Test Blu-ray / Jeunesse perdue, réalisé par Pietro Germi

JEUNESSE PERDUE (Gioventù perduta) réalisé par Pietro Germi, disponible en Combo Blu-ray + DVD depuis le 20 mars 2025 chez Tamasa Distribution.

Acteurs : Carla Del Poggio, Massimo Girotti, Jacques Sernas, Franca Maresa, Diana Borghese, Nando Bruno, Leo Garavaglia, Dino Maronetto, Giorgio Metrailler…

Scénario : Pietro Germi, Mario Monicelli, Antonio Pietrangeli, Enzo Provenzale, Leopoldo Trieste & Bruno Valeri

Photographie : Carlo Montuori

Musique : Carlo Rustichelli

Durée : 1h32

Date de sortie initiale : 1955

LE FILM

Dans la Rome de l’après-guerre, un homme est tué lors d’un braquage. Soupçonnant des étudiants, l’inspecteur Mariani s’infiltre dans l’université en se faisant passer pour un étudiant. Il va vite localiser un suspect, mais aussi tomber amoureux de sa sœur…

Les sorties en Haute-Définition de Séduite et abandonnée et Divorce à l’italienne, nous avaient permis de revenir sur l’un des cinéastes italiens les plus importants de l’après-guerre, Pietro Germi (1914-1974). Jeunesse perdue Gioventù perduta est son second long-métrage comme metteur en scène, qui rend compte de sa cinéphilie, en l’occurrence de son amour pour le film noir américain, auquel il rendra souvent hommage. Leçon de montage, très bien rythmé, Jeunesse perdue tient en haleine du début à la fin et démontre le savoir-faire de Pietro Germi derrière la caméra. L’élégance de la mise en scène, la beauté de Carla Del Poggio et le sens du récit emportent facilement l’adhésion, d’autant plus que, comme à son habitude, le cinéaste dresse une implacable radiographie de son pays, ce qui lui vaudra d’ailleurs de grands démêlés avec la censure mise en place par Giulio Andreotti. Que reste-t-il du fascisme après la chute et l’exécution de Benito Mussolini ? En se focalisant sur un jeune de bonne famille, dont l’ambition a été tuée dans l’oeuf après la pendaison du Duce, Pietro Germi démontre que le mal couve encore et qu’il n’a sûrement pas disparu en même temps que celui qui avait alors gouverné l’Italie durant une vingtaine d’années. Édifiant et percutant, mais aussi un bel objet de cinéma.

Le témoin d’un braquage est assassiné, après avoir été repéré par les bandits. Marcello Mariani, un inspecteur de police infiltré dans le milieu universitaire romain, où le conduisent certains indices recueillis sur le lieu du meurtre, rencontre Luisa, la fille d’un professeur, qui le présente à la famille. L’inspecteur remarque le comportement non conventionnel et la grande quantité d’argent dont dispose Stefano, le frère de Luisa. Après un braquage infructueux de la caisse de l’université (temporairement vide) au cours duquel un gardien a été blessé, celui-ci, avant de mourir, affirme avoir réussi à blesser un membre du gang. Luisa, ignorant la véritable mission de son partenaire, lui parle de la blessure au bras, contractée par Stefano la nuit précédente. Les soupçons du policier se renforcent et, malgré les sentiments amoureux qu’il ressent pour Luisa, préfère rompre avec elle. Lors d’un cours donné sur les statistiques, le père de Stefano aborde le sujet de la délinquance juvénile avec une profusion de graphiques, de chiffres et d’articles d’actualité, tirés de la réalité. Maria, employée de l’université et amie de Stefano depuis l’enfance, a trouvé sur les lieux du vol un briquet avec les initiales du jeune homme, dont elle a toujours été amoureuse. Sans nourrir aucun soupçon à son égard, elle est déterminée à informer la police de cette découverte. Sous la pression de son gang, Stefano doit se débarrasser de Maria.

Pour nous, la guerre n’est pas finie !

À sa sortie, Jeunesse perdue a été presque unanimement considéré comme un nouvel opus émanant du courant néoréaliste. Un film exceptionnel porté par une critique souvent dithyrambique, qui collait à la réalité et incitait à la réflexion, alors que l’image du corps pendu du Duce était encore fraîche dans les mémoires. On est loin d’imaginer la ferveur de la gauche italienne, unie face à la censure de l’Action catholique, qui tentait d’interdire le film, surtout qu’Andreotti exécrait purement et simplement ce courant cinématographique qui selon-lui donnait une fausse image de l’Italie. En raison de la crudité de certaines scènes, notamment celles du braquage à l’université, finalement coupée au montage et dont l’ellipse paraît d’ailleurs étonnante, Jeunesse perdue avait dans un premier temps été interdit de projection au public. Cette mesure a ensuite été révoquée à la suite d’une lettre envoyée par Pietro Germi à Giulio Andreotti et cosignée par une trentaine de ses confrères et autres noms prestigieux liés à la culture transalpine.

Le cinéaste filme les rues de Rome, ses étudiants, des individus arrivant à l’été de leur existence, qui reprennent les choses en main après les années (et les Chemises) noires. Certains parmi eux, à l’instar de Stefano, veulent plus, veulent tout, vite, très vite même. Ce désir est né de la frustration, après que la situation soit revenue à la « normale ». Stefano veut le meilleur, les cigarettes américaines, de l’alcool non frelaté, de beaux costumes, de l’argent plein les poches. Alors, avec l’aide de son gang, il se débrouille et braque ce qui se présente à lui. Jusqu’à ce qu’il atteigne le point de non-retour.

Si Jacques Sernas (L’Assaut des jeunes loups, Le Fils de Spartacus, Hélène de Troie) s’avère impeccable dans la peau du glacial Stefano, c’est le grand Massimo Girotti, peu de temps après le mythique OssessioneLes Amants diaboliques de Luchino Visconti, qui tire son épingle du jeu dans le rôle de l’inspecteur Mariani, qui va prendre cette histoire de casses très à coeur, étant donné que la sœur de celui qui est suspecté lui a volé le sien. Pietro Germi a réuni autour de ses vedettes, un casting de tronches, qui semblent directement provenir du polar US.

Magistralement photographié par Carlo Montuori (chef opérateur sur l’étonnant Pour l’amour du ciel de Luigi Zampa), bercé par la musique entêtante de Carlo Rustichelli (Un vrai crime d’amour, L’Appel de la forêt, Détenu en attente de jugement, Six femmes pour l’assassin), Jeunesse perdue est une belle porte d’entrée dans le cinéma de Pietro Germi. Comédien, réalisateur, producteur et scénariste plusieurs fois récompensé pour ses oeuvres dans les festivals du monde entier (dont l’Oscar du meilleur scénario pour Ces messieurs dames Signore e signori) et pourtant aujourd’hui trop souvent oublié, Germi se servait de son art comme d’un vecteur lui permettant de contester certaines mœurs de la société tout en désirant avant toute chose divertir les spectateurs dans le drame ou dans la comédie. Il n’est jamais trop tard pour reparler de cet immense cinéaste.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Tamasa Distribution revient à Pietro Germi, après avoir édité Séduite et abandonnée, Traqué dans la ville et Le Chemin de l’espérance. Il faudra donc désormais ajouter à la liste Jeunesse perdue (en espérant voir le somptueux Il Ferroviere Le Disque rouge venir fleurir cette collection), qui apparaît dans les bacs en Combo Blu-ray + DVD. Les deux disques reposent dans un boîtier Digipack à deux volets. Le menu principal est fixe et musical.

Dans le boîtier, Tamasa présente un livret de 12 pages intitulé Jeunesse perdue, une école du crime ?, dans lequel Elena Dagrada, historienne du cinéma, replace dans son contexte (politique, social et cinématographique) le film de Pietro Germi. L’occasion d’en savoir plus sur la célèbre affaire liée à la sortie au cinéma de Jeunesse perdue, où le film devait être interdit par la censure. Un peu plus loin, Luca Prono, également historien du cinéma, se penche à son tour sur le film et les rapports entre les personnages.

Elle est devenue une invitée récurrente chez Tamasa Distribution, que l’on a plaisir de retrouver à chacune de ses interventions, Aurore Renaut nous présente Jeunesse perdue (35’30). Ainsi, après Où est la liberté… ? de Roberto Rossellini, ainsi que La Traite des blanches et Mariti in città Maris en liberté de Luigi Comencini, la maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’université de Lorraine dresse un formidable portrait de Pietro Germi (« un cinéaste sous-évalué, passionnant et à réévaluer ») et surtout une brillante analyse de son second long-métrage. Ce « chaînon manquant pour comprendre le néoréalisme italien et qui s’intéresse à la population de la haute bourgeoisie » est passé au crible durant plus d’une demi-heure, sans interruption. Le personnage de Stefano (« qui veut le plus, le superflu ») est ainsi disséqué, tandis que le contexte politique de l’Italie d’après-guerre est rappelé pour mieux comprendre la psychologie des protagonistes. Le rapport de Pietro Germi à la censure, les références au film noir américain, l’influence d’Alfred Hitchcock (notamment L’Ombre d’un doute), le casting et le très grand succès du film sont aussi les points abordés au cours de ce module.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

En 2021, Jeunesse perdue a bénéficié d’une restauration réalisée par L’Immagine Ritrovata à partir d’un scan 4K du négatif original, ainsi que d’une copie de première génération, nécessaire pour les parties endommagées et pour la bobine 2. Tamasa Distribution livre un master on ne peut plus satisfaisant du film de Pietro Germi. Aucun fourmillement, pas de rayures, ni de points et autres scories à signaler, la copie s’avère d’une étonnante propreté..en dehors d’un agaçant poil en bord de cadre à un moment donné oui, peut-être… La gestion des contrastes est solide, le N&B est riche et lumineux, le piqué acéré (même si parfois aléatoire sur les séquences issues de la copie de première génération), la texture argentique préservée, la copie trouve rapidement son équilibre et offre un confort de visionnage éloquent. Blu-ray au format 1080p.

Le mixage italien a subi un sacré dépoussiérage et les dialogues sont très intelligibles. L’écoute demeure agréable et même tonique, La musique de Carlo Rustichelli est bien délivrée et l’ensemble ne manque pas d’ardeur. Les sous-titres français ne sont pas imposés. Pas de VF.

Crédits images : © Tamasa / Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.