DOCTOR SLEEP réalisé par Mike Flanagan, disponible en DVD, Blu-ray et 4K Ultra HD chez Warner Bros. le 11 mars 2020
Avec : Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Kyliegh Curran, Cliff Curtis, Carl Lumbly, Zahn McClarnon, Emily Alyn Lind, Bruce Greenwood…
Scénario : Mike Flanagan d’après le roman Doctor Sleep de Stephen King
Photographie : Michael Fimognari
Musique : The Newton Brothers
Durée : 2h32
Date de sortie initiale : 2019
LE FILM
Encore profondément marqué par le traumatisme qu’il a vécu, enfant, à l’Overlook Hotel, Dan Torrance a dû se battre pour tenter de trouver un semblant de sérénité. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente aux dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. Car la jeune fille, consciente que Dan a les mêmes pouvoirs qu’elle, a besoin de son aide : elle cherche à lutter contre la redoutable Rose Claque et sa tribu du Nœud Vrai qui se nourrissent des dons d’innocents comme elle pour conquérir l’immortalité. Formant une alliance inattendue, Dan et Abra s’engagent dans un combat sans merci contre Rose. Face à l’innocence de la jeune fille et à sa manière d’accepter son don, Dan n’a d’autres choix que de mobiliser ses propres pouvoirs, même s’il doit affronter ses peurs et réveiller les fantômes du passé…
Doctor Sleep est un double pari. D’une part, livrer une suite au film Shining (1980) de Stanley Kubrick, référence du film d’épouvante, un film culte, un chef d’oeuvre intemporel. D’autre part, transposer à l’écran le roman éponyme de Stephen King, considéré, à juste titre, comme étant l’un si ce n’est le plus mauvais livre du maître de l’horreur. Et c’est une très grande réussite que l’on doit à un seul homme, le monteur, producteur, scénariste et réalisateur Mike Flanagan. L’auteur de l’exceptionnelle série The Haunting of Hill House, disponible sur la plateforme Netflix, s’empare du roman de Stephen King, probablement conscient des très nombreux points faibles du récit, l’adapte en essayant d’en retranscrire la trame originale, tout en tenant compte des modifications apportées par Stanley Kubrick au roman Shining, par ailleurs très décrié par Stephen King depuis sa sortie. Mike Flanagan a su en retirer la moelle et s’approprier cette histoire, tout en rendant un hommage fabuleux à l’un des films qui lui ont donné envie de passer lui-même derrière la caméra. Doté d’un budget confortable de 45 millions de dollars, Doctor Sleep a connu une carrière difficile au cinéma. Certains spectateurs n’ont pu s’empêcher de comparer le film à celui de Stanley Kubrick, une connerie soit dit en passant, tandis que d’autres ont été quelque peu décontenancé par son rythme lent et sa longue durée de 2h30. Pourtant, contre toute attente, Doctor Sleep est probablement l’une des meilleures transpositions d’un roman de Stephen King à l’écran. Bien supérieur en qualité, en émotions fortes et surtout en virtuosité que le deuxième chapitre de Ça, que le remake affreux de Simetierre, que l’inénarrable Tour Sombre, que le soporifique Cell Phone, Doctor Sleep (un film culotté haha) est l’une des plus belles surprises du genre. C’est même un film magistral.
En 1980, quelque temps après avoir fui l’hôtel Overlook, Danny Torrance et sa mère Wendy se sont installés en Floride. Malgré tout, Danny est toujours hanté par un des fantômes de l’Overlook : Mrs Massey, la vieille femme de la baignoire de la chambre 237. Dick Hallorann, le cuisinier de l’Overlook, apparaît alors à Danny sous forme de revenant lui aussi, et lui apprend à enfermer les fantômes de l’hôtel qui semblent attachés à Danny depuis les événements de Shining dans des « boîtes » imaginaires au sein de son esprit. Pendant ce temps, une secte connue sous le nom du Nœud Vrai, composée de plusieurs individus possédant des capacités extraordinaires psychiques et dirigée par Rose « Chapeau » O’Hara, kidnappe une fillette nommée Violet en bordure de forêt afin de se nourrir de la « vapeur » produite par les derniers instants de vie d’enfants possédant le Shining, tout comme Danny, afin de ralentir leur vieillissement et prolonger leur vie. Rose recrute alors une adolescente, Andrea Steiner, après avoir observé sa capacité à manipuler ou endormir les gens au son de sa voix. Au cours d’une cérémonie très douloureuse, Andy est nourrie de « vapeur » pour la première et dernière fois de sa vie terrestre, et renaît en tant que membre prédateur et sans pitié du Nœud Vrai. En 2011, Danny, qui tient à se faire appeler Dan, toujours traumatisé par son expérience à l’Overlook, est devenu alcoolique, comme son père jadis. Son esprit, fragilisé par le traumatisme et par la boisson, est embrouillé. Il subit alors un déclic et s’exile dans la petite ville de Frazier. Là, Danny se lie d’amitié avec Billy Freeman, un jeune mécano qui lui trouve un emploi et devient son parrain des AA. Dan commence alors à s’améliorer et trouve rapidement un emploi de nuit dans un hospice. Sur place, il est guidé par la chatte de l’hospice qui pressent le décès imminent des patients, et utilise son Shining pour réconforter les patients mourants, qui lui donnent le surnom de « Docteur Sleep ». C’est vers cette période-ci qu’il commence à recevoir des communications télépathiques d’Abra Stone, une jeune fille dont le Shining est encore plus puissant que le sien. Cette jeune fille fait preuve d’un pouvoir plus qu’impressionnant, effrayant ses parents au passage, et se faisant rejeter par ses camarades de classe.
Avec Doctor Sleep, Mike Flanagan avait déjà signé une autre réussite transposée d’un roman de Stephen King, Jessie, également proposée sur Netflix sous le titre Gerald’s Game, angoissant huis-clos avec Carla Gugino et Bruce Greenwood. Et après la sublime première saison de The Haunting of Hill House, Mike Flanagan était probablement le seul à pouvoir tirer quelque chose du roman Doctor Sleep. D’emblée, le cinéaste instaure une ambiance, un rythme lent, mais toujours soutenu, un malaise palpable. Heureusement, Mike Flanagan n’a pas eu recours au rajeunissement en images de synthèse des acteurs originaux, mais a préféré miser sur de nouveaux comédiens pour interpréter Danny et Wendy Torrance au début des années 1980, puisque l’histoire démarre quasiment là où celle de Shining – version cinéma, s’arrêtait, en guise de prologue. Même chose pour l’apparition fantomatique de Jack Torrance dans l’Overlook dans la dernière partie du film, rôle interprété par Henry Thomas, l’ancien Elliott de E.T., l’extra-terrestre (1982), acteur fétiche du cinéaste déjà présent dans Ouija : les origines (2016), Jessie (2017) et The Haunting of Hill House (2018). Cette fois encore, la pilule passe sans difficulté si le spectateur est emporté par le récit.
Outre la magnifique photographie sombre et crépusculaire du chef opérateur Michael Fimognari, complice de Mike Flanagan, Doctor Sleep foudroie aussi par son casting. Ewan McGregor trouve l’un de ses plus beaux rôles depuis Perfect Sense (2011) de David Mackenzie et The Impossible (2012) de Juan Antonio Bayona. A fleur de peau, tout en intériorité, le comédien révèle les blessures et la malédiction de son personnage, pas strates. Sa jeune partenaire Kyliegh Curran est la grande révélation du film. Du haut de ses 14 ans, elle tient la dragée haute à son partenaire et la maturité de son jeu laisse souvent pantois, surtout quand elle fait face à sa partenaire, Rebecca Ferguson. Cela fait du bien de la revoir aux affaires depuis son explosion dans Mission impossible : Rogue Nation (2015) de Christopher McQuarrie. Après avoir participé à quelques films médiocres et oubliables (La Fille du Train – The Girl on the Train de Tate Taylor, Le Bonhomme de neige – The Snowman de Tomas Alfredson, The Greatest Showman de Michael Gracey), l’actrice suédoise retrouve enfin un rôle digne de ce nom. Ambiguë, impitoyable, féroce, sadique, son personnage de Rose est captivant et vole d’ailleurs la vedette.
Plus thriller à suspense psychologique et fantastique que film d’horreur, Doctor Sleep est un modèle de narration, de montage, de direction d’acteurs, de cadre, qui transpire d’un amour incommensurable pour le genre. Loin, très loin des films au découpage frénétique et au rythme hystérique, l’oeuvre de Mike Flanagan distille une angoisse palpable qui serre la gorge de son audience et l’emporte avec lui pour un ride cotonneux et diffus, vertigineux comme l’éther, sombre et violent (la séquence de la torture du jeune joueur de baseball est quasi-insoutenable), qui parvient à la fois à parler du deuil impossible d’un fils pour son père, mais aussi de la filiation cinématographique entre un maître, Stanley Kubrick, et ses élèves, dont Mike Flanagan incarne aujourd’hui un digne successeur.
LE BLU-RAY
Cette édition Blu-ray de Doctor Sleep disponible chez Warner Bros, contient deux disques. La première galette comprend le film dans sa version cinéma, ainsi que les suppléments, la seconde étant consacrée au Director’s Cut (3h). Le menu principal est fixe sur le thème principal de Shining.
Le premier bonus donne essentiellement la parole à Mike Flanagan (5’). Le réalisateur explique la difficulté du film qui devait à la fois être une adaptation du roman Doctor Sleep de Stephen King, mais également une suite à Shining, sachant que Stanley Kubrick avait réalisé de nombreux changements par rapport au livre original. L’écrivain apparaît aux côtés de Mike Flanagan, un honneur pour ce dernier qui n’avait jamais caché son admiration pour l’écrivain. Quelques dessins préparatoires et des images de tournage viennent illustrer ce module.
Nous retrouvons les deux intervenants dans le supplément suivant, à savoir le making of proprement dit (14’). Cette fois encore, les images de plateau sont nombreuses et l’ensemble se focalise essentiellement sur la casting, avec les interviews des comédiens principaux, qui partagent leurs impressions de tournage.
Un dernier bonus est cette fois consacré à la reconstitution du décor de l’hôtel Overlook, lieu principal de l’action de Shining (15’). C’est l’occasion d’admirer le travail impressionnant des décorateurs, qui ont profité des plans de l’époque confiés par la Warner Bros., afin de coller au plus près possible au film original de Stanley Kubrick. Le mobilier, les accessoires, les lampes, les tapis, tout a été réalisé à l’identique, pour le plus grand plaisir de Mike Flanagan, qui semble ne pas en revenir lui-même. Même les toilettes, visibles uniquement dans la version Director’s Cut ont été reconstituées pour une seule scène.
Ceux qui ont adhéré, voire adoré la version cinéma, devront se ruer sur le montage de Mike Flanagan qui prolonge quelques séquences de façon fluide ici et là, mais qui donne surtout au film un découpage en six chapitres, Old ghosts, Empty devils, Little spy, Turn, world, Parlor tricks et What was forgotten. Des personnages y sont un peu plus développés, notamment Billy Freeman (interprété par Cliff Curtis), ainsi que la famille d’Abra, avec une nouvelle présentation, ainsi que la rencontre fatale de Dave, le père d’Abra, avec Corbeau. N’oublions pas la suite de la confrontation entre Danny et le Barman dans les toilettes de l’hôtel, après que ce dernier ait envoyé valser le verre refusé par son « client ». Certains jugeront ces ajouts peu dispensables, mais le rythme reste maîtrisé et finalement, il est fort probable que nous reverrons le film ainsi, puisque conforme à la vision originale du réalisateur, néanmoins conscient qu’il n’aurait pu proposer ce montage pour une exploitation dans les salles.
L’Image et le son
Doctor Sleep est un film sombre et la Haute définition restitue habilement la magnifique photo du chef opérateur Michael Fimognari. Les volontés artistiques sont entièrement respectées. Ce master HD demeure impressionnant de beauté, tant au niveau des détails (très riches) que du piqué sans cesse affûté. Le cadre n’est pas avare en détails, les contrastes affichent une densité remarquable (du vrai goudron en ce qui concerne les noirs) et la colorimétrie est optimale – même si volontairement atténuée – surtout sur les scènes en extérieur. Ce Blu-ray offre d’excellentes conditions pour revoir le film de Mike Flanagan. L’apport HD sur ce titre est évidemment indispensable.
Dès la première séquence, l’ensemble des enceintes de la piste anglaise Dolby Atmos (testée en 5.1) est mis à contribution aux quatre coins cardinaux. Les ambiances sont efficaces et bénéficient d’un traitement de faveur avec une large ouverture, plongeant constamment le spectateur dans l’atmosphère (les battements de coeur sont récurrents), avec des silences angoissants dynamités ensuite par une ribambelle d’effets excellemment balancés de gauche à droite et des enceintes avant vers les arrières. N’oublions pas le caisson de basses, qui se mêle ardemment à ce spectacle acoustique aux effets souvent étonnants sur les séquences opportunes, à l’instar de l’acte final. Totalement immersif. Est-il utile d’évoquer la petite Dolby Digital 5.1 ? Elle assure mais n’arrive pas à la cheville de la version originale. Notons également que la version longue est uniquement disponible en anglais Dolby Atmos – True HD et Dolby Digital 5.1.