Test Blu-ray / Gina, réalisé par Denys Arcand

GINA réalisé par Denys Arcand, disponible en Blu-ray depuis décembre 2022 chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Céline Lomez, Claude Blanchard, Frédérique Collin, Serge Thériault, Gabriel Arcand, Louise Cuerrier, Jocelyn Bérubé, Paule Baillargeon…

Scénario : Jacques Poulain & Alain Dostie

Photographie : Alain Dostie

Musique : Benny Barbara & Michel Pagliaro

Durée : 1h35 (Version intégrale)

Date de sortie initiale : 1975

LE FILM

Une danseuse, Gina, va remplacer une collègue dans un petit hôtel de province. Elle fait connaissance avec des cinéastes d’un organisme gouvernemental venus tourner un documentaire sur une usine de textile. Le soir de son premier spectacle, Gina est agressée et violée par une bande de motoneigistes. Elle fait appel à son imprésario qui s’amène avec des fiers-à-bras pour exercer une dure vengeance. Pendant ce temps, les autorités de l’usine obtiennent l’arrêt du tournage du film.

Avant de devenir un cinéaste reconnu dans le monde entier avec Le Déclin de l’empire américain (1986), Jésus de Montréal (1989) et Les Invasions barbares (2003), le Québécois Denys Arcand (né en 1941) avait déjà près de 25 ans de carrière à son actif. En effet, c’est au début des années 1960 qu’il fait ses premiers pas derrière la caméra avec quelques courts-métrages et surtout des documentaires soutenus par la critique, qui se penchent essentiellement sur la réalité sociale, économique et politique de sa province. Foncièrement engagé, Denys Arcand dévoile l’envers du décor du Québec et bien entendu cela ne plaît pas à tout le monde. C’est le cas du film On est au coton, réalisé en 1970, mais distribué seulement six ans plus tard. Pour quelle raison ? Ce documentaire s’est accompagné d’un parfum de scandale, en raison de sa description brute et sans concessions des conditions de travail difficiles dans l’industrie textile au Québec, tout en relatant la vie – très précaire – des ouvriers dans les manufactures (qui ferment les unes après les autres), ainsi que leurs luttes syndicales (entre grèves et actions). Subissant des pressions de la part de grands groupes du textile, On est au coton est purement et simplement censuré par l’O.N.F. (Office National du Film du Canada). Qu’à cela ne tienne, alors que ce documentaire est mis au placard, Denys Arcand s’inspire de cette histoire pour Gina, qui sort au Canada en janvier 1975. Sous ses allures de film de genre appartenant au Rape & Revenge avec une pointe de film de redneck, le troisième long-métrage de fiction du réalisateur intègre des images provenant d’On est au coton, faisant ainsi passer le message qu’il souhaitait, tout en comblant les spectateurs venus se divertir. Les ingrédients insolites de ce cocktail se mélangent bien et hormis des petites longueurs (dont une partie de billard filmée en temps réel qui fait office de remplissage), Gina est une agréable curiosité qui devrait réjouir les cinéphiles.

À l’occasion du tournage d’un documentaire sur l’industrie du textile à Louiseville, petite ville du Québec, un cinéaste et son équipe font la connaissance de Gina, strip-teaseuse venue honorer un contrat, et de Dolorès, jeune ouvrière employée à l’usine de textile locale. Le metteur en scène a l’intention de dénoncer les conditions de travail difficiles des ouvriers. Mais il s’attire très vite, tout comme Gina et Dolorès, l’hostilité des autorités et d’une partie de la population, notamment un groupe de jeunes chômeurs qui squatte un navire abandonné. Agressée et violée, Gina fait appel à des criminels pour se venger de ceux qui l’ont violentée.

Gina, c’est la magnifique Céline Lomez dont le charme et les courbes affriolantes hypnotisent les spectateurs du début à la fin. Cette sublime créature, venue de la danse et de la variété, inspirera les metteurs en scène québécois dans les années 1970, Denys Arcand lui offrant son plus grand rôle à ce jour et qui l’avait d’ailleurs déjà dirigé deux ans auparavant dans Réjeanne Padovani. On suit cette mystérieuse danseuse de club, qui semble être appréciée et aimée de tous, à l’exception donc des gens du cru…son numéro déshabillé (qui au passage ne laissera personne indifférent) va précipiter les jalousies et Gina sera très violemment agressée et violée dans sa chambre de motel par une dizaine d’hommes auxquels se joignent même quelques femmes. Denys Arcand joue avec les codes du thriller en instaurant une ambiance anxiogène dans un petit patelin gelé situé en Mauricie et planté au bord du lac Saint-Pierre. Le vent glacé est omniprésent, on ne se promène quasiment qu’en motoneige, le bar unique du coin ne désemplit pas et accueille les solitaires, les gens de passage (qui sont là pour une raison précise) ou les ouvriers qui viennent se réchauffer. Alors que tous les groupes de protagonistes entrent en collision autour de Gina, nous découvrons aussi le sujet qui amène une équipe de tournage, à savoir un documentaire composé d’entretiens avec des employés de l’usine de textile qui trône dans la région (dont Dolorès, incarnée par la poignante Frédérique Collin), et d’images dévoilant les conditions de travail de ces derniers.

Nous sommes indubitablement plus dans la fiction que dans le documentaire, mais le message de Denys Arcand passe, sans jamais faire perdre de vue Gina, venue à Louiseville pour offrir généreusement à ces messieurs-dames ce qu’ils sont venus admirer. Avec le dernier acte, on plonge directement en plein film d’exploitation, Denys Arcand faisant preuve d’une étonnante brutalité lors du règlement de comptes entre les protecteurs de Gina et ceux qui l’ont agressé, le tout se se déroulant dans un décor hallucinant, celui d’un vieux et gigantesque rafiot immobilisé dans le lac gelé. Une vraie leçon de montage, une séquence réellement stupéfiante ponctuée par des effets gore et une poursuite aussi haletante que marquante, le tout solidement photographié par Alain Dostie, également co-scénariste.

S’il connaîtra un bel engouement de la part de la critique, les spectateurs bouderont Gina à sa sortie, sans doute peu convaincus par ce mélange des genres. Mais le film de Denys Arcand n’aura de cesse d’être redécouvert et sera rediffusé plusieurs fois à la télévision. Même si cela n’est pas prouvé, on peut supposer que Gina a pu grandement influencer l’un des meilleurs films de Richard Linklater, Fast Food Nation (2006), qui reprenait plus ou moins le même concept pour évoquer l’industrie de la restauration rapide…

LE BLU-RAY

Le Chat qui fume fait honneur au cinéma Québécois en éditant simultanément en HD Gina de Denys Arcand, puis deux films de Gilles Carles, La Mort d’un bûcheron et La Tête de Normande St-Onge. Gina, qui nous intéresse aujourd’hui, inédit en DVD et Blu-ray dans nos contrées, se présente sous la forme d’un boîtier Scanavo, la jaquette étant centrée sur la sublime Céline Lomez. Version intégrale. Édition limitée à 1000 exemplaires.

Outre la bande-annonce, nous trouvons sur cette édition un entretien avec Simon Laperrière (21’35). Doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal et auteur de plusieurs essais (Series of Dreams: Bob Dylan et le cinéma), l’invité du Chat qui fume revient sur tous les aspects de Gina, « un film très particulier dans l’histoire du cinéma Québécois […] pierre angulaire de la filmographie de Denys Arcand, situé entre ses premiers documentaires et ses fictions politisées ». Suite à quoi, Simon Laperrière entreprend de retracer le parcours du réalisateur, notamment les thèmes explorés à travers ses premiers travaux, « un regard sur l’état de sa province, sur les inégalités des classes sociales, économiques, mais aussi entre les hommes et les femmes ». Ce qui a nourri le scénario de Gina (le documentaire On est au coton dont la sortie a été stoppée), les intentions de Denys Arcand (« la dénonciation politique l’intéressait plus que le cinéma de genre »), les partis-pris (« une réalité qu’on n’a pas l’habitude de voir dans le cinéma Québécois ») sont ensuite passés eu peigne fin. Dans une autre partie, notre interlocuteur dissèque un peu plus la forme de Gina, indiquant que « Denys Arcand fait preuve d’un vrai talent de metteur en scène dans la dernière partie, en s’inspirant vraisemblablement du travail de William Friedkin sur French Connection ».

Non indiqué sur la jaquette, un autre bonus est aussi disponible, court, mais intéressant, qui donne cette fois encore la parole à Simon Laperrière (1’25). Celui-ci s’adresse aux spectateurs, leur indiquant qu’ils vont (re)découvrir un film Québécois, une langue à laquelle les français sont sans doute peu habitués. Ainsi, Simon Laperrière souhaite citer un extrait du livre Il y a trop d’images de Bernard Émond, dans lequel le réalisateur s’exprimait sur un épisode survenu au Festival de Cannes, à l’occasion de la présentation de son film La Femme qui boit (2001), sélectionné à la Semaine de la critique. Bernard Émond s’était quelque peu échauffé quand une spectatrice française lui avait dit qu’elle ne pouvait s’empêcher de rire en entendant l’accent des comédiens.

L’Image et le son

Le Chat qui fume présente une copie récemment numérisée et restaurée. Si le générique montre quelques faiblesses et légers fourmillements, le master HD tient ses promesses et participe à la très belle découverte de Gina. Les meilleures conditions sont réunies et le confort assuré avec une propreté irréprochable du début à la fin, une texture argentique préservée, fine et solidement gérée, une clarté élégante sur les séquences diurnes, des noirs sensiblement grumeleux, mais plus qu’acceptables, des couleurs fraîches et un piqué soigné. Des plans flous, mais rien de rédhibitoire.

Le mixage unique mélange à la fois le Québécois et l’Anglais (très rare). Une piste DTS-HD Master Audio 2.0 qui ne fait pas d’esbroufe, mais qui restitue suffisamment les dialogues. Heureusement que les sous-titres français sont bien présents, car certains échanges demeurent incertains, non pas en raison de leur intelligibilité (quoique), mais de la langue elle-même dont certaines expressions auraient pu échapper aux spectateurs hexagonaux. Une petite faute sur les sous-titres « Ugo Tognazzi » et non pas « Hugo », mais on chipote.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Les Films d’aujourd’hui / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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