Test Blu-ray / Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ?, réalisé par Eddy Matalon

ET AVEC LES OREILLES QU’EST-CE QUE VOUS FAITES ? réalisé par Eddy Matalon, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Jean-Gabriel Nordmann, Didier Sauvegrain, Louis Navarre, Nathalie Zeiger, Chantal Aba, Olga Valéry, Paul Bisciglia, Tania Busselier, Nanette Corey…

Scénario : Alain Sens-Cazenave

Photographie : Jean-Jacques Tarbès

Musique : Richard Alexandre

Durée : 1h27

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Deux amis, Arthur et Jérôme, souhaitent réaliser un film. Après bien des hésitations, ils renoncent à leurs aspirations premières et optent pour un thème dans l’air du temps : l’érotisme ! Bénéficiant d’une coquette somme d’argent, il ne leur reste plus qu’à trouver le casting idéal. Mais le tandem est loin d’imaginer que ce projet un peu fou va modifier complètement leur existence.

Certains spectateurs adeptes du cinéma qui a « bifurqué » et surtout qui a su proposer quelque chose d’inhabituel, ont sûrement déjà croisé la route d’Eddy Matalon, réalisateur et scénariste du Chien fou (1966) avec Claude Brasseur et la sublime Dany Carrel, de Trop petit mon ami (1970) avec Jane Birkin et Bernard Fressson, d’Une si gentille petite fille !… (1977) et de New-York Black-Out (1978). Dans les années 1970, Eddy Matalon prend le pseudonyme de Jack Angel et signe quelques films érotiques aux titres évocateurs, Les Garces (1973), La Pension du libre amour (1974), La Chatte sans pudeur (1975) et La Bête à plaisir (1975). Au milieu de tout cela, il met en scène sous son vrai nom Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ?, une comédie non dénuée de scènes dénudées, qui se moque gentiment des conditions de tournage et de création en général des films coquins qui fleurissaient à l’époque. Le scénario malin d’Alain Sens-Cazenave, premier assistant d’Alain Lavalle sur La Révélation, fait parfois penser au Magnifique de Philippe de Broca, sorti l’année précédente, mais annonce aussi étrangement On aura tout vu de Georges Lautner, qui n’apparaîtra sur les écrans que deux ans plus tard. S’il n’atteint évidemment pas la grande réussite de ces deux derniers, Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? n’en demeure pas moins intéressant à plus d’un titre, drôle, intelligent, bourré d’idées et divertissant. Et en plus on se rince l’oeil, les deux même, alors pourquoi se priver ?

Quand on a vingt ans, la tête gonflée d’études, le cœur plein d’espoir, une tante qui a un peu d’argent et un copain qui a de l’ambition, on veut faire un film politique sur Jeanne d’Arc. Quand on est producteur, qu’on a quarante ans, une maison de campagne et une secrétaire qui a de beaux seins, on ne refuse pas 100 000 francs même si cette Jeanne d’Arc a les yeux bridés de Mao-Tse-Tung et brûle à Orléans en criant : “Vive le Soviet Suprême ”… Mais quand on est un cinéaste avec un peu d’expérience, dès qu’on entend le mot : Pucelle, on sort son revolver. Ainsi, Arthur et Jérôme quitteront l’art passionnant de la dialectique marxiste pour réinventer l’érotisme des masses… Jérôme y perdra son pucelage, Arthur sa petite amie, mais tous deux y gagneront des hallucinations dont le spectateur profitera en suivant de bout en bout la fabrication d’un film de fesses capitaliste !

Dans les années 1970, un vent de liberté souffle sur le cinéma français et Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? est un digne représentant de cette bouffée d’air frais qui envahit l’Hexagone, tandis que nous sommes dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 1974, le film étant sorti le 15 mai, soit quatre jours avant l’arrivée de VGE à l’Élysée. Chez Eddy Matalon, on dort à quatre (voire plus) dans le même lit, les secrétaires sont super bien roulées et moulées dans des combis qui s’apparentent à du papier d’aluminium, les poitrines se dévoilent généreusement, mais c’est pour la bonne cause, car les spectateurs veulent du sexe, qui s’affiche déjà sur tous les murs de la capitale. Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? est une fantaisie qui raconte comment deux aspirants scénaristes vont devoir mettre leurs ambitions de côté, pour livrer un film érotique. Ou comment passer d’un récit sur Jeanne d’Arc à une gaudriole où les comédiens sont tous dans le plus simple appareil.

Eddy Matalon et son scénariste Alain Sens-Cazenave y vont à fond dans les dialogues tordants, à la fois cyniques et ironiques, surtout lors de la première rencontre de nos deux héros, Arthur (Jean-Gabriel Nordman, découvert dans le très beau Tante Zita de Robert Enrico) et Jérôme (Didier Sauvegrain, la « Folle » dans Le Coup du parapluie de Gérard Oury) avec le producteur (Louis Navarre, une tronche reconnaissable, souvent aperçue aux côtés de Pierre Richard) qui va vite tuer dans l’oeuf les désirs de ces jeunes artisans. « Mais c’est un film historique voyons ! » « Allons, vous voulez faire ce film oui ou non ? » « Oui ! » « Alors, soyez raisonnables, pas historiques ! » leur dit ce petit nabab de quartier, qui surenchérit en leur disant que s’ils étaient suisses, ou à la limite canadiens, cela aurait pu passer, mais pour des artistes en herbe, autant écouter ses conseils et offrir au public ce qu’il attend, autrement dit du CUL! C’est là que nos deux amis vont se mettre à cogiter et à voir leurs idées prendre forme (et parfois très belles d’ailleurs), se prenant au jeu, en imaginant la secrétaire du producteur (la « généreuse » Nanette Corey, qui a illuminé Les Couples du Bois de Boulogne de Christian Gion) dans diverses positions, avec des partenaires masculins ou féminins, qui s’incarnent dans quelques décors aussi dépouillés (des murs blancs, à peine repeints) que leurs costumes.

Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? est une œuvre blindée de trouvailles, décomplexée, marquée par de nombreuses répliques savoureuses (« L’aryen comme le russe viole, mais avec l’aryen la femme hurle de plaisir […] pour les japonais il faut un animal, un chien par exemple, un berger allemand pourquoi pas, comme ça on fera plaisir aux deux ! »), des idées de mise en scène sympathiques (la voix des scénaristes mises sur les acteurs durant leur processus créatif, l’effet kaléidoscope sur les scènes d’amour), une BO excellente et des acteurs attachants.

LE BLU-RAY

Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? apparaît en Haute-Définition chez Le Chat qui fume. La jaquette – dont le recto et le verso plaira forcément aux cinéphiles/phages coquins – est glissée dans un boîtier transparent. Mention spéciale à la sérigraphie du disque, très bien trouvée. Le menu principal est animé sur une séquence du film.

Nous retrouvons Jessica (déjà aperçue sur le Blu-ray de La Révélation), la « speakerine » du Chat qui fume apparue il y a peu, pour nous parler cette fois de Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? (4’). Au cours de sa présentation, notre hôtesse donne quelques indications sur cette « comédie très rare, jamais sortie en VHS, ni diffusée à la télévision ». Le casting, le réalisateur, les thèmes et le contexte de tournage sont aussi abordés.

Stéphane Bouyer est allé cette fois à la rencontre d’Eddy Matalon, visiblement très heureux de pouvoir partager ses souvenirs liés au cinéma et à sa carrière en général (41’). Grand lecteur (son rêve était de devenir écrivain), Eddy Matalon tombe par hasard dans le monde du septième art, en se rendant utile sur le plateau d’un film de Maurice Labro, vraisemblablement Le Colonel est de la revue en 1956. « J’ai fait beaucoup de choses » dit-il, « des courts-métrages, travaillé chez Les Films de la Pléiade », son premier long-métrage Le Chien fou (1966), son travail en tant que producteur et ses autres films en tant que metteur en scène sont ainsi évoqués au cours de cette rencontre, ainsi que ses rencontres marquantes (Sady Rebbot, Salvatore Adamo, Brigitte Bardot, Alain Lavalle, Alice Saptritch, le directeur de la photographie Jean-Jacques Tarbès…), le tout accompagné d’anecdotes diverses toujours plaisantes à écouter.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Et hop, une nouvelle restauration 4K initiée par Le Chat qui fume, réalisée à partir du négatif original. Franchement, qui aurait pu penser trouver un jour sur le marché le Blu-ray d’un film d’Eddy Matalon, en particulier de Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ?.Sortie risquée et évidemment ambitieuse, cette édition HD ne révolutionnera pas le support, mais offre néanmoins à cette comédie érotique un lifting de premier ordre avec des couleurs étincelantes. Les partis-pris peu ragoutants des années 1970 brillent de mille feux, des papiers peints verts en passant par les costumes, surtout celui arboré par Louis Navarre, composé d’une veste à carreaux et d’un pull rouge à col roulé. En parlant de roulé, les belles poitrines dénudées des comédiennes bénéficient d’un beau relief et d’un piqué inattendu, surtout que celles-ci apparaissent souvent devant un fond blanc immaculé où elles sont toujours bien mises en valeur. Les détails ne manquent pas, à l’instar des yeux vairons de Didier Sauvegrain, du décor principal médiocrement repeint et dont on peut voir les différentes strates, sans parler des plans « anatomiques ». Et n’oublions pas l’excellence de la propreté de ce master, ainsi que la patine argentique, équilibrée et organique.

Le mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un très bon confort acoustique. Les dialogues sont délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La géniale composition de Richard Alexandre jouit également d’un bel écrin. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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