la balance frontale saisissante. La piste DTS-HD Master Audio 2.0 se révèle également dynamique, percutante même, créant une véritable homogénéité entre les dialogues, la musique et les effets. Pour finir, nous disposons d’une piste Audiodescription ainsi que des sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.