JEANNE D’ARC (Das Mädchen Johanna) réalisé par Gustav Ucicky, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre le 2 février 2021 chez Artus Films.
Acteurs : Angela Salloker, Gustaf Gründgens, Heinrich George, René Deltgen, Erich Ponto, Willy Birgel, Theodor Loos, Aribert Wäscher…
Scénario : Gerhard Menzel
Photographie : Günther Krampf
Musique : Peter Kreuder
Durée : 1h22
Date de sortie initiale : 1935
LE FILM
A la fin de la Guerre de Cent ans, la France va de défaites en défaites face aux Anglais. Seule la ville d’Orléans résiste, défendue par La Trémoille, Dunois, et d’Alençon. A Domrémy, en Lorraine, une jeune fille de 17 ans, Jeanne, entend la voix de l’archange Michel. Il lui dit d’aller retrouver le dauphin Charles pour le faire couronner à Reims. Après le sacre, lui seul pourra bouter les Anglais hors de France.
Ils sont nombreux les cinéastes à s’être confrontés au mythe Jeanne d’Arc ! On peut citer en vrac, parmi les plus connus bien sûr, Carl Theodor Dreyer avec La Passion de Jeanne d’Arc (1928), Victor Fleming avec Jeanne d’Arc – Joan of Arc (1948), Roberto Rossellini avec Jeanne au bûcher – Giovanna d’Arco al rogo (1954), Jean Delannoy avec son segment dans le film collectif Destinées (1954), Otto Preminger avec Sainte Jeanne – Saint Joan (1957), Robert Bresson dans Le Procès de Jeanne d’Arc (1962), Jacques Rivette avec Jeanne la Pucelle (1994), Luc Besson avec Jeanne d’Arc (1999) et bien d’autres. La Pucelle d’Orléans aura eu comme beaux visages au cinéma, celui de Renée Falconetti, d’Ingrid Bergman (à deux reprises d’ailleurs), de Michèle Morgan, de Jean Seberg, de Florence Delay, de Sandrine Bonnaire ou de Milla Jovovich. Jeanne d’Arc n’aura pas attendu longtemps pour faire sa première apparition au cinéma puisque le premier film recensé sur ce sujet remonte à 1898, un court-métrage muet réalisé par Georges Hatot. Suivront très vite les Frères Lumière (Domrémy, 1899) et Georges Méliès (Jeanne d’Arc, 1899), avant que l’Italie s’empare du personnage dans le premier long-métrage consacré au personnage, Giovanna d’Arco (1913) d’Ubaldo Maria Del Colle et Nino Oxilia. Le premier film à l’utiliser comme élément de propagande est le grand Cecil B. De Mille avec son Jeanne d’Arc – Joan the Woman (1916), destiné à encourager les troupes américaines auprès des Alliés durant la Première Guerre mondiale. Mais il y a un autre film consacré à la Pucelle d’Orléans, qui vaut qu’on s’y attarde et ce pour deux raisons. Premièrement, il s’agit du premier film parlant sur Jeanne d’Arc, deuxièmement il s’agit aussi d’une œuvre de propagande, destinée ici faire le parallèle entre la venue providentielle de cette jeune fille d’origine paysanne et celle d’Adolf Hitler. Il s’agit de Jeanne d’Arc – Das Mädchen Johanna, véritable blockbuster de l’époque, mis en scène par Gustav Ucicky, avec Angela Salloker dans le rôle-titre.
La France pendant la guerre de Cent Ans. Les Français risquent de perdre la guerre contre l’Angleterre et des ennemis intérieurs. Seule la ville d’Orléans résiste bien encore ; c’est ici que se trouve le roi de France, Charles VII. Pour discuter de conditions de paix acceptables, le roi envoie son émissaire Thibaud de Lucé, évêque de Maillezais, dans le camp ennemi, chez John Talbot et son allié Philippe III de Bourgogne. Mais Talbot refuse le compromis ; il préfère se préparer à la bataille finale. Son mépris est tel qu’il jette les armes de sa famille d’origine française. La population d’Orléans est désespérée, car ceux qui doivent la défendre, Georges de La Trémoille, Jean de Dunois et Jean d’Alençon, sont seulement intéressés par leur propre intérêt et forgent des intrigues contre leur monarque, qui leur doit beaucoup d’argent. Dans la nuit, le roi perd la foi en la victoire et maintient sa volonté de pourparlers. Dans la rue, des hommes qui essaient de récupérer les cadavres jetés pieds et poings liés dans la Loire, l’interpellent violemment. Ces corps sont les victimes du duc d’Alençon. La foule, croyant alors que le roi est d’Alençon, se révolte et souhaite le lyncher. Au dernier moment, une jeune paysanne de 17 ans reconnaît le roi. La jeune fille Jeanne évite le pire. Jeanne explique qu’elle a été envoyée par l’archange Michel, pour sauver la France et pour couronner le roi à Reims. Charles, pas très crédule et très calculateur, voit tout de suite l’occasion de redonner la motivation aux Français. Les soldats du roi Charles sous la direction de Jeanne d’Arc lancent l’assaut contre la fortification de l’ennemi. Le duc de Bourgogne est capturé. Victorieuse, Jeanne prévient le roi de se méfier de ses riches alliés. Quelques mois plus tard, Charles est couronné à Reims. Jeanne se trouve à ses côtés. Mais pendant la nuit de fête, on découvre qu’à Reims, la peste vient d’apparaître. De plus, les Anglais menacent de prendre la route de Paris. Immédiatement Johanna veut se battre à nouveau et appelle aux armes. Mais les invités de la fête se moquent de sa témérité. Jeanne s’est faite de nombreux ennemis, comme le duc d’Alençon qui la qualifie de sorcière. On accuse Jeanne d’avoir fait venir la peste, et de penser qu’elle accomplit une mission divine. Sous la pression du d’Alençon qui appelle la foule à tuer Jeanne, La Trémoille, maintenant commandant de Reims, fixe avec l’approbation du roi sa capture, morte ou vive. Elle est accusée d’hérésie, capturée et remise aux Anglais.
La fin est connue. Dans Das Mädchen Johanna, c’est surtout le traitement et évidemment le parallèle que l’on peut dresser entre le personnage, les dialogues, les renversements de situation, les trahisons, avec la situation de l’Allemagne d’alors qui importent. Du point de vue cinématographique, le Jeanne d’Arc de Gustav Ucicky (1899-1961), alors metteur en scène officiel du IIIè Reich, demeure une curiosité à plus d’un titre, mais s’avère aussi un bel objet mis en valeur par une superbe photographie de Günther Krampf, qui aura participé à Nosferatu le vampire – Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (1922) de F.W. Murnau, Les Mains d’Orlac – Orlacs Hände (1924) de Robert Wiene et Le Fantôme vivant – The Ghoul (1933) de T. Hayes Hunter. Avec ses partis-pris expressionnistes, Das Mädchen Johanna est un ravissement pour les yeux.
A travers quelques cartons hérités du cinéma muet, qui apparaissent après un symbole qui rappelle étrangement celui auquel vous pensez (vu le contexte), le film démarre en replaçant l’histoire dans l’Histoire, en évoquant d’emblée la « fille du peuple qui se rendit à Orléans pour mettre fin à la Guerre de Cent ans, qui détruisit le pays et avait plongé ses habitants dans la tourmente. Quand un peuple a perdu tout espoir, il doit vivre dans la honte, mais si un peuple a perdu la foi, alors il est condamné à disparaître. C’est cette fin honteuse qui menaçait le peuple français. La coupe était pleine. Alors se produisit le miracle… ». Cela pourrait presque passer pour un pré-générique d’un Marvel ! Le Royaume de France, comme l’Allemagne des années 1930, attendait son « super-héros », celui ou celle qui pourrait soulever et unifier les foules, leur promettre un avenir meilleur. On comprend mieux comment et pourquoi la figure de Jeanne d’Arc a été récupérée par le régime d’Hitler, devenu Chancelier du Reich en janvier 1933. Certes, en à peine 1h25, Das Mädchen Johanna prend des libertés avec les faits réels, mais ceci afin de mieux se concentrer sur le sujet principal du film et de ses principales intentions, le culte de la personnalité.
Si la comédienne Angela Sallocker s’en tire vraiment bien dans le rôle principal, elle est aussi la plus sobre de la distribution, ses partenaires étant eux insupportables car dirigés de façon outrancière, criant, ou plutôt crachant leurs répliques, tout en en rajoutant dans le côté perfide, voire libidineux, la panse bien pendante au dessus de la ceinture. Il se dégage un sentiment d’hystérie collective et ce jusqu’à l’arrivée de Jeanne à la 26è minute, au son des cloches, alors qu’il ne reste déjà qu’une heure de film. Seule Angela Sallocker s’en tire honorablement dans Das Mädchen Johanna, alors que les autres personnages sont ridiculisés du début à la fin.
Alors oui, les grandes lignes sont évoquées, les combats et la séquence du bûcher le 30 mai 1431 à Rouen alors capitale du duché de Normandie, possession anglaise, sont présents. Cependant, ne vous attendez clairement pas à une leçon d’histoire, mais plutôt à une évocation pas honteuse, en dehors de son idéologie primaire certes, plaisante à regarder et au final divertissante.
LE MEDIABOOK
L’édition Livre + Blu-ray + DVD du Jeanne d’Arc de Gustav Ucicky est sans doute l’une des plus belles que vous trouverez sur le marché en février 2021. Car non seulement l’objet est superbe, mais il contient aussi le livret le plus intéressant concocté par Artus Films. Et l’on doit ce recueil à l’excellent David Didelot, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler sur Homepopcorn et ce à plusieurs reprises. Le co-fondateur du fanzine Vidéotopsie est seul en piste sur ce livret de 80 pages, absolument passionnant de bout en bout, durant lequel David Didelot revient non seulement sur l’Histoire de Jeanne d’Arc (enfin un cours pas chiant sur le sujet, car blindé d’informations et parcouru par un humour omniprésent !), mais aussi sur la récupération du mythe par les divers partis politiques, sur sa représentation et son évocation à travers les arts (y compris dans les jeux vidéos), avec bien sûr les multiples films consacrés à la Pucelle d’Orléans. Divisé en huit chapitres, ce formidable livret aborde aussi bien entendu le film qui nous intéresse, sa mise en chantier, son tournage, le casting, le réalisateur, etc. Un supplément à part entière, que nous vous conseillons de dévorer après avoir découvert le film. Le menu principal est fixe et musical.
Seul supplément en vidéo sur cette édition, un large Diaporama d’affiches et de photos.
L’Image et le son
Un carton indique que Jeanne d’Arc a été numérisé en 2019. Pour ce faire, la Fondation Friedrich Wilhelm Murnau a utilisé une copie de troisième génération conservées par les Archives Nationales du cinéma et provenant des Archives Nationales de la RDA. Les passages manquants ont été récupérés d’une copie anglaise, d’où l’apparition de sous-titres dans la langue de Shakespeare, incrustés sur l’image sur quelques scènes. Ce master 2K restauré s’en tire fort honorablement, même si forcément la définition peut varier d’une scène à l’autre, ou parfois même au cours d’un même échange entre des personnages. Mais le Jeanne d’Arc de Gustav Ucicky revient de loin, on pensait même le film perdu, et le découvrir ainsi tient quasiment du miracle, surtout que dans l’ensemble la copie tient la route avec une texture argentique bien équilibrée, une stabilité rarement prise en défaut, des noirs profonds, une propreté assez dingue et un piqué fort acceptable. Certains plans sur Jeanne d’Arc sont volontairement flous, des partis-pris appuyant ainsi l’aura divine du personnage.
La bande-son semble avoir été restaurée également car peu de craquements sont à déplorer. Les dialogues, tout comme la musique, demeurent propres et distincts sur cette piste unique allemande 2.0. Certains échanges sont peut-être plus étouffés que d’autres, d’autres au contraire trop aigus (surtout que ça braille pas mal, au point de faire vibrer les tympans), un petit souffle est parfois audible, mais le confort acoustique est très appréciable.