LA PEUR RÈGNE SUR LA VILLE (Paura in città) réalisé par Giuseppe Rosati, disponible en Blu-ray le 14 décembre 2023 chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Maurizio Merli, James Mason, Raymond Pellegrin, Silvia Dionisio, Fausto Tozzi, Gianfilippo Carcano, Giovanni Elsner, Mario Novelli…
Scénario : Giuseppe Pulieri & Giuseppe Rosati
Photographie : Giuseppe Bernardini
Musique : Giampaolo Chiti
Durée : 1h39
Date de sortie initiale : 1976
LE FILM
Rome, mai 1976. Lettieri et sa bande s’évadent de la prison Regina Coeli, embarquant avec eux Giacomo Masoni sur le point de finir de purger sa peine. Dans les jours qui suivent, ils règlent leurs comptes avec ceux qui les ont trahis. Craignant que la situation ne dégénère, le préfet se voit alors contraint de réintégrer dans ses fonctions le commissaire Murri, flic aux méthodes expéditives, hanté par le meurtre de son épouse et de sa petite fille. Lui et son équipe remonteront peu à peu la piste des malfrats.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser avec les micro-flashbacks présents dans le film, La Peur règne sur la ville –Paura in città n’est pas la suite d’un autre poliziottesco, même si là encore la présence en haut de l’affiche de Maurizio Merli pourrait porter à confusion. Ce dernier est alors devenu une véritable icône du genre en vogue de l’autre côté des Alpes, avec la trilogie du Commissaire Betti (Rome violente – Roma violenta, Opération casseurs – Napoli violenta, Opération Jaguar – Italia a mano armata), qui rencontre un immense succès populaire. Suivront d’autres opus du même acabit dans lesquels le comédien, toujours la moustache fringante, interprète plus ou moins le même personnage, celui du flic aux méthodes brutales, mal vu par sa hiérarchie (sauf par le préfet incarné par James Mason, qui se demande ce qu’il fout là à part faire de la publicité pour l’eau Pejo, tandis que Merli brandit son paquet de Marlboro à tire-larigot, avant d’aller se poster devant une enseigne Fernet-Branca), qui n’osera jamais avouer qu’il est le meilleur sur le terrain. Ainsi, après Brigade spéciale – Roma a mano armata et Le Cynique, l’Infâme et le Violent – Il cinico, l’infame, il violento d’Umberto Lenzi, Maurizio Merli interprète le Commissaire Muri (chaînon manquant entre Harry Callahan et Paul Kersey) dans La Peur règne sur la ville. Rétrospectivement, ce néo-polar est sans doute l’un des moins enthousiasmants tenus par l’acteur au brushing impeccable. Derrière la caméra, Giuseppe Rosati (né en 1923 et apparemment toujours parmi nous), manque de folie, d’ambition, d’imagination aussi, se contentant de prendre le train en marche après Il Testimone deve tacere et Tireur d’élite – La Polizia interviene: ordine di uccidere!. Si le spectacle demeure indéniable, peu d’éléments marquent les esprits et La Peur règne sur la ville reste à voir uniquement pour sa star au charisme magnétique qui traverse ici le film en mode automatique.
À Rome, douze prisonniers, menés par l’assassin Alberto Lettieri, s’échappent de la prison Regina Coeli, tuant également certains informateurs qui ont contribué à leur capture. L’affaire est confiée au commissaire Mario Murri, spécialement rappelé à Rome, un policier aux méthodes très violentes qui se heurte souvent à ses supérieurs et est mal vu par la justice. Murri, qui a perdu sa femme et sa fille, assassinées par le gang Lettieri, découvre en interrogeant Laura, la jeune nièce de Giacomo Masoni, ancien directeur d’un secteur ferroviaire et contraint par Lettieri de s’enfuir avec lui, une piste capable de le conduire à Lettieri : selon toute vraisemblance, le bandit utilisera Giacomo pour attaquer un convoi et s’emparer d’un chargement de billets destinés aux déchets, d’une valeur de plusieurs dizaines de milliards de lires, qu’un train emmènera de Milan à Rome.
« Il a changé ? »
« J’espère que non, vu ce qu’il a à faire ! »
Murri a toujours un train d’avance (vous n’êtes pas obligés de rire). En effet, dès que le flic couillu et remonté met le nez dehors, un événement se produit, comme s’il attirait les emmerdes. Tranquillement dans sa voiture arrêtée à un feu rouge, deux braqueurs sortent de la boutique qu’ils étaient en train de dévaliser et tombent nez à nez avec Murri ! Enfourchant et conduisant sa moto comme le fera Chuck Norris dans Delta Force (avec la même moustache aérodynamique), Murri-Merli poursuit les bandits à fond la caisse dans les rues de Rome, laisse à des cascadeurs non ressemblants le soin de réaliser les prouesses les plus dangereuses, avant de revenir pour quelques gros plans où le commissaire paraît aussi déterminé qu’impassible. Plus tard, Murri parviendra à éliminer un autre gang de braqueurs, qui avaient pris un cureton en otage en sortant de la banque où ils avaient réalisé un gros retrait non consenti. Le tout sans sourciller, car comme il le dit lui-même “Je n’ai à perdre, donc je n’ai pas peur quand je tire”. Il est comme ça Murri.
Heureusement, il peut aussi passer du bon temps et le repos du guerrier arrivera en la personne de Laura, interprétée par la magnifique Silvia Dionisio (Une langouste au petit déjeuner, Deux flics à abattre, Mes chers amis). Jeune prostituée de luxe, elle ne mettra pas longtemps pour tomber raide des bacchantes de ce bon vieux Mario et comme Fiona Gélin dans Parole de flic, se sentira aussi seule que le flic, avant de s’offrir à lui rapidement. Mais Murri n’est pas là que pour prendre du bon temps et il se remet sur la piste de Lettieri (Raymond Pellegrin, quasi-muet, en pleine période italienne, passant devant la caméra de Lucio Fulci, Segio Gobbi, Steno, Fernando Di Leo, Umberto Lenzi…), qui prépare aussi de son côté un braquage avec ceux qui restent de sa bande.
Le spectateur est donc totalement en territoire connu avec les truands vraiment méchants et violents d’un côté, et le flic qui adopte la même façon de faire pour obtenir de meilleurs résultats (son boulot est sa raison de vivre, comme de pêcher la truite qu’il relâche à l’eau comme il ne sait pas la cuisiner) durant ces années de plomb où tout peut arriver à chaque coin de rue. Forcément, mis bout à bout, les poliziotteschi avec Maurizio Merli et consorts deviennent interchangeables. Le public est par conséquent libre de piocher ici et là les passages qu’il gardera en tête (une baston rapide dans un bus avec des racailles, une fusillade dans le cimetière de Campo Verano) ou non (la poursuite molle), avant de passer au suivant. En, l’état, La Peur règne sur la ville n’a absolument rien d’inoubliable, mais comme la mise en scène est (trop) propre, on va dire que ça passe.
LE BLU-RAY
Et un poliziottesco de plus dans la musette du Chat qui fume ! La Peur règne sur la ville déboule sans crier gare chez l’éditeur au félin qui ferait mieux de vapoter ou de se mettre au chewing-gum, sous la forme d’un Digipack à trois volets, élégamment illustré, le tout reposant dans un fourreau cartonné du même acabit. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires et en vente directement sur le site du Chat qui fume.
Avec la bande-annonce originale, un seul autre supplément accompagne La Peur règne sur la ville. On pouvait s’attendre à plus…il faudra donc se contenter de l’interview de Federico Del Zoppo, opérateur sur le film de Giuseppe Rosati (17’). S’il officiera également comme chef opérateur dès 1977 et signera entre autres la photo de Killer Crocodile, Federico Del Zoppo oeuvrait avant cela comme assistant caméra (Opération frère cadet, Porcherie, Miracle à l’italienne, Ludwig ou le crépuscule des dieux) et comme caméraman comme c’est le cas sur La Peur règne sur la ville. Celui-ci revient sur ses débuts dans le cinéma, « qui faisait rêver tout le monde et qui était important à l’époque ». Il évoque aussi son travail sur les films d’action (« qui nous permettaient de nous exprimer d’une façon différente »), sa collaboration avec Giuseppe Rosati (« un réalisateur posé et bien éduqué »), les lieux de tournage, les fameux placements de produits (que nous avions bien remarqué et que nous évoquons dans la critique), Maurizio Merli (« qui était un ami avant d’être un acteur »), les cascades et les poursuites du film.
L’Image et le son
Copie HD, vraisemblablement restaurée 2K. La Peur règne sur la ville bénéficie d’un beau Blu-ray marqué par des couleurs éclatantes et un grain argentique excellemment géré. Cet aspect organique n’est nullement déplaisant, bien au contraire et participe à l’aspect rugueux du polar de Giuseppe Rosati, quelques scènes sortent du lot avec un piqué plus acéré, la propreté est indéniable (hormis des fils en bord de cadre) et l’ensemble est stable.
Propre et dynamique, le mixage italien DTS HD Master Audio Mono ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la musique de Gian Paolo Chiti. Elle demeure la plus dynamique du lot, mais également la plus virulente et la plus frontale dans ses dialogues par rapport à son homologue à l’adaptation plus « légère ». La version française DTS HD Master Audio Mono pousse un peu trop les dialogues, légèrement chuintants.