LA PART DU FEU réalisé par Étienne Périer, disponible en DVD et Blu-ray depuis le 20 avril 2022 chez LCJ Editions & Productions.
Acteurs : Michel Piccoli, Claudia Cardinale, Jacques Perrin, Rufus, Roland Bertin, Gabriel Cattand, Véronique Silver, Liliane Gaudet…
Scénario : Étienne Périer & Dominique Fabre, d’après une histoire originale d’Alain Page
Photographie : Jean Charvein
Musique : Paul Misraki
Durée : 1h44
Date de sortie initiale : 1978
LE FILM
Catherine Hansen trompe son mari Robert, un homme d’affaires qui travaille dans l’immobilier, avec Jacques, un de ses collaborateurs. Mais, ayant besoin de Jacques pour une opération commerciale importante, Robert ferme les yeux sur cette liaison.
Fin 2018, nous découvrîmes le cinéma d’Étienne Périer (1931-2020), réalisateur belge, à l’occasion de la sortie du film Commando pour un homme seul – When Eight Bells Toll en DVD-Blu-ray chez Rimini Editions, une délicieuse curiosité, réalisée pour surfer sur l’engouement des spectateurs pour les missions exotiques des agents secrets sur grand écran, avec Anthony Hopkins en ersatz quelque peu improbable de 007. On lui doit aussi en vrac un Samson le magnifique (1995) avec Charlotte Rampling et Roger Hanin, quelques épisodes de Maigret avec Bruno Cremer, Meurtre en 45 tours (1960), un thriller avec Danielle Darrieux, Michel Auclair et Jean Servais, ainsi que le scénario de Charmants garçons (1957) d’Henri Decoin. Rétrospectivement, on note une prédilection pour le polar dramatique à l’ambiance lourde chez Étienne Périer, dont la filmographie est assurément à redécouvrir, comme Dis-moi qui tuer (1964), Un meurtre est un meurtre (1972) et La Main à couper (1974). C’est le cas de La Part du feu, dont nous ignorions l’existence, avant sa disponibilité dans les bacs chez LCJ Editions & Productions. L’affiche est on ne peut plus alléchante avec rien de moins que Michel Piccoli, Claudia Cardinale (sublime) et Jacques Perrin (étonnant), étrange et troublant triangle « amoureux » (l’usage des guillemets reflète l’ambiguïté des sentiments des personnages) qui se régalent avec un dialogue virtuose coécrit avec Dominique Fabre, complice du cinéaste et scénariste du génial L’Animal (1977) de Claude Zidi. Foncièrement dérangeant, amoral et peu sympathique, La Part du feu ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil, mais l’arrivisme de ses protagonistes, l’ampleur du récit et la mécanique implacable de celui-ci demeurent imparables et rappellent quelque part certaines œuvres de la littérature hexagonale du XIXè siècle. Grande découverte.
Le promoteur immobilier Bob Hansen découvre que sa femme Catherine le trompe avec son associé. Il réagit calmement et encourage même leurs rencontres, pensant que c’est le seul moyen de ne pas les perdre tous les deux. Robert emmène, comme prévu, son associé sur un chantier sans que, à aucun moment, il ne fasse allusion à Catherine. Mieux : le promoteur multiplie à l’égard de Jacques des déclarations de confiance et même d’amitié. Mais Jacques reste méfiant, d’autant plus que Catherine pense qu’il s’agit d’un jeu cruel pour les détruire. Afin d’obtenir une dérogation pour la construction d’une tour, Jacques soudoie le député Édouard Moureu qui va percevoir des pots-de-vin sur un compte en Suisse. Il remarque par ailleurs que le député et le banquier William Vargnier souhaitent se passer de lui pour d’autres affaires lucratives, ce qui le pousse à organiser la chute du député en le donnant à la vindicte populaire dans les colonnes d’un journal sensationnaliste.
« Tu peux m’passer le cendrier qu’est là s’il te plaît ? »
Avec celle de Gérard Depardieu, la carrière de Michel Piccoli (1925-2020) est sans doute la plus impressionnante de l’histoire du cinéma français. Près de 250 films (courts, moyens et longs-métrages), séries et téléfilms, cumulés en l’espace de 70 ans, autant dire qu’il faudrait plusieurs vies pour tout voir, mais cela décuple le plaisir quand on met la main sur une œuvre rare et ambitieuse comme La Part du diable. Le comédien tourne ce thriller psychologique entre le merveilleux et précieux Des enfants gâtés de Bertrand Tavernier et le légendaire Le Sucre de Jacques Rouffio, dont on retrouve un peu la même musique, une rigueur semblable et une ambiance voisine dans La Part du feu. Un septième art qui n’avait pas peur de concilier le cinéma d’auteur et le grand cinéma populaire, qui ne s’encombrait pas d’un attachement facile ou d’une empathie immédiate des spectateurs pour les personnages, mais qui creusait au contraire la psyché de l’âme humaine, pour en faire ressortir ses contradictions, son état sauvage inné, pour finalement s’adresser au plus grand nombre, toucher à l’universel. Dès les premiers plans, où l’on embarque avec Michel Piccoli à bord de son véhicule – il est sûrement l’un des acteurs à avoir passé le plus de temps au volant à l’écran – lancé sur le périphérique parisien, Étienne Périer plante une atmosphère pesante, appuyée par la composition de Paul Misraki (Et Dieu… créa la femme, Manon, Maigret tend un piège, Le Trou Normand, Chiens perdus sans collier) et la photographie grisâtre de Jean Charvein (L’Homme pressé d’Édouard Molinaro, Par un beau matin d’été de Jacques Deray). Vient rapidement l’élément déclencheur, quand Bob surprend sa femme Catherine au lit avec son associé Jacques. Bob, ayant découvert le couple par l’embrasure de la porte de la chambre, se rassoit tranquillement, allume sa cigarette (prolongement naturel de la main droite de Michel Piccoli si l’on y pense) et attend que ça se passe. Puis, les deux amants de le trouver confortablement assis, presque le sourire aux lèvres…
« Tu vois Jacques, pour en arriver là, tous les moyens sont bons…n’importe lesquels ! »
Un curieux rapport va alors s’instaurer entre les trois individus, sans esclandre, sans manifestation violente, sans un mot plus haut que l’autre, mais avec une courtoisie inattendue. Car chacun peut trouver son compte dans cette relation « consentie » et cet événement ne fera que révéler leur véritable nature. Jusqu’à ce que l’un prenne l’ascendant sur les deux autres…à moins que deux, et pas forcément ceux auxquels on pouvait penser, soient – peut-être – complices, jusqu’au retournement final, qui représente en fait un nouveau commencement…
La Part du feu joue habilement avec les nerfs et jette l’audience dans la fosse aux serpents, ou dans le bassin aux piranhas au choix, qui se délectera de voir leurs occupants rivaliser d’astuces et de coups bas pour se placer au-dessus de la mêlée. Un film remarquable.
LE BLU-RAY
LCJ Editions & Productions continue sur sa lancée et n’a de cesse de déterrer quelques pépites jusqu’alors inédites en DVD. C’est le cas de La Part du feu, qui n’avait jamais connu de sortie en édition Standard et encore moins en HD. Ce Blu-ray prend la forme d’un boîtier classique de couleur bleue. Très belle jaquette, au visuel élégant, repris pour le menu principal fixe et musical.
Aucun supplément…
L’Image et le son
Fort d’une promotion numérique et d’une restauration solide, La Part du feu est enfin proposé dans un master HD de haut niveau, qui permet d’apprécier la photographie de Jean Charvein comme il se doit. Bien qu’elles demeurent froides, les scènes extérieures sont les mieux loties avec un relief plus probant, un piqué plus acéré et des détails plus nombreux, après un générique pourtant peu encourageant. Les séquences nocturnes ne sont pas pour autant dédaignées avec une jolie restitution des matières, le grain cinéma est respecté, la copie affiche une stabilité jamais prise en défaut (on oublie quelques minimes fourmillements), la copie est impressionnante, la propreté est indéniable et les contrastes assurés avec des noirs solides.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono instaure un réel confort acoustique. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. En revanche, pas de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ni de piste Audiodescription.