
LA QUEUE DU SCORPION (La Coda dello scorpione) réalisé par Sergio Martino, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : George Hilton, Anita Strindberg, Alberto de Mendoza, Janine Reynaud, Luis Barboo, Tom Felleghy, Lisa Leonardi, Tomás Picó, Ida Galli, Luigi Pistilli…
Scénario : Ernesto Gastaldi
Photographie : Emilio Foriscot
Musique : Bruno Nicolai
Durée : 1h35
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Suite au décès de son mari, Kurt, dans l’explosion d’un avion, Lisa Baumer hérite d’un million de dollars qu’elle ne pourra toucher qu’en quittant Londres pour se rendre à Athènes. Sur place, elle est suivie par Peter Lynch, dépêché par la compagnie d’assurances, ainsi que par John Stanley, un policier. Peu après, la riche héritière croise la route d’une ex-maîtresse de son mari, Lara Florakis. Flanquée de Sharif, son homme de main, celle-ci lui réclame la moitié du pactole, sous peine de représailles…

C’est on peut le dire la plus grande période de la carrière éclectique et prolifique de Sergio Martino (né en 1938), puisque La Queue du scorpion – La Coda dello scorpione (1971) prend place entre L’Étrange Vice de madame Wardh – Lo Strano vizio della Signora Wardh et Toutes les couleurs du vice – Tutti i colori del buio. Nous sommes donc en plein giallo, genre qui fait habituellement fuir les critiques de cinéma et qui remplit pourtant les salles. Point d’Edwige Fenech au générique, pour cause d’heureux événement à venir, la magnifique actrice a dû laisser sa place à sa consœur suédoise Anita Strindberg, précédemment à l’affiche du Venin de la peur – Una lucertola con la pelle di donna de Lucio Fulci et qui en l’espace de trois ou quatre ans marquera les esprits en enchaînant Qui l’a vue mourir ? – Chi l’ha vista morire? d’Aldo Lado, Tropique du Cancer – Al tropico del cancro de Gian Paolo Lomi et Edoardo Mulargia et L’Antéchrist – L’Anticristo d’Alberto de Martino, pour ne citer que ceux-là et c’est déjà pas mal. Sergio Martino et Anita Strindberg, qui se retrouveront tout de suite après pour le légendaire (c’est toujours un plaisir d’écrire ce titre) Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé – Il tuo vizio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave, tournent La Queue du scorpion, thriller italo-espagnol, avec une petite touche de moussaka et de pudding, le film allant se faire voir chez les grecs dans la seconde partie et de l’autre côté de la Manche pour deux ou trois scènes ajoutées en raison d’une durée jugée trop courte pour l’exploitation du film. La Queue du scorpion est un parfait représentant du giallo avec son intrigue « tarabiscotée » (rien de péjoratif ici), ses femmes fatales, ses beaux gosses ténébreux, son tueur masqué, vêtu de noir, l’arme blanche empoignée par une main endossée d’un gant en cuir, ses victimes passant de vie à trépas dans d’atroces douleurs et le plus souvent dans un bain de sang bien rouge ketchup ou sauce barbecue si la lame atteint le foie. Le spectacle demeure total, excellemment mis en scène par des plus grands et habiles artisans en la matière. Une vraie référence non usurpée.



Après la mort de son mari Kurt dans un accident d’avion, Lisa Baumer reçoit un million de dollars qu’elle doit récupérer à Athènes, en Grèce. L’ex de Lisa, Philippe, la harcèle et exige un paiement. Lorsqu’ils se rencontrent, elle trouve Philippe mort et s’enfuit pour prendre son vol vers la Grèce. L’expert en assurances Peter Lynch est engagé pour filer Lisa afin de confirmer la légitimité du paiement. Il rencontre Lisa lorsque sa couverture est découverte à l’hôtel. La maîtresse de Kurt, Lara Florakis, et son homme de main, Abad Sharif, suivent également Lisa. Ils la coincent dans un théâtre abandonné et tentent de récupérer l’argent, mais Lisa s’enfuit. Ils essaient de la capturer, mais Lynch l’aide à s’échapper. Une fois que Lisa a reçu l’argent, elle s’arrange pour rencontrer son amant à Tokyo. Cependant, un tueur masqué s’introduit dans la chambre d’hôtel de Lisa…


On arrête là pour ceux qui ne connaissent pas le film. Si vous l’avez déjà vu, apprécié, décortiqué, vous pouvez donc aller à la fin de ce paragraphe, et pour les autres, si vous ne voulez pas en savoir plus pour le moment, rendez-vous au pavé suivant. Le fameux assassin au visage voilé finit par tuer Lisa. Un choc pour le spectateur, puisqu’on s’attendait à ce que l’actrice Ida Galli (L’Emmurée vivante, Exorcisme tragique, Les Sorcières du bord du lac) soit l’héroïne du film. Sergio Martino nous refait le coup d’Hitchcock, qui tuait Janet Leigh au premier tiers de Psychose. L’argent est dérobé. La police d’Athènes, dirigée par l’inspecteur Stavros (l’excellent Luigi Pistilli, Les Tueurs sont nos invités, La Baie sanglante, De la part des copains), est sur l’affaire. L’agent d’Interpol John Stanley (l’impérial Alberto de Mendoza, vu en roi d’Espagne dans La Folie des grandeurs), qui suivait Lisa depuis l’explosion de l’avion, que son agence croyait être un attentat à la bombe, enquête également. Lynch et Florakis sont interrogés. Peu après, une journaliste, Cléo Dupont (Anita Strindberg), rencontre Lynch. Ils entament bientôt une relation et décident d’enquêter ensemble. Lynch va lui-même interroger Florakis, alors que arrive Stanley sur les lieux. Sharif essaie de tuer Lynch avec une hachette mais le manque de justesse. Florakis fait la sourde oreille lorsque Stanley l’interroge à son tour, mais Lynch l’accuse, ainsi que Sharif, d’être les tueurs.


Outre Anita Strindberg, qui certes n’a pas la présence d’une Edwige Fenech, mais n’enflamme pas moins la pellicule, c’est George Hilton (1934-2019) qui se taille la part du lion dans La Queue du scorpion. Vedette du western (Le Temps du massacre, Django arrive, préparez vos cercueils, Je vais, je tire et je reviens, Trois salopards, une poignée d’or) et du film de guerre (Deux Salopards en enfer, La Bataille d’El Alamein), l’acteur britannique d’origine uruguayenne était à un tournant et tentait de prouver qu’il savait faire autre chose. Cela viendra avec L’Adorable Corps de Deborah – Il dolce corpo di Deborah (1968) de Romolo Guerrieri, avant que Sergio Martino ne lui offre un rôle dans deux des opus de sa trilogie dite du « vice ». Charismatique et convaincant (la plupart du temps, contrairement à ce que peuvent dire les mauvaises langues), George Hilton est une fois de plus solidement dirigé par le réalisateur, qui a su tirer de lui le meilleur. Le sort qui lui est réservé à la fin de La Queue du scorpion sera loué par Sergio Martino, qui dira même qu’il s’agit de sa plus grande scène.


Le scénario malin écrit par le maître Ernesto Gastaldi (la liste serait longue pour énumérer les chefs d’oeuvres qui doivent beaucoup à sa plume acérée) contient son lot de surprises, la musique de Bruno Nicolai fait son effet et arrache quelques frissons, le montage d’Eugenio Alabiso (autre cador dans son domaine) est ultra-efficace, le placement de produit (certains diront qu’il s’agit d’une très longue pub pour J&B ou les clopes Astor) est amusant, l’approche est plus frontale et moins onirique (plus classique donc) que pour la « trilogie du vice », le casting emporte la mise et l’ensemble possède encore ce charme dingue qui ravit les aficionados.



LE BLU-RAY
Avril 2006, Neo Publishing propose La Queue du scorpion en DVD dans sa collection Giallo. Février 2008, le même éditeur remet ce titre en avant, mais change l’intitulé de l’anthologie, désormais baptisée « Collection Les Crimes les plus pervers ». Avril 2025, le film de Sergio Martino refait surface, cette fois en Haute-Définition. À cette occasion, la jaquette au visuel soigné, est glissée dans un boîtier Scanavo, surmonté d’un fourreau cartonné du plus bel effet. Version intégrale. Le menu principal est animé et musical.


Le Chat qui fume reprend une belle partie des suppléments de l’édition Arrow remontant à 2018.
On démarre par une excellente et même indispensable interview de Sergio Martino (47’). Avec son débit à la mitraillette, le réalisateur replace La Queue du scorpion dans sa filmographie, à savoir son deuxième giallo, déjà en production alors que L’Étrange Vice de madame Wardh était à peine sorti au cinéma. Selon lui, il s’agit d’un de ses meilleurs et avoue avoir été influencé par Z de Costa-Gavras, ainsi que par l’affaire Fenaroli, qui défraya la chronique judiciaire italienne à la fin des années 50. Un fait réel survenu à Rome, où une femme avait été retrouvée étranglée dans son appartement. Son époux, Giovanni Fenaroli, à la tête d’une grande entreprise, vivait en réalité à Milan avec sa maîtresse et aurait fait assassiner sa femme par un complice, dans l’espoir de toucher le pactole lié à son assurance-vie. Une histoire qui avait aussi inspiré Le Veuf de Dino Risi. Sergio Martino revient sur le travail d’Ernesto Gastaldi, les histoires de coproduction (qui imposait de créditer au générique des noms espagnols de personnes n’ayant même pas participé au film), les conditions de tournage, le casting, l’utilisation abusive des zooms (« mais cela était à la mode »), les cascades, la musique de Bruno Nicolai, le placement de produits et enfin sur le grand succès du film.


On retrouve plus ou moins tous ces arguments et même plus dans le commentaire audio d’Ernesto Gastaldi, sous-titré en français, déjà présent sur le DVD Neo Publishing. 90 minutes passées en compagnie de cette pointure, cela ne se refuse pas, surtout que le bougre, ne mâche pas ses mots sur beaucoup de ses anciens collaborateurs ou sur ses concurrents. Ce commentaire conduit par l’indispensable Federico Caddeo, donne d’autres informations sur la genèse du film, la mode et les règles à respecter des gialli, le système des coproductions, le casting (« Soyons honnêtes, George Hilton n’a jamais été un grand acteur…[…] pour réussir au cinéma à l’époque, il fallait avoir la tête qui plaît, se trouver au bon endroit, au bon moment, cela ne demandait pas de talent particulier, il suffisait d’être photogénique, de savoir dire les répliques. Le reste, ce sont les amitiés, les liens de parenté, le hasard »), la musique de Bruno Nicolai, les démêlés avec la censure, les conditions de tournage et le succès de La Queue du scorpion.

On continue avec une interview rétrospective de George Hilton (21’). Confortablement installé chez lui, le comédien, enregistré un an avant sa disparition, revenait avec plaisir sur sa carrière, essentiellement faite en Italie, pays auquel il doit tout selon ses dires. Il évoquait ici ses premiers pas dans le western transalpin, genre dans lequel il ne souhaitait pas être uniquement catalogué, d’où sa rencontre et ses diverses associations avec Sergio Martino, après une première incursion dans le giallo grâce à Romolo Guerrieri, qui allait le diriger dans L’Adorable Corps de Deborah – Il dolce corpo di Deborah. George Hilton en venait alors à La Queue du scorpion, « un film magnifique pour moi » dit-il, avant d’aborder le travail avec Sergio Martino, ses partenaires, les conditions de tournage, son alchimie avec Anita Strindberg (« dont les seins refaits étaient froids et rigides comme du marbre »), une fête organisée durant laquelle l’équipe allait croiser celle du Casse d’Henri Verneuil, également présente à Athènes, avant de conclure sur l’évolution (en mal) de l’industrie du cinéma…

Last but nos least, l’éditeur nous gratifie d’un remarquable documentaire entièrement consacré au giallo. Intitulé Le Giallo : une radiographie de l’Italie d’après-guerre (41’), ce film produit en 2022, provient de la chaîne YouTube Cinéma et politique. Habilement construit, magistralement écrit et documenté, ce module croise comme son titre l’indique l’Histoire de l’Italie et l’avènement du giallo, dès la naissance du genre en librairie, avec ces célèbres livres à couverture jaune. Genre qui allait être décliné au cinéma. C’est l’occasion de réviser vos classiques, tout en apprenant de multiples éléments sur la raison du pourquoi du giallo sur le grand écran, et pas seulement parce qu’il s’agissait d’un phénomène de mode. Le giallo, influence majeure du slaher aux États-Unis, ses motifs et thèmes récurrents, les plus grands titres et les réalisateurs experts en la matière, les inspirations (Blow Up de Michelangelo Antonioni notamment), le film-phare ou matriciel (Les Frissons de l’angoisse de Dario Argento revient systématiquement) et bien d’autres éléments sont au coeur de ce formidable et brillant supplément.
L’interactivité se clôt sur l’amusante bande-annonce, qui plaçait alors La Queue du scorpion à égalité sur le plan de la violence, que Le Golem, Le Cuirassé Potemkine, M le maudit et L’âge d’or (rien que ça!).
L’Image et le son
Jusqu’alors inédit dans nos contrées en Haute-Définition, La Queue du scorpion s’offre enfin à nous en Blu-ray, dans une superbe copie entièrement restaurée à partir d’un master 2K. Ce master voit ses contrastes renforcés, l’ensemble est homogène, avec un superbe grain argentique, solidement géré. L’image est stable, entièrement débarrassée de scories diverses et variées, les scènes en extérieur affichent une luminosité inédite, tout comme un relief inattendu, des détails étonnants, un piqué pointu et des couleurs (tournage en Cromoscope) vives et scintillantes. Hormis le générique de début, plus altéré et hésitant, c’est superbe. Blu-ray au format 1080p, cadre 2.35 original respecté.

En italien comme en français, les mixages DTS HD Master Audio 2.0 instaurent un bon confort acoustique. Les dialogues sont délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, avec peut-être un léger souffle. La composition de Bruno Nicolai dispose d’un très bel écrin. Doublage français très réussi, avec notamment à la barre Pierre Arditi, qui double ici George Hilton.



Crédits images : © Le Chat qui fume / La Pratella / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr
