LA MEILLEURE FAÇON DE MARCHER réalisé par Claude Miller, disponible en DVD, Blu-ray et combo Blu-ray+DVD depuis le 24 janvier 2018 chez LCJ Editions
Acteurs : Patrick Dewaere, Patrick Bouchitey, Christine Pascal, Claude Piéplu, Marc Chapiteau, Michel Blanc…
Scénario : Luc Béraud, Claude Miller
Photographie : Bruno Nuytten
Musique : Alain Jomy
Durée : 1h25
Date de sortie initiale : 1976
LE FILM
Durant l’été 1960, Marc et Philippe sont moniteurs dans une colonie de vacances en Auvergne. Tout les oppose : le premier se veut viril, tandis que le second se montre beaucoup plus réservé et taciturne. Au cours d’un malheureux concours de circonstance, Marc surprend Philippe habillé en femme. Une relation ambigüe, mélange de sadisme et de vénération, s’instaure alors entre les deux hommes.
J’ai déjà longuement parlé des films de Claude Miller (1942-2012), de Garde à vue (1981) en passant par Mortelle randonnée (1983), ses deux films avec Charlotte Gainsbourg, L’Effrontée (1985) et La petite voleuse (1988), et plus récemment de La Classe de neige (1999). Près d’une vingtaine de films et documentaires réalisés en l’espace de 45 ans. Un cinéaste inégal, touche-à-tout, inclassable, mais dont la sensibilité me touchait dans chacun de ses opus. Ancien assistant de Marcel Carné sur Trois chambres à Manhattan (1965), de Robert Bresson sur Au hasard Balthazar (1966), de Michel Deville sur Martin soldat (1966), de Jacques Demy sur Les Demoiselles de Rochefort et même de Jean-Luc Godard sur Weekend (1967), cet ancien diplômé de l’IDHEC, devenu directeur de production de François Truffaut sur La sirène du Mississipi (1969), décide de passer derrière la caméra avec quelques courts-métrages. Juliet dans Paris (1967) avec Juliet Berto, La Question ordinaire (1969) et Camille ou La comédie catastrophique (1971) lui apprennent le travail de metteur en scène, le perfectionnent à la technique et à la direction d’acteurs. Parallèlement, il assiste Gérard Pirès sur ses deux opus mythiques, Fantasia chez les ploucs (1971) et Elle court, elle court la banlieue (1973), avant de passer le cap du long métrage en 1976 avec La Meilleure façon de marcher.
Coécrit avec Luc Béraud, cette comédie-dramatique grinçante est peut-être le film le plus saisissant de son auteur. Faisant preuve d’une étonnante maturité, La Meilleure façon de marcher est une œuvre percutante, une charge contre l’intolérance, qui instaure un malaise du début à la fin, même si l’on ne peut s’empêcher de rire à quelques reprises devant le jusqu’au-boutisme de Patrick Dewaere, s’emparant à bras le corps d’un des rôles les plus complexes et ambigus de sa carrière. Cependant, dans La Meilleure façon de marcher, son partenaire n’a rien à lui envier. Pour la première fois en haut de l’affiche, Patrick Bouchitey, qui était apparu dans Les Caïds (1972) de Robert Enrico et French Connection 2 (1975) de John Frakenheimer, crève littéralement l’écran. Fragile comme du cristal, à fleur de peau, le personnage de Philippe transperce le coeur des spectateurs et renvoie à ceux qu’affectionnait Rainer Werner Fassbinder. C’est dire l’immense réussite de La Meilleure façon de marcher, véritable coup de maître, dont le propos demeure d’une brûlante actualité.
Dans une colonie de vacances, quelques jeunes moniteurs, chargés chacun d’un groupe d’enfants, appliquent leur conception personnelle de la pédagogie. Marc, sûr de lui, « fort en gueule », mène ses enfants par de grands coups de voix et leur fait pratiquer le sport et la marche, accompagnée de chants très « militaires ». Philippe au contraire, intellectuel fin et sensible, lit beaucoup et tente, avec son groupe, de monter une pièce de théâtre. Un jour, Marc surprend Philippe maquillé, en robe du soir. Il garde le secret, mais va harceler ce dernier qui essaie pourtant de s’en faire un ami. Une tentative de mise en commun de leur groupe avorte. Dès lors, il ne s’agit plus d’opposer des méthodes pédagogiques; il s’agit d’un affrontement ambigu de bourreau à victime. Philippe va subir sans réagir toutes les humiliations.
Dans La Meilleure façon de marcher, il y a évidemment la fougue, le regard à la fois glaçant et rempli de questions de Patrick Dewaere. S’il avait déjà derrière lui le triomphe des Valseuses (1974), Lily aime-moi (1975) de Maurice Dugowson et le génial Adieu Poulet (1975) de Pierre Granier-Deferre, le comédien franchit une étape dans le film de Claude Miller, qu’il considérait d’ailleurs comme l’un de ses meilleurs. N’ayant pas peur d’inspirer la crainte et la répulsion du spectateur, Patrick Dewaere s’accapere de ce rôle – qu’il aura accepté dès la lecture du scénario et à l’origine pensé pour Philippe Léotard – pour modeler un personnage trouble et violent, mais qui fait penser également à une bête aux abois, effrayé après avoir assisté à quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir.
Marc, gueulant plus qu’il ne parle, pète-sec et éternel adolescent, va alors se réfugier dans ce qu’il sait faire de mieux, regarder de haut Philippe, l’humilier, tout en jouant sur une certaine ambivalence, avec une douceur énigmatique, qui plonge alors son collègue dans une confusion extrême. Philippe observe, mais aussi reçoit, encaisse les coups, les brimades et les mots de Marc, qui n’hésite pas à draguer celle dont il est amoureux, Chantal (sublime Christine Pascal), en restant digne, jusqu’à la goutte d’eau qui fera inexorablement déborder le vase. La force du jeu des deux acteurs laisse pantois. Tout ce magma sensoriel rentrera en éruption lors de l’étonnante séquence du bal costumé où Philippe osera pour la première fois s’opposer à Marc, en le prenant à son propre jeu, ce qui laissera son partenaire macho et primaire désarmé, avant d’être pénétré par un corps étranger, qui « le pique » et mettra fin à l’affrontement. Jusqu’à l’épilogue inattendu, où le cinéaste laisse passer quelques petits détails sur ce que sont devenus les personnages quelques années plus tard après les événements.
La Meilleure façon de marcher, six fois nommé aux Césars en 1977 (Bruno Nuytten sera le seul à recevoir le prix pour la meilleure photographie), film d’une force rare dans le cinéma français, irrigué par un torrent d’émotions, bouscule, heurte et entraîne les spectateurs dans son sillage.
LE BLU-RAY
La Meilleure façon de marcher avait été premièrement édité par MK2. En 2018, le premier long métrage de Claude Miller réapparaît sous la bannière de LCJ Editions en DVD, Blu-ray et combo Blu-ray+DVD. Nous avons entre les mains l’édition combo. Les deux disques reposent sur les deux volets d’un Digipack, glissé dans un surétui cartonné, qui reprend le célèbre visuel de l’affiche du film.
Trois modules d’archives sont disponibles sur cette édition.
Nous retrouvons Patrick Dewaere, Patrick Bouchitey et Claude Miller sur le plateau de l’émission Clap (8’30), enregistrée lors du premier festival international du film d’humour de Chamrousse, en 1976. Sont également présents le critique de cinéma Robert Benayoun et bien sûr le présentateur Pierre Bouteiller. L’équipe est présente pour faire la promo de La Meilleure façon de marcher, quand même plus orienté drame que comédie, alors que le Festival de Chamrousse célèbre les films humoristiques. Néanmoins, les invités essayent de dire que le film n’est pas dénué d’humour, qui « rend tolérable les choses graves ». Les deux comédiens interviennent sur les personnages et leurs motivations, ainsi que sur les thèmes du film. Claude Miller s’exprime de son côté sur les partis pris et ses intentions.
S’ensuit un entretien avec Patrick Dewaere (7’30) enregistré lors du tournage de Mille milliards de dollars d’Henri Verneuil. A cette occasion, l’acteur revient sur sa façon de préparer ses rôles et d’aborder ses personnages. Patrick Dewaere parle également de son rapport avec les metteurs en scène, sur la raison pour laquelle il a refusé La Carapate de Gérard Oury (« je n’aime pas les gags, j’aime ce qui est drôle, ce n’est pas la même chose »). Enfin, quand le journaliste énumère quelques-uns de ses films et lui demande de l’interrompre quand il souhaite dire quelques mots sur une œuvre en particulier, Patrick Dewaere s’exprime sur La Meilleure façon de marcher, qui lui tient à coeur (« un grand film qu’on a fait là »), ainsi que sur Série noire d’Alain Corneau.
Un dernier document d’archives montre Patrick Dewaere (2’) parler du film de Claude Miller, « qui n’est pas un film sur l’homosexualité, mais sur le droit à la différence ».
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce et les deux premiers courts-métrages réalisés par Claude Miller, avec Juliet Berto, restaurés en 2K, disponibles en Audiodescription et bénéficiant des sous-titres français destinés au public sourd et malentendant :
Juliet dans Paris (1967, 18’) : Une jeune étudiante, seule dans Paris, se livre à d’étranges et sanglantes expériences dont elle est à la fois l’ordonnatrice et la victime.
La Question ordinaire (1969, 11’) : Des chaînes, un crochet, des murs blancs. Une jeune femme venue filmer un homme que l’on torture… Un réquisitoire implacable.
L’Image et le son
La Meilleure façon de marcher a entièrement été repris par LCJ Editions. Voici une formidable restauration en HD 4K, réalisée en 2015 par les Laboratoires Eclair. Attendu comme le Messie depuis toujours pas les fans de Patrick Dewaere, le premier long métrage de Claude Miller s’offre enfin à nous en Haute définition, dans une nouvelle copie entièrement restaurée. Ce nouveau lifting sied à merveille aux partis pris esthétiques de la photo signée Bruno Nuytten (qui a supervisé l’étalonnage), qui voit ses contrastes renforcés, la clarté augmentée. La stabilité est de mise, le piqué est fort agréable, la propreté irréprochable, les détails inédits et les couleurs retrouvent une certaine et plaisante vivacité. Enfin, le grain argentique est merveilleusement géré et le Blu-ray est au format 1080p.
L’éditeur propose un mixage Dolby Digital 2.0. Comme pour l’image, le son a également subi un dépoussiérage de premier ordre. La piste est propre et la délivrance des dialogues purs et limpides. Aucun souffle, aucun parasite. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles, ainsi qu’une piste Audiodescription.