Test Blu-ray / La Mort d’un bûcheron, réalisé par Gilles Carle

LA MORT D’UN BÛCHERON réalisé par Gilles Carle, disponible en Blu-ray depuis décembre 2022 chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Carole Laure, Willie Lamothe, Daniel Pilon, Pauline Julien, Marcel Sabourin, J. Léo Gagnon, Roger Lebel, Ernest Guimond, Jacques Gagnon…

Scénario : Gilles Carle & Arthur Lamothe

Photographie : René Verzier

Musique : Tristan Hansinger, Willie Lamothe, Chick Peabody & Peter Van Ginkel

Durée : 1h55 (Version intégrale)

Date de sortie initiale : 1973

LE FILM

Marie Chapdelaine, jeune provinciale de Chibougamau, quitte sa mère pour se rendre à Montréal, à la recherche de Tancrède, son père, qu’elle n’a jamais connu. Là-bas, elle rencontre Armand Saint-Amour – un ex-bûcheron reconverti en patron de bar country, qui connaissait son père -, François Paradis et Charlotte Juillet, respectivement journaliste et écrivaine, mais aussi Blanche Bellefeuille, qui fut la maîtresse de son père. Marie envisage de se rendre dans le dernier camp de bûcherons où Tancrède travaillait. Mais, tour à tour exploitée par Saint-Amour et Paradis, Marie va devoir faire contre mauvaise fortune bon coeur…

En France, on connaît surtout la Québécoise Carole Laure pour La Menace (1978) d’Alain Corneau, l’exceptionnel Préparez vos mouchoirs (1979) de Bertrand Blier, peut-être aussi pour À mort l’arbitre (1984) de Jean-Pierre Mocky, tandis que les cinéphiles auront en tête le génial Asphalte (1981) de Denis Amar. Également chanteuse, scénariste et même réalisatrice avec quatre longs-métrages à son actif, Carole Laure a quelque peu disparu des radars depuis près de dix ans. A mi-temps des années 1970, on imagine mal l’aura de la comédienne dans sa province, mais aussi sur la scène internationale, suite à la présentation en compétition de La Mort d’un bûcheron au Festival de Cannes en 1973, face à, excusez du peu, Electra Glide in Blue, La Grande bouffe, La Maman et la Putain, La Planète sauvage, La Clepsydre, L’Épouvantail, De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites… Le cinéma Québécois s’exportait alors pour la première fois à l’étranger et révélait cette magnifique brune, qui allait devenir la représentante d’une nouvelle génération, celle de l’émancipation des jeunes de la Belle Province. La Mort d’un bûcheron marque la première collaboration entre Carole Laure et le réalisateur Gilles Carle (1928-2009), qui se retrouveront par la suite pour Les Corps célestes (1973), La Tête de Normande St-Onge (1975), L’Ange et la Femme (1977), Fantastica (1980), Maria Chapdelaine (1983), y compris pour un épisode de la série For the Record (1975). Remarquable portrait de femme, La Mort d’un bûcheron s’inspire très librement du célèbre roman de Louis Hémon, MariaChapdelaine, écrit en 1913, qui n’aura de cesse d’influencer Gilles Carve pour certains de ses autres opus. La caméra colle au plus près de sa protagoniste, quasiment de tous les plans, et suit son parcours semé de rencontres insolites qui la conduiront jusque sur les terres où son père bûcheron, disparu et qu’elle recherche, aura rendu son dernier souffle. Cette chronique d’une mort annoncée, qui ouvre d’ailleurs le film dans une scène percutante, transforme la quête du personnage principal en mirage, auquel elle se raccrochera jusqu’au dernier moment, quand elle se rendra compte qu’elle n’est plus et ne sera plus jamais la même, même si cette mutation s’était déjà opérée avant la révélation. Étrange récit que celui de Mort d’un bûcheron, qui se perd sensiblement dans un dernier acte trop bavard et démonstratif, mais qui n’en reste pas moins imprévisible et un bel objet de cinéma, illuminé par l’une des plus belles actrices des années 1970.

Tancrède Chapdelaine, un bûcheron, a disparu alors qu’il travaillait pour la Canadian International Paper. Vingt ans plus tard, Marie, sa fille, rêve de retrouver ce père qu’elle n’a jamais connu. Elle quitte son village natal et arrive à Montréal, une guitare pour tout bagage. Elle s’éprend d’un journaliste, François Paradis, et se lie d’amitié avec Charlotte Juillet, un écrivain engagé. Mais pour gagner sa vie, elle doit accepter de chanter en très petite tenue dans un cabaret country.

Après avoir plongé les spectateurs directement dans la « naèèège » blanche et immaculée, Gilles Carle s’attache à l’incandescente Marie, venue du Nord-du-Québec, qu’on ne quittera plus d’une semelle lors de ses recherches sur son paternel inconnu. Très vite, elle se fera exploiter par les hommes, dont un journaliste du nom de François Paradis (vicieux et suintant Daniel Pilon), qui entreprend d’en faire une call-girl de luxe. Mais la rencontre déterminante sera celle inattendue avec la maîtresse de son père, qui la mènera au camp de bûcherons où celui-ci a disparu pour apprendre là qu’il aurait été tué au cours d’une émeute avec des policiers. Gilles Carle brouille les pistes, fait perdre ses repères aux spectateurs, qui dans un premier temps ne peuvent que s’extasier devant la beauté de Carole Laure, peu avare de ses charmes, par ailleurs élégamment filmés, qui allait devenir un sex-symbol et surtout l’une des premières vraies stars du cinéma Québécois. À travers le récit initiatique de Marie, le cinéaste s’intéresse à des antihéros hétéroclites (Gilles Carle avait une prédilection pour les marginaux et les exclus), mais étonnamment romanesques, qui paraissent revenus de tout, qui ont survécu à un monde qui disparaît pour laisser la place à un autre, plus libre, mais qui s’accrochent malgré tout pour survivre comme ils le peuvent. Au contact d’Armand Saint-Amour (le formidable Willie Lamothe, à la base chanteur et guitariste), de Blanche Bellefeuille (merveilleuse Denise Filiatrault) et de Charlotte Juillet (Pauline Julien, également interprète et compositrice), Marie affrontera l’inéluctable, se débarrassera d’un passé qui jusqu’à présent n’aura qu’enliser son présent, pour enfin espérer avancer librement vers l’avenir.

La Mort d’un bûcheron n’est pas tendre avec son personnage principal dans la première partie, Marie étant la plupart du temps soumise aux autres, mise littéralement à poil sur scène pour gagner de l’argent, en chantant du « western » quasi-topless devant des mâles en rut. Mais Marie ne se plaint pas, car même si elle se prend des baffes, elle fait chaque fois un pas en avant vers son père qu’elle n’a pas revu depuis l’âge de trois ans.

Épopée moderne, pour ne pas dire avant-gardiste tant le film de Gilles Carle ne ressemble en rien à ce qui était habituel dans le cinéma Quebécois d’alors, La Mort d’un bûcheron fait traverser les spectateurs sur un fil tendu entre la comédie de mœurs et le drame existentiel. S’il s’égare parfois dans quelques délires arty (Gilles Carle est un ancien des beaux-arts et de l’École des arts graphiques de Montréal), on ne pourra sûrement pas reprocher au réalisateur d’être ambitieux ou d’oublier son audience en lui offrant de quoi rassasier ses instincts primaires. On rit, on est ému, on est diverti, on est excité aussi et nombreuses sont les scènes qui restent en tête longtemps après.

LE BLU-RAY

Jusqu’à présent le cinéma de Gilles Carle était pour ainsi dire absent des bacs français, puisqu’on ne trouvait que Maria Chapdelaine (1983) en DVD chez Koba Films. Dans le cadre de ses dernières sorties consacrées au cinéma Québécois, Le Chat qui fume lui fait honneur en éditant simultanément en HD Gina de Denys Arcand, puis deux films de Gilles Carles, La Mort d’un bûcheron et La Tête de Normande St-Onge. La Mort d’un bûcheron, qui nous intéresse aujourd’hui, inédit en DVD et Blu-ray dans nos contrées, se présente sous la forme d’un boîtier Scanavo, la jaquette étant centrée sur la sublime Carole Laure. Version intégrale. Édition limitée à 1000 exemplaires.

Outre la bande-annonce (originale, avec les acteurs qui parlent de leur personnage), nous trouvons sur cette édition un entretien avec Simon Laperrière (19’). Doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal et auteur de plusieurs essais (Series of Dreams: Bob Dylan et le cinéma), l’invité du Chat qui fume revient sur tous les aspects de La Mort d’un bûcheron, première collaboration entre Carole Laure et Gilles Carle, qui allait faire de la comédienne une vedette dans le monde entier, après la présentation du film au Festival de Cannes. Le parcours de Carole Laure (devant et derrière la caméra) et celui de Gilles Carle, les intentions récurrentes et les partis-pris du cinéaste (une vision poétique de la société Québécoise, capturer le réel, mettre le spectateur au coeur de l’action) et le casting sont aussi abordés.

Non indiqué sur la jaquette, un autre bonus est aussi disponible, court, mais intéressant, qui donne cette fois encore la parole à Simon Laperrière (1’25). Celui-ci s’adresse aux spectateurs, leur indiquant qu’ils vont (re)découvrir un film Québécois, une langue à laquelle les français sont sans doute peu habitués. Ainsi, Simon Laperrière souhaite citer un extrait du livre Il y a trop d’images de Bernard Émond, dans lequel le réalisateur s’exprimait sur un épisode survenu au Festival de Cannes, à l’occasion de la présentation de son film La Femme qui boit (2001), sélectionné à la Semaine de la critique. Bernard Émond s’était quelque peu échauffé quand une spectatrice française lui avait dit qu’elle ne pouvait s’empêcher de rire en entendant l’accent des comédiens.

L’Image et le son

La Mort d’un bûcheron a été numérisé et restauré en 2013, puis révisé en 2018 par Éléphant-Québecor. Ce master HD présenté par Le Chat qui fume est superbe. Une copie qui en l’état est on ne peut plus épatante, avec un réel rafraîchissement des couleurs, un nouvel équilibre des contrastes, un Blu-ray qui en met souvent plein les yeux. La texture argentique est présente, conservée, fine, parfois légèrement grumeleuse sur les plans plus sombres, mais organique. La propreté est éloquente, la stabilité de mise, les détails impressionnants, le piqué agréable, la palette chromatique riche. Élégant Blu-ray au format 1080p.

Seule la piste originale Québécoise a été testée sur cette édition, qui comprend aussi une version anglaise. Le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 qui nous intéresse ici instaure un confort acoustique probant et solide. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise et les silences sont denses. Les sous-titres français sont disponibles, ce qui n’est pas un mal parfois câââlice de tabarnak !

Crédits images : © Le Chat qui fume / Les Films d’aujourd’hui / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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